« Les défis de l'union économique
canadienne »
Notes pour une allocution devant
l'Association canadienne des fabricants
de produits chimiques
Ottawa (Ontario)
le 20 novembre 1996
À bien des égards, l'industrie que vous représentez est à l'image de la
fédération canadienne. Elle a grandi en tirant ses forces des ressources
naturelles dispersées dans différentes régions; elle a surmonté les
obstacles liés à la distance et aux conditions climatiques et a étendu ses
réseaux de transformation et de distribution à la grandeur du pays pour servir
la multitude d'industries qui fabriquent des produits à base d'hydrocarbures et
de ressources minérales. De par sa nature, cette industrie est porteuse d'une
grande valeur ajoutée aux matériaux bruts à travers les phases successives de
transformation jusqu'à ce que le produit se retrouve dans les mains du
consommateur. Il est difficile d'imaginer notre vie de tous les jours sans la
présence des milliers d'objets qui sont fabriqués à partir des matériaux
pétrochimiques ou minéraux.
L'industrie de la chimie occupe une place importante dans notre économie;
elle se retrouve aujourd'hui parmi les cinq premiers secteurs industriels et
manufacturiers, et aussi parmi les grandes créatrices d'emplois compte tenu de
la diversité de secteurs qu'elle alimente directement ou indirectement. Mais
elle ne s'est pas mérité cette place de choix sans avoir relevé de grands
défis, que ce soit la crise de l'énergie, l'éveil de la conscience
environnementale, la pénétration de produits concurrents, la mondialisation
des économies et des marchés. Ces pressions internes et externes lui ont
imposé une importante restructuration, de gros investissements dans la
technologie, dans la recherche et le développement et dans la formation. Compte
tenu de son fort coefficient de capital, son avenir et sa place dans le prochain
siècle passent immanquablement par une recherche d'un meilleur rendement de ses
investissements et par un renforcement de sa capacité concurrentielle.
Vous êtes donc bien placés, comme chefs d'entreprise oeuvrant dans
l'industrie de la chimie et des produits chimiques, pour comprendre que la
fédération canadienne suit un cheminement similaire et qu'il n'en tient qu'à
nous de la rendre plus efficace pour qu'elle puisse encore mieux servir les
Canadiens et les milieux socio-économiques. Notre fédération a démontré sa
capacité et sa souplesse d'ajustement à l'évolution des grands enjeux et aux
besoins nouveaux qu'ils ont générés. Nous avons des difficultés, bien sûr,
que nous ne pouvons pas ignorer; elles sont reliées principalement au risque
d'une sécession et à l'incertitude socio-politique qu'elle engendre. Mais je
suis convaincu que nous les surmonterons, parce que nous avons la capacité et
la volonté de le faire, en travaillant tous ensemble -- pas seulement le
gouvernement et l'administration publique, mais aussi le secteur privé et toute
la société civile -- pour convaincre tous les Canadiens que c'est en
s'appuyant sur les forces de notre fédération et en remédiant à ses
faiblesses qu'ils se garantiront le meilleur avenir possible. Et nous les
convaincrons en apportant des changements porteurs de résultats concrets, de
prospérité et d'espoir. C'est pourquoi je crois à l'avenir de notre
fédération et de notre pays autant que je crois à l'avenir d'une industrie
comme la vôtre.
Il ne suffit pas de dire que notre fédération est promise à un bel avenir;
il faut mettre toutes les chances de notre côté pour que cet avenir se
réalise. Pour cela, il faut regarder ce que le Canada est devenu aujourd'hui,
à quoi nous devons son succès, quelles sont ses forces, quels sont les défis
qu'il doit relever et ce que nous pouvons faire pour améliorer notre
fédération et garder notre pays uni.
