VII

LA RESPONSABILITÉ CONSTITUTIONNELLE ET L’OBLIGATION DE RENDRE COMPTE

L’obligation de rendre compte en régime parlementaire - le ministre

L’obligation de rendre compte est une garantie de responsabilité dans l’exercice du pouvoir. En régime parlementaire, la Couronne est le siège du pouvoir qui est exercé par les ministres. Le pouvoir est concentré entre les mains des ministres, du fait qu’ils l’exercent et qu’ils doivent en rendre compte à la Chambre. Aux fins de contrôle, notre système ne divise pas les pouvoirs comme les systèmes fondés sur la «division des pouvoirs», mais s’assure que ceux qui l’exercent sont tenus personnellement responsables de leurs actions.

La responsabilité directe et quotidienne qu’assument les ministres envers le Parlement constitue la force essentielle de notre système. 1 La vitalité de ce système est fonction de l’aptitude des ministres à répondre des activités entreprises sous leur autorité. Cependant, depuis les origines de notre système, ce sont les circonstances politiques et non l’application littérale du principe de la responsabilité ministérielle qui ont régi l’obligation de rendre compte chez les ministres. Les critiques de la responsabilité ministérielle font remarquer que la révocation, appliquée à titre de sanction, est un risque bien peu fréquent, et que l’application de cette «sanction ultime» est «arbitraire et imprévisible».2 I1 s’avère toutefois que, si les ministres sont rarement démis de leurs fonctions pour cause d’irresponsabilité, cette possibilité, et surtout, l’embarras et les conséquences politiques qui affligent celui qui est pris en défaut, constituent une sanction plus que suffisante.3 Le Parlement attend des ministres qu’ils lui rendent compte. Les députés voient dans les ministres les porte-parole tout désignés de leurs ministères respectifs, et les ministres s’efforcent de satisfaire à cette attente, car ils sont constitutionnellement responsables et redoutent les conséquences politiques des agissements qui laissent à désirer.

La responsabilité personnelle des ministres est renforcée par leur responsabilité collective, qui a pour objet de garantir, sur le plan interne, l’obligation qui incombe aux ministres de rendre compte de leurs actions individuelles. En effet, s’il est vrai que la procédure de mise en accusation par le Parlement est tombée en désuétude à cause de la responsabilité collective, celle-ci ne remplace cette procédure qu’au prix soit d’un vote de censure contre le Conseil des ministres soit d’une menace de procéder à un tel vote. Ceux-ci ont pour objet de persuader le Premier ministre à obtenir la démission d’un collègue, dont le maintien pourrait être considéré comme une grave atteinte à la doctrine de la responsabilité individuelle par suite de ses actions ou omissions, ou pourrait mener à l’adoption d’une motion de censure dans des circonstances que le Conseil des ministres tout entier n’est pas disposé à accepter. En résumé, la responsabilité des ministres est largement fonction de la volonté de la Chambre de les tenir responsables.

Conclusion

Il ressort de ce qui précède que la responsabilité constitutionnelle est de nature individuelle et qu’elle régit les rapports entre le ministre et la Chambre des communes. Le ministre répond de toutes les mesures prises sous son autorité. Certes, sa part de responsabilité dépend des circonstances politiques et de la question de savoir si, à son insu, un fonctionnaire a eu des agissements manifestement inacceptables. I1 n’en demeure pas moins que le ministre est constitutionnellement responsable, et il s’agit là d’un principe essentiel qui nous permet de déterminer, dans le système, les responsabilités ainsi que les institutions chargées de l’observation de ces responsabilités.

L’obligation de rendre compte en régime parlementaire - le sous-ministre

La responsabilité des ministres est un principe constitutionnel dont la qualité est essentiellement politique, et que l’on met en oeuvre à l’occasion, par suite de la divulgation de divergences d’opinions politiques, ou de la révélation d’écarts de conduite ou d’incurie, afin de mesurer la confiance que la Chambre accorde au Conseil des ministres. Bien que cette possibilité se dissimule derrière chaque question posée à un ministre, et bien que la qualité douteuse de ses réponses puisse affaiblir sa propre position ou celle du gouvernement, ce qui peut aboutir à une enquête parlementaire ou publique, ou encore au retrait du soutien de ses collègues et à sa démission, la responsabilité du ministre se réduit dans nombre de cas à la communication de renseignements bénins où sa responsabilité n’est pas réellement mise à l’épreuve.

La pyramide de responsabilités, qui s’élève jusqu’au sous-ministre et au ministre, s’étend jusqu’au Parlement. Ce dernier a pour rôle constitutionnel de s’assurer que les ministres contrôlent leurs ministères respectifs comme il convient, afin qu’ils soient à même de répondre des activités entreprises en leur nom. À cette fin, le Parlement a recours à divers mécanismes comme les questions orales et écrites, les demandes de renseignements, l’analyse des prévisions budgétaires, l’étude des projets de loi, et l’examen des comptes publics et des rapports du Vérificateur général. Les fonctionnaires, notamment les sous-ministres, jouent un rôle important dans un grand nombre de ces activités.

