Notes pour une allocution devant le
Conseil américain des études québécoises
Québec (Québec)
le 19 octobre 1996
Le Conseil américain des études québécoises a tenu son premier congrès ici
à Québec, en 1986; 80 personnes y ont pris part. Nous voici, dix ans plus tard,
avec plus de 300 participants et près de 200 présentations portant sur les
différents domaines socio-culturels de la société québécoise :
l'histoire, la littérature et la poésie, le théâtre et le cinéma,
l'économie et l'administration, les médias et, bien sûr, la politique.
Je vous envie beaucoup de pouvoir contempler la société québécoise avec
un regard étranger car, en effet, elle doit vous apparaître bien fascinante,
notre société. Je remercie votre président, Richard Beach, de m'avoir invité
à prendre part à ce « bouillon de culture ».
Au moment où je vous parle, la pièce Les belles-soeurs, de Michel Tremblay,
se joue en Roumanie; Céline Dion se produit aux Pays-Bas, les Ballets Jazz de
Montréal sont en tournée en Allemagne; le Cirque du Soleil présente Alegria
au Japon et lance Quidam aux États-Unis; la compagnie de danse Carbone 14 donne
une série de représentations en Belgique; la troupe de danse moderne La La La
Human Steps est en tournée en Grande-Bretagne. Jamais la communauté artistique
québécoise n'a-t-elle tant rayonné aux quatre coins du monde, sans compter
toute la dynamique interculturelle qu'elle a développée au sein du Canada tout
entier au cours des dernières décennies. Que vous soyez à Québec, Montréal,
Toronto, ou Vancouver, vous pouvez voir l'Orchestre symphonique de Montréal,
une production de Robert Lepage ou de Denys Arcand ou un spectacle du groupe
autochtone Kashtin.
Musique, peinture, théâtre, littérature ... en avoir le temps, je
décrirais à quel point la créativité québécoise s'étend à toutes les
sphères de l'activité humaine, y compris à notre monde politique qui, comme
vous le savez, a l'habitude de produire certaines des personnalités politiques
les plus effervescentes du Canada.
Je voudrais faire valoir aujourd'hui que cette créativité québécoise
trouve une stimulation dans son appartenance au Canada et, qu'en retour,
l'apport de la société québécoise enrichit le Canada. Je veux montrer que
les Québécois et les autres Canadiens ont toutes les raisons de rester
ensemble.
L'attachement à l'identité québécoise et canadienne
Je m'adresse à vous en tant que Québécois et Canadien très attaché à
ses deux identités et qui ne veut jamais avoir à choisir entre elles. Je sais
que c'est aussi le cas de la très grande majorité des Québécoises et des
Québécois. Un sondage réalisé en février dernier indiquait que 21 %
des Québécois sembleraient ne plus se reconnaître dans l'identité canadienne,
mais que les autres, qui représentent la grande majorité, dosent comme ils
l'entendent leur identité québécoise et leur identité canadienne (1). Je
vous avoue que si c'était l'inverse, si 79 % des Québécois disaient ne
plus se définir comme Canadiens, je serais inquiet. Mais non, ils veulent
rester Canadiens et ils ont raison de tenir au Canada, ce pays qu'ils ont si
puissamment contribué à bâtir.
Pourtant, de nombreux Québécois qui tiennent au Canada ont répondu
affirmativement à la question que le gouvernement du Québec leur a posée, le
30 octobre 1995, qui se lisait comme suit :
« Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert
formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le
cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12
juin 1995? ».
Les Québécois ont rejeté, par une majorité de 50,6 %, ce projet que
leur proposaient, pour la deuxième fois en 15 ans, les leaders sécessionnistes.
Il s'en est fallu de peu pour que le Québec et tout le Canada soient plongés
dans une crise sérieuse à l'issue très incertaine.
