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Archives - Salle de presse

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« LA FÉDÉRATION JUSTE »

NOTES POUR UNE ALLOCUTION DEVANT LA CHAMBRE
DE COMMERCE DE TROIS-RIVIÈRES

TROIS-RIVIÈRES (QUÉBEC)

LE 21 AVRIL 1997


J'ai intitulé mon exposé «La fédération juste», et ce que je vais vous dire aujourd'hui, je l'ai dit, à peu de choses près, devant la Chambre de commerce de Calgary le 4 avril dernier. Il est important pour l'unité canadienne de dire la même chose partout au pays, et je suis prêt à démontrer partout au pays que le Canada est une fédération juste, autant envers les Québécois qu'envers les Albertains.

Notre fédération est fondée sur le partage et la solidarité. S'entraider dans les moments difficiles, encourager les initiatives des uns et des autres tout en partageant les mêmes objectifs communs de bien-être et de prospérité, voilà en quoi le Canada représente beaucoup plus que la somme de ses composantes; et c'est en restant ensemble que les Québécois et les Albertains se garantiront mutuellement un avenir meilleur.

La grande majorité des Canadiens estime que nous avons accompli ensemble quelque chose d'exceptionnel, à l'image des valeurs qui animent individuellement et collectivement notre société. Il n'y a pas que les Canadiens qui pensent cela puisque le Canada représente, pour bien des populations du monde, un idéal humain incomparable.

Mon allocution d'aujourd'hui porte sur l'équité entre les différentes provinces et régions de notre pays. Je crois que notre fédération est équitable et j'entends vous le démontrer. C'est aussi une fédération en constante évolution, et nous devons toujours chercher à l'améliorer et à la renforcer. Les jalousies interrégionales ne doivent pas nous empêcher de voir ce que le Canada nous apporte comme avantages.

Nos débats sur l'équité sont aussi vieux que notre fédération; peut-être sont-ils incontournables dans un pays où les gens sont aussi profondément attachés à l'idéal du partage. Selon un sondage d'opinion réalisé en octobre dernier, seulement 30 % des Canadiens pensent que le gouvernement fédéral traite toutes les provinces sur un pied d'égalité. Les sondages démontrent que les Canadiens vivant à l'extérieur du Québec pensent que nous sommes mieux traités que les autres, alors que les Québécois croient que l'Ontario est la province la plus choyée. Cet état de chose me préoccupe beaucoup, et je crois qu'il est de mon devoir de l'aborder ouvertement, en tant que ministre des Affaires intergouvernementales ayant une responsabilité particulière pour l'unité canadienne.

La jalousie interrégionale est un phénomène inhérent aux fédérations. Mais la situation que nous vivons au Canada est particulière en ce sens que notre fédération est menacée d'éclatement puisqu'elle est confrontée à une idéologie séparatiste qui favorise la méfiance, la division et l'envie entre concitoyens. Quand un groupe de députés arrive au Parlement du Canada avec le mandat de servir uniquement des intérêts particuliers touchant leur région, cela incite d'autres régions à élire des députés qui, eux aussi, cherchent à défendre leurs intérêts régionaux avant tout. C'est ainsi que se perd tout le sens d'une Opposition nationale vouée à la défense des intérêts du Canada dans son ensemble. Chaque grand parti politique fédéral doit être capable de concilier les différents intérêts régionaux, sans quoi les jalousies interrégionales continueront de s'intensifier, portées par des lobbies égoïstes. Il est essentiel pour l'avenir de notre pays que notre sens du partage et de la solidarité nous élève au-dessus de ces jalousies.

Si notre pays se démembrait en dix républiques repliées sur elles-mêmes, nous perdrions les avantages énormes que nous procure le fait d'être ensemble. En particulier, le filet de sécurité sociale s'affaiblirait considérablement dans la plupart des provinces, ce qui rendrait les conditions de vie très inégales d'une région à l'autre. La solidarité qui nous unit aujourd'hui se désagrégerait.

Sur la scène internationale, le Canada uni, son prestige, son réseau d'ambassades, voilà l'une des plus grandes portes d'entrée qui soient. Que le Canada soit le plus important partenaire commercial des États-Unis nous a permis de négocier l'ALÉNA d'une façon avantageuse pour nous tous. C'est parce que nous sommes ensemble que nous sommes membres du G7. C'est parce que nous sommes ensemble que nous sommes à la fois membres du Commonwealth et de la Francophonie, et qu'ainsi nous rejoignons plus facilement 980 millions d'êtres humains, avec lesquels nous transigeons de plus en plus. C'est parce que nous partageons ce pays avec la Colombie-Britannique que nous, du Québec, pouvons être membres du forum de Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), que le Canada préside cette année. Vous savez à quel point cela nous aide à percer les marchés asiatiques, qui sont les marchés les plus florissants en ce moment. Vous, de Trois-Rivières, vous êtes membres de l'APEC parce que vous partagez ce grand pays avec vos concitoyens de Vancouver. Plusieurs de vos entreprises ont d'ailleurs participé à la mission d'Équipe Canada de janvier dernier. S'il est une région dont l'économie est grandement tributaire des marchés internationaux, c'est bien la vôtre, que ce soit dans le secteur des pâtes et papier, du bois d'oeuvre, de l'aluminium ou du magnésium.

