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Archives - Salle de presse

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« Les voies de la réconciliation »

Notes pour une allocution dans le cadre de
la Conférence sur le Canada et le Québec

l'Association du Barreau du Canada
section Colombie-Britannique

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 2 mars 1996


Notre pays est en danger. Jamais la perspective d'une séparation n'a-t-elle été aussi proche.

Je sais que la résignation s'est emparée de nombreux Canadiens. C'est compréhensible, après tant d'années de disputes constitutionnelles interminables. Bien des gens pensent : « À quoi bon essayer encore? ».

Je ne me résigne pas à accepter ce sort. Voilà pourquoi j'ai accepté de faire partie du cabinet de Jean Chrétien le 25 janvier, à titre de ministre des Affaires intergouvernementales.

La valeur du Canada

Pourquoi l'unité du Canada est-elle si importante? Simplement, parce que sauvegarder l'unité est une façon d'exprimer l'idéal de la solidarité humaine, tandis que la sécession veut dire perdre espoir en nous et en les autres.

Le Canada est considéré dans le monde entier comme un modèle de générosité et d'ouverture. Soyons à la hauteur de notre réputation et envoyons au reste du monde un message positif de réconciliation.

Que nous soyons francophones ou anglophones, autochtones ou néo-Canadiens, de l'Est ou de l'Ouest, nous choisirons la solidarité et la réconciliation plutôt que la sécession.

Nous avons un pays trop beau pour le perdre, comme l'a déclaré si justement l'ancien Premier ministre Joe Clark.

Nous trouverons le courage nécessaire pour être ouverts aux autres, pour ne pas nous enfermer dans nos positions rigides. Le problème, en Colombie-Britannique comme ailleurs au Canada, est que ceux qui parlent le plus fort ne sont pas nécessairement ceux qui sont prêts à faire des compromis. Je vous exhorte tous, gens de bonne volonté tolérants et ouverts, à vous exprimer clairement, haut et fort.

Les politiciens surtout doivent agir en Canadiens d'abord et être prêts à courir des risques pour sauvegarder notre pays.

Nous avons besoin de leadership -- mais d'un leadership qui ne soit pas arrogant, d'un leadership axé sur l'ouverture et la consultation.

Je suis ici pour vous proposer des orientations pour notre avenir, mais aussi pour écouter vos idées.

Dans le discours du Trône de mardi dernier, vous avez vu une preuve du leadership fédéral et un engagement face à la consultation. Une consultation qui inclura tous les Canadiens, de toutes les régions du Canada et par tous les moyens utiles.

Il y a deux objectifs dans le discours du Trône que je voudrais souligner ici aujourd'hui.

Premièrement, un rééquilibrage intelligent de la fédération et la clarification des rôles de tous les paliers de gouvernement.

Deuxièmement, la reconnaissance du caractère distinct du Québec au sein du Canada.

Ces deux objectifs nous permettront d'améliorer grandement la capacité de la fédération de mieux servir ses citoyens.

Ils nous permettront également d'éliminer les malentendus dangereux, les préjugés et les idées fausses.

Le rééquilibrage de la fédération

Commençons par le premier objectif : le rééquilibrage de la fédération.

Parlant d'idées fausses, le mythe d'une fédération centralisée est bien ancré au Québec et dans certaines régions de l'Ouest.

En réalité, la fédération canadienne est très décentralisée, l'une des plus décentralisées au monde. Et la tendance des dernières décennies va vers une décentralisation accrue.

Les dépenses de programmes fédérales représentaient une fois et demie les dépenses provinciales et municipales durant les années 50. Elles n'en représentaient plus que les trois quarts en 1990 et descendront aux deux tiers en 1996.

Une autre idée fausse est que la nature décentralisée du Canada constitue une faiblesse -- en réalité, c'est un de nos points forts.

Ce n'est pas par hasard que quatre des cinq pays les plus riches au monde sont des fédérations : le Canada, les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse.

C'est notre diversité en tant que pays qui nous permet d'avoir des façons différentes d'être Canadiens et de célébrer le Canada.

Le problème de notre fédération n'est pas qu'elle est trop centralisée, mais qu'elle est trop conflictuelle -- il y a trop de disputes entre le gouvernement fédéral et les provinces.

Nous avons besoin d'une fédération plus harmonieuse. Nous devons trouver de meilleures façons d'atteindre nos buts et nos idéaux communs que, par exemple, l'imposition de règles aux provinces par l'entremise des dépenses fédérales conditionnelles.

Nous devons donc trouver des moyens de mieux collaborer pour protéger nos valeurs canadiennes communes.

C'est exactement ce que propose le gouvernement dans le discours du Trône.

Le gouvernement fédéral est déterminé à ne plus utiliser son pouvoir de dépenser pour créer de nouveaux programmes à frais partagés dans les sphères de compétence provinciale exclusive sans le consentement de la majorité des provinces. Nous indemniserons les provinces qui s'en dissocieront, à condition qu'elles adoptent un programme équivalent ou comparable.

C'est la première fois dans notre histoire qu'un gouvernement fédéral prend sur lui d'acquiescer à cette demande répétée des provinces, en dehors des négociations constitutionnelles officielles.

En ce qui concerne les programmes à frais partagés existants, le gouvernement fédéral s'emploiera à trouver de nouveaux moyens non coercitifs de maintenir et de protéger les normes nationales.

En plus des problèmes des dépenses, il y a aussi l'éternelle question des chevauchements.

Le gouvernement fédéral se retirera complètement des domaines tels que la formation professionnelle, les forêts, les mines et les loisirs, dont la responsabilité convient mieux aux provinces et à d'autres instances.