Le Canada : un modèle de réalisation humaine
Si on s'arrête à mesurer le chemin parcouru depuis la Confédération, il y
a 129 ans, on s'aperçoit que le Canada est devenu une des plus belles
réalisations humaines de notre siècle. Vous connaissez comme moi les
indicateurs de l'ONU et de la Banque mondiale, qui en disent long sur notre
richesse collective et qui placent notre pays en tête du palmarès de 174 pays
dans différentes dimensions de l'activité socio-économique : nous sommes au
premier rang pour la qualité de vie, au cinquième rang des pays
industrialisés pour le revenu par habitant, au huitième rang pour l'espérance
de vie; notre taux d'inflation est le deuxième plus bas des pays du G-7 depuis
trois ans; le Forum économique mondial nous classe huitième parmi les 48 pays
les plus compétitifs, tandis qu'une étude de la firme KPMG démontre qu'il est
possible de faire des affaires dans les villes canadiennes à un coût moindre
que dans les villes américaines. Et ce n'est pas le seul avantage de nos villes
par rapport à nos voisins du Sud puisque, dans une enquête internationale
menée par l'organisme suisse Corporate Resources Group, qui a comparé 118
villes du monde sur la base de 42 indices économiques, sociaux et
environnementaux, on retrouvera dans le peloton de tête Vancouver au 2e rang,
Toronto au 4e rang, Montréal au 7e rang et Calgary au 12e rang. Nos métropoles
canadiennes ont leurs difficultés, et de grands défis les attendent; mais
elles ont su devenir des modèles de coexistence culturelle et elles offrent à
leurs habitants une sécurité et une qualité de vie difficiles à retrouver
ailleurs.
Tous ces succès, nous ne les devons pas seulement à nos ressources, à
notre climat de paix et de stabilité, à notre proximité des plus gros
marchés du monde, à nos traditions de démocratie et de respect de la
primauté du droit. Nous les devons aussi à la synergie de nos institutions, à
notre solidarité sociale, à notre union économique, à notre cohabitation
harmonieuse des cultures au sein d'une citoyenneté commune. C'est ça la
fédération canadienne, c'est ça le Canada.
Il est vrai que nous sommes encore vulnérables dans plusieurs domaines. Nos
taux de chômage sont encore trop élevés, nous avons trop de pauvreté. Nous
n'avons pas de quoi être fiers, nous qui habitons l'un des pays les plus
riches, de nous voir classés au rang des pires pays de l'OCDE en termes de
pauvreté chez les enfants. Nous avons encore du travail à faire pour relever
les défis qui secouent les sociétés et les économies de tous les pays, et
aussi pour récupérer les exclus de la croissance économique en les aidant à
participer activement à notre marche collective vers la prospérité.
Mais en situant les choses en perspective, on peut difficilement nier que le
Canada se compare favorablement aux autres pays riches et qu'il répond toujours
aux aspirations et aux ambitions de millions de gens du Québec, des autres
régions du Canada, et même de l'étranger. Le Canada répond aussi aux besoins
des industries même les plus mobiles, que ce soit en termes d'environnement
socio-économique et culturel, d'accès aux ressources et aux grands marchés du
monde, de capital humain, ou d'autres facteurs de compétitivité.
Les grandes forces de la fédération canadienne
On a toujours fait valoir que les grandes forces du Canada résidaient dans
l'abondance de ses ressources naturelles, dans sa mobilité sociale hors du
commun et dans son économie pacifiste. Dans un contexte d'ouverture des
marchés, de recul des frontières et d'entrée d'un nombre croissant de pays
dans le circuit économique mondial, nous devons reconnaître que ces forces,
même si elles sont toujours présentes, nous sont peut-être moins exclusives.
Avec les moyens et les infrastructures de transport que nous avons
aujourd'hui, les ressources naturelles ne représentent plus un avantage
économique dominant. D'autre part, vous êtes bien placés pour le savoir, les
matériaux et les produits modernes sont tellement composites qu'il est à peu
près impossible pour un producteur d'avoir à proximité toutes les ressources
naturelles dont il a besoin. Il peut en avoir certaines, sur lesquelles il
pourra toujours compter, comme l'électricité, l'énergie; mais pour le reste,
il doit de plus en plus se les procurer dans différentes régions du monde.