Si de nombreux Québécois qui tiennent au Canada ont voté lors de ce
référendum dans le sens que désiraient les leaders sécessionnistes, c'est
qu'ils n'avaient pas l'impression de voter pour une sécession. Ils voulaient
affirmer leur identité québécoise, mais ne croyaient pas renoncer à leur
identité canadienne. Cela n'a pas empêché le chef des forces sécessionnistes,
premier ministre du Québec à l'époque, d'assimiler au soir de sa défaite
leur vote à un appui à « l'indépendance » du Québec, terme qu'il
n'avait jamais utilisé tout au long de la campagne référendaire! Un sondage
réalisé à la toute fin de la campagne référendaire a révélé que près de
80 % des Québécois qui se proposaient de voter « OUI »
pensaient que, si le OUI l'emportait, le Québec continuerait d'utiliser
automatiquement le dollar canadien; près de 80 % croyaient que les liens
économiques avec le Canada demeureraient inchangés, et 50 % croyaient
qu'ils continueraient d'utiliser le passeport canadien. Plus de 25 %
croyaient que le Québec continuerait d'élire des députés au Parlement
fédéral (2). Un autre sondage a même indiqué que près d'un électeur du OUI
sur cinq pensait qu'un Québec souverain pourrait rester une province du Canada
(3).
Les leaders sécessionnistes accusent ceux qui leur rappellent ces chiffres
de manquer de respect envers l'intelligence des électeurs québécois. C'est
là bien sûr un argument fallacieux. Ce n'est évidemment pas la faute des
électeurs si la stratégie des sécessionnistes a propagé la confusion.
Une sécession est une décision trop grave pour être prise dans la
confusion. On comprendra alors que le Premier ministre du Canada se soit engagé
solennellement, dans le discours du Trône du 27 février dernier, à ce que
l'enjeu de la sécession soit posé dans toute sa clarté.
Ceux qui, au Québec, appuient la sécession doivent comprendre que ce projet
leur ferait perdre leur identité canadienne. Ils doivent trouver de bonnes
raisons pour y renoncer. Ils doivent trouver encore de meilleures raisons pour
arracher l'identité canadienne du coeur des nombreux Québécois qui y
tiennent. Ils doivent songer au tort qu'ils feraient à leurs concitoyens des
autres provinces canadiennes. Il leur faut aussi se rendre compte que la
sécession, une fois réalisée, serait probablement irréversible et engagerait
donc non seulement leurs contemporains, mais aussi les générations futures.
Or, les raisons d'un choix aussi grave n'existent tout simplement pas. Voilà
pourquoi nous sommes très confiants dans l'avenir d'un Canada uni. Le
gouvernement du Canada, avec l'aide de tous les citoyens qui croient en leur
pays, et en particulier des forces fédéralistes du Québec, s'applique avec
plus de résolution que jamais, à montrer à quel point les identités
québécoise et canadienne se complètent, et pourquoi il faut les accueillir
toutes les deux au lieu de se sentir obligé de choisir entre elles. Alors le
péril de la sécession sera écarté et les Québécois et les autres Canadiens
auront retrouvé la voie de la réconciliation et de l'unité.
Aucune des justifications avancées pour la sécession ne résiste à
l'examen, qu'elles empruntent le registre linguistique et culturel, celui de la
structure politique ou celui de l'économie.
Une fédération bilingue unie autour des mêmes valeurs universelles
La tentation sécessionniste n'a de prise que parmi les électeurs
francophones du Québec. Les quelque 15 % d'électeurs québécois non
francophones appuient massivement l'unité canadienne et ne voient aucune raison
de choisir entre le Québec et le Canada. Il faut montrer aux francophones que
le Canada ne menace en rien leur langue ni leur culture, au contraire. Le fait
est que jamais depuis les débuts de la Confédération en 1867 le Québec n'a
été aussi francophone qu'aujourd'hui. La proportion des Québécois en mesure
de s'exprimer en français est de 94 % et n'a jamais été aussi élevée.