Les fonctionnaires ne sont certes pas constitutionnellement responsables mais ils ont assumé et assument encore, vis-à-vis du Parlement, un rôle qui, à plusieurs égards, complète celui des ministres. Bien que les fonctionnaires ne soient tenus à aucune responsabilité constitutionnelle et bien qu’ils ne partagent pas la responsabilité de leurs ministres respectifs, ils partagent dans une certaine mesure l’obligation qui incombe à ces derniers de rendre compte au Parlement. C’est ainsi qu’a été établi depuis longtemps un domaine réservé qui protège les fonctionnaires contre l’obligation de rendre compte au Parlement en ce qui concerne les questions de politique gouvernementale ou les questions susceptibles de donner lieu à une controverse politique. Indépendamment des considérations d’ordre politique, les questions de politique gouvernementale ainsi que les questions susceptibles de provoquer une controverse politique ont été réservées plus ou moins exclusivement aux ministres essentiellement parce que la responsabilité politique des fonctionnaires les entraînerait inéluctablement dans la polémique, détruirait leur utilité permanente pour le système et saperait l’autorité et la responsabilité de leurs ministres. Par ailleurs, les ministres sont plus intimement liés aux questions politiques, et une divergence de points de vues de la part des fonctionnaires pourrait entraîner chaos et confusion. I1 est cependant possible qu’en présence de leurs ministres respectifs, les sous-ministres donnent des explications et répondent aux questions relatives aux problèmes complexes de politique gouvernementale, mais ils ne défendent pas cette politique contre les critiques partisanes. En ce qui concerne les autres questions, notamment celles qui ont trait à l’administration de leur ministère et de ses programmes, les fonctionnaires répondent directement au nom de leur ministre.

La responsabilité des sous-ministres et autres fonctionnaires se manifeste devant les comités des deux chambres du Parlement, en particulier le comité des Comptes publics, où l’usage veut maintenant que ce soit les fonctionnaires, et non les ministres, qui comparaissent. Dans les autres comités, les fonctionnaires comparaissent pour assister leur ministre ou son secrétaire parlementaire. Selon l’usage établi, les fonctionnaires répondent directement aux questions d’ordre administratif, le ministre ou le secrétaire parlementaire (bien que parfois, ni l’un ni l’autre ne soit présent) se tenant prêts à intervenir si l’affaire risque de dégénérer en un débat politique qui risque de mettre directement en cause la responsabilité du ministre. 4

I1 s’ensuit que, dans un sens, les fonctionnaires doivent répondre au Parlement des questions d’ordre administratif. C’est là un état de fait, lequel ne diminue en rien la responsabilité des ministres qui est mise en cause chaque fois qu’une question administrative empiète sur la politique gouvernementale ou sur des questions susceptibles de provoquer une polémique politique.5 Même à l’époque où les fonctionnaires ne comparaissaient pas encore devant les comités, il était normal qu’un ministre fut accompagné de fonctionnaires qui lui donnaient des renseignements sur les questions d’ordre administratif. Cette pratique s’est étendue au comité plénier des affectations où, pendant les quelques soixante-dix premières années de ce siècle, le sous-ministre comparaissait à côté de son ministre lorsque les prévisions budgétaires de leur ministère étaient à l’étude. De nos jours, on a rarement recours au comité plénier, sauf quand il s’agit des lois financières. Les fonctionnaires comparaissent plutôt devant des comités spéciaux, où ils répondent directement de la manière décrite plus haut.

Conclusion

Les fonctionnaires rendent compte à leurs ministres respectifs, lesquels sont comptables à la Chambre de leur exercice du pouvoir dont ils sont investis en vertu de la loi et en vertu de leur responsabilité envers la Chambre des communes. Il est cependant possible de distinguer entre, d’une part, la responsabilité du sous-ministre envers son ministre à l’égard de toutes les actions prises sous la responsabilité du ministre, et d’autre part, son obligation de rendre compte aux comités parlementaires des affaires administratives qui ne mettent pas directement en cause l’exercice de la responsabilité du ministre. L’obligation qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte aux comités parlementaires des questions d’ordre administratif ne modifie en rien la responsabilité officielle et directe que le ministre assume personnellement envers le Parlement à l’égard de toute question qui relève de son pouvoir de discipline et dont la Chambre a choisi de le tenir responsable.

Les agents de la comptabilité

La pratique observée à Westminster au sujet de la responsabilité des fonctionnaires envers le Parlement est à certains égards, différente de la nôtre. À Westminster, les fonctionnaires ne comparaissent pas pour témoigner devant les comités permanents. Lors de la discussion des projets de loi (les prévisions budgétaires ne sont pas envoyées aux comités permanents), le ministre devient un membre du comité et les débats se déroulent de la même manière qu’à la Chambre des communes. Aucun témoin n’est invité à comparaître. Les fonctionnaires témoignent devant les comités spéciaux, en particulier devant le Comité des comptes publics où, par contre, les ministres ne comparaissent pas car les activités de ce comité revêtent un caractère administratif et ses procédures, un caractère non politique. Le Comité des comptes publics, qui, habituellement, se réunit en public, convoque les fonctionnaires supérieurs des ministères qui répondent aux questions fondées sur les rapports du contrôleur et du vérificateur général. Ces fonctionnaires, habituellement des secrétaires permanents, sont nommés par la Trésorerie à titre d’«agents de la comptabilité», et ils répondent de la probité et de l’économie avec lesquelles les fonds confiés à leurs soins sont dépensés.6

Le fondement juridique de l’«agent de la comptabilité» se trouve dans la loi dite Exchequer and Audit Act de 1866. Aux termes de l’article 22 de cette loi, la tâche d’établir les comptes des ministères «peut être attribuée par la Trésorerie» à «n’importe quel fonctionnaire ou à n’importe quels fonctionnaires».7 Cette loi, ainsi que le texte législatif adopté au début des années 1920 en vue de confier aux secrétaires parlementaires les fonctions d’«agents de la comptabilité», ont ainsi perpétué l’ancienne tradition du Parlement qui attend de la Trésorerie qu’elle garantisse la probité et l’économie dans l’utilisation des ressources. Cette pratique, qui veut que les «agents de la comptabilité» et non pas les ministres comparaissent devant le Comité des comptes publics, se rattache aux préoccupations non politiques et administratives de ce comité : elle souligne que les «agents de la comptabilité» doivent rendre compte au Comité mais ne sont pas responsables envers celui-ci, et que cette obligation ne diminue en rien la responsabilité constitutionnelle des ministres.