Donnez-moi un seul motif rationnel pour lequel vous devriez vous priver de l'entraide canadienne. Et pourquoi voter pour des partis comme le Bloc et le PQ qui veulent nous priver de cette entraide?

Voilà les avantages que nous avons acquis ensemble et que nous perdrions si le Canada devait se briser. La fédération canadienne est donc loin d'être un jeu à somme nulle. Chaque province a ses forces et son identité propres qui contribuent à la force et à la diversité de l'ensemble; chacune bénéficie, sous une forme ou sous une autre, de la grandeur et de la richesse de l'ensemble.

Prenons par exemple l'Alberta, la province la plus riche par habitant. Dans les années trente, nos grands-parents ont aidé l'Alberta encore plus touchée que nous par la Grande dépression. Aujourd'hui, c'est l'Alberta qui contribue aux paiements de péréquation versés à plusieurs autres provinces, incluant le Québec. Mais les Albertains savent que leur force particulière est plus étroite que l'ensemble canadien et que le marché mondial peut parfois jouer contre eux. En fait, il n'y a pas si longtemps, en 1986-1987, l'Alberta a reçu 419 millions de dollars dans le cadre du Programme de stabilisation fiscale parce que ses revenus avaient diminué par rapport à l'année précédente. C'était la deuxième province à bénéficier de ce programme, la première étant la Colombie-Britannique. C'est ça le Canada, une assurance-solidarité qui favorise notre économie et donne confiance aux investisseurs.

Peut-être que cette solidarité est plus manifeste dans les moments tragiques lorsque, à l'instar de n'importe quelle famille, nous nous serrons les coudes. On pense bien sûr à la tragédie du Saguenay, l'an dernier. Mais rappelez-vous aussi la tornade qui a frappé Edmonton en 1987.

L'équité interprovinciale

Comment les Canadiens pensent-ils que notre sens du partage devrait agir sur le fonctionnement de notre fédération? D'après une étude réalisée en 1995 par les Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, seulement 10 % des Canadiens croient que l'on devrait réduire ou éliminer les dépenses gouvernementales dans les régions plus pauvres; 60 % estiment que les Canadiens sont en droit de s'attendre à un niveau minimum de service, quelle que soit la région où ils vivent. Un sondage CROP et Insight effectué en octobre 1996 révèle que 70 à 80 % des citoyens du pays sont satisfaits de voir que le régime fédéral permet un partage de la richesse entre les provinces.

Notre fédération est fondée, comme disait Georges-Étienne Cartier, l'un des pères de la Confédération, sur la parenté des intérêts et des sympathies de nos diverses collectivités. Le professeur Thomas Courchene, de l'Université Queen's, a déjà souligné que la notion de péréquation remontait à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Il donne comme exemple les subventions spéciales alors accordées à la Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick en raison de leurs besoins financiers particuliers.

En 1937, un grand pas a été franchi vers l'équité interrégionale. Cette année-là, la Commission Rowell-Sirois recommanda que les arrangements de transferts fédéraux soient officialisés dans un régime de «subventions nationales de rajustement» destinées aux provinces les plus pauvres. En 1957, le Canada adopta un programme officiel de péréquation axé sur ce principe. En 1982, on jugea le principe de la péréquation assez important pour l'intégrer à l'article 36 de la Constitution afin de «donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables.»

Nous avons réalisé beaucoup de choses ensemble, voilà ce qui devrait retenir notre attention, et non les jalousies interrégionales.

Les jalousies interrégionales des années 1990

Vous devriez écouter de temps en temps la période de question à la Chambre des communes. Parce que le spectacle qui se déroule devant nous, du gouvernement, est assez affligeant. Jour après jour, les députés du Bloc se lèvent et présentent le Québec comme une minorité assiégée face à une majorité qui lui est hostile et insensible. Les dirigeants bloquistes ne cessent de présenter le Québec comme la victime systématique des «injustices du gouvernement fédéral». Et alors les députés du parti réformiste se lèvent et présentent au contraire le Québec comme un enfant gâté qui vit aux dépens du reste du pays, en particulier des provinces de l'Ouest.