Dans ma circonscription de l'Île de Montréal, je dois souvent m'exprimer en
anglais pour me faire comprendre des personnes âgées d'origine grecque,
italienne ou juive, mais leurs petits-enfants, eux, m'adressent spontanément la
parole en français.
La progression du français au Québec est due en partie aux lois
linguistiques canadiennes et québécoises mises en place dans les années 1960
et 1970. Ces lois sont maintenant largement acceptées, et si certaines mesures
prévues dans la loi québécoise ont été invalidées par les tribunaux,
aucune d'entre elles ne revêtait un caractère important. On pense notamment à
la question de l'affichage commercial. La loi québécoise de 1977 imposait
l'unilinguisme dans l'affichage commercial. La Cour suprême du Canada a jugé
en 1988 qu'une politique de prédominance du français était tout à fait
justifiée en ce domaine, mais qu'il ne fallait pas bannir les autres langues.
Cette politique est aujourd'hui celle qui prévaut au Québec, et qui fait
consensus avec l'appui de plus de 85 % des Québécois selon l'opinion
publique (4).
Les lois linguistiques québécoises sont plus libérales que celles que l'on
retrouve dans des démocraties plurilingues aussi irréprochables que la Suisse
ou la Belgique. De temps en temps, des esprits radicaux cherchent à ranimer les
tensions linguistiques au Québec, mais ils échouent toujours. La solidarité
des Québécois francophones et non francophones est admirable. En fait, un seul
enjeu peut les diviser sur des bases linguistiques et ethniques : celui de
la sécession.
La solidarité des autres Canadiens des provinces et territoires envers le
bilinguisme et la spécificité linguistique et culturelle des Québécois est
elle aussi solide. Les Québécois et les autres Canadiens appuient
majoritairement le bilinguisme. L'échec des réformes constitutionnelles des
dernières années, qui visaient entre autres à faire reconnaître le Québec
comme société distincte dans la fédération, a malheureusement créé un
sentiment de rejet mutuel tout à fait déplorable entre trop de Québécois et
d'autres Canadiens.
La vérité est que la grande majorité des Canadiens veulent reconnaître et
célébrer cette caractéristique fondamentale de leur pays qui fait que l'une
des dix provinces canadiennes, la deuxième en importance, est majoritairement
francophone en cette Amérique du Nord massivement anglophone.
Ainsi un sondage de mars 1996 (5) montrait que 85 % des Québécois et
68 % des autres Canadiens étaient d'avis que « la Constitution du
Canada devrait reconnaître que le Québec, tout en étant égal aux autres
provinces, est différent notamment par sa langue et sa culture. » De
même, 82 % des Québécois et 84 % des autres Canadiens estimeraient
que « le Québec est une composante essentielle de l'identité
canadienne ». La grande majorité de mes concitoyens des autres provinces
veulent reconnaître le Québec dans sa différence et veulent simplement qu'on
les aide à trouver les mots pour exprimer tout l'appui qu'ils accordent à
leurs concitoyens du Québec.
En décembre 1995, le gouvernement du Canada a fait adopter à la Chambre des
communes une résolution reconnaissant le caractère distinct de la société
québécoise et une loi garantissant au Québec, ainsi qu'aux quatre autres
grandes régions du Canada, qu'aucun changement constitutionnel les concernant
ne se ferait sans leur accord. Le Premier ministre et le gouvernement du Canada
poursuivent leurs efforts afin que ces mesures soient inscrites dans notre
Constitution.
Ce malentendu terrible autour de la reconnaissance de la spécificité
québécoise a convaincu trop de Québécois et d'autres Canadiens que leurs
valeurs étaient incompatibles. C'est là une fausse croyance, en fait c'est
tout le contraire qui est vrai. La principale raison pour laquelle je suis si
attaché à ma société québécoise est qu'elle est tout à fait imprégnée
des mêmes grandes valeurs universelles qui me font aimer le Canada. Comme
chercheur en science politique, j'ai été frappé de constater à quel point
les Québécois et les autres Canadiens appuient avec la même force les grandes
valeurs universelles de tolérance, de solidarité et de justice. Quand, exemple
parmi tant d'autres, un sondage d'avril dernier a montré que 74 % des
Canadiens hors-Québec étaient d'avis que « la diversité culturelle rend
le Canada plus fort », il s'est trouvé 71 % de Québécois pour
partager le même avis (6).