Des dispositions semblables, sinon identiques, ont été adoptées en 1867 par le Parlement à Ottawa. Les articles 34 et 37 à 46 de la Loi sur le revenu, adoptée la même année, définissaient la responsabilité civile et pénale des fonctionnaires spécialement désignés pour la garde et la comptabilité des deniers publics.8 L’esprit de ces dispositions a été retenu lors des remaniements successifs de la Loi sur le revenu, et elles ont été renforcées par les réformes Bennett de 1931 qui en ont étendu l’application au contrôleur du Trésor et à son réseau d’agents de la comptabilité. Les articles 57 à 65 de la Loi du revenu consolidé et de la vérification, adoptée la même année, définissaient en détail et de façon explicite la responsabilité des agents de la comptabilité envers le ministre des Finances à l’égard des dépenses et de la comptabilité des deniers publics, dont la responsabilité de payer les coûts et les amendes afférents au recouvrement des dépenses non autorisées.9 Bien que toute mention de la responsabilité des agents de la comptabilité et autres ait été supprimée lorsque la Loi du revenu a été remplacée en 1951 par la Loi sur l’administration financière, celle-ci a retenu la notion de responsabilité civile de ceux-ci. De même, à travers les modifications successives qui se sont étendues sur un siècle, de 1867 à 1967, la loi n’a cessé un seul moment de prévoir la responsabilité pénale en cas de détournement de fonds ou de concussion chez les fonctionnaires. 10

Il est donc évident que la responsabilité constitutionnelle des ministres n’a pas pour objet de couvrir l’irresponsabilité des fonctionnaires. Dès le début, le Parlement a expressément prévu la responsabilité des fonctionnaires à l’égard des manquements ou des délits relatifs aux deniers publics sous leur garde. En fait, la primauté du droit veut que quiconque viole la loi soit tenu légalement responsable de cette violation. Ainsi que l’a noté Dicey, [traduction] «tout titulaire de charge publique, du Premier ministre à l’agent de police ou au percepteur, doit assumer la responsabilité de tout acte commis sans justification légale, au même titre que n’importe quel citoyen».11

Conclusion

La responsabilité civile des fonctionnaires publics en cas de détournement de deniers publics et leur responsabilité pénale en cas de fraude sont des notions connues de longue date au Canada, et on peut dire qu’elles sont bien établies en common law. Jusqu’en 1951, la loi a prévu un système d’agents de comptabilité en vue d’assurer la probité dans l’utilisation des deniers publics. Au Canada, les agents de comptabilité étaient légalement responsables envers le ministre des Finances, et, de nos jours, les «agents de la comptabilité» d’Angleterre sont légalement responsables envers la Trésorerie. L’obligation qui leur incombe de rendre compte au Comité des comptes publics du Parlement de Westminster est affaire de pratique et l’on peut dire qu’en fait, la pratique observée à Ottawa n’en est pas entièrement différente. La pratique est cependant mieux établie en Angleterre, grâce en partie tout au moins aux règles d’action non partisanes observées à Westminster qui permettent au Comité des comptes publics et à la Trésorerie de collaborer étroitement en vue d’améliorer le système de gestion financière. 12 En résumé, ce comité jouit d’un très grand respect, et ses recomendations les plus importantes sont périodiquement publiées dans Epitomes, qui est considéré comme «le manuel de l’administration financière».13

L’institution britannique des «agents de la comptabilité» est la consécration légale de la responsabilité civile et pénale d’une personne à l’égard de ses actions. Cependant, la convention et l’usage parlementaire ont fait de cette institution un instrument à la disposition du Parlement pour suivre de près et pour contrôler dans une certaine mesure l’exercice du pouvoir administratif au sein du gouvernement. La convention qui permet au Parlement de rendre les fonctionnaires, plutôt que les ministres, comptables des affaires administratives, est au coeur de l’institution des agents de la comptabilité : elle a été rendue possible par les pratiques non politiques du Comité des comptes publics.

Ainsi que le gouvernement en a fait l’expérience lorsque la responsabilité individuelle a été estompée par l’imposition de contrôles centraux, responsabilité partagée est responsabilité évitée. L’obligation officielle et directe qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte au Parlement des questions administratives aurait pour effet de diviser la responsabilité des ministres. Une telle obligation nécessiterait la mise en place de pratiques constantes quant aux questions dont les ministres, plutôt que les fonctionnaires, seraient responsables, ce qui se manifesterait tous les jours pendant la période des questions. L’expérience montre que de telles distinctions sont artificielles et que le Parlement tend à ne pas reconnaître cette séparation officieuse entre l’obligation de rendre compte des fonctionnaires et celle des ministres, pour la bonne raison que les ministres sont constitutionnellement responsables et que l’étendue de leur responsabilité est déterminée par la conjoncture politique. De plus, indépendamment de toute considération théorique, une telle division de la responsabilité n’est pas conforme aux principes de gestion.