Donc le fait pour le Canada d'avoir des ressources naturelles demeure toujours
un avantage, et il faut continuer à investir dans nos ressources, mais il faut
bien se rendre compte que cet avantage n'a plus la même force.
La mobilité sociale est un facteur important parce qu'elle donne accès à
un bassin plus vaste et plus riche de ressources humaines. C'est un avantage
dont les sociétés traditionnelles, en Europe notamment, n'ont pas bénéficié
pendant très longtemps en raison des barrières de classe qui empêchaient une
grande partie des talents de s'exprimer; ce qui n'était pas le cas sur le
continent américain, où les sociétés étaient beaucoup moins
hiérarchisées. Aujourd'hui, les sociologues nous démontrent que cette
mobilité sociale n'est plus particulière à notre continent et que ce n'est
donc plus une des variables qui jouent en notre faveur.
Quant à notre choix d'investir dans une économie civile pacifiste plutôt
que militaire, on observe la même tendance ailleurs. Nombreux sont les pays qui
prennent conscience aujourd'hui que l'utilisation véritablement productive des
ressources disponibles, aussi maigres soient-elles, passe par un déplacement
des dépenses militaires vers les infrastructures de développement économique
et humain.
Il nous faut donc garder à l'esprit le fait que d'autres pays disposent des
mêmes avantages; des douzaines de pays comme le Canada sont maintenant en
mesure de faire profiter le reste du monde de leurs ressources naturelles,
bénéficient d'une mobilité sociale comparable et profitent des retombées
positives d'une économie civile. Et tous ces pays, qu'ils soient sur un
continent ou sur un autre, font face aujourd'hui, peut-être à des degrés
divers, aux mêmes enjeux socio-économiques, aux mêmes forces incontournables
de la mondialisation et de l'interdépendance; et dans ce contexte, chaque pays
a ses défis propres à relever et doit s'appuyer avant tout sur ses forces
stratégiques pour relever ces défis avec succès.
Une des grandes forces du Canada sur laquelle nous devons nous appuyer, et
que d'autres pays recherchent de plus en plus dans le contexte socio-économique
d'aujourd'hui, c'est le fait d'être une fédération. Plus que jamais nous
avons besoin de concilier le global et le local, et les régimes fédéraux
répondent à cette exigence. Les fédérations ont aussi l'avantage d'être
plus compétitives que les régimes unitaires, où souvent le centre étouffe
sous les responsabilités. Ce n'est pas un hasard si quatre des cinq pays les
plus riches au monde sont des fédérations : le Canada, les États-Unis,
l'Allemagne et la Suisse. Tout en étant généreuse et solidaire, la
fédération canadienne, qui est une des plus décentralisées au monde,
s'appuie sur ses forces locales, sur l'adaptation aux besoins de chaque région,
de chaque province du pays. Il y a trois ans, toutes les provinces étaient en
situation de déficit budgétaire. Chacune s'est attaquée à ce problème à sa
façon, avec ses propres forces et sa propre culture. La méthode du premier
ministre conservateur Klein n'a pas été nécessairement celle du premier
ministre néo-démocrate Romanow ni celle du premier ministre libéral McKenna.
Aujourd'hui, sept provinces ont atteint l'équilibre budgétaire ou font des
surplus. L'Ontario et le Québec travaillent elles aussi activement au
redressement de leurs finances publiques, chacune à sa manière.
C'est grâce au travail discipliné, au courage des citoyens du Canada et de
leurs gouvernements provinciaux et fédéral que nous sommes maintenant en
mesure d'affronter les grands défis sur des bases solides, avec des taux
d'intérêt qui n'ont jamais été aussi bas, un taux d'inflation quasi
inexistant, des finances publiques qui sont maîtrisées, le dollar canadien qui
reprend de la valeur. Nous savions que toute mesure visant à préserver nos
acquis et nos programmes sociaux serait vaine si nous ne remettions pas de
l'ordre dans nos finances publiques, et c'est ce que nous avons fait, comme vous
l'a abondamment illustré le sous-ministre de l'Industrie, M. Kevin Lynch.
