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Archives - Salle de presse

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« LA RECONNAISSANCE DU QUÉBEC :
UNE EXPRESSION DES VALEURS CANADIENNES »

NOTES POUR UNE ALLOCUTION DEVANT LA FACULTÉ
DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE LA SASKATCHEWAN

SASKATOON (SASKATCHEWAN)

LE 10 SEPTEMBRE 1997


C'est ici même, à l'Université de la Saskatchewan, que j'ai prononcé l'une de mes dernières conférences à titre de professeur de science politique de l'Université de Montréal, à la fin janvier 1996. Je me souviens très bien d'une question de mon hôte, le directeur du département de science politique de votre université, le professeur John Courtney. Il m'a demandé d'expliquer pourquoi le Québec produisait tant d'intellectuels qui se lancent en politique active. Comme je savais -- mais lui ne le savait pas -- que j'allais entrer quelques jours plus tard dans le Cabinet du très honorable Jean Chrétien, j'ai trouvé sa question passablement embarrassante.

J'ai répondu que le Québec constituait la seule société démocratique au monde à vivre depuis trente ans un débat existentiel sur son avenir et que ce genre de débat était propre à pousser des intellectuels en politique.

C'est l'unité canadienne qui m'a projeté dans la vie publique. C'est de l'unité canadienne dont je vais vous parler aujourd'hui.

Le Canada que nous avons bâti ensemble est une très belle réalisation humaine. Je n'ai pas besoin de vous en convaincre, vous le savez. Mais la question que nous devons nous poser est comment il se fait que nous avons réussi cela. Eh bien la réponse aussi, nous la sentons. Nous savons que :

  • si l'indice de développement humain de l'ONU nous place au premier rang des nations année après année;
  • si nous sommes arrivés au deuxième rang sur dix-huit pays pour notre ouverture d'esprit envers la diversité raciale et l'immigration (World Values Survey, 1991);
  • si un indice de qualité de vie a placé Vancouver au 2e rang, Toronto au 4e, Montréal au 7e et Calgary au 12e sur 118 villes du monde (Corporate Resources Group, 1994);
  • si le Canada apparaît au 5e rang sur 54 pays -- et au premier rang du G-7 -- pour l'honnêteté des pratiques commerciales et gouvernementales (Transparency International, 1996);
  • si le Canada se classe au 4e rang pour la santé de sa population et au2e pour la qualité de ses pratiques médicales (British Economist Intelligence Unit, 1997);
  • si notre main-d'oeuvre apparaît comme la 2e plus compétitive dans le monde (Institut international pour le développement du management, 1997);
  • si l'OCDE et la Banque mondiale voient en nous l'un des pays les mieux placés pour entrer en bonne santé économique dans le prochain siècle;

Si nous avons réussi tout cela -- et bien d'autres choses encore -- c'est parce que nous sommes ensemble, tout simplement. Il ne se pourrait pas que dix républiques égoïstes au nord des États-Unis offrent la même qualité de vie et le même avenir à ses citoyens que la grande fédération généreuse qui nous unit.

Le Canada est un succès parce que nous avons travaillé à tirer le meilleur de chaque culture, de chaque population, de chacune de nos provinces et de nos territoires. Parce que nous avons appris, peut-être mieux que tout autre peuple, que ni l'égalité ni l'unité ne sont synonymes d'uniformité. Parce que nous savons que le respect pour la diversité est ce qui permet aux êtres humains de réunir leurs forces pour atteindre ce qu'il y a de plus vrai et de plus universel.

Je ne sais pas si le Canada est le plus beau pays au monde. Mais je sais qu'on trouvera difficilement, en effet, un pays plus humain, plus accueillant. Oui, nous avons nos problèmes, mais je sais qu'il y a des millions d'êtres humains qui rêvent de venir les partager avec nous.

Et que si nous voulons continuer à améliorer ce pays, repousser toujours davantage le chômage, la pauvreté, l'intolérance sous toutes ses formes, il nous faut rester ensemble.