L’administration et la gestion des programmes consistent à mettre à exécution des politiques fondées sur des décisions d’ordre politique. Comme les programmes ont évidemment un aspect technico-administratif, ils sont

habituellement traités par les fonctionnaires devant les comités parlementaires. Néanmoins, tout effort visant à définir les secteurs qui doivent relever spécifiquement de la responsabilité des fonctionnaires aurait pour effet d’effacer davantage les limites de responsabilité et d’affaiblir le cas échéant l’aptitude de la Chambre à tenir le ministre responsable des questions qui sont de sa compétence. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas obliger les fonctionnaires à comparaître et à rendre compte aux comités parlementaires au nom de leurs ministres respectifs, ou encore renforcer l’aptitude du Parlement à contrôler fonctionnaires et ministres de plus près. En dernière analyse, cependant, les ministres sont constitutionnellement responsables: ce sont eux (et non leurs sous-ministres) qui prennent la décision finale en ce qui concerne les actes dont eux seuls peuvent être tenus politiquement responsables.14

La responsabilité ministérielle dans le système congressionnel

L’obligation de rendre compte est un moyen de contrôler l’exercice du pouvoir. En régime parlementaire, la responsabilité constitutionnelle exige (au sens propre et au sens figuré) que les ministres répondent quotidiennement de leurs actes; elle impose une variété de sanctions si leurs réponses laissent à désirer. I1 existe cependant d’autres méthodes constitutionnelles de contrôler l’exercice du pouvoir, lesquelles sont moins fondées sur le principe de l’utilisation responsable du pouvoir, que sur la restriction du pouvoir au moyen d’une division officielle de celui-ci. La plus connue de ces méthodes est le système congressionnel, dont on a souvent préconisé l’incorporation de certaines caractéristiques dans nos pratiques, notamment l’obligation qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte aux comités du Congrès.

Qu’adviendrait-il de la responsabilité constitutionnelle si un ministre cessait d’être personnellement et exclusivement responsable de son ministère et des activités de ce dernier? Pourrions-nous répartir la responsabilité constitutionnelle entre les ministres et les fonctionnaires? Sans trop chercher, on pourrait répondre par l’affirmative, mais il y a lieu de préciser qu’une telle méthode nous obligerait à apporter de profondes modifications à notre système de gouvernement et à faire table rase de la longue évolution qu’a connue notre mode de responsabilité constitutionnelle, lequel se fonde sur l’obligation personnelle de rendre compte.

I1 arrive parfois que ceux qui mettent en doute l’application constante de la responsabilité ministérielle se tournent vers les institutions fédérales des États-Unis, où le contrôle des activités des ministères fédéraux s’exerce par le biais de la comparution de divers échelons de fonctionnaires nommés par faveur politique devant les comités du Congrès où ils défendent la politique du gouvernement. I1 y a cependant lieu de noter que ce contrôle ne constitue pas une obligation officielle de rendre compte, étant donné qu’une fois en place, ces fonctionnaires ne peuvent être destitués que par le président, à moins que le Congrès n’ait recours à la procédure extraordinaire de la mise en accusation. Bref, ces fonctionnaires ne sont pas constitutionnellement responsables. I1 y a également lieu de souligner que, leur nomination étant fondée sur leur appartenance à un parti politique, ils ne sont pas censés être politiquement neutres. En effet, le fait que des fonctionnaires comparaissent devant le législatif pour défendre une politique tient à un système gouvernemental fondé sur le principe du contrôle du pouvoir, complètement différent du principe observé en régime parlementaire. Si nous voulons faire de même, dans le contexte de notre régime parlementaire, nous devrons remettre en question les principes sur lesquels repose notre système, en commençant par les origines du pouvoir et par la nature de la responsabilité constitutionnelle qui est à la base de nos pratiques.

En régime de gouvernement parlementaire représentatif, le pouvoir émane de la Couronne, qui l’exerce de manière responsable et conformément aux voeux de l’assemblée législative et à l’interprétation de l’autorité judiciaire, dont elle fait partie dans les deux cas. Par contre, dans le système congressionnel, le pouvoir émane du peuple. On ne contrôle pas ce pouvoir en rendant ceux qui l’exercent responsables (c.-à-d. en les obligeant à rendre des comptes), mais en limitant son étendue et en contrebalançant son exercice, ce qui explique la division des pouvoirs.

En limitant le pouvoir qu’il accorde, le gouvernement congressionnel tient à s’assurer qu’on n’abuse pas outre-mesure de ce pouvoir. Il faut souligner que ce système comporte certes d’importants éléments de responsabilité de facto chez les fonctionnaires qui comparaissent devant les comités, mais qu’il ne les investit pas d’une responsabilité quel que soit leur rang. Le pouvoir est divisé entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, les trois pouvoirs officiellement distincts et séparés de la Constitution. Une fois nommés par le président et confirmés par le Congrès, les membres de l’exécutif ne répondent officiellement qu’au président. Celui-ci est le seul membre de l’exécutif qui doit rendre compte de ses actes, et, sauf dans les cas extrêmes, il n’est pas responsable envers le Congrès mais envers le peuple, qui, au même titre que la Constitution, est le fondement de son pouvoir. Par ailleurs, étant donné que le pouvoir est attribué à une seule personne plutôt qu’à un groupe dont les membres sont individuellement et collectivement responsables, et étant donné que ni le président ni ses conseillers ne font partie du Congrès, il n’y a aucune responsabilité collective et, par conséquent, aucune pression interne visant expressément à assurer l’exercice responsable du pouvoir exécutif. Le contrepoids du pouvoir ne réside pas, en dernier ressort, dans la responsabilité de son exercice mais bien dans ses limitations inhérentes.

