« Nos deux fédérations : une
évolution différente, des défis communs »
Notes pour une allocution devant le
Council of State Governments
Cleveland (Ohio)
le 10 décembre 1996
On ne peut imaginer les États-Unis et le Canada sous une forme autre que
fédérative. Le fédéralisme a bien servi nos deux pays par le passé. Le
fédéralisme est également la voie de l'avenir dans le contexte de la
mondialisation et des pressions qui s'exercent en faveur d'alliances plus
étendues d'une part, et d'une autonomie régionale accrue d'autre part. Le
fédéralisme a toute la souplesse voulue pour concilier ces deux pressions,
comme le reconnaissent de plus en plus de pays. En Europe, en particulier, mais
également ailleurs dans le monde, des États-nations se regroupent en entités
quasi fédérales pour répondre aux impératifs économiques mondiaux. Nous
avons la chance, au Canada et aux États-Unis, de bénéficier d'un système
fédéral que beaucoup de pays nous envient.
Mais le fédéralisme est plus qu'un avantage économique, il constitue une
éthique, un principe moral. De par leur structure même, les régimes
fédéraux aident les humains un peu partout sur la terre à vivre plus
harmonieusement. Cela est crucial dans un monde où l'on trouve, selon le
professeur Daniel Elazar de l'Université Temple de Philadelphie, quelque 3 000
groupes se reconnaissant une identité collective. Plus de 180 États souverains
au plan politique existent présentement, dont plus de 160 sont multiethniques
dans leur composition. La coexistence au sein d'un même État de voisins ayant
des racines culturelles différentes enseigne la tolérance aux gens et, par
conséquent, fait d'eux de meilleurs citoyens.
Le poète anglais John Donne a dit un jour qu'aucun homme n'est une île. Son
observation s'applique également aux cultures et aux peuples. On n'a rien à
gagner en s'isolant des autres et en se laissant dominer par la crainte et
l'incompréhension. Le fédéralisme nous permet d'unir nos forces pour
réaliser des projets qui profiteront à tout le monde, mais il est suffisamment
souple pour faciliter la pleine expression des identités régionales. En un
mot, nous sommes gagnants sur tous les plans.
Il suffit d'un coup d'oeil rapide aux fédérations du monde pour voir qu'il
n'y en a pas deux pareilles. Votre fédération est différente de la nôtre.
Son évolution est différente de la nôtre. Mais comme c'est le cas avec tous
les pays, nous avons certains défis communs à relever. Je vous entretiendrai
d'abord du passé, en décrivant les contrastes dans l'évolution de nos deux
fédérations. Puis, je discuterai de certains défis que nos deux fédérations
ont à relever présentement. Je n'aurais pas pu trouver meilleure tribune que
le Council of State Governments pour une discussion utile et stimulante sur ces
sujets. Je vous remercie de m'avoir invité ici aujourd'hui.
L'histoire de deux fédérations
L'expérience de nos deux pays devrait faire réfléchir ceux qui croient que
les constitutions sont l'alpha et l'oméga du développement d'une fédération.
Même si nos deux constitutions, qui comptent parmi les deux plus anciennes au
monde, n'ont guère changé dans leur forme écrite, nos deux fédérations ont
évolué considérablement. Cela montre que des transformations importantes sont
possibles sans changer un iota à la Constitution. Les constitutions évoluent
-- souvent de manière fondamentale -- grâce aux interprétations juridiques,
aux nouvelles conventions et à l'exercice (ou au non-exercice) des pouvoirs,
plutôt que grâce uniquement à des modifications en bonne et due forme. Les
États-Unis en sont un bel exemple, car ils ont évolué de manière
spectaculaire au fil des années. Pourtant, parmi les quelque 9 100
modifications qui ont été proposées depuis 1789, 26 à peine ont été
ratifiées. Au Canada, certains pouvoirs visant au départ à renforcer le rôle
du gouvernement fédéral -- tel que le pouvoir de désaveu et de réserve, qui
a permis au gouvernement fédéral d'abroger des lois provinciales -- sont
tombés en désuétude, même s'ils ont souvent été utilisés au XIXe siècle.
