« L'éthique du fédéralisme »
Notes pour une allocution à la Conférence
« Identités, participation et vie commune dans
les
états fédéraux : aspects internationaux des fédéralismes »
Sainte-Foy (Québec)
le 30 septembre 1996
C'est la première fois dans ma nouvelle vie -- depuis que j'ai quitté
l'université pour être nommé ministre le 25 janvier 1996 par le Premier
ministre Jean Chrétien -- que j'ai l'occasion de présenter tout près de
l'Université Laval, mon alma mater, mes vues sur le fédéralisme, et
d'expliquer pourquoi c'est une belle invention pour la vie et l'organisation des
sociétés humaines. Je remercie donc M. Alain Prujiner, le directeur de
l'Institut québécois des hautes études internationales, de l'université
Laval, de m'avoir invité.
Les sujets traités dans le cadre de cette conférence sont d'une très
grande importance, car j'ai la conviction que le fédéralisme a passé
l'épreuve du temps, qu'il s'est imposé comme une solution valable dans le
passé et qu'il le fera aussi dans l'avenir.
Pour vous en faire la démonstration, j'ai divisé ma présentation en trois
parties. En premier lieu, je traiterai de la nécessaire cohabitation des
cultures. En deuxième lieu, je vous parlerai du moyen que je préconise pour
faciliter cette cohabitation, à savoir l'éthique du fédéralisme. En
troisième et dernier lieu, je vous brosserai un profil de ce que le
gouvernement de Jean Chrétien a entrepris de faire pour améliorer la
fédération canadienne; j'aborderai à cet égard l'une des politiques
publiques les plus importantes pour toutes les sociétés d'aujourd'hui et de
demain, celle de la formation de la main-d'oeuvre.
1. LA NÉCESSAIRE COHABITATION DES CULTURES
À l'heure où les aspirations identitaires sont plus fortes que jamais
partout dans le monde, l'idée voulant que toute population ayant des
caractéristiques qui lui sont propres devrait avoir son État est terriblement
fausse. « À chaque peuple son État » est une idée impraticable,
il va sans dire. Mais c'est aussi une faute morale, car c'est en apprenant à
faire cohabiter les cultures qui les composent que les États donnent à leurs
populations la possibilité de se grandir. La cohabitation des cultures au sein
d'un même État aide les être humains à devenir de meilleurs citoyens en leur
permettant de vivre l'expérience de la tolérance.
Selon le professeur Elazar, que je salue dans cette salle, il y a dans le
monde environ 3000 groupes humains qui se reconnaissent une identité
collective. Or, on compte actuellement 185 États reconnus à l'ONU, 86 pour
cent d'entre eux étant multiethniques dans leur composition. L'idée fausse
« d'un peuple, un État » ferait exploser la planète.
On ne saurait trop méditer sur cette déclaration du Secrétaire général
des Nations Unies : "If every ethnic, religious or linguistic group
claimed statehood, there would be no limit to fragmentation, and peace, security
and well-being for all would become even more difficult to achieve."
J'ai rencontré récemment mon homologue d'Afrique du Sud, le ministre des
Affaires intergouvernementales de cette toute nouvelle fédération. Il n'y a
pas, là-bas, comme nous l'avons au Canada, deux langues officielles --
l'anglais et le français -- qui sont aussi des langues internationales; il y a
onze langues officielles, sans compter toutes sortes de langues auxquelles on a
accordé un certain statut politique. L'Afrique du Sud sort de ce que l'être
humain a inventé de pire pour l'être humain, le cauchemar de l'apartheid.
C'est par la réconciliation et la recherche d'une harmonieuse cohabitation des
cultures que ce pays, avec ses onze langues officielles, retrouvera
progressivement les forces dont il a besoin pour relever les défis humains et
socio-économiques qui l'attendent. La seule solution pour l'Afrique du Sud est
l'unité, non pas la fragmentation. Et ce n'est sûrement pas le Canada, un pays
béni des dieux, qui doit lui donner, ainsi qu'au reste du monde, l'exemple de
la rupture.