Et les prévisions pour l'an prochain sont tout aussi encourageantes. Selon
la Banque du Canada, « l'économie canadienne dispose d'une marge de
capacités inutilisées suffisante pour que l'activité et l'emploi enregistrent
une forte croissance au cours de 1997 ». L'OCDE et l'Organisation mondiale
du commerce ont donné de très bonnes notes au Canada pour ses réformes qui
ont permis d'améliorer la performance de l'économie canadienne, au niveau
notamment de la diminution du taux d'inflation et de la réduction du déficit,
ce qui s'est traduit par des baisses successives des taux d'intérêt et par une
amélioration sensible de la compétitivité internationale du Canada. L'OCDE
prévoit pour le Canada une croissance de 3 % en 1997, et une moyenne de 3,4 %
entre 1997 et 2002.
Évidemment, ces pronostics encourageants supposent que nous continuions
d'améliorer notre fédération en nous appuyant de plus en plus sur nos forces
et sur notre potentiel. C'est ce à quoi le gouvernement fédéral s'active en
mettant en oeuvre son plan de réforme annoncé dans le discours du Trône de
février dernier, un plan qui vise à clarifier les rôles entre les deux ordres
de gouvernement, avec les réformes qu'on a pu voir dans des domaines aussi
variés que les mines, les forêts, le logement social, la main-d'oeuvre et
l'utilisation du pouvoir fédéral de dépenser. Ce que nous devons rechercher
avant tout, c'est un gouvernement fédéral fort dans ses champs de compétence,
des provinces fortes dans les leurs et un fort partenariat entre tous.
Le poids de l'incertitude
Toutes les conditions sont réunies pour nous permettre d'envisager l'avenir
du Canada et des Canadiens avec confiance. Alors que nous sommes en train de
remettre notre économie sur pied, de préparer les Canadiens à entrer dans le
XXIe siècle avec tous les outils dont ils ont besoin pour réussir, il est
irresponsable de la part du gouvernement du Québec d'entretenir l'incertitude
quant à une éventuelle sécession.
L'incertitude nuit à la bonne marche des affaires et de l'économie. Les
milieux d'affaires l'ont maintes fois répété, en particulier lors du dernier
Sommet socio-économique du Québec, lorsqu'il a été question de la relance de
Montréal. Tout en se réjouissant du fait que certains secteurs se portent bien
et que la métropole québécoise a tout pour réussir -- un esprit d'entreprise
vigoureux, une main-d'oeuvre de qualité, un capital de risque abondant, un
accès direct aux grands marchés -- ils ont fait valoir que Montréal était en
grande difficulté en tant que seule grande ville du Canada et des États-Unis
qui doit composer avec l'incertitude politique, ce qui a un impact important sur
sa compétitivité et donc sur la création d'emplois.
Et ce n'est pas seulement Montréal ou le Québec qui subit cette situation.
Vous-mêmes, dans votre rapport sur la compétitivité du Canada pour les
industries de la chimie, vous vous basez sur les facteurs de compétitivité
publiés par le Forum économique mondial, dans son rapport annuel sur la
compétitivité dans le monde, c'est-à-dire l'environnement économique et
fiscal, la fiabilité du milieu financier, l'infrastructure physique et humaine,
l'environnement de recherche et développement, l'internationalisation, et
d'autres critères de ce genre. Vous en concluez que le Canada est en très
bonne position malgré le taux de change défavorable et que les gouvernements
ont repris le contrôle de leurs finances publiques. Par contre, vous faites
ressortir, de votre point de vue d'investisseurs, l'incertitude socio-politique
qui entoure l'avenir du Québec au sein de la fédération.