De nos jours, les ententes intergouvernementales et de nouveaux mécanismes de
concertation permettent une évolution appréciable sans nécessiter de
modifications à notre constitution.
Les constitutions fédérales ne sont donc pas des camisoles de force qui
nuisent au changement -- elles sont plutôt des cadres qui le favorisent. C'est
la raison pour laquelle les États-Unis et le Canada ont été en mesure
d'évoluer dans des directions très différentes. Les États-Unis sont devenus
beaucoup plus centralisés avec le temps, en dépit d'une Constitution
relativement décentralisatrice. Par contre, la Constitution du Canada était
centralisatrice au moment de la Confédération, mais de nos jours nous avons
une des fédérations les plus décentralisées qui soient.
L'esprit de la Constitution américaine était décentralisateur :
celle-ci accordait des pouvoirs limités au gouvernement national et confiait
les pouvoirs résiduels aux États. Sous le pseudonyme de Publius, James Madison
s'est senti obligé de démontrer qu'aucun des pouvoirs transférés au
gouvernement fédéral n'était inutile ni abusif. En revanche, au moment de la
Confédération en 1867, le partage des pouvoirs dans la Constitution canadienne
avait une forte tendance centralisatrice, notamment par l'attribution au
gouvernement fédéral du principal pouvoir résiduel, soit celui qui concernait
« la paix, l'ordre et le bon gouvernement ».
Les Pères de la Confédération canadienne ont voulu éviter ce qu'ils
considéraient comme une cause principale de la guerre civile américaine :
un gouvernement fédéral faible qui mettait l'accent sur l'autonomie des États.
Ils voulaient aussi assurer la sécurité nationale ainsi que des communications
et un développement économique à l'échelle du pays.
Mais malgré son caractère centralisateur, la Loi constitutionnelle de 1867
accordait des pouvoirs importants aux provinces, par exemple dans les domaines
de la langue, de l'éducation et du droit. Les fondateurs du Canada étaient
convaincus de pouvoir bâtir un pays ayant un gouvernement central fort sans
anéantir les cultures et les langues minoritaires, ni ce qui distinguait le
Québec et les autres régions. Ils étaient persuadés que les Français et les
Anglais pouvaient vivre côte à côte et travailler ensemble au renforcement de
la nation. Ces convictions sont l'un des plus grands héritages qu'ils nous
aient laissés.
Au départ, la fédération du Canada était donc beaucoup plus centralisée
que la vôtre. Aujourd'hui, pourtant, même s'il n'y a eu que quatre
modifications au partage des pouvoirs, notre fédération est à bien des
égards plus décentralisée que la vôtre. Voyons quelques indicateurs. Par
exemple en 1991, les dépenses fédérales, après les transferts
intergouvernementaux, représentaient 58,5 % du total des dépenses
gouvernementales aux États-Unis tandis qu'au Canada elles s'élevaient à 40,8
%. En comparaison, en 1961, au Canada, le pourcentage était de 49,7 %. En outre,
selon un spécialiste en fédéralisme comparé, le professeur Ron Watts de
l'Université Queen's en Ontario, environ 80 % des transferts fédéraux aux
États et aux administrations locales aux États-Unis sont des subventions
conditionnelles. Au Canada, par contre, pas moins de 76 % sont maintenant
inconditionnels. Comment expliquer ce paradoxe? Je crois que cinq facteurs
socio-économiques et institutionnels peuvent ensemble apporter des éléments
de réponse.
Premièrement, alors que le partage des pouvoirs aux États-Unis définissait
dès le départ plusieurs fonctions partagées, au Canada on insistait sur la
démarcation entre les responsabilités exclusives de chaque ordre de
gouvernement. Aux États-Unis, les pouvoirs fédéraux et les pouvoirs
concurrents sont définis expressément, mais la Constitution laisse de vastes
pouvoirs résiduels aux États sans les définir. Les tribunaux ont eu tendance
à interpréter ce qui est « implicite » dans les pouvoirs
fédéraux de manière aussi large que possible, ce qui, avec le temps, a
contribué à une centralisation accrue. En revanche, au Canada, où les
pouvoirs provinciaux et fédéraux sont définis explicitement dans la
Constitution, les tribunaux interprètent plutôt étroitement certains pouvoirs
fédéraux depuis la fin du XIXe siècle, de manière à élargir la sphère de
compétence provinciale. Plus tard, l'accent sur les compétences provinciales
dans les domaines « de la propriété et des droits civils » a
transformé ce pouvoir en une disposition résiduelle de remplacement.