Il serait vain d'essayer de faire en sorte que tout le monde soit majoritaire
chez soi. Ce que l'on doit rechercher, c'est le moyen de faire cohabiter des
cultures et des minorités confiantes et épanouies au sein d'une même
structure politique. La présence et le rayonnement de la minorité québécoise
au sein du Canada renforcent non seulement les Canadiens des autres provinces,
mais aussi les Québécois eux-mêmes, grâce à la complémentarité de leur
appartenance au Québec et au Canada. Et sans vouloir me mêler de ce qui se
passe à l'étranger, je crois quand même que c'est la même valeur universelle
qui devrait être poursuivie pour les Écossais en Grande-Bretagne, ou pour les
Catalans en Espagne.
Le Canada, ce pays qui est devenu un exemple universel d'ouverture, de
tolérance et de générosité, est le dernier pays au monde où il faudrait
laisser triompher la fragmentation identitaire. Ce serait d'autant plus
regrettable que, si le Canada est si ouvert, si tolérant et si généreux
aujourd'hui, c'est parce que les Français et les Anglais, dès le départ, ont
pris les moyens pour s'entendre et tirer parti à la fois de leurs identités
respectives et de la complémentarité de ces deux grandes cultures. Cela n'a
pas toujours été facile; il y a des pages sombres dans notre histoire, mais il
en est résulté cette riche société de tolérance qu'est le Canada.
Nos grandes métropoles — Montréal, Toronto, Vancouver — qui sont des
modèles de coexistence, ont su éviter de devenir des villes racistes, comme on
en voit trop souvent, et pour cette raison précise méritent de rester dans le
même État, si proches par l'esprit, malgré la distance géographique qui les
sépare. Ma circonscription de Saint-Laurent/Cartierville est un autre exemple
de communauté plurielle et harmonieuse, une véritable ONU condensée avec plus
de cinquante nationalités différentes et vibrantes. J'y trouve toujours une
inspiration, car c'est ça, pour moi, Montréal; c'est ça, pour moi, le Québec;
c'est ça, pour moi, le Canada : un idéal de cohabitation harmonieuse de
cultures différentes au sein d'un même État.
Je voudrais que les Espagnols regardent l'épanouissement de la Catalogne
avec confiance, comme une force pour l'Espagne et non comme une menace à son
unité. Je voudrais que les Britanniques aient le même sentiment envers
l'Écosse. Et je ne veux pas que mon pays, le Canada, serve d'exemple repoussoir
pour les majorités inquiètes d'Espagne, de Grande-Bretagne ou d'ailleurs. Mon
rêve, c'est que le Congrès américain, par exemple, au lieu de dire, comme on
l'a entendu, « On ne veut pas créer des ‘Québec' aux États-Unis et
donc on ne veut pas reconnaître des droits supplémentaires à notre minorité
hispanophone » dise au contraire « Inspirons-nous de ce qui se passe
au Canada; les Québécois et les autres Canadiens cohabitent dans l'harmonie
parce qu'ils s'acceptent en toute confiance ». Je voudrais que dans la
Communauté européenne aussi on cesse de dire « Attention, ne laissons
pas trop d'autonomie à nos régions ». Je voudrais que l'on regarde le
Canada comme une inspiration pour l'avenir, non seulement pour les Canadiens,
mais aussi pour les autres êtres humains qui expérimentent la cohabitation des
cultures au sein d'un même État.
2. L'ÉTHIQUE DU FÉDÉRALISME
Il y a plusieurs moyens de faire cohabiter les populations; mais celui que je
préconise et dont je vais vous parler aujourd'hui, c'est le fédéralisme.