Que si nous voulons faire face aux terribles défis du siècle qui s'ouvre, dans ce monde global où la concurrence sera plus dure que jamais, il faut rester ensemble. Que dans la turbulence de l'économie mondiale, nous avons plus que jamais besoin de la réduction des risques pour nos entreprises, de la plus grande stabilité de notre devise et de la plus grande fluidité de l'épargne que notre union nous procure. Que la synergie qui s'est créée entre gens d'affaires de partout au pays lorsqu'Équipe Canada est allée ouvrir de nouveaux marchés en Asie est une force que nous devons étendre à toutes les sphères de notre vie sociale.

Que toujours dans cette nouvelle économie, où il faut savoir combiner la force des grands ensembles et la souplesse des petites unités, réunir à la fois la solidarité nationale et l'autonomie régionale, notre union fédérale nous est essentielle; il nous faut travailler ensemble à la perfectionner toujours davantage.

Certes, je n'ai pas toujours les mêmes références culturelles que vous, qui venez de la Saskatchewan ou de l'ouest du pays. Mais je sais que de partager cette grande fédération nous aide et nous enrichit tous, que nous soyons de la Saskatchewan, du Québec, de Terre-Neuve ou d'une autre partie du Canada. Au bout du compte, notre entraide et notre solidarité font de nous tous de meilleurs citoyens, plus ouverts, plus tolérants, et mieux outillés face à la vie.

Bien des raisons expliquent le succès du Canada. Certains mentionneront les richesses incroyables de notre immense territoire, dont nous avons su tirer profit. Mais je mentionnerai une raison qui m'apparaît fondamentale : le voisinage réussi d'individus ayant des origines aussi différentes et parlant deux langues différentes. Bien sûr, cela n'a pas été facile. Notre histoire contient bien des pages sombres, qu'il s'agisse de la loi du cadenas dans ma propre province, du traitement réservé aux Japonais canadiens durant la dernière guerre mondiale, ou de la résistance passée aux droits des minorités linguistiques, comme les Fransaskois peuvent en témoigner.

Mais alors qu'en Europe et en Amérique la modernisation a entraîné l'assimilation au XIXe siècle, cela a été beaucoup moins vrai au Canada. Les circonstances nous ont amenés à développer un plus grand respect pour les origines diverses de nos concitoyens. Plus remarquable encore, le fait français au Canada, et plus particulièrement au Québec, a résisté à la pression quasi irrésistible de la langue anglaise en Amérique du Nord en survivant et en prospérant. Au moment de la Confédération, il n'y avait qu'un million de francophones au Canada, alors qu'il y en a près de 7 millions aujourd'hui. À l'époque de la Confédération, 80 % des Québécois avaient le français comme première langue d'usage, alors qu'ils sont maintenant 83 % de la population québécoise.

Nous avons dû apprendre à nous respecter et à nous accepter. L'apprentissage de la tolérance nous a préparés à mieux accueillir ceux qui, accourant de partout à travers le monde, sont devenus Canadiens. Elle nous a sans doute conduits, aussi, à être plus à l'écoute de notre population autochtone, les premiers habitants de ce pays. Avec le temps, nous avons transcendé nos différences de langue et d'origine pour développer plusieurs valeurs et convictions qui nous rassemblent.

Cet esprit nous a inspiré la création de programmes sociaux qui font l'envie du monde entier et qui témoignent de notre compassion pour les plus démunis. Votre province, la Saskatchewan, a d'ailleurs été une pionnière en ce domaine, en inventant de toutes pièces le programme d'assurance-santé dont l'ensemble du pays devait par la suite s'inspirer. Et pour s'assurer que cette solidarité pourrait s'exprimer d'un bout à l'autre du Canada, nous avons également fait preuve d'imagination en introduisant le concept de péréquation. Cette trouvaille typiquement canadienne, maintenant enchâssée dans la Constitution, nous a permis de nous serrer les coudes dans les moments difficiles.

Tout cela fait partie de l'identité canadienne sur la scène internationale. Nous avons projeté nos valeurs au-delà de nos frontières en nous comportant en pays généreux et tolérant, en bons citoyens du monde. Nous pouvons être fiers de ce que notre pays a inventé l'insuline plutôt que la bombe atomique. Qu'à chaque fois que nous avons envoyé notre armée outre-frontière durant ce siècle, c'était dans le but de défendre la démocratie ou de se joindre à d'autres pays dans des missions de maintien de la paix. Durant le prochain siècle, alors que le principal défi de plusieurs États sera de faire cohabiter ensemble des populations différentes, le Canada sera plus que jamais considéré comme un modèle de tolérance et d'ouverture. Si nous échouons à préserver notre unité, nous enverrons le mauvais signal que même un pays béni des dieux comme le nôtre ne peut pas réunir des populations de langues et d'expériences différentes. L'idéal canadien est un idéal universel dont nous sommes les dépositaires auprès de tous les habitants de cette planète.