Quand une enquête internationale a comparé 118 villes de ce monde sur la
base de 42 indices économiques, sociaux et environnementaux, on a vu
apparaître Montréal dans le peloton de tête (7e rang) en compagnie de
Vancouver (2e), Toronto (4e) et Calgary (12e) (7). Nos métropoles canadiennes
ont leurs difficultés, leurs problèmes de chômage et de pauvreté, et de
grands défis les attendent.
Mais elles ont su devenir des modèles de coexistence culturelle et elles
offrent à leurs habitants une sécurité et une qualité de vie difficiles à
retrouver ailleurs. Voilà une raison de plus pourquoi Montréal et Vancouver
méritent de demeurer ensemble, dans un Canada uni, si proches par l'esprit
malgré la distance géographique qui les sépare.
Ces valeurs universelles de tolérance et de solidarité dans la diversité
se sont enracinées au Canada en bonne partie parce que les Français et les
Anglais ont dû apprendre à cohabiter ensemble, ce qui les a préparés à
accueillir de nouveaux concitoyens venus de tous les coins du monde. Notre
histoire n'a pas toujours été facile et, comme les autres pays, comporte ses
pages sombres. Mais le résultat est le Canada d'aujourd'hui, cette création
humaine admirable. Les Québécois et les autres Canadiens l'ont bâti ensemble,
et c'est pourquoi ils n'y renonceront pas.
Une fédération décentralisée en évolution
L'esprit de tolérance des Canadiens les amène à comprendre, peut-être
mieux que tout autre peuple, que l'égalité n'est pas synonyme d'uniformité.
C'est cette compréhension des choses qui les a guidés dans l'établissement
d'une fédération décentralisée toujours à la recherche d'un meilleur
équilibre entre la solidarité de tous et le respect des différences de
chacun.
Le Canada n'aurait jamais pu survivre s'il n'avait pas été une fédération
qui fait en sorte que les Terre-Neuviens peuvent être Canadiens à la façon de
Terre-Neuve, que les gens du Manitoba peuvent être Canadiens à leur façon,
que les gens du Québec peuvent être Canadiens à la façon québécoise.
Les leaders sécessionnistes prétendent que le Canada est une fédération
centralisée qui laisse au Québec trop peu d'autonomie. Ils affirment que notre
fédération est figée et incapable d'évolution et présentent le gouvernement
fédéral comme une sorte de puissance étrangère aux Québécois.
La vérité est que l'une de nos grandes forces vient précisément de ce que
notre fédération s'appuie sur la décentralisation. Les experts en
fédéralisme comparé la classent parmi les plus décentralisées, aux côtés
de la Suisse. À titre de province du Canada, le Québec jouit d'une autonomie
que peuvent lui envier toutes les autres entités fédérées. La souplesse du
fédéralisme canadien a aussi fait en sorte que des dispositions particulières
distinguent le Québec des autres provinces dans des domaines aussi variés que
le droit civil, la fiscalité, les relations internationales, le régime des
rentes, les politiques sociales, l'éducation postsecondaire et l'immigration.
Loin d'être figée et immobile, notre fédération est en constante
évolution; elle n'a pas mené à un gonflement du gouvernement fédéral, bien
au contraire. Au cours des quatre dernières décennies, on a assisté à une
redistribution progressive et spectaculaire du pouvoir de taxer et de dépenser
du gouvernement fédéral vers les gouvernements provinciaux. Ainsi par exemple,
en 1950, pour chaque dollar de revenu perçu par les provinces, le gouvernement
fédéral percevait 2,46 $; en 1994, il ne percevait plus que 0,96 $.