Nous sommes prêts à négocier pour clarifier les rôles dans des domaines comme la gestion de l'environnement, le logement social, l'inspection des aliments et le tourisme.

Lorsque ces rôles et responsabilités auront été clarifiés, le gouvernement fédéral sera mieux placé pour agir dans les domaines qui relèvent à juste titre de la compétence fédérale.

Le gouvernement fédéral continuera de jouer un rôle clé pour promouvoir l'union économique du Canada et nous prendrons des mesures pour favoriser la mobilité de la main-d'oeuvre et pour libéraliser le commerce entre les provinces.

Nous aimerions mettre sur pied, de concert avec les provinces, des institutions nationales communes visant à sauvegarder notre union économique, comme une commission nationale des valeurs mobilières et un organisme national de recouvrement des recettes.

La réunion des premiers ministres, ce printemps, donnera une excellente occasion de réfléchir aux moyens de clarifier les rôles des gouvernements et de mieux promouvoir notre union sociale et économique.

Comme vous le voyez, le discours du Trône indique clairement que le gouvernement fédéral prend les devants pour rééquilibrer la fédération et que nous sommes ouverts aux suggestions des provinces et des autres.

La reconnaissance du Québec

Une deuxième étape cruciale vers la réconciliation nationale sera une reconnaissance formelle du caractère distinct du Québec -- la fameuse disposition sur la société distincte.

Je sais que cette idée n'a pas vraiment la faveur populaire dans votre province, mais vous savez peut-être aussi qu'au Québec également, je tiens des propos qui n'ont pas la faveur populaire au sujet des conséquences de la séparation.

Mais je dois vous dire la vérité telle que je la vois. La vérité, c'est qu'une reconnaissance du caractère distinct du Québec ne ferait qu'aider le Canada.

S'agit-il simplement d'un problème de terminologie? Dans ce cas, employons d'autres mots, si « distinct » semble impliquer « supériorité » en anglais. Je ne me soucie pas de la forme, je me soucie du fond. Si quelqu'un peut me proposer un meilleur terme ou une meilleure terminologie juridique, je suis ouvert aux suggestions.

Quelle est l'essence de la disposition sur la société distincte?

Il s'agit d'un article d'interprétation, semblable à l'article 27 de la Charte des droits et libertés, qui reconnaît le multiculturalisme.

Cette disposition garantit que, dans les zones grises de la Constitution, dans les domaines où il faut interpréter les règles, la Cour suprême tiendra compte du caractère distinct du Québec dans des domaines comme la langue, la culture et le droit civil.

De cette façon, cette clause sera utile, mais elle ne changera pas le partage des pouvoirs prévu par la Constitution.

Il ne s'agit pas d'une demande de statut spécial ni de privilèges particuliers.

Toutes les provinces canadiennes sont évidemment distinctes l'une de l'autre. Mais en raison de sa langue différente, le Québec se distingue d'une façon fondamentale qui nécessite une attention spécifique.

D'autres démocraties multilingues comme la Suisse et la Belgique ont ce genre de dispositions, qui rassurent la communauté linguistique minoritaire et lui permettent d'apporter une contribution plus positive au pays.

Il est évident que la langue exerce une influence déterminante sur l'ensemble de la société.

Comparez simplement la mobilité interprovinciale des Québécois francophones et des autres Canadiens et vous le verrez clairement.

Imaginez, si vous deviez déménager avec votre famille à Jonquière, où il n'y a qu'environ 1 p. 100 d'anglophones. Ce serait certainement plus exigeant que de déménager à Lethbridge.

Imaginez comment se sentiraient les citoyens de la Colombie-Britannique si toutes les autres provinces étaient majoritairement francophones, un monde où le français serait la langue employée aux États-Unis, dans les affaires internationales et dans les médias. Les gens ne voudraient-ils pas au moins la reconnaissance du fait anglais en Colombie-Britannique?

Je sais que ce n'était pas l'intention hors-Québec, mais de nombreux Québécois ont interprété le rejet de l'Accord du lac Meech comme un rejet de la culture et de l'identité québécoises.

D'ailleurs, reconnaître le caractère distinct du Québec témoignerait très éloquemment des valeurs canadiennes que sont l'ouverture et la tolérance et auxquelles nous tenons. Les Québécois auront ainsi la confiance nécessaire pour contribuer pleinement à notre fédération.

Voilà pourquoi je veux que les gens se réconcilient dans leur coeur avec la société québécoise. C'est beaucoup plus important que de l'écrire sur un bout de papier.

Même s'il était possible d'imposer une disposition sur la société distincte contre la volonté de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, cela n'aurait aucune valeur parce que les Québécois, les citoyens de la Colombie-Britannique et de l'Alberta ne seraient pas réconciliés dans leur coeur, peu importe ce qui serait écrit dans la Constitution.

Enfin, quel argument reste-t-il contre l'idée de la société distincte? Un seul et il est bien faible, mais je l'entends très souvent. Bien des gens me disent : « Vous savez, Stéphane, personnellement j'accepte la société distincte mais ma province ne l'acceptera jamais, alors vous perdez votre temps à essayer de la défendre ».

C'est précisément cette attitude de résignation et de désespoir que je n'accepterai jamais.

Nous ne devons jamais céder à la crainte ni nous résigner. Si nous le faisons, nous serons la cause de notre échec. Nous devons plutôt nous unir, pleins d'espoir et de confiance. C'est la seule façon de sauver le Canada.

 

L'allocution prononcée fait foi.

 

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Mise à jour : 1996-03-02  Avis importants