Nos langues officielles nous ouvrent deux grandes fenêtres sur le monde et représenteront plus que jamais des forces pour l'avenir. Le français et l'anglais sont des langues reconnues aux Nations Unies. Le français est la langue officielle de pas moins de 33 pays et l'anglais de 56. Dans le monde 800 millions de personnes parlent l'anglais et 180 millions, le français. En cette ère de mondialisation des marchés, le caractère bilingue du Canada facilite les liens commerciaux avec tous ces pays, de la même façon que notre multiculturalisme nous donne des concitoyens qui comprennent la culture de pays avec lesquels nous échangeons de plus en plus.

Bien sûr, dans la vie de tous les jours, la cohabitation de populations de langues différentes n'est pas toujours facile. Mais nous en sortons tous grandis. Croyez-en un Montréalais. Les Québécois de langue française et de langue anglaise sont tout à fait en mesure d'établir des relations harmonieuses et le prouvent constamment. Ils résistent bien aux appels des radicaux des deux côtés et réussiront à s'épanouir avec plus d'assurance lorsque la menace de la sécession sera écartée.

En résumé, nous devons notre succès au fait d'être ensemble. Nous n'en sommes pas suffisamment conscients. Nous avons trop souvent tendance, nous Canadiens, à oublier ce sur quoi repose notre unité et à sous-estimer les conséquences d'une rupture. Je rencontre régulièrement des étrangers qui nous connaissent et qui me disent essentiellement ceci :

«Vous les Canadiens n'avez aucun sens du tragique. Vous ne soupçonnez pas combien votre histoire a été douce comparée à celle des autres pays. Et parce que vous n'avez jamais expérimenté de drame national, vous croyez que ça ne peut pas vous arriver. Mais réalisez donc que vous n'êtes pas différents de nous, que la sécurité dont vous jouissez n'est pas inscrite dans vos gènes, elle tient à vos institutions, à votre État de droit. Si vous laissez votre pays se briser, surtout dans la confusion et sans cadre légal précis, vous subirez des ondes de choc dont vous ne soupçonnez pas l'importance.»

Mes lettres à M. Bouchard et à son gouvernement ont justement eu pour objet de montrer à quel point il est compliqué de concilier sécession et démocratie, combien la brisure du Canada serait difficile. Mais encore bien davantage, nous avons aussi besoin de montrer combien la brisure du Canada serait triste. Ce que j'ai dit depuis le début de ce discours sur le Canada, et ce que chacun d'entre nous pourrait ajouter si nous en avions le temps, doit être répété et répété encore. Nous devons défendre notre pays sur le plan des idées et des valeurs, en faisant le débat de fond calmement et clairement, avec à la fois raison et passion.

Quand nous alignons toutes ces raisons pour lesquelles nous devons garder notre pays uni, nous en venons sans difficulté à célébrer et à reconnaître le Québec, qui est la seule société majoritairement francophone en Amérique du Nord, comme une caractéristique fondamentale du Canada. Et nous en venons à dire, comme le Groupe de travail manitobain sur la Constitution l'a fait en 1991 : «Nous en sommes à un point dans notre évolution constitutionnelle où nous devons officiellement tendre la main aux Québécois et reconnaître dans la Constitution jusqu'à quel point ils ont contribué, par leur identité propre, à l'édification du Canada».

Parler Constitution, pourquoi pas? Toutes les démocraties font des changements constitutionnels de temps à autre. D'ordinaire, elles y parviennent en procédant étape par étape, une question à la fois.

Il est évident que le Canada mérite de survivre et peut être amélioré même sans changement constitutionnel. Il est tout aussi évident que le Québec a tout à gagner à rester dans un Canada uni, que la Constitution soit modifiée ou non. Cette vérité, je n'ai pas cessé de la répéter au Québec.

Mais en même temps, je