Le contrôle du pouvoir au moyen de sa division (plutôt que par la responsabilité constitutionnelle de ceux qui l’exercent et qui doivent en rendre compte quotidiennement et directement aux représentants élus du peuple) tend à affaiblir l’obligation de rendre compte de l’utilisation de ce pouvoir. La division des pouvoirs fait qu’il est difficile de situer les responsabilités et de tenir les intéressés personnellement responsables. Dans tout secteur d’orientation important, on peut voir une succession de participants relevant de l’exécutif comme du Congrès et qui assument chacun une part de la responsabilité ainsi qu’une partie du pouvoir, mais en règle générale, aucun d’entre eux n’assume la responsabilité ultime de l’exercice de tout le pouvoir nécessaire à l’action.15

Un trait essentiel de la division du pouvoir est le jeu des contrepoids parmi ceux qui exercent les divers éléments de ce pouvoir, et en l’absence d’une responsabilité constitutionnelle qui s’attache à telle ou telle personne en particulier, il est virtuellement impossible, de par le jeu des contrepoids dans un système de division des pouvoirs, de tenir quelqu’un personnellement responsable, sauf dans le sens étroit de la poursuite pénale contre la forfaiture personnelle.16

Bien que l’on croit que notre système parlementaire manque d’efficacité, il n’y a qu’à regarder le système congressionnel pour se rendre compte que le régime parlementaire n’est pas la seule méthode constitutionnelle pour l’exercice du pouvoir qui est affligée de lenteur. En régime parlementaire, un gouvernement qui a décidé d’agir peut s’attendre à ce que sa décision se traduise par une action concrète. I1 n’en est pas toujours ainsi dans un système congressionnel. Un président (au contraire d’un Premier ministre) peut être assuré d’un mandat de quatre ans, mais il lui arrive de ne pouvoir persuader le Congrès de se ranger à ses vues. À l’opposé du Parlement, le Congrès peut proposer des mesures fiscales et des dépenses, mais le président peut y opposer son veto. I1 est évident que, dans le système congressionnel, chaque élément des «freins et contrepoids» fonctionne indépendamment, ce qui est nécessaire à l’efficacité de la division des pouvoirs. Le gouvernement parlementaire fonctionne de façon tout autre. Le pouvoir y est assujetti à la responsabilité de deux façons : l’intégration de l’exécutif au législatif, et la création d’un pouvoir exécutif dont chaque bénéficiaire est constitutionnellement responsable et individuellement tenu de rendre compte à ses collègues et à la Chambre des communes.

En régime congressionnel, les ministres et autres dignitaires de même rang sont les créatures du président. Ces ministres et leurs adjoints sont nommés à leurs fonctions; par définition, ils demeurent partisans vis-à-vis du Congrès qui les tient politiquement responsables de leurs rôles respectifs dans le gouvernement organisé par le président.17 En régime parlementaire, le statut des ministres est tout autre. Ils sont constitutionnellement responsables de l’exercice du pouvoir, et ils sont les représentants élus du peuple. Leurs adjoints sont des fonctionnaires politiquement neutres qui ne peuvent partager officiellement la responsabilité personnelle des ministres. Cependant, les ministres du système congressionel pourraient nettement favoriser la responsabilité constitutionnelle en étant élus par le peuple et rendus responsables envers le Congrès. Si, dans une telle éventualité, leurs adjoints continuaient de jouer un rôle politiquement actif vis-à-vis du Congrès, il serait évident que ces ministres ne seraient pas à proprement parler constitutionnellement responsables, en ce sens que leur incapacité à répondre totalement de leur ministère détruirait leur responsabilité envers le Congrès. Le Congrès pourrait alors soit dépouiller les sous-ministres de leur responsabilité politique, soit leur assurer une place au Congrès, afin que les ministres et leurs sous-ministres soient constitutionnellement responsables et conjointement tenus de lui rendre compte par le truchement du type de commission ou de comité qui existait autrefois en régime parlementaire, mais qui changea lorsque l’on jugea plus efficace de concentrer la responsabilité personnelle en une seule personne.

Une telle méthode serait certes contraire au principe essentiel de la division des pouvoirs en régime congressionnel, et elle ne tiendrait pas compte du fait que le président est l’incarnation du pouvoir exécutif. Elle viserait à greffer sur le système congressionnel la notion parlementaire de la responsabilité de l’exécutif envers le législatif, notion qui ne saurait être mise en oeuvre sans une modification fondamentale de la distribution du pouvoir, et partant, de la responsabilité dans ce système. À l’inverse, une réforme du régime parlementaire pourrait consister à diviser la responsabilité constitutionnelle des ministres. Une telle éventualité aurait notamment pour effet de politiser les fonctions de ceux qui partagent les responsabilités des ministres, à savoir les sous-ministres. À moins que, en même temps, le gouvernement parlementaire ne soit remplacé par des institutions compatibles avec la division des pouvoirs selon le modèle congressionnel, ce qui dépouillerait les ministres de leur responsabilité constitutionnelle envers la Chambre et les réduirait au status subordonné de leurs sous-ministres, la politisation de ces derniers ne serait possible que si eux-mêmes étaient officiellement admis à faire partie de la Chambre des communes, la responsabilité de chaque ministre étant déléguée à un comité composé du ministre et du sous-ministre. Autrement, le Parlement ne serait plus à même de tenir ses membres, qui forment le gouvernement, responsables des activités de l’administration publique, ce qui répugnerait au Parlement et renierait la longue lutte qu’il a livrée pour obliger le gouvernement à assumer sa responsabilité constitutionnelle .