On dit souvent du fédéralisme qu'il est efficace. Dans ma société, au
Québec, on le présente souvent sous l'angle de sa rentabilité, du
fédéralisme rentable : « Québécois, restez dans le Canada parce
que nous avons une fédération rentable », leur dit-on. Ce qui est vrai,
car quatre des cinq pays les plus riches au monde sont des fédérations :
le Canada, les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse.
Vous connaissez sans doute les indicateurs de l'ONU ou de la Banque mondiale
qui placent le Canada au sommet du palmarès dans tant de dimensions de
l'activité humaine. Le Canada est une formidable réalisation humaine, un joyau
sur cette planète, qui donne à ses habitants l'une des plus belles qualités
de vie qui soit. Nous avons des problèmes graves, trop de chômage, trop de
pauvreté, surtout chez les enfants. Pour affronter ces problèmes, il faut nous
appuyer sur nos forces au lieu de leur tourner le dos.
Ces bons résultats internationaux ne sont pas le fruit du hasard; ils sont
vraisemblablement attribuables au fait que notre fédéralisme est rentable pour
tous les Canadiens. Mais le fédéralisme comme idéal universel est plus que
rentable; il a une éthique qui encourage la cohabitation des cultures.
Plus que jamais, nous avons besoin de concilier le global et le local, ce que
notre collègue Tom Courchene de l'Université Queen's appelle la
« glocalisation »; en d'autres termes nous avons besoin de concilier
une grande solidarité et les désirs d'autonomie. La conciliation, par le
fédéralisme, de ces deux objectifs a bien servi l'humanité par le passé et
sera plus nécessaire que jamais dans les années à venir.
C'est Tocqueville, ce grand penseur libéral et prophète de la démocratie
qui, dès le XIXe siècle, a bien exprimé cette idée : « C'est pour
unir les avantages divers qui résultent de la grandeur et de la petitesse des
nations que le système fédératif a été créé. »
N'est-elle pas toujours aussi vraie, cette idée, à l'heure de la
mondialisation des marchés et de la recherche de l'autonomie? Partout dans le
monde, des pressions opposées s'exercent d'un côté, en faveur
d'organisations politiques élargies et de l'autre, en faveur d'organisations
politiques centrées sur leur dimension régionale. La recherche d'organisations
élargies s'explique par une prise de conscience des forces de
l'interdépendance mondiale et par le besoin d'exercer une influence accrue sur
les décisions internationales. La recherche de petites unités politiques
indépendantes s'explique par le besoin de rendre les gouvernements plus
sensibles aux besoins des citoyens et à leurs attachements premiers : les
liens linguistiques et culturels, l'appartenance à une religion, les traditions
historiques et les coutumes sociales. C'est ce qui constitue les fondements
d'une communauté.
Le fédéralisme aide à concilier ces courants opposés. Il permet aux
identités régionales de s'exprimer aux niveaux national et international. Par
exemple, les francophones du Canada sont représentés au Commonwealth, tout
comme les anglophones du Canada le sont dans la Francophonie. Et parce qu'ils
sont ensemble, qu'ils forment un grand et riche pays, ils ont les uns et les
autres accès au G-7, ce qu'ils ne pourraient pas faire si le Canada se
fracturait. Les Canadiens de l'est du pays ont autant accès à l'Organisation
de coopération économique Asie-Pacifique (l'APEC) que les gens de l'Ouest ont
accès à l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest (OPANO).
Mais en même temps, le Canada est une fédération où chaque province peut
donner sa perspective propre et régler ses problèmes à sa façon. Nous avons
vécu la situation où les dix provinces du Canada avaient des déficits
budgétaires; chacune a trouvé sa façon à elle de s'en sortir et,
aujourd'hui, vous en avez sept qui ont atteint l'équilibre budgétaire ou qui
réalisent des surplus. La méthode du premier ministre du Nouveau-Brunswick n'a
pas été la même que celle de l'Alberta et elle ne sera sans doute pas celle
que le Québec inventera, avec sa société distincte, avec sa propre culture.