Prenons, par exemple, la façon dont ils ont traité la question difficile du sort de la compagnie aérienne Canadien. Les dirigeants du Bloc ont prétendu que, parce que son siège était à Calgary, on allait tout faire pour sauver cette compagnie, aux dépens bien sûr d'Air Canada, dont le siège est à Montréal. Le Parti réformiste a dit, au contraire, que nous étions indifférents à la compagnie Canadien et qu'on aurait «volé» au secours d'Air Canada.

Autrement dit, les députés bloquistes veulent une seule compagnie aérienne pour deux pays, et les réformistes, eux, sont contre toute subvention aux entreprises, sauf pour la compagnie Canadien. Assis les uns à côté des autres, ils surenchèrent dans la jalousie.

Imaginons que je suis Preston Manning...

Il est important que vous entendiez ce qui se dit dans l'Ouest, que vous compreniez que là aussi il y a des forces de jalousie à l'oeuvre, même si les doléances exprimées peuvent comporter parfois une part de vérité. Je ne dis pas que les doléances exprimées sont toutes non fondées; je ne dis pas que le gouvernement fédéral a toujours pris, depuis le début de la Confédération, des décisions justes pour tout le monde. Mais je dis qu'il n'y a pas eu de discrimination systématique envers l'une ou l'autre des provinces ou régions du Canada. Bien que certaines des revendications de l'Ouest ou du Québec puissent être fondées, personne n'est brimé, et les Québécois ne sont ni les victimes ni les enfants gâtés de cette fédération. Dans un cas comme dans l'autre, les jalousies interrégionales occupent bien trop de place dans nos débats sur l'équité.

Imaginons deux scénarios : celui du Parti réformiste et celui du Bloc. Dans le premier, j'incarne le chef réformiste, M. Preston Manning. Je me plains que, et je cite M. Manning textuellement : "Under the current equalization form [...] the net effect of it is that you got about three provinces carrying seven", c'est-à-dire que l'Alberta, la Colombie-Britannique et l'Ontario font vivre les sept provinces les moins avantagées, notamment par le biais de la péréquation. Toujours dans la peau de M. Manning, je dénonce le fait que le gouvernement du Canada délaisse l'Ouest, que c'est une région qu'il ne comprend pas. Je dis, et je cite encore M. Manning : "About the only time the government recognizes B.C. or Alberta is when it comes time to extract money" , c'est-à-dire que quand les économies de la Colombie-Britannique et de l'Alberta sont en difficulté, elles sont laissées à elles-mêmes, mais lorsque ça va bien pour elles, elles se font exploiter au profit de l'Est et du Centre du pays.

Qu'en est-il au juste? Les provinces moins bien nanties sont-elles un boulet pour l'Alberta et la Colombie-Britannique, comme Preston Manning l'a soutenu dernièrement à Winnipeg? Prenons d'abord la péréquation. Ces paiements sont calculés rigoureusement selon des formules convenues par les partenaires de la fédération. À la base, on compare les recettes qu'une province pourrait tirer avec des taux d'imposition moyens nationaux à une norme représentative (fondée sur la capacité fiscale du Québec, de l'Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique). Si le total des recettes qu'une province est capable de tirer est inférieur à cette norme, le revenu par habitant est relevé au niveau de la norme au moyen des paiements de péréquation fédéraux.

Pris hors-contexte, les chiffres en cause peuvent sembler inéquitables. Par exemple, en 1996-1997, les Terre-Neuviens ont reçu en moyenne 2 520 dollars par personne grâce aux principaux transferts fédéraux de fonds et d'impôt, contre en moyenne 1 469 dollars au Québec et 816 dollars en moyenne en Alberta. Mais, prenez-ces chiffres dans leur contexte : en 1997, l'Alberta viendra en tête des PIB par habitant avec 33 353 dollars, tandis que le PIB par habitant de Terre-Neuve se situera à 17 785 dollars, soit deux fois moins que celui de l'Alberta; pourtant, les Terre-Neuviens ne recevront que 1 704 dollars de plus par habitant en transferts fédéraux.

Ce qui serait inéquitable pour les Terre-Neuviens, pour les Québécois et pour les Canadiens des autres provinces bénéficiaires, c'est qu'il n'y ait pas de péréquation fédérale.