Deuxièmement, la situation de nos principaux groupes minoritaires n'est pas
du tout la même. Dans votre pays, les minorités sont dispersées et aucun
groupe n'est suffisamment concentré dans un État donné pour y former la
majorité de la population. D'où le fait que vos minorités tendent à se
tourner vers le gouvernement fédéral pour qu'il défende leurs intérêts. Au
Canada, les francophones sont le plus important groupe minoritaire. Ils sont
surtout concentrés au Québec, deuxième province en termes de population, où
83 % de la population est francophone. Les Québécois francophones ont une
relation spéciale avec leur gouvernement provincial puisque c'est le seul
gouvernement où la majorité des représentants élus sont francophones. Bien
que le gouvernement du Québec ait parfois appuyé des mesures centralisatrices,
il se fait généralement le grand défenseur de l'autonomie provinciale. Cette
situation n'a pas d'équivalent aux États-Unis.
Troisièmement, aux États-Unis, les pouvoirs exécutif et législatif sont
séparés dans les deux ordres de gouvernement, tandis qu'au Canada, ces deux
pouvoirs sont fusionnés dans le système centré sur l'exécutif qui
caractérise le régime parlementaire. Par conséquent, aux États-Unis, les
divisions entre le président et le Congrès ont attiré l'attention. Au Canada,
le système s'est défini par les relations fédérales-provinciales bien
davantage que par le partage des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif.
Quatrièmement, il y a 50 États américains mais seulement 10 provinces
canadiennes. Cela signifie que chaque province a beaucoup plus d'influence sur
le gouvernement fédéral qu'un État américain ne peut en avoir. Le fait que
nos provinces sont moins nombreuses que vos États facilite également le
consensus entre ordres de gouvernement, grâce à des mécanismes comme les
conférences de premiers ministres, ainsi que les partenariats
fédéraux-provinciaux. Ainsi, il est plus facile pour les provinces de former
de fortes coalitions dans leur relation avec le gouvernement fédéral.
Enfin, les rôles différents des États-Unis et du Canada sur la scène
internationale ont eu des répercussions importantes sur le rôle de leur
gouvernement fédéral respectif sur la scène nationale. Le rang de
superpuissance des États-Unis et les dépenses militaires qui en découlent ont
attiré l'attention sur le gouvernement central. Le Canada, par contre, est une
puissance moyenne à l'échelle internationale. Notre gouvernement fédéral n'a
donc pas attiré autant l'attention.
Les défis communs
Par le passé, le fédéralisme a bien servi les intérêts de nos deux pays.
Il nous a aidés à devenir des chefs de file en matière de développement
économique et à connaître un excellent niveau de vie. Ce n'est sûrement pas
un hasard si quatre des cinq pays les plus riches au monde sont des
fédérations : le Canada, les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse. Il
faut maintenant se demander si le fédéralisme va continuer de bien nous servir
au XXIe siècle. Je suis persuadé que oui. Les régimes fédéraux ont
précisément l'avantage d'être assez souples pour s'adapter et évoluer
lorsque de nouvelles circonstances et de nouveaux défis l'exigent.
Il est évident que nos fédérations font face à un certain nombre de
défis. Je vous entretiendrai aujourd'hui de deux de nos principaux
défis : premièrement, la nécessité de mettre de l'ordre dans les
finances publiques tout en maintenant nos politiques sociales et deuxièmement,
la nécessité de sauvegarder l'unité en nous adaptant à notre pluralisme
culturel croissant.