Aujourd'hui, face au danger qui menace notre unité, il est plus que jamais
nécessaire de montrer aux Québécois, ainsi qu'à tous les Canadiens, à quel
point leur fédération peut bien les servir. Il nous faut un gouvernement
fédéral plus efficace dans ses champs de compétences, des gouvernements
provinciaux et territoriaux plus efficaces dans les leurs, des administrations
autochtones mieux outillées pour servir leurs populations, et un solide
partenariat unissant toutes ces institutions. C'est là un objectif largement
partagé au Canada et c'est pourquoi le gouvernement fédéral a lancé dans son
discours du Trône de février dernier un vigoureux plan de réforme de la
fédération. Cette réforme vise à clarifier les rôles dans des domaines
aussi variés que les mines, les forêts, les loisirs, l'environnement, le
logement social, l'union économique. Je m'en tiendrai ici à décrire
brièvement trois réformes clés : le pouvoir fédéral de dépenser, la
formation professionnelle et l'union sociale, des enjeux qui se posent aussi à
vous, les Américains.
Au chapitre du pouvoir de dépenser, le gouvernement fédéral s'est engagé,
dans le dernier discours du Trône, à ne plus utiliser son pouvoir de dépenser
pour créer des nouveaux programmes cofinancés dans des domaines de compétence
provinciale exclusive sans le consentement d'une majorité de provinces. Nous
avons ainsi posé un geste important en vue de rendre plus harmonieuses et
consensuelles les relations fédérales-provinciales. Cet engagement à limiter
le pouvoir fédéral de dépenser n'a pas son équivalent dans les autres
fédérations; il répond à une doléance historique de nos provinces voulant
que le gouvernement fédéral a utilisé ses revenus pour s'ingérer trop
directement dans leurs affaires, les obligeant ainsi à modifier leurs
priorités pour satisfaire le gouvernement fédéral.
Quant à la formation professionnelle, le gouvernement du Canada lance une
réforme qui accorde aux provinces une autonomie beaucoup plus grande dans le
domaine de la formation professionnelle et du développement de la
main-d'oeuvre, une politique publique très importante dans la nouvelle
économie mondiale, en leur offrant de gérer elles-mêmes les quelque deux
milliards de dollars par année que le gouvernement fédéral dépense
actuellement pour les mesures actives d'aide à l'emploi. Les premières
ententes devraient se conclure sous peu.
Enfin, l'union sociale canadienne est aussi en mutation. Les transferts
financiers que le gouvernement fédéral effectue vers les provinces en matière
de santé et de programmes sociaux accordent maintenant aux provinces plus de
flexibilité dans la détermination des priorités et dans la conception des
programmes pour répondre aux besoins locaux, tout en respectant les principes
sur lesquels se fonde la grande solidarité canadienne. Le Premier ministre et
les premiers ministres provinciaux ont formé un nouveau conseil
fédéral-provincial sur le renouvellement de la politique sociale pour étudier
la mise en place de mécanismes plus consensuels et plus efficaces et examiner
de plus près les problèmes de pauvreté chez les enfants.
Il est à noter que ces réformes importantes sont lancées avec une forte
présence québécoise à Ottawa. Le Premier ministre est un Québécois, comme
ce fut le cas lors de 26 des 28 dernières années. Le ministre des Finances est
aussi actuellement un Québécois, ainsi que le Président du Conseil du
Trésor, le ministre des Ressources humaines et le ministre des Affaires
intergouvernementales. Le juge en chef de la Cour suprême se trouve à être
aussi un Québécois, ainsi que la plus haute fonctionnaire du pays.
L'ambassadeur du Canada aux États-Unis est un Québécois.