C'est la même chose pour le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, une enveloppe unique qui a remplacé le Régime d'assistance publique du Canada et le Financement des programmes établis. Ce régime est-il inéquitable, comme le laisse entendre M. Manning? Peut-on l'améliorer? Lorsque nous l'avons restructuré, nous avons tenu compte des suggestions des différents gouvernements provinciaux afin qu'il soit plus équitable. La répartition des fonds entre les provinces sera donc rajustée graduellement afin de mieux tenir compte de la distribution de la population des provinces. Par exemple, nous nous sommes donné jusqu'à l'exercice 2002-2003 pour réduire de moitié les disparités par habitant.

Le gouvernement du Canada ne néglige pas les intérêts de l'Alberta, ni ceux de la Colombie-Britannique, contrairement à ce que laisse croire M. Manning. L'Ouest a longtemps bénéficié de nombreuses mesures de développement régional, par exemple de subventions pour le transport du grain, ainsi que de fonds pour les lignes secondaires et l'achat de wagons-trémie. Et, comme je l'ai mentionné précédemment, la Colombie-Britannique et l'Alberta ont été les deux premières provinces à profiter du Programme de stabilisation fiscale. Différentes initiatives du gouvernement fédéral, que ce soit au chapitre des allégements fiscaux, des négociations commerciales multilatérales ou d'autres interventions, ont profité et profitent toujours aux provinces de l'Ouest. Le mois dernier encore, nous avons réglé la question du financement équitable des immigrants, qui était un dossier particulièrement important pour la Colombie-Britannique. Voilà un excellent exemple de notre approche consistant à régler graduellement les doléances régionales, et de ce qui a été, comme l'a fait observer le premier ministre Clark, une victoire pour la Colombie-Britannique et une victoire pour le Canada.

Imaginons que je suis Gilles Duceppe...

Maintenant que j'ai répondu aux doléances de M. Manning et de l'Ouest, je passe au deuxième scénario : imaginons pour un moment que je m'adresse à vous en tant que chef du Bloc, Gilles Duceppe -- faites cet effort surhumain d'imagination. En vérité, je vous le dis, si le Québec est moins riche que la moyenne canadienne, c'est que les décisions qui sont prises par Ottawa sont systématiquement contre le Québec. Lisez le document de travail du congrès du Bloc de 1997, intitulé Ensemble le défi, ça nous réussit. Vous y trouverez toutes les preuves. Vous lirez, dans la première partie, qu'au cours des trois dernières décennies le gouvernement fédéral a pris plusieurs décisions «historiques» qui ont eu des répercussions néfastes sur l'économie québécoise.

Si vous poursuivez votre lecture, vous apprendrez que la répartition des dépenses fédérales est inéquitable envers le Québec. Oui, le Québec est bel et bien la victime des discriminations systématiques de la majorité anglophone contre sa province francophone.

Je n'en peux plus d'être Gilles Duceppe, laissez-moi redevenir Stéphane Dion! Commençons par passer en revue les décisions dites «historiques» qui auraient été anti-Québec, selon les dirigeants du Bloc.

Les décisions dites «historiques» du gouvernement fédéral

La ligne Borden

Selon les prétentions exprimées dans le document du Bloc, la décision, en 1963, d'établir la ligne Borden a favorisé le développement des raffineries en Ontario, au détriment du Québec. On se souviendra que la ligne Borden a été établie pour favoriser la création d'une industrie pétrolière domestique par le développement d'un marché pour le pétrole brut de l'Ouest canadien. De sorte que toutes les raffineries situées à l'ouest de la vallée de l'Outaouais devaient obligatoirement acheter le pétrole brut de l'Ouest canadien à un prix plus élevé que les prix internationaux. Loin d'être victime de discrimination, le Québec pouvait continuer d'importer du pétrole brut au prix international, qui était moins élevé. Les raffineries de Montréal disposaient donc d'un net avantage concurrentiel.

En 1970, lorsque, pour la première fois, le prix international du pétrole a surpassé le prix domestique, on a commencé à se préoccuper sérieusement de l'accès aux sources internationales de pétrole. On a donc aménagé un pipe-ligne entre Sarnia et Montréal pour s'assurer que le Québec ait accès à du pétrole brut. La ligne Borden fut abolie en 1973. Il est vrai que certaines raffineries montréalaises ont fermé leurs portes dans les années 1970 et 1980, mais pas à cause de la ligne Borden. Le même phénomène s'est aussi produit ailleurs, en raison de facteurs économiques, en particulier la crise du pétrole, qui a provoqué une chute spectaculaire de la demande.