Chaque province cherche ses forces en elle-même, ce qui n'empêche pas qu'elles
s'entraident par la solidarité; et c'est quelque chose dont on a besoin plus
que jamais : l'entraide des grands ensembles et l'inventivité par
l'autonomie.
Ce qui m'amène à vous en dire plus sur l'éthique du fédéralisme. Alan
Cairns, une autorité canadienne reconnue en matière de fédéralisme, a
démontré dans son oeuvre que les institutions ne nous permettent pas seulement
d'accomplir des choses, elles encouragent des principes moraux, elles
contribuent à façonner notre vision du monde et de nous-mêmes.
Les deux grands principes moraux que le fédéralisme encourage sont, à mon
sens, la tolérance et la solidarité.
La tolérance
Le fédéralisme, en tant que philosophie publique, invite à la tolérance,
qui s'exprime à travers notre capacité de comprendre les différentes
manières d'agir. La tolérance fait appel à notre capacité d'accepter les
diverses façons de contribuer à la vie en société. Charles Taylor parle de
« diversité profonde » : les citoyens ne conçoivent pas tous
leur citoyenneté de la même façon. La tolérance, dans sa forme la plus
fondamentale, donne aux gens la liberté d'être eux-mêmes pour mieux
s'entraider les uns les autres.
Certains disent qu'il faut être Canadiens tous de la même façon sinon
notre pays est en danger. Je trouve que c'est une erreur. Les Suisses, par
exemple, ont le système municipal le plus puissant au monde; ils tirent de
cette grande décentralisation un mobile de fierté, une raison supplémentaire
de se sentir Suisses. C'est la même chose au Canada, où nous avons des
provinces fortes, comme l'ont bien démontré les travaux comparatifs du
professeur Ron Watts, de l'Université Queen's, que je salue en passant.
Certains Canadiens voient dans la décentralisation une menace et pensent que
c'est la raison pour laquelle le pays risque l'éclatement. Je suis persuadé du
contraire. Le Canada n'aurait jamais pu survivre s'il n'avait pas été une
fédération qui fait en sorte que les gens de Terre-Neuve peuvent être
Canadiens à la façon de Terre-Neuve, que les gens du Manitoba peuvent être
Canadiens à leur façon, que les gens du Québec peuvent être Canadiens à la
façon québécoise.
Moi, qui suis un p'tit gars de Québec, né dans cette ville, habitant
maintenant à Montréal, j'ai ma façon à moi d'être Canadien, je ne suis pas
obligé de l'être comme quelqu'un de Winnipeg. Mais je sais, par instinct, que
le fait de partager le même pays avec cette personne de Winnipeg fait d'elle et
de moi de meilleurs êtres humains.
Quand je suis dans ma circonscription de Saint-Laurent/Cartierville et que je
parle à des personnes âgées d'appartenance juive, italienne ou grecque, je
suis presque toujours obligé de leur parler en anglais parce qu'elles ont été
insuffisamment intégrées à la société québécoise, pour toutes sortes de
raisons historiques. Mais, quand je parle à leurs petits-enfants de 18 ou 19
ans, je peux leur parler en français; je peux leur parler en anglais, je peux
même me risquer en espagnol. Ces jeunes-là s'expriment à la fois en
français, en anglais et souvent dans une ou deux autres langues; ils sont
merveilleusement outillés pour le siècle à venir. C'est ça Montréal, c'est
ça le Québec d'aujourd'hui, et c'est ça le Canada : un société
plurielle qui doit demeurer harmonieuse et tolérante.
On dit parfois du fédéralisme qu'il ne peut fonctionner que dans une
société homogène, ayant la même religion et la même langue. Ce n'est pas du
tout mon avis. Le fédéralisme fonctionne dans une société homogène et il
est nécessaire dans une société hétérogène, parce qu'il favorise la
tolérance et c'est ce dont une société hétérogène a le plus besoin.