Le défi des finances et de la politique sociale
C'est à tort qu'on a reproché au fédéralisme d'encourager les
dédoublements et les chevauchements, et de gonfler les dépenses
gouvernementales. Ce n'est tout simplement pas vrai. Une étude publiée par
l'OCDE en 1985 concluait que les dépenses gouvernementales par rapport au PIB
étaient en moyenne de quelque 7 % moins élevées dans les États fédérés
que dans les États unitaires. De plus, aujourd'hui, vous retrouvez parmi les
pays industrialisés les moins endettés des fédérations comme l'Australie et
la Suisse. Le fédéralisme n'augmente pas le risque d'endettement, mais ne
prémunit pas non plus les pays contre un tel fléau. Toutefois, si un État
fédéral a un problème d'endettement, il peut y faire face grâce à la
flexibilité inhérente au fédéralisme. Nos deux pays en sont un bon exemple.
Aux États-Unis, en 1986, le taux du déficit fédéral par rapport au PIB
était de 5,2 % mais tombera à 1,1 % en 1998. Pour ce qui est du Canada, le
taux du déficit fédéral par rapport au PIB était de 7,2 % en 1985-1986, mais
en 1997-1998, ce déficit ne représentera plus que 2 % du PIB. Par rapport à
nos besoins d'emprunt -- l'unité de mesure employée aux États-Unis -- notre
budget sera équilibré en 1998-1999. Les taux d'intérêt à court terme au
Canada se situent actuellement à 1,5 % au-dessous des vôtres. Dans certains
cas, nos efforts ont aussi profité directement aux provinces. Ainsi, la baisse
des taux d'intérêt entre janvier 1995 et juin 1996 a permis aux gouvernements
provinciaux de réaliser des économies cumulatives d'environ 1,3 milliard de
dollars. Par ailleurs, la souplesse de notre fédération a permis aux provinces
de procéder comme elles l'entendaient pour réduire leur déficit budgétaire,
et sept d'entre elles ont réussi à équilibrer leur budget ou à avoir un
excédent.
Les dirigeants de vos États et de nos provinces disent craindre que des
compressions budgétaires nationales donnent lieu à du délestage : aux
États-Unis par ce que vous appelez les mandats non financés, et au Canada par
des réductions des paiements de transfert. Vous n'aurez pas de difficultés à
trouver des premiers ministres provinciaux qui laissent entendre qu'il y a eu
délestage. Mais laissez-moi vous dire qu'entre 1994-1995 et 1998-1999, les
transferts tomberont de 10,5 % tandis que les dépenses des ministères
fédéraux diminueront de 21,5 %. De plus, les provinces ont été prévenues un
an à l'avance que de telles compressions seraient nécessaires. Les décisions
concernant les compressions budgétaires sont difficiles, mais je peux vous
assurer que malgré la nécessité de faire de telles compressions, le Premier
ministre Jean Chrétien, le ministre des Finances Paul Martin et notre
gouvernement avons choisi de réduire les dépenses de façon importante dans
des domaines comme les transports, afin de préserver nos programmes sociaux.
Nous nous assurons que ces compressions, lorsqu'elles s'avèrent nécessaires,
sont justes pour toutes les provinces.
Nous avons également répondu aux préoccupations manifestées au sujet de
l'usage du pouvoir fédéral de dépenser, qui permet au gouvernement fédéral
de verser des paiements aux gouvernements, institutions et particuliers même
dans des domaines en dehors de ses champs de compétence. La répartition des
responsabilités dans les fédérations touche le pouvoir législatif et non pas
le pouvoir de dépenser. Le pouvoir fédéral de dépenser utilisé dans les
champs de compétence des États membres existe dans toutes les fédérations.
Au Canada, c'est le pouvoir fédéral de dépenser qui, par exemple, est à la
source de notre système national de soins de santé, dont tous les Canadiens
sont si fiers. Néanmoins, les provinces soutiennent que la décision
unilatérale d'y recourir peut miner leur capacité de fixer leurs propres
priorités et de les mettre en oeuvre. Nous avons donc annoncé cette année que
le pouvoir fédéral de dépenser ne servirait plus à créer de nouveaux
programmes cofinancés dans des domaines de compétence provinciale exclusive,
sans le consentement de la majorité des provinces. Le gouvernement fédéral a
pris de son propre chef la décision sans précédent de limiter son pouvoir de
dépenser. Cette limitation reflète notre engagement à veiller à une
meilleure coopération et à des relations plus harmonieuses entre le
gouvernement fédéral et les provinces.