Le Pacte de l'automobile

Le Pacte de l'automobile conclu avec les États-Unis en 1965 a permis de concentrer la fabrication de voitures en Ontario, au détriment du Québec. C'est la prétention du Bloc. Ce qu'il omet de mentionner, c'est que le Pacte de l'automobile ne précise pas où les constructeurs doivent installer leurs usines; il fournit simplement un cadre général destiné à encourager la production au Canada, sans favoriser une région plus qu'une autre. Le gouvernement fédéral n'exerce aucun contrôle sur la géographie économique américaine, ni sur les décisions du secteur privé de s'installer à tel ou tel endroit, et encore moins sur le fait que Détroit, la ville par excellence de l'industrie de l'automobile, est située tout près de la frontière sud de l'Ontario, et non de la frontière du Québec.

Il est faux de prétendre que, parce que l'Ontario a bénéficié du Pacte de l'automobile, le Québec en a souffert. Les développements économiques positifs dans une province ne sont pas nuisibles aux autres provinces. Il faut mentionner aussi deux choses : la première, c'est que sans le Pacte de l'automobile, les prix auraient été plus élevés à la grandeur du Canada et l'industrie canadienne de l'automobile serait beaucoup moins développée qu'aujourd'hui; les consommateurs canadiens, y compris ceux du Québec, auraient été les premiers perdants. La deuxième, c'est qu'en 1996, les exportations d'automobiles représentaient la plus grande partie (30 %) des exportations canadiennes vers les États-Unis; les retombées économiques ne profitent pas seulement à l'Ontario; l'usine de Sainte-Thérèse, où la GM investira vraisemblablement plusieurs centaines de millions de dollars au cours des cinq prochaines années, en est un excellent exemple, tout comme l'industrie québécoise de pièces d'automobiles, qui est florissante.

Le transport aérien

Toujours selon le document du Bloc, la décision du gouvernement fédéral, en 1986, de cesser d'obliger les transporteurs étrangers à desservir Mirabel pour obtenir le droit d'atterrissage à Toronto a été prise au détriment du Québec. L'obligation qui avait été imposée à l'origine aux transporteurs aériens internationaux de desservir l'aéroport de Mirabel pour pouvoir atterrir à Toronto s'est révélée contre-productive puisqu'elle éloignait les transporteurs concernés, non seulement de Montréal, mais du Canada dans son ensemble. Les grands transporteurs internationaux ne veulent pas qu'on leur impose des barrières d'entrée; ils veulent choisir les endroits qu'ils vont desservir en fonction de leurs études de marché. Plutôt que de les forcer à desservir un aéroport en particulier, le gouvernement et les dirigeants locaux doivent convaincre ces transporteurs que le service est efficace et potentiellement rentable.

Quant à l'opération, à la gestion et au développement des aéroports, le gouvernement fédéral en a confié la responsabilité aux autorités locales qui sont plus à même de répondre aux besoins particuliers de leur aéroport et des communautés qu'elles desservent. Même si le gouvernement fédéral et les autorités locales font des projections de trafic aérien, personne ne peut garantir ces chiffres. Le niveau d'activité est déterminé par les usagers et par le public voyageur. Au cours des quatre dernières années, Aéroports de Montréal a investi 140 millions de dollars en infrastructure, et prévoit des investissements de 190 millions de dollars au cours des cinq prochaines années, ce qui permettra de créer 800 emplois.

L'industrie ferroviaire

Toujours selon le document du Bloc, le gouvernement du Canada a tout fait pour favoriser le transport ferroviaire dans l'Ouest, alors qu'il a laissé le réseau québécois tomber en désuétude et se faire démanteler.

La restructuration du réseau ferroviaire a été rendue nécessaire, dans l'intérêt de tous les Canadiens, pour faire face à la concurrence croissante des États-Unis d'une part et des autres modes de transport d'autre part. L'Est du Canada n'est d'ailleurs pas la seule partie du pays où des lignes ont dû être abandonnées; il y en a eu également en Colombie Britannique.

La privatisation du CN a fait en sorte que cette compagnie est maintenant assujettie aux règles du marché, tout comme le CP. En se restructurant comme il est en train de le faire, le CN se place dans une perspective de croissance à long terme, ce qui en fera une solide société de transport montréalaise.

Regardons maintenant l'industrie du transport dans son ensemble. Depuis le début de l'histoire du Canada, le gouvernement a investi des milliards de dollars dans la construction d'infrastructures de transport à travers le pays. C'est ainsi qu'il a contribué de façon substantielle à l'expansion de l'économie canadienne, notamment à l'essor du secteur manufacturier québécois. Si le train était un mode de transport indispensable pour l'Ouest du pays, le Québec, pour sa part, avait une alternative : la voie maritime du Saint-Laurent. En 1959, le gouvernement du Canada a investi 320 millions de dollars dans les cinq écluses du tronçon Montréal-Lac Ontario, dont 85 % dans les quatre plus grosses écluses, qui sont situées au Québec. D'autres investissements ont suivi dans l'aménagement de canaux, dans le déplacements d'îles et dans la construction et la gestion de ponts. En fait, le gouvernement fédéral subventionne encore les ponts Jacques-Cartier et Champlain, à Montréal, ce qui représente un coût de 40 millions de dollars par année.