La solidarité
Un professeur de l'Université de Colombie-Britannique, Samuel LaSelva, qui
participe d'ailleurs aux travaux de cette même conférence, mais à Vancouver,
a écrit dans un livre récent The Moral Foundations of Canadian
Federalism : "Canadian nationhood presupposes Canadian federalism
which in turn rests on a complex form of fraternity that can promote a just
society." [page 264]. Ce que LaSelva veut dire, à mon sens, c'est que
cette structure institutionnelle qu'est le fédéralisme est porteuse d'un
principe moral que j'appelle la solidarité.
C'était l'idée d'un des pères fondateurs de notre confédération de 1867,
Georges-Étienne Cartier, qui disait que notre fédéralisme devait être fondé
sur des intérêts et des solidarités partagés entre les différentes
communautés.
La solidarité, que je définis comme étant le sens du bien commun et de la
compassion à l'égard de nos concitoyennes et de nos concitoyens, nous permet
d'agir ensemble, de consolider nos moyens et d'unir nos forces. La solidarité
canadienne s'exprime admirablement dans le principe d'entraide entre les
provinces riches et les provinces moins nanties par l'entremise des transferts
du gouvernement fédéral; ce principe, plus poussé sans doute que dans aucune
autre fédération du monde, fait en sorte qu'actuellement, sept provinces
reçoivent l'aide de trois provinces qui sont pour le moment plus
fortunées : l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique. Mais cette
même Alberta, dans les années 1930, a été aidée par les autres provinces, y
compris la mienne. Et les Albertains savent qu'un jour peut-être, ils auront
besoin de l'aide des Québécois. C'est ça la grande solidarité canadienne.
Les Québécois bénéficient actuellement de l'aide que leur apportent leurs
concitoyens des provinces plus riches; un jour, il seront en mesure à leur tour
d'apporter une aide particulière à leurs concitoyens de provinces moins
fortunées.
Voilà le vrai sens de la solidarité canadienne. C'est plus que de la
tolérance; non seulement nous tolérons ce que sont les autres, mais nous
voulons les aider à être ce qu'ils sont. Je veux aider les gens de Terre-Neuve
à être ce qu'ils sont. Je sais aussi qu'ils ne sont pas comme les gens de la
Colombie-Britannique. Comme Québécois et Canadien, je veux que, eux aussi,
m'aident à être une société majoritairement francophone dans cette Amérique
du Nord anglophone.
La grande majorité des Québécois se sentent en même temps Québécois et
Canadiens; mais beaucoup d'entre eux croient qu'ils ont à choisir entre leur
identité québécoise et leur identité canadienne. Et beaucoup d'entre eux, se
sentant plus chez eux dans leur environnement québécois, sont enclins donc à
choisir leur identité québécoise. Et pourquoi se sentent-ils obligés de
choisir entre le Québec et le Canada? Parce qu'ils pensent que les autres
Canadiens ne les acceptent pas dans leur différence. C'est un malentendu
terrible qu'il faut dissiper afin de garantir l'unité de notre pays.
C'est dans ce sens que s'inscrit la résolution présentée par le
gouvernement du Canada et adoptée par le Parlement concernant la reconnaissance
du Québec comme société distincte au sein du Canada. C'est aussi le sens des
efforts que le gouvernement du Canada entend poursuivre pour que les autres
provinces puissent, en toute confiance, reconnaître la spécificité
québécoise dans la Constitution canadienne.
3. LE PLAN DE RÉFORME DE LA FÉDÉRATION
Et me voilà déjà à vous parler des efforts que le gouvernement du Canada
déploie en vue d'améliorer la fédération canadienne et de consolider son
unité. Une fédération peut et doit toujours être améliorée, s'adapter à
l'évolution des besoins de ses populations, mais toujours en s'appuyant sur les
principes moraux qu'elle encourage. C'est ce que le gouvernement du Canada a
fait; depuis le discours du Trône de février dernier, nous avons mis de
l'avant un plan de réforme de notre fédération qui viendra renforcer nos
grandes valeurs de solidarité et de tolérance.