On appartient à une fédération non seulement pour en profiter, mais aussi
pour y apporter sa culture et ses talents. Les Québécoises et les Québécois
contribuent au succès et à l'évolution de la fédération canadienne et il ne
faudrait pas se priver de la synergie qu'ils créent au contact de leurs
concitoyens des autres provinces.
Le succès économique du Canada
Les leaders sécessionnistes voient dans chaque difficulté conjoncturelle de
l'économie canadienne une justification de leur projet. Le Canada est un pays
en faillite, disaient-ils il y a quelques années devant le lourd endettement
public de notre fédération. Mais les institutions canadiennes ont prouvé
qu'elles étaient capables de faire face aux difficultés. En effet, le Canada a
redressé ses finances au point que son déficit de l'an prochain sera l'un des
moins importants de l'OCDE. De même, sept des dix provinces ont rétabli
l'équilibre budgétaire ou font des surplus alors qu'elles étaient toutes
déficitaires il y a quelques années. Les taux d'intérêt à court terme au
Canada ont baissé de plus de quatre points et demi depuis le début de l'an
dernier. L'année précédant l'entrée en fonction de notre gouvernement, le
Canada affichait, en ce qui a trait aux besoins d'emprunt les pires résultats
de tous les pays du G-7, à l'exception de l'Italie. En 1997, toujours d'après
le même critère, le Canada obtiendra le meilleur résultat au sein du G-7.
Dans ses Perspectives de l'économie mondiale publiées récemment, le FMI
prévoit que le Canada affichera, en 1997, la plus grande croissance des pays du
G-7.
Alors, les leaders sécessionnistes ont changé de cible. Lors du
référendum d'octobre 1995, ils ont prétendu que le Canada anglais avait
épousé une culture conservatrice incompatible avec les valeurs québécoises
de justice sociale et de compassion. Ils ont promis qu'un OUI au référendum
servirait de rempart contre le vent froid des compressions budgétaires venu du
Canada anglais et de levier pour un nouvel élan de social-démocratie
québécoise.
Le ménage des finances publiques a été opéré par le gouvernement
fédéral et par la majorité des provinces, de quelque couleur politique qu'ait
été leur gouvernement. Le même ménage s'impose aussi au Québec, l'une des
provinces les plus endettées du Canada. Comme elle est aussi moins riche que la
moyenne canadienne, elle reçoit l'aide de provinces plus fortunées. La
solidarité canadienne s'exprime admirablement dans ce principe d'entraide entre
les provinces riches et les provinces moins nanties par l'entremise des
transferts du gouvernement fédéral; ce principe, plus poussé sans doute que
dans les autres fédérations du monde, fait en sorte qu'actuellement, sept
provinces reçoivent l'aide de trois provinces qui sont pour le moment plus
fortunées : l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique.
Mais cette même Alberta, dans les années 1930, a été aidée par les
autres provinces, y compris la mienne. C'est ça la grande solidarité
canadienne. Les Québécois bénéficient actuellement de l'aide que leur
apportent leurs concitoyens des provinces plus riches; un jour, ils seront en
mesure à leur tour d'apporter une aide particulière à leurs concitoyens de
provinces moins fortunées.
Depuis quelques mois, le gouvernement du Québec, à l'instar des autres
provinces, a entrepris un plan courageux de redressement de ses finances
publiques. On peut envisager l'avenir avec optimisme grâce aux ressources de
l'économie québécoise, à la culture propre aux Québécois, à la
collaboration des gouvernements et à la solidarité de tous les Canadiens. Par
exemple, le gouvernement fédéral a renforcé son appui aux entreprises et aux
fonctionnaires québécois depuis la fermeture des délégations du Québec à
Boston, Atlanta, Chicago et Los Angeles. Le gouvernement du Canada est aussi le
gouvernement des Québécois, mais il est, en quelque sorte, aussi le
gouvernement des chercheurs américains comme la plupart d'entre vous!