Si le Bloc suit son raisonnement, il devrait trouver injuste que l'Ouest ne reçoive pas sa part de dépenses de développement de la voie maritime du Saint-Laurent. Vous admettrez qu'on est loin d'un raisonnement logique!

Les décisions du gouvernement Chrétien

Le document du Bloc dénonce également «quelques décisions du gouvernement Chrétien» sous prétexte qu'elles risquent de nuire à l'économie du Québec.

Une commission nationale des valeurs mobilières

Le document en question affirme que le projet d'instauration d'une commission nationale des valeurs mobilières ferait disparaître une bonne partie du centre financier montréalais. C'est un argument qui ne tient tout simplement pas.

Une commission canadienne des valeurs mobilières serait un organisme à participation volontaire; le gouvernement du Québec ne serait donc pas obligé d'y adhérer. Cette commission nationale travaillerait en collaboration avec les commissions des provinces non participantes. Les entreprises du Québec qui souhaitent réunir des capitaux ailleurs au Canada auraient l'avantage de n'avoir à s'inscrire qu'une fois à l'extérieur du Québec au lieu de onze. Les marchés de capitaux et les entreprises du Québec bénéficieraient donc de l'établissement d'une commission nationale des valeurs mobilières même si leur gouvernement provincial ne voulait pas y participer.

Les services de la Garde côtière

La nouvelle tarification des services de la Garde côtière canadienne est une décision qui, encore selon les prétentions du Bloc, aura des répercussions néfastes sur la compétitivité des ports du Saint-Laurent, notamment celui de Montréal.

On se rappellera que dans son budget de 1995, le gouvernement du Canada a annoncé que les services d'aide à la navigation et de brise-glace de la Garde côtière canadienne seraient assujettis à une politique de recouvrement des coûts des services. Selon une étude d'impact économique effectuée pour le compte du gouvernement du Canada, l'incidence moyenne de cette tarification au cours des deux prochains exercices financiers sera minimale, soit à peine 0,09 % de la valeur des marchandises expédiées et 1,3 % des coûts de transport.

Le ministre de Pêches et Océans. M. Fred Mifflin, a réagi, le 20 mars dernier, à l'étude d'impact et a annoncé des changements à la structure tarifaire en passant d'une tarification basée sur les coûts directs des services plutôt que sur les revenus anticipés. Le Ministre s'est aussi engagé à travailler en étroite collaboration avec les intervenants de ce secteur afin d'établir les principes qui régiront les structures tarifaires et les niveaux de service pour chaque région. La tarification des services de brise-glace, quant à elle, a été reportée jusqu'en 1998-1999, ce qui atténuera d'autant les répercussions sur les régions qui, comme le Québec, dépendent de ce service. Ce qu'il est important de retenir c'est que le principe du recouvrement des coûts vise à réduire le fardeau fiscal des contribuables canadiens tout en continuant d'assurer le fonctionnement sécuritaire et efficace des voies maritimes du pays.

Énergie Atomique du Canada (EACL)

Le document du Bloc fait état de la décision d'Énergie Atomique du Canada (EACL) de transférer 26 postes de Montréal à Mississauga et prétend que cela risque de provoquer le déclin de Montréal comme centre d'expertise dans le domaine nucléaire.

Le déplacement des 26 postes d'EACL de Montréal à Mississauga fait partie d'une grande restructuration interne visant à faire du Canada un chef de file mondial dans le domaine des réacteurs nucléaires. Cela nuira-t-il au secteur québécois du nucléaire? Pas du tout. En fait, le secteur québécois bénéficie en moyenne de retombées de l'ordre de 100 à 150 millions de dollars lors de la vente d'un réacteur CANDU à l'étranger. Il est donc dans l'intérêt du Québec que EACL devienne le plus concurrentiel possible.

Les dépenses fédérales

La deuxième partie du document du Bloc dénonce «un déséquilibre dans les dépenses du gouvernement fédéral, déséquilibre qui ne penche jamais en faveur du Québec». Il y aurait, selon les prétentions du Bloc, un «manque à gagner dans les dépenses structurantes, et un surplus dans les dépenses compensatoires». Le Bloc fait valoir que ces deux types de dépenses ont des conséquences différentes sur la structure économique et industrielle d'une économie, et que même en tenant compte du surplus de dépenses «compensatoires» qu'il reçoit, le Québec est encore le grand perdant.