Dans les deux pays, nous assistons à une redistribution des responsabilités
et à une volonté de donner plus de latitude aux États et aux provinces. Vous
avez eu chez vous un débat vigoureux quant à la réforme de l'aide sociale,
où les États ont opté pour des approches nettement divergentes. Or, des deux
côtés de la frontière, la population veut des garanties que les normes de
base demeureront, et que les États et les provinces ne se mettront pas à
rivaliser d'ingéniosité pour offrir les politiques les plus chiches.
Au Canada, nous travaillons avec les provinces pour clarifier les rôles des
différents ordres de gouvernement, pour trouver des façons innovatrices de
mettre nos forces en commun et de bâtir de nouveaux partenariats. La formation
professionnelle et la pauvreté chez les enfants sont deux domaines
stratégiques où de réels progrès sont accomplis. D'ici 1999, nous aurons
transféré la gestion de toute la formation professionnelle financée par le
programme d'assurance-emploi aux provinces désireuses de relever ce défi.
Entre-temps, le gouvernement fédéral poursuivra ses efforts pour faire de la
mobilité des travailleurs canadiens un droit qui soit véritablement respecté,
et continuera d'offrir certains services comme le système national
d'information et d'échange sur le marché du travail. Vendredi dernier, nous
annoncions la première entente dans ce domaine entre notre gouvernement et
celui de la province de l'Alberta. Grâce à ces nouvelles ententes, nous
assouplirons considérablement un domaine de politique publique qui joue un
rôle crucial dans la nouvelle économie mondiale.
La pauvreté chez les enfants est un deuxième domaine où les gouvernements
canadiens sont en train de renouveler leur partenariat. Le Canada et les
États-Unis sont les deux pays industrialisés où les taux de pauvreté des
enfants sont les plus élevés, et je sais que nous cherchons tous sérieusement
des moyens de s'attaquer à ce problème. Aux États-Unis, votre nouvelle loi
sur la réforme de l'aide sociale confère aux États une souplesse accrue dans
la gestion des programmes destinés aux familles pauvres, tout en encourageant
la réinsertion des bénéficiaires dans le marché du travail. Au Canada, un
conseil interministériel fédéral-provincial sur la politique sociale, créé
cet été par les deux ordres de gouvernement, s'est entendu pour accorder la
plus grande priorité aux prestations pour enfants. Les ministres songent à
combiner la prestation fiscale fédérale pour enfants avec les prestations
d'aide sociale provinciales pour les enfants dans un nouveau programme mixte.
Le défi de l'unité et du pluralisme
Comme les États-Unis, le Canada est un pays très multiculturel. Le
pluralisme culturel deviendra une question de plus en plus présente pour les
deux pays. Le Canada est également un pays bilingue où le français et
l'anglais sont reconnus comme les langues officielles. Comme je l'ai mentionné
tout à l'heure, notre minorité la plus importante est concentrée dans une
seule province, le Québec. Cette situation a engendré un défi
supplémentaire, car elle a donné un élan à un mouvement sécessionniste.
Il est important que je mette en perspective le référendum de 1995 sur la
sécession du Québec. Je m'exprime en tant que Québécois et que Canadien,
très attaché à ses deux identités. Je suis extrêmement fier de ce que les
Québécois ont réalisé ensemble. Ils ont réussi à créer une société
dynamique, florissante et principalement francophone sur un continent où
l'anglais domine. Mais je suis aussi extrêmement fier de ce que les Canadiens
-- notre famille étendue -- ont réalisé ensemble. Ils ont bâti une société
où priment le respect de la diversité et la compassion.
La vaste majorité des Québécois pensent comme moi : ils sont fiers de
leurs deux appartenances. Ce que nous devons faire, en tant que gouvernement,
c'est montrer aux Québécois qu'ils n'ont pas à choisir entre les deux
identités auxquelles ils sont attachés. Nous devons leur montrer à quel point
l'identité québécoise et l'identité canadienne se complètent l'une l'autre.