Il n'y a rien de surprenant à ce que la menace d'une sécession soit une
source d'incertitude. Et ce n'est pas seulement vous et nous qui craignons cette
incertitude; le gouvernement indépendantiste du Québec l'a lui-même reconnu
à sa façon en révélant un « Plan O » selon lequel il était
prêt à puiser 19 milliards de dollars dans les économies des Québécois pour
tenter d'atténuer les effets d'un vote en faveur de la sécession. Il y a fort
à parier que le gouvernement Parizeau aurait échoué. Comme l'ont relevé le
ministre des Finances Paul Martin et mon collègue député de l'Assemblée
nationale Jean-Marc Fournier, des billions de dollars se transigent chaque jour
sur le marché des devises; l'expérience des autres pays dans les mouvements de
devises en situation de crise a démontré qu'une réserve de cet ordre n'aurait
pas pu empêcher ni même ralentir la dévaluation du dollar. Mais ce qui est
encore plus troublant, c'est que d'une part on mette en péril l'épargne des
Québécois pour un projet politique, et que d'autre part, à aucun moment
durant la campagne référendaire a-t-on dévoilé à la population québécoise
que ses économies seraient ainsi mises en jeu. C'est peut-être la pire des
fraudes intellectuelles que les leaders du OUI aient commises, et ça, nous ne
devons pas l'oublier.
Malgré l'incertitude palpable que la sécession nous impose, nous
continuerons à travailler en collaboration avec le gouvernement légitimement
élu par les Québécois, ainsi qu'avec tous les partenaires, pour redresser
l'économie du Québec. C'est ce que font notamment le ministre des Finances
Paul Martin, le ministre du Développement des ressources humaines Pierre
Pettigrew, le secrétaire d'État au Bureau fédéral de développement
régional Martin Cauchon ainsi que le ministre de l'Industrie John Manley, qui
prennent tous très à coeur la relance économique du Québec, de Montréal en
particulier.
Notre investissement remboursable de 87 millions de dollars à Bombardier en
est un exemple, cette entreprise montréalaise qui est un leader mondial et une
force économique de première importance pour le Québec et le Canada.
L'aéronautique est un secteur où les entreprises, pour rester compétitives,
doivent être à la fine pointe du progrès. Et même si Bombardier fait des
profits aujourd'hui, vous savez que ce n'est pas le genre d'industrie où on
peut dormir sur ses lauriers; la compétition est féroce, et les autres pays
soutiennent fortement leurs champions économiques, beaucoup plus que nous ne le
faisons ici.
Comme l'a dit le ministre Manley, nous ne laisserons pas tomber Montréal,
non seulement parce que nous voulons aider les Montréalais et les Québécois,
mais aussi parce que Montréal est un des principaux moteurs de l'économie
canadienne. Cet investissement remboursable sera profitable à tout le pays, et
nous sommes heureux de le faire à Montréal, une grande ville canadienne dont
le développement est aussi profitable à tout le pays. Le gouvernement
fédéral et les gouvernements provinciaux doivent travailler ensemble pour
renforcer la confiance et l'espoir chez tous les Canadiens; le Premier ministre
Jean Chrétien ne cesse de rappeler cet impératif.
Une des façons de contribuer à renforcer cette confiance et à réduire
cette incertitude -- même si ce n'est pas tout le problème, c'est au moins une
partie du problème -- serait de convaincre les Québécois qu'ils sont
pleinement acceptés et reconnus dans leur différence au sein du Canada. Je
souhaite que nous puissions convaincre les autres Canadiens d'envoyer aux
Québécois ce message positif de reconnaissance en leur disant : vous
êtes, avec votre culture et votre spécificité propres, une caractéristique
fondamentale de notre pays.
Si nous réussissons à faire passer ce message positif de reconnaissance de
la spécificité québécoise, nous aurons fait un pas important vers la
réconciliation et vers la stabilité politique. Mais ce n'est pas une démarche
que les gouvernements peuvent réaliser tout seuls, nous avons besoin de votre
aide. Vous êtes des gens d'affaires, des leaders d'opinion; vous pouvez
apporter beaucoup au processus de réconciliation nationale. Lorsque nous aurons
écarté toute menace de sécession, nous jouirons des meilleures conditions
possibles pour faire face aux défis qui baliseront notre entrée dans le
prochain siècle.