Ce que le document omet de préciser, c'est que les paiements de péréquation fédérale que reçoit le Québec au titre de dépenses «compensatoires» ne sont pas conditionnels. Le gouvernement du Québec est libre de dépenser ces montants comme bon lui semble; il pourrait investir dans des secteurs structurants de l'économie, comme la R & D, par exemple. Il a donc toute la liberté voulue pour poursuivre ses propres objectifs, grâce à la souplesse de notre fédéralisme.

Le Bloc oublie étrangement de donner le tableau d'ensemble. Ce tableau montre que le Québec est aidé en tant que province dont la richesse est actuellement moindre que la moyenne nationale. En 1994, dernière année pour laquelle les données sont disponibles, les dépenses fédérales au Québec se sont élevées à 24,5 % alors que les Québécois ont contribué pour 21,4 % des revenus du gouvernement du Canada. (Comptes économiques provinciaux: 1961-1995, Statistique Canada, 1996).

Les dépenses dites «structurantes»

Le document du Bloc qualifie de «structurantes» les dépenses de biens et services et les dépenses d'investissement. Les termes «dépenses structurantes» pour qualifier les dépenses fédérales courantes en biens et services sont trompeurs. Ces dépenses sont de consommation courante et non d'investissement; elles ne s'inscrivent pas dans les objectifs de croissance économique et de création d'emplois à long terme.

Les dépenses fédérales courantes varient selon la structure de chaque économie provinciale; elles ne sont pas réparties en fonction de la part de population de chaque province. Le Bloc se plaint que le Québec a reçu seulement 20 % des dépense fédérales en biens et services en 1994. En Colombie-Britannique, par exemple, ces dépenses représentaient 8,8 % en 1994, selon les dernières données disponibles, alors que la part de la population de cette province était de 12,7 %. La Nouvelle-Écosse reçoit plus que sa part de population (6,8 % des dépenses fédérales pour une part de population de 3,2 %), principalement à cause des dépenses en défense navale. Son surplus apparent relève de la logique et de l'efficacité, et non du favoritisme.

Les dépenses d'investissement

Au chapitre des dépenses d'investissement, le document du Bloc prétend que le Québec n'a reçu que 18,6 % des investissements fédéraux. Le Bloc a évidemment utilisé des chiffres qui servent sa cause. Si on regarde les Comptes économiques provinciaux, c'est une autre histoire : on constate qu'en 1994, dernières données disponibles, le Québec a reçu 22,5 % des investissements totaux du gouvernement du Canada, ce qui n'est pas très loin de sa part de population (24,7 %). L'Ontario, avec une population de 37,4 %, a reçu, pour sa part, 34,6 % des dépenses fédérales d'investissement. On ne peut pas dire que le Québec est victime de discrimination.

Si on regarde, par exemple, les investissements fédéraux ici dans la région du centre du Québec, entre 1984 et 1995, le Bureau fédéral de développement régional (Québec), actuellement sous la responsabilité de mon collègue Martin Cauchon, a versé près de 161,5 millions de dollars dans 685 projets. Le gouvernement du Canada est un partenaire important dans la région, qui compte des secteurs d'activités économiques et institutionnelles stratégiques, comme, par exemple, l'Institut de recherche sur l'hydrogène (R & D), la seule usine de fabrication de lactulose en Amérique du Nord, la Corporation Canlac (produits pharmaceutiques), la société Disque Amérique Inc., l'usine CDM laminés Inc. Sans compter l'impact de quelque 400 millions de dollars que représente la présence de douze organismes fédéraux dans la région.

Les dépenses en R & D

Le chef du Bloc répète à qui veut l'entendre que «depuis que les statistiques existent, jamais le Québec n'a eu sa juste part de dépenses fédérales en recherche et développement.» Pourtant, selon les données de Statistique Canada, la part des dépenses fédérales en R & D effectuées au Québec, qui était de 19 % en 1984-1985, a augmenté à 23,8 % en 1994-1995, ce qui est près de notre poids démographique (24,7 %) et supérieur à notre part dans l'économie canadienne (22,4 %). Ces données incluent les laboratoires situés dans la région de la capitale nationale, comme par exemple le Conseil national de recherche, dont la vocation n'est pas lucrative mais plutôt auxiliaire, c'est-à-dire qu'il aide à la recherche partout au pays. Le Québec a largement tiré parti, depuis les 20 dernières années, des initiatives du gouvernement du Canada visant à décentraliser les installations de R & D. Si on s'en tient aux seules dépenses qui sont distribuées sur une base régionale, la part du Québec est encore plus intéressante : les entreprises québécoises reçoivent 40,2 % des subventions et 42,8 % des contrats fédéraux pour la R & D, les universités québécoises, quant à elles, reçoivent 27,6 % des sommes distribuées aux universités canadiennes . Qui plus est, près de 70 % des investissements du programme Partenariat Technologique Canada sont allés au Québec jusqu'à maintenant. Qu'on ne vienne pas me dire que le gouvernement du Canada néglige les secteurs de pointe au Québec. (Source : Bulletin de service statistique des sciences, Statistique Canada, Vol. 20, no 8, pages 1 à 5)