Conclusion

Le gouvernement congressionnel fonctionne de façon plus subtile que ne le laisse supposer ce qui précède. Néanmoins, les différences essentielles dans le fondement du pouvoir et dans la manière de l’utiliser sont manifestes. Elles doivent être bien comprises de ceux qui estiment qu’un aspect favorable d’un différent système de gouvernement peut être transplanté sans troubler la tradition constitutionnelle et sans détruire le fragile équilibre de la responsabilité constitutionnelle. 18

L’obligation de rendre compte du sous-ministre

C’est le Premier ministre qui nomme le sous-ministre, après avoir consulté le ministre sous les ordres duquel celui-ci doit servir. Le sous-ministre doit observer les normes prescrites par l’administration centrale en ce qui concerne la gestion des ressources à la disposition de son ministère. Il est donc tout naturel que l’obligation qui incombe au sous-ministre de rendre compte porte sur les fonctions et sur les responsabilités qui découlent de ses rapports avec son propre ministre, avec le Premier ministre et avec le gouvernement tout entier.

Le sous-ministre ne peut remplir cette obligation sans tenir compte de la responsabilité du ministre envers le Parlement. Les sous-ministres agissent au nom des ministres. Ils doivent donc répondre à leurs ministres respectifs, bien qu’ils puissent être obligés de rendre compte devant les comités parlementaires des questions qui ne tombent pas expressément sous la responsabilité des ministres.

Ce rapport triangulaire entre le premier ministre, le ministre et le sous-ministre défie tout effort d’analyse précise. En théorie, la possibilité existe certes d’un conflit entre la loyauté du sous-ministre envers son propre ministre et sa loyauté envers le premier ministre. Dans la pratique, cependant, le principe des contrepoids empêche une telle éventualité de se produire, les besoins de la collectivité découlant de la responsabilité individuelle des ministres et l’accentuant à leur tour.

La «loyauté suprême du sous-ministre revient à son ministre», qui porte en lui les germes de la nature individuelle et collective du système.19 Le premier ministre coordonne les responsabilités individuelles des ministres, pour en dégager l’harmonie essentielle à la stabilité gouvernementale. Ainsi que la Commission royale Glassco l’a souligné dans son rapport, le fait que le premier ministre nomme les sous-ministres «leur rappelle... la nécessité d’embrasser d’un même coup d’œil toute l’activité du gouvernement» en même temps qu’il «souligne l’intérêt que les ministres, de par leur responsabilité collective, et surtout le premier ministre, portent à l’efficacité de la gestion dans la fonction publique».20 Néanmoins, pour autant que l’équilibre du système ne soit pas compromis, la principale qualité des sous-ministres est leur loyauté envers leur ministre. 21

Le conflit entre la loyauté du sous-ministre envers son ministre et sa responsabilité envers le premier ministre est une manifestation extérieure de l’échec du principe confédéral étudié plus haut. S’il se produit, il n’y aura plus de démarcation nette entre la responsabilité du ministre et celle de son sous-ministre, et cette démarcation ne peut être rétablie que par la démission de l’un ou de l’autre. Qui des deux doit démissionner dépendra des circonstances de chaque cas.

Un sous-ministre s’adressera directement au premier ministre dans deux cas. En premier lieu, le sous-ministre peut estimer que son ministre lui a ordonné d’agir contrairement à sa propre conscience, ou encore qu’il se propose de commettre un acte malhonnête ou autrement inacceptable, qui viole les normes de conduite ministérielle. Dans ce cas, le sous-ministre doit se prévaloir de son droit de s’adresser au premier ministre. En second lieu, un sous-ministre peut ne pas être d’accord avec son ministre sur une question de politique ou d ’administration, ou encore au sujet de quelque directive administrative émanant de l’administration centrale et qui, à son avis, est contraire aux intérêts de son ministre. Dans un tel cas, un sous-ministre avisé ne fera appel au premier ministre qu’en dernier ressort, et il est très rare que des différends de ce genre donnent lieu à une démission. De tels différends ne sont, après tout, que le fruit d’une manifestation exagérée ou débridée des contrepoids à l’oeuvre au sein du système et, d’habitude, le mécanisme qui dégage le voeu collectif des voeux individuels remédiera bien vite à la situation.

Les différends entre ministres et sous-ministres peuvent être réglés avec le concours du premier ministre et de ses conseillers supérieurs, c’est-à-dire les secrétaires du Cabinet. Mais, de façon plus générale, le système des contrepoids entre les ministres ou entre les sous-ministres tend à devenir une force créatrice plutôt qu’une force destructrice, étant donné leur désir de conciliation et grâce au rôle synthétiseur du Bureau du Conseil privé et du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui oeuvrent à mettre en commun les initiatives et les propositions individuelles afin qu’elles puissent agir les unes sur les autres et se transformer ainsi progressivement en initiatives acceptées par le groupe.

I1 s’ensuit que les sous-ministres ont pour premier sujet de préoccupation la responsabilité de leur ministre. On les jugera surtout sur la manière dont les activités qu’ils entreprennent au nom de leur ministre contribuent à l’équilibre du système. Si les organismes centraux fonctionnent comme il convient, ils auront créé les conditions propres à transformer les initiatives individuelles en entreprise collective. S’ils n’y arrivent pas, que ce soit par excès ou par manque d’activité, ils détruiront les conditions nécessaires à la bonne marche du gouvernement ministériel. Aussi est-il essentiel que les organismes centraux et les ministères comprennent la nature de la responsabilité constitutionnelle dans notre système de gouvernement ministériel ainsi que de leurs rôles respectifs au sein de ce système. Si les organismes centraux arrivent à établir l’équilibre qui s’impose dans l’ensemble du système, leurs activités complèteront les initiatives politiques et les fonctions administratives des ministères, de façon que les besoins du centre accentuent les responsabilités individuelles qui sont à la base du système.