L'ambassade du Canada à Washington et nos consulats à travers les États-Unis
sont aussi à votre service. Le gouvernement du Québec peut réussir à
redresser ses finances publiques malgré les coûts de l'incertitude politique
liée à son projet insensé de sécession.
Si je suis contre la sécession, ce n'est pas parce que je crois les
Québécois incapables de gérer leur propre État indépendant. Je nous crois,
les Québécois, appelés à un idéal plus grand : celui de continuer à
améliorer cette superbe réussite économique et sociale qu'est le Canada;
celui de lutter, aux côtés de tous nos concitoyens des autres provinces,
contre les fléaux du chômage et de la pauvreté; celui de continuer à faire
en sorte que les comparaisons faites par les organismes internationaux,
notamment l'ONU et la Banque mondiale, continuent à placer les Québécois sur
le podium dans tant de domaines de l'activité humaine.
La solidarité qui unit les Québécois est exemplaire; c'est une force qui
les grandit et qui nourrit la confiance en leur avenir économique et social.
Mais leur solidarité est complétée non moins admirablement par celle qui les
rattache à leurs concitoyens des provinces de l'Atlantique, de l'Ontario, de
l'Ouest et du Grand Nord canadien. Les solidarités québécoise et canadienne
se complètent merveilleusement et ce serait non seulement une absurdité
économique, mais surtout une faute morale, que de ne pas les conserver toutes
les deux, pour nous-mêmes et nos enfants. C'est ensemble qu'il nous faut
affronter les formidables défis du XXIe siècle.
Conclusion
Notre pays mérite de survivre et ses chances de réussite sont excellentes.
Nous, Québécois et les autres Canadiens, resterons ensemble parce que nous
avons réussi quelque chose d'irremplaçable sur cette planète. Nous pouvons
être fiers de notre concorde linguistique et culturelle, de notre essor
économique et de l'originalité de nos institutions. Nous devons améliorer
notre fédération, et notre gouvernement a lancé en ce sens des initiatives
importantes. Nous pouvons reconnaître en toute confiance la spécificité
québécoise comme une caractéristique fondamentale de notre pays.
Voilà ce que j'estime vous avoir démontré aujourd'hui. Je l'ai fait en
soulignant les avantages du Canada plutôt que les risques de la sécession. Je
n'ai rien dit ou presque du cortège d'incertitudes, du choc des légitimités,
des perturbations économiques et sociales et de la somme des négociations
pénibles auxquels nous serions confrontés si nous entreprenions de nous
choisir entre concitoyens plutôt que de rester tous ensemble, au sein du
Canada. Je n'ai pas mentionné encore le désaccord important qui nous oppose à
propos du caractère légal ou non d'une déclaration unilatérale
d'indépendance et de la demande de clarification qui a été adressée, à cet
effet, à la Cour suprême.
De la sécession, je dirai simplement qu'il ne faut pas la voir comme une
opposition entre le Québec et le Canada, qui formerait deux blocs
monolithiques. Si je m'oppose à la sécession, si je veux lutter contre elle
avec toutes les forces que me donne la démocratie, c'est qu'elle déchirerait
d'abord ma société, qu'elle opposerait les Québécois aux Québécois. La
sécession, avec les incertitudes qu'elle engendre, est le type d'enjeu
susceptible de plonger les populations les plus tolérantes dans l'intolérance.
La sécession se définit par une rupture de solidarité entre concitoyens.
C'est pourquoi, dans sa sagesse, le droit international n'étend aux peuples le
droit à l'autodétermination dans sa forme extrême, c'est-à-dire le droit à
la sécession, que dans les cas où la rupture de solidarité est
manifeste : soit dans les cas d'occupation militaire ou d'exploitation
coloniale. Les sécessions qui se sont produites à ce jour sont toujours nées
de la décolonisation ou de la période trouble qui suit la dislocation
d'empires autoritaires. Ce n'est pas un hasard si jamais une démocratie bien
établie, ayant expérimenté dix années consécutives de suffrage universel,
n'a connu de sécession. Une telle rupture de solidarité apparaît bien
difficile à justifier en démocratie.