Les fonctionnaires dans l'administration publique

Selon les arguments invoqués dans le document du Bloc, le Québec subit une «iniquité» de plus de 20 000 emplois fédéraux au Québec parce que seulement 19 % des effectifs de l'administration publique fédérale sont au Québec.

Si le gouvernement fédéral est moins présent au Québec que dans d'autres provinces, ce n'est pas une preuve d'injustice envers notre province. C'est simplement parce que notre gouvernement provincial a obtenu, par des ententes particulières, la prise en charge de certains domaines qui, ailleurs au pays, relèvent du fédéral. Par exemple, le Québec a sa police provinciale; il perçoit son impôt provincial sur le revenu des particuliers; il sélectionne lui-même ses immigrants, les accueille et les intègre à la société. C'est ce qui explique, en partie du moins, pourquoi l'administration publique québécoise représente au moins 30 % de tout le secteur public provincial du pays.

Quand l'entente de principe Canada-Québec sur le marché du travail entrera en vigueur, quelque 1 000 employés fédéraux deviendront des fonctionnaires provinciaux. Le pourcentage d'emplois du secteur public fédéral au Québec diminuera d'autant. Si on suit la logique des dirigeants bloquistes, c'est une mauvaise nouvelle!

La part de 19 % que les Québécois occupent dans l'administration publique fédérale est donc loin d'être discriminatoire à l'égard du Québec. Cette situation reflète le statut particulier que le Québec a acquis dans les faits. Et, parlant de dépenses structurantes, si on tient compte des entreprises gouvernementales à vocation commerciale qui engendrent de telles dépenses, c'est 23,7 % de tous ces emplois qui sont au Québec.

Les arguments d'iniquité avancés par les dirigeants bloquistes manquent de cohérence. Ils s'appuient plus souvent qu'autrement sur des données partielles qui servent les intérêts séparatistes qu'ils défendent.

Équité ne veut pas dire uniformité. Le gouvernement du Canada ne peut pas distribuer les dépenses entre les provinces sur une base égale par habitant; ce serait irrationnel et inefficace. Ce serait confondre justice et nivellement. Suivons un instant la logique que les dirigeants du Bloc appliquent dans le cas du Québec, à savoir que la «juste part» doit être toujours égale au poids démographique de notre province, soit en gros le quart des dépenses fédérales. Tant qu'à faire, donnons à la Saskatchewan l'équivalent de son poids démographique en dépenses pour les pêcheries! Vous voyez l'illogisme.

Quelles que soient les doléances d'une province ou d'une autre, l'équité et la solidarité demeurent les principes fondamentaux dans l'évolution de notre fédération; pas une seule province canadienne ne peut se plaindre d'être une laissée-pour-compte, et le Québec n'est ni l'enfant pauvre ni l'enfant gâté de la fédération.

Conclusion

J'espère qu'il n'y aura jamais à la Chambre des communes de Bloc ontarien ou de Bloc d'une autre province. J'espère qu'il n'y aura plus jamais de Bloc d'où que ce soit au Canada. Je ne veux pas les voir venir en Chambre exiger que le programme Partenariat Technologique Canada, dont le Québec bénéficie actuellement en grande partie, soit distribué à parts égales aux entreprises dans toutes les provinces en fonction du pourcentage de la population, indépendamment des considérations de logique et d'efficacité. Parce que c'est vers ça que nous mène la jalousie bloquiste.

Le Canada n'est pas un exercice comptable. Notre fédération est une famille de provinces, de territoires et de populations qui ont en commun le sens des valeurs de justice, de solidarité et d'équité. Les Québécois sont des gens généreux. Cette mentalité calculatrice qui habite les dirigeants bloquistes ne nous fait pas honneur et ne correspond pas à nos vraies valeurs.

Le Canada est une fédération juste, et c'est ensemble, unis, que nous nous donnons les meilleures chances de l'améliorer toujours davantage. C'est en restant ensemble et en continuant d'améliorer cette fédération que les Québécois et leurs concitoyens de partout au Canada se donneront, individuellement et collectivement, les moyens de relever les grands défis du prochain siècle.

L'allocution prononcée fait foi.  


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Mise à jour : 1997-04-21  Avis importants