Les défis
Ces défis sont nombreux. Je pourrais vous parler du vieillissement de la
population ou de l'explosion démographique chez les communautés autochtones,
et des pressions socio-économiques que ces phénomènes entraînent.
Je pourrais vous parler longuement de la nécessité grandissante d'avoir une
main-d'oeuvre extrêmement qualifiée face aux technologies de pointe et à la
concurrence internationale. Il y a maintenant tellement de pays en
développement qui offrent de la main-d'oeuvre à bon marché que si l'on veut
se donner les moyens de rester compétitifs et continuer à offrir les salaires
et la qualité que nos normes canadiennes exigent, il faut former notre
main-d'oeuvre en conséquence. C'est pourquoi mon collègue le ministre Doug
Young a établi en mai dernier un cadre d'action que le ministre Pierre
Pettigrew négocie activement avec les provinces, avec beaucoup de succès j'en
suis certain.
Je pourrais vous parler également de la protection de l'environnement, qui
est un enjeu mondial, non seulement pour les citoyens mais aussi pour nos
industries, la vôtre en particulier. L'harmonisation environnementale est un
dossier clé à cet égard, et les gouvernements fédéral et provinciaux sont
en train de négocier une entente qui établira, entre autres, des mécanismes
visant à assurer la protection de l'environnement. Ce qui est important,
au-delà des questions de compétence, c'est que les gouvernements et les
entreprises travaillent ensemble, dans un souci d'efficacité, pour que les
générations présentes et futures aient accès à un niveau élevé de
qualité de l'environnement.
Je pourrais élaborer davantage sur le soutien à l'exportation, que nous
devons renforcer face à la mondialisation des marchés. Je sais que c'est un
secteur qui vous préoccupe et qui représente une part importante de votre
production. Quand il s'agit de conquérir de nouveaux marchés comme la Russie,
l'Asie ou l'Amérique centrale et du Sud, les ambassades des autres pays
exportateurs aident de façon très dynamique leurs entreprises. Au Canada, nous
nous efforçons d'en faire autant. Si vous avez des conseils à nous donner pour
que nos ambassades soient encore plus actives à cet égard, nous les
accueillerons avec grand intérêt. C'est une priorité pour le gouvernement du
Canada que de vous aider à exporter.
J'aurais pu m'attarder sur chacun de ces enjeux. Mais je tenais à vous
parler plutôt d'un autre enjeu extrêmement important, celui de notre union
économique. Et ce que je veux faire ressortir dans le temps qui me reste, c'est
la nécessité d'avoir une union économique solide entre Canadiens et de
diminuer les barrières interprovinciales et les obstacles que nous avons encore
en ce moment malgré notre Accord sur le commerce intérieur.
Même si le commerce international croît plus rapidement que le commerce
intérieur, on observe une tendance à la hausse dans les échanges
interprovinciaux. Ces deux tendances sont étroitement liées en termes de
compétitivité pour le Canada : pour maximiser notre potentiel
d'exportation à l'étranger, il est essentiel que nous soyons compétitifs et
efficaces au plan national. Pour vous donner un exemple du dynamisme de
notre union économique, je citerai l'étude de John Helliwell, de l'Université
de Colombie-Britannique, qui démontre qu'une province commerce en moyenne vingt
fois plus avec une autre province qu'avec un État américain, une fois pris en
compte les effets de la taille et de la distance.
Même à l'heure de la mondialisation des marchés, les frontières ont
encore de l'importance, et ce degré élevé d'intégration économique, nous le
devons au fait que nous partageons des institutions publiques communes : un
système bancaire intégré, une seule monnaie, un cadre régulateur commun et
des relations bien établies entre les provinces, les entreprises et les
individus. Et nous avons aussi quelque chose qui s'appelle la solidarité
nationale.
