Les consensus artificiels
Le déséquilibre fiscal existe parce que tout le monde le dit, et ce, sur la
base d'un rapport dont à peu près personne n'a discuté. Ainsi se bâtissent
trop souvent les consensus au sein de notre élite politico-médiatique. On
tient pour acquis que ce « déséquilibre » existe et on se demande
quelle est la super-stratégie, la méga-coalition qui fera plier un
gouvernement fédéral qui, allègue-t-on, refuse l'évidence, tant il serait
inflexible, insensible, centralisateur, arrogant, méprisant, anti-provinces,
anti-Québec et j'en passe.
Afin d'épargner à nos stratèges une dépense d'énergie inutile, permettez
que j'indique la seule possibilité qui pourrait amener le gouvernement du
Canada à modifier l'orientation générale d'une politique budgétaire qui,
selon un rapport récent du Fonds monétaire international, vaut à notre pays
les finances publiques les plus saines du G-7.
Le gouvernement du Canada croira à la théorie du déséquilibre fiscal
quand l'argumentation qu'il a présentée aura été réfutée. Voici un aperçu
de cette argumentation qui démontre, jusqu'à preuve du contraire, que ce
déséquilibre n'existe pas :
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Il ne peut pas y avoir déséquilibre au détriment d'un ordre de
gouvernement quand celui-ci a accès à toutes les sources de revenus et
dispose même d'un monopole sur des sources importantes telles les loteries
et les redevances sur les ressources naturelles (et le Canada est riche en
ressources naturelles). Le maire de Montréal, M. Gérald Tremblay, selon
qui 80 % des revenus de sa ville proviennent de l'impôt foncier, peut
être en situation de déséquilibre fiscal, en ce que ses sources de
revenus seraient trop limitées par rapport à ses responsabilités. Cela ne
peut pas être le cas du premier ministre Landry.
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Pendant ces décennies où le gouvernement fédéral accumulait des
déficits importants, personne ne soutenait qu'il était victime d'un
déséquilibre fiscal. Il n'y a donc pas lieu de parler de déséquilibre
fiscal, maintenant qu'il dégage des surplus d'ailleurs très faibles par
rapport à son endettement, lui-même deux fois plus élevé que celui des
provinces.
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Les effets de balancier en matière budgétaire commandent la plus grande
prudence. Le gouvernement fédéral américain anticipait lors du dépôt du
budget 2001-2002 un surplus de 231 milliards de dollars US; il prévoit
maintenant un déficit de 165 milliards de dollars US, alors que les
états ont beaucoup de difficulté à respecter les règles budgétaires qui
exigent un budget équilibré. En Europe, la France, l'Italie, l'Allemagne
et le Portugal ont des problèmes importants de trésorerie. Avec
l'incertitude des marchés et le risque de guerre, ce n'est pas le moment de
relâcher une prudence budgétaire qui a si bien servi le Canada.
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On abandonnerait cette prudence si on adoptait la méthodologie
présentée dans le rapport de la Commission Séguin. En effet, si, il y a
cinq ans, on avait essayé de prévoir les budgets de cette année en
utilisant la méthode Séguin, cela aurait donné un surplus de
60 milliards de dollars pour le gouvernement du Canada et un surplus de
12 milliards de dollars pour le gouvernement du Québec. Il serait
irresponsable de fonder notre politique budgétaire des prochaines années
sur une méthodologie aussi peu fiable.
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Notre prudence budgétaire n'empêche pas le gouvernement du Canada
d'aider les provinces du mieux qu'il le peut dans les circonstances. Les
transferts fédéraux aux provinces augmenteront annuellement de 6 %
ces prochaines années alors que la hausse annuelle des revenus du
gouvernement fédéral ne devrait être que de 2 %. Le gouvernement du
Canada a dit et répète que, s'il trouve la marge de manœuvre pour faire
plus lors du prochain budget, il le fera. Plutôt qu'une question de
déséquilibre fiscal, c'est une question de responsabilité fédérale.
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Le gouvernement du Canada aide les provinces en partie par les transferts,
mais surtout en favorisant la bonne santé économique du pays. Si le Canada
a pu échapper au ralentissement économique en ce début de décennie,
c'est pour une bonne part parce que la Banque du Canada a pu baisser les
taux d'intérêt au bon moment. Elle a pu le faire notamment parce que les
finances publiques, autant fédérales que provinciales, étaient plus
saines qu'il y a dix ou vingt ans. Après tout, le surplus fédéral est une
excellente nouvelle pour tous les Canadiens, situation financière que leur
envieraient les contribuables des autres pays.
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Alors que les transferts aux provinces ont été restaurés à leur
niveau de 1995, les baisses d'impôt des provinces leur occasionnent un
manque à gagner de plus de 20 milliards de dollars. Le gouvernement du
Canada ne leur reproche pas ces baisses d'impôt. Il dit simplement que le
fait que les provinces baissent leurs impôts est l'une des preuves de
l'inexistence d'un déséquilibre fiscal. Au Québec, les trois partis à
l'Assemblée nationale font une surenchère pour savoir qui pourra promettre
la baisse d'impôt la plus importante.
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Proportionnellement, le Canada dépense déjà plus pour la santé et
l'éducation que ne le font la majorité des autres pays industrialisés.
Nos difficultés en ces domaines ne tiennent pas seulement à une question
d'argent, et certainement pas seulement à une question d'argent provenant
du gouvernement du Canada.
Il y a dix ans, je me suis engagé dans le débat public au Québec parce
qu'un « consensus » prétendait que les déficits budgétaires de
l'époque étaient dus à des « milliards de dollars de dédoublements
inutiles ». Ce consensus était bâti sur une pseudo-science.
Heureusement, cette fois-ci, la population québécoise n'est guère
impressionnée par le « consensus » du jour. Le Québec change, mais
nos élites ont souvent de la difficulté à suivre la cadence.
Lettre ouverte que le ministre Stéphane Dion a fait parvenir aux journaux
le 11 octobre 2002.
Pour informations :
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André Lamarre
Conseiller spécial
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