Le Canada, exemple universel d'ouverture, de tolérance et de générosité,
est le dernier pays au monde où il faudrait voir triompher la fragmentation
identitaire. Vous les Américains le comprenez d'instinct. Voilà pourquoi vous
préférez que le Canada reste uni, tout en vous gardant bien d'intervenir dans
les affaires des Canadiens. Ce n'est pas seulement votre intérêt économique
bien compris qui explique votre préférence pour l'unité canadienne. Vous, sur
qui pèsent les responsabilités internationales les plus lourdes, appréhendez
dans la brisure possible de cette grande fédération bilingue et
multiculturelle le mauvais exemple qui serait donné au reste du monde, alors
que les tensions identitaires font rage dans tant de points du globe.
Selon le professeur Elazar, de l'Université Temple de Philadelphie, il y a
dans le monde environ 3 000 groupes humains qui se reconnaissent une identité
collective. Or, on compte aujourd'hui 185 États reconnus à l'ONU, 86 %
d'entre eux étant multi-ethniques dans leur composition. La croyance voulant
que toute population ayant ses caractéristiques propres doit avoir son État
est terriblement fausse. Je ne veux pas la voir triompher dans mon pays. Elle
est non seulement impraticable, mais elle constitue aussi une faute morale car
c'est en apprenant à faire cohabiter les cultures qui les composent que les
États donnent à leurs populations la possibilité de grandir. La cohabitation
des cultures au sein d'un même État aide les être humains à devenir de
meilleurs citoyens en leur permettant de vivre l'expérience de la tolérance.
Il serait vain et même destructeur d'essayer de faire en sorte que tout le
monde soit majoritaire chez soi. Ce que l'on doit rechercher, c'est le moyen de
faire cohabiter des cultures et des minorités confiantes et épanouies au sein
d'une même structure politique. La présence et le rayonnement de la minorité
québécoise au sein du Canada renforcent non seulement les Canadiens des autres
provinces, mais aussi les Québécois eux-mêmes, grâce à la complémentarité
de leur appartenance au Québec et au Canada.
Les Québécois et les autres Canadiens n'ont pas le droit d'échouer. Ils
doivent se rapprocher les uns des autres et se réconcilier. Ils doivent
réussir non seulement pour eux-mêmes et leurs enfants, mais aussi, pourquoi
pas, pour les autres habitants de cette pauvre planète, qui voient dans le
Canada une source d'espoir et un pays béni des dieux. Le Président Truman ne
disait rien d'autre quand il citait l'expérience canadienne en exemple pour
tous les peuples de la terre :
« La place éminente du Canada aujourd'hui est un hommage à la
patience, à la tolérance et à la force de caractère de son peuple. Les
réalisations notables du Canada en termes d'unité nationale et de progrès par
des accommodements, par la modération et par la patience, méritent d'être
étudiées avec profit par les nations soeurs ». [Traduction libre]
Et sans vouloir en aucune façon me mêler de la campagne présidentielle
américaine, laissez-moi terminer par cette citation du Président Clinton qui
renferme, je pense, l'essentiel de ce que j'ai voulu vous dire
aujourd'hui :
« Dans un monde assombri par les conflits ethniques, qui déchirent
littéralement des pays, le Canada constitue pour nous tous un pays modèle, où
des gens de cultures diverses vivent et travaillent ensemble dans la paix, la
prospérité et la compréhension. Le Canada a montré au monde comment trouver
un juste équilibre entre la liberté et la compassion ».
(1) CROP, février 1996 (2) Léger & Léger, octobre 1995 (3) Créatec +,
octobre 1995 (4) CROP, mai 1996 (5) Environics, mars 1996 (6) Ekos, avril 1996
(7) Corporate Resources Group, 1995
L'allocution prononcée fait foi.
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