En tant que gouvernement, nous devons en outre faire la démonstration que le
fédéralisme répond bien aux besoins des Québécois. Nous devons aussi
encourager les autres Canadiens à montrer à quel point le Québec est
important pour leur identité canadienne. La preuve est facile à faire dans le
premier cas. Nous travaillons à faire reconnaître par les Canadiens le
caractère particulier du Québec dans la Constitution pour démontrer le second
point. En attendant, le Parlement a adopté en décembre 1995 une motion
reconnaissant « que le Québec forme au Canada une société
distincte » de par sa « majorité d'expression française, [sa]
culture qui est unique et [sa] tradition de droit civil ».
Les Américains sont des amis du Canada. Une importante majorité
d'Américains appuie l'unité du Canada. Et je sais que s'ils veulent un Canada
uni, ce n'est pas uniquement pour des raisons économiques. Vous voulez un
Canada uni parce que vous ne voulez pas que le Canada donne au monde un mauvais
exemple, celui de la division, plutôt qu'un exemple positif, un exemple
d'unité. Je sais, pour la même raison, que tous les Canadiens -- les
Albertains pas moins que les Québécois, les habitants de la Nouvelle-Écosse
pas moins que les Manitobains -- doivent oeuvrer à la réconciliation. Il le
faut non seulement pour nous-mêmes et nos enfants, mais aussi pour les nombreux
autres peuples du monde entier qui voient une source d'espoir dans le Canada.
Beaucoup d'entre eux ne peuvent que rêver des avantages dont nous profitons
grâce au fédéralisme canadien. Ils veulent que le Canada continue à
véhiculer le bon message, à montrer au monde un modèle de cohabitation
harmonieuse.
Laissez-moi vous donner un exemple particulièrement à-propos, l'exemple
d'un pays qui vient de signer une nouvelle Constitution aujourd'hui, événement
important pour nous tous. Il s'agit de l'Afrique du Sud. À l'encontre du
Canada, l'Afrique du Sud n'a pas deux langues officielles importantes au plan
international, mais plutôt 11 langues officielles. De plus, contrairement au
Canada, l'Afrique du Sud n'est pas reconnue comme un des pays au monde où on
retrouve la meilleure qualité de vie. Ce pays sort de l'expérience odieuse de
l'apartheid. Grâce à la réconciliation et à un effort de cohabitation
harmonieuse des cultures, l'Afrique du Sud retrouvera graduellement la force
nécessaire pour relever les défis humains et socio-économiques qui
l'attendent. La seule solution pour les Sud-Africains c'est l'unité, pas le
morcellement. Un pays béni des dieux comme le Canada devrait être un exemple
non pas de rupture mais d'espoir pour l'Afrique du Sud.
Conclusion
Nos régimes fédéraux, qui nous ont si bien servis par le passé, font face
à d'importants défis à l'aube du XXIe siècle. Nos deux pays peuvent
s'inspirer de ce qui se fait ailleurs pour répondre à ces défis. Par nos
échanges commerciaux et tous nos autres types d'échanges, comme la rencontre
d'aujourd'hui, nous pouvons partager idées, solutions et rêves.
Le Canada est confronté à un défi unique : celui de la sécession.
Certains prétendent que l'existence d'un mouvement séparatiste au Québec est
la preuve que le Canada ne fonctionne pas. Je crois au contraire que le Canada
fonctionne bien. Notre fédération fonctionne bien, elle peut être améliorée
et sera améliorée si les Québécois et les autres Canadiens décident
résolument de travailler ensemble. Et nous choisirons de rester ensemble parce
que les forces de l'unité prévaudront. Je suis persuadé que nos deux
partenaires fédéraux de l'ALENA -- votre pays et le Mexique -- continueront de
pouvoir compter longtemps sur un Canada fédéral uni comme partenaire. Il ne
fait aucun doute dans mon coeur et mon esprit que le fédéralisme est la voie
de l'avenir.
L'allocution prononcée fait foi.
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