Conclusion

Étant donné que les sous-ministres aident les ministres à s’acquitter de leur responsabilité individuelle et étant donné qu’ils jouent un rôle spécial en aidant les ministres à assurer la responsabilité collective du gouvernement, leur obligation de rendre compte doit refléter :

  1. leur obligation de rendre compte au ministre des pouvoirs qu’ils exercent en son nom touchant l’élaboration des politiques et des programmes et leur mise en oeuvre conformément au but dans lequel le Parlement a voté les crédits, et ce, en administrant et en dirigeant les éléments de l’administration publique dont son ministre est investi;
  2. leur contribution à l’exercice de la responsabilité collective du ministre, contribution qu’ils apportent en s’assurant (a) que la position politique de leur ministre sur les questions intéressant leur ministère ou le gouvernement en général est convenablement soutenue; (b) que, sur l’ordre de leur ministre, ils formulent des politiques et des programmes qui favorisent les objectifs d’ensemble du gouvernement auxquels leur ministre a souscrit; et (c) qu’en assumant sa responsabilité spéciale à l’égard de la gestion du ministère et de ses programmes, ils observent les normes et les règles de pratique que tous les ministres ont imposées à chaque ministre aux sous-ministres;
  3. leur responsabilité spéciale de veiller à ce que leur ministère observe les pratiques de gestion prescrites par les organismes centraux et applicables au gouvernement tout entier, de façon que (a) le ministère soit à même de s’adresser comme un tout au Parlement en vue d’obtenir des crédits, et que (b) les pratiques soient telles qu’elles incitent le Parlement à continuer de faire confiance au gouvernement; et
  4. le fait (a) qu’ils doivent être consultés sur la formulation des politiques gouvernementales dont la mise à exécution requiert qu’ils y jouent un rôle essentiel; et (b) qu’étant donné la responsabilité spéciale qu’ils assument dans la gestion des ressources de l’administration publique à la disposition de leur ministère, ils doivent contribuer à l’établissement des normes d’administration prescrites par les organismes centraux, normes nécessaires au maintien de la confiance que le Parlement accorde au gouvernement.

 


1 Voir les pages 3 à 6; voir aussi Parris, Constitutional Bureaucracy, p. 294 à 308; et Geoffrey Marshall et Graeme Moodies, Some Problems of the Constitution (London, 1959) p. 78 à 84. 

2 Voir Finer, «The Individual Responsibility of Ministers», p. 393 et 394. 

3 En effet, s’il arrive qu’un ministre n’est pas immédiatement destitué par suite d’un manquement, il est généralement rétrogradé et parfois remplacé lors de futurs remaniements ministériels. 

4 Lorsqu’il était ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, M. Pickersgill a établi les règles fondamentales suivantes: «J’ai pour règle de décider moi-même, lorsqu’on me pose une question, si je dois y répondre personnellement ou demander à l’un de mes fonctionnaires de le faire pour moi. Je n’entends pas répondre moi-même aux questions qui n’ont rien à voir avec la ligne de conduite et qui exigent des détails, car je ne me vois pas très bien demander à l’un de ces messieurs présents qu’ils me soufflent la réponse. Mes fonctionnaires sont bien plus aptes que moi à répondre à ce type de questions car je ne connais pas tous les détails du ministère. Cependant, j’aimerais qu’il soit compris que je me réserve le droit de répondre exclusivement à n’importe quelle question à laquelle je désire répondre moi-même». Comité spécial des prévisions budgétaires, Procès-verbaux et témoignages, fascicule 1, 17 février 1955. Voir Norman Ward, The Public Purse, p. 62 et 267, qui traite également de la comparution des fonctionnaires devant les comités. Voir aussi May, The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, p. 629 et 630, concernant le pouvoir qu’ont les comités d’exiger la présence de hauts fonctionnaires. 

5 Voici une comparaison qui illustre bien la différence entre les orientations politiques et l’administration : «La politique est un peu comme un éléphant, vous le reconnaissez au premier coup d’oeil, mais vous avez du mal à le décrire»; voir Edward, Lord Bridges (secrétaire du Cabinet à Whitehall, 1938-1945), «The Relationship between Ministers and the Permanent Department Head», Canadian Public Administration, vol. viii, no 3, 1964. 

6 La nomination des secrétaires permanents (c.-à-d. des sous-ministres) à titre de délégués aux questions financières montre bien que les finances et la politique sont indissociables, et que la responsabilité en matière financière ne peut être assumée que par ceux qui conseillent les ministres sur la politique à suivre. Lorsque le système a été établi en Grande-Bretagne au cours des années 1920, la Trésorerie a passé outre à la recommandation d’un comité parlementaire, selon laquelle les délégués aux questions financières devaient être des spécialistes des finances. 

7 An Act to consolidate the Duties of the Exchequer and Audit Departments, to regulate the Receipt, Custody, and Issue of Public Moneys, and to provide for the Audit of the Accounts thereof, 29 and 30 Victoriae, Cap. 39. Voir l’extrait de la décision de la Trésorerie en date du 14 août 1872, dans «The Responsibilities of an Accounting Officer», Note by the Treasury, 17 février 1964. 

8 Acte concernant la perception et l’administration du revenu, l’audition des comptes publics, et la responsabilité des comptables publics, 21 décembre 1867, 31 Victoriae, Cap. V. 