Nous devons donc maintenir notre union politique si nous voulons garder une
union économique forte. Et cette union économique doit être renforcée
davantage. Les barrières commerciales qui subsistent encore entre les provinces
nuisent à un des objectifs premiers de notre fédération, qui est d'assurer
une libre circulation des produits, des services, de la main-d'oeuvre et des
capitaux dans tout le Canada. De fait, elles affaiblissent notre union
économique et notre compétitivité internationale. La Chambre de commerce du
Canada estime que les obstacles au commerce intérieur coûtent au Canada 1 % du
PNB par année, soit près de 7 milliards de dollars.
L'Accord sur le commerce intérieur, qui est entré en vigueur en 1995, est
un des éléments clés de notre union économique et du renouvellement de la
fédération canadienne; les ententes qu'il contient s'appliquent à presque
tous les secteurs de l'union économique. Mais il y a encore trop d'obstacles
qui en limitent l'efficacité. Par exemple, nous pouvons faire beaucoup mieux au
niveau de l'harmonisation des normes partout au pays; les procédures de
règlement des différends pourraient être simplifiées et améliorées; et
l'application de l'Accord pourrait s'étendre davantage par l'utilisation de
règles commerciales compatibles avec nos engagements internationaux existants.
Pour cela, il nous faut la collaboration des provinces, et c'est dans ce sens
que mon collègue le ministre Manley tente de faire activer les choses. Il y a
des progrès, mais il devrait y en avoir plus et plus vite. Je sais que votre
industrie, comme d'autres d'ailleurs, comptent sur une union économique encore
plus forte et plus efficace pour renforcer leur compétitivité nationale et
internationale.
Conclusion
Voilà donc les grands défis que nous avons à relever ensemble pour que le
Canada continue de répondre aux aspirations de trente millions de Canadiens et
de bien des peuples dans le monde. Si notre pays est devenu un modèle de
réalisation humaine, c'est que notre fédération a démontré sa capacité de
s'appuyer sur ses forces et de s'adapter à l'évolution des enjeux nationaux et
globaux. Grâce au travail et à la persévérance des Canadiens et de leurs
gouvernements, nous avons remis de l'ordre dans nos finances publiques, et nos
entreprises peuvent maintenant compter sur un environnement économique plus
sain, plus favorable à la croissance et à la création d'emplois.
Les prévisions des économistes pour les deux prochaines années sont très
encourageantes, et nous pouvons envisager l'avenir du Canada avec confiance.
Mais nous devons regarder au-delà de nos forces traditionnelles et explorer,
tout comme vous le faites dans vos entreprises, de nouvelles voies qui vont
permettre à nos institutions de mieux servir les Canadiens. Les réformes que
le gouvernement fédéral est en train de mettre en oeuvre pour améliorer
encore notre fédération vont dans ce sens.
Je terminerai en disant qu'il y a deux interprétations à la crise politique
que nous traversons actuellement. Selon la première, l'existence d'un fort
mouvement séparatiste au Québec serait la preuve que la fédération
canadienne ne marche pas. Selon la deuxième, celle à laquelle j'adhère, la
fédération canadienne marche bien, même si elle peut être améliorée, et
elle fonctionnerait encore mieux si les Québécois et les autres Canadiens
décidaient résolument d'envisager ensemble, au sein d'une grande fédération
unie, les défis du prochain siècle. Nous n'aurions pas à subir les tensions
et les coûts de l'incertitude politique liée à une menace de sécession.
Cette menace ne disparaîtra pas d'elle-même; il faut convaincre les
Québécois et les autres Canadiens de se réconcilier. C'est une démarche qui
ne concerne pas seulement les gouvernements, elle vous concerne aussi, elle
concerne tous les Canadiens; nous avons tous une part de responsabilité dans
l'avenir de notre pays.
Le discours prononcé fait foi.
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