Je pourrais vous parler du régime de santé et de services sociaux, ou de la
limitation du pouvoir fédéral de dépenser, ou de la clarification des rôles
dans les domaines aussi variés que les mines, les forêts, le logement social,
l'environnement; mais pour aujourd'hui, je vais m'en tenir à la formation de la
main-d'oeuvre, un secteur crucial.
Nous avons donné aux provinces plus de marge de manoeuvre pour cette
politique publique très importante pour le monde de demain. La formation de la
main-d'oeuvre est un secteur crucial parce que les pays comme le Canada ne
maintiendront leur avantage concurrentiel que s'ils peuvent compter sur une
main-d'oeuvre hautement qualifiée. Il y a maintenant tellement de pays qui
offrent de la main-d'oeuvre à bon marché que si l'on veut se donner les moyens
de rester concurrentiel, il faut que notre main-d'oeuvre soit vraiment bien
formée.
Traditionnellement, le gouvernement fédéral s'est impliqué dans ce secteur
pour des raisons bien légitimes. Étant responsable, au plan constitutionnel,
de l'assurance-chômage, il a mis en place des programmes destinés à aider les
travailleurs à sortir du cycle du chômage. Certains de ces programmes,
cependant, étaient semblables aux programmes de formation sectorielle offerts
par les provinces parce que ce sont elles qui ont la compétence
constitutionnelle en matière d'éducation.
Le gouvernement a donc pris des mesures pour éliminer tout conflit ou tout
chevauchement en offrant aux provinces la possibilité de gérer les quelque
deux milliards de dollars par année que le gouvernement fédéral dépense
actuellement pour les mesures actives d'aide à l'emploi. Les provinces peuvent
donc, si elles le désirent, mettre en place leurs propres programmes, tels les
subsides à l'emploi, les suppléments de revenus, des partenariats pour la
création d'emplois, ainsi que des services au marché du travail, comme le
counselling et le placement.
Les provinces pourront, plus que jamais, avoir les moyens d'utiliser leurs
propres forces, leur propre culture, ce que réclamait notamment le Québec, et
travailler avec leurs partenaires. Le gouvernement fédéral s'assurera que les
provinces qui ont un taux de chômage plus élevé pourront obtenir des
ressources à même la Caisse d'assurance-emploi, dont le gouvernement fédéral
a la responsabilité. Il veillera aussi à ce que la libre circulation des
travailleurs et la solidarité canadienne ne soient pas menacées par cette
réforme, de façon à ne pas nuire à notre union socio-économique et à notre
capacité d'agir collectivement. Nous voulons avoir de bons programmes de
formation professionnelle partout au pays, qui soient complémentaires. Ainsi,
chaque ordre de gouvernement aura sa responsabilité propre, et nous pourrons
attaquer le prochain siècle dans un bon cadre de travail grâce à une bonne
compréhension de ce qu'est le fédéralisme canadien.
CONCLUSION
Récapitulons. La cohabitation des cultures est nécessaire; c'est même la
seule solution, car ni l'assimilation des cultures ni leur séparation ne sont
praticables ni moralement acceptables.
Le fédéralisme est un instrument efficace pour la cohabitation des
cultures. C'est une solution souple; le fédéralisme canadien n'est pas le
même que celui que l'on peut retrouver en Suisse ou en Belgique parce que les
contextes sont tout à fait différents, et les défis qui attendent les
populations comme celles d'Afrique du Sud ou de l'Inde sont sans commune mesure
avec ceux qui sont les nôtres dans les pays industrialisés. Mais partout, le
fédéralisme aide les êtres humains à mieux vivre ensemble. C'est pourquoi je
suis convaincu que le fédéralisme est une solution valable pour nos sociétés
humaines, une solution que nous devons conserver pour nous-mêmes et nos
enfants.
L'allocution prononcée fait foi.
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