9 Loi modifiant la Loi du revenu consolidé et de la vérification 21-22 Geo. V., ch. 27. Voir Norman Ward, The Public Purse p. 168 et 169 qui décrit les similitudes entre les réformes de Whitehall des années 1920 aux termes desquelles les secrétaires permanents sont devenus «agents de la comptabilité» d’une part, et les réformes Bennett à Ottawa en 1931 d’autre part. 

10 Voir la Loi pourvoyant à l’administration financière du gouvernement du Canada, à la vérification des comptes publics et au contrôle financier des corporations de la Couronne, 15-16 Geo. VI, ch. 12, 1951, part. ix; et S.R.C., 1970, c. F-10. Il est intéressant de noter qu’aux termes des articles 24, 25 et 27 de la Loi actuellement en vigueur, les sous-ministres sont tenus de s’assurer au moyen d’un système adéquat de comptabilité que les fonds alloués n’ont pas été dépassés et que les paiements effectués sont à la fois «raisonnables» et conformes aux contrats. 

11 Voir Dicey, Law of the Constitution p. 193. À la p. 327, il note: [traduction] «les actes des ministres, comme les actes de leurs subordonnés, sont sujets à la primauté du droit". 

12 En effet, les rapports qui existent entre ces deux organismes revêtent souvent la forme d’une collaboration. Voir Roseveare, The Treasury, p. 141 et 202. 

13 Jennings, Parliament, p. 337 et 338. Voir aussi de Smith, ConstitutionaI and Administrative Law, p. 289 et 290. 

14 Il convient de noter que le Parlement a toujours laissé au Conseil des ministres le soin de contrôler le détail des finances publiques. Dans son rapport au gouvernement Borden en 1912, Sir George Murray a clairement exposé ces faits: «Le contrôle des dépenses peut être considéré selon deux points de vue: il y a le contrôle exercé par le Gouvernement sur ses propres ministères, et le contrôle exercé par le Parlement sur les propositions du Gouvernement. Ce dernier contrôle peut être considéré comme négligeable. En théorie, le contrôle du Parlement sur les dépenses est complet; en pratique, il n’offre que peu de valeur. Cela est dû en partie à ce que le Gouvernement, qui a nécessairement l’appui de la majorité à la Chambre des communes, peut généralement faire adopter ses propres prévisions budgétaires et en partie à ce que, même si les députés se disent théoriquement en faveur des restrictions budgétaires, ils demandent généralement plus de fonds pour des fins qui intéressent leurs circonscriptions plutôt que des réductions dans le cas de programmes qui n’entrent pas dans cette catégorie. En résumé, le contrôle des dépenses publiques doit reposer presque entièrement sur le gouvernement du jour; et ici encore nous trouvons généralement que les ministres individuels, s’ils sont prêts à accepter des réductions lorsqu’il s’agit des autres ministères, sont avant tout portés à recommander des augmentations dans leurs propres ministères». Rapport sur 1'organisation du service public du Canada, p.10 et ll. 

15 Par exemple, le président peut proposer au Congrès une mesure budgétaire, mais le Comité des prévisions budgétaires (Ways and Means Committee) peut soit y apporter des modifications importantes soit recommander une mesure toute différente. Aussi, à moins d’un veto, le président peut-il être amené à accepter des mesures auxquelles il est plus ou moins opposé et que, en tout état de cause, il n’a pas recommandées. Par comparaison, le Parlement canadien ne peut modifier les propositions du ministre des Finances qu’avec son consentement, et la Chambre ne peut ni majorer les recettes fiscales qu’il propose ni en introduire de nouvelles. En régime parlementaire, la politique budgétaire du gouvernement relève ainsi de la responsabilité expresse et personnelle du ministre des Finances, qui ne peut rejeter le blâme sur la Chambre ou sur un autre organisme. 

16 La dilution de la responsabilité apparaît également dans le fonctionnement du système des comités congressionnels: les comités puissants qui protègent des groupes d’intérêts influents peuvent en effet enlever à l’exécutif le contrôle de certains éléments de l’appareil gouvernemental. 

17 Les intéressés ne sont officiellement responsables qu’envers le président, mais ils comparaissent souvent devant les comités du Congrès pour expliquer la politique et les actes du président. Dans la mesure où ces comparutions constituent de facto une façon de rendre compte aux commissions du Congrès, les ministres et leurs adjoints respectifs partagent la responsabilité des mesures qu’ils prennent au nom du président. 

18 Voir Richard Neustadt, «White House and Whitehall» dans The British Prime Minister, annoté par Anthony King (London, 1969) p. 131 à 147, qui contient quelques réflexions intéressantes sur les similitudes et les différences entre la nature du pouvoir exécutif en régime parlementaire et celle de l’exécutif en régime congressionnel. 

19 Voir «Ministers and the Permanent Department Head» de Bridges, p. 277. 

20 Commission royale sur l’organisation du gouvernement, vol. 1, p.60. 

21 Voir Jennings, Cabinet Government, p. 97. Selon un ancien secrétaire du cabinet, un sous-ministre a pour attribution de conseiller le ministre et «...et de lui éviter des ennuis. Mais une fois que le ministre a arrêté une ligne de conduite ou une nouvelle politique, c’est le devoir du fonctionnaire de la mettre à exécution loyalement, sauf dans les rares cas où cette ligne de conduite ou politique peut être illégale. Dans une telle éventualité et si tous les efforts échouent, le fonctionnaire n’a pas d’autre choix que la démission». Voir J. W. Pickersgill «Bureaucrats and Politicians», Canadian Public Administration, Vol. XVe n° 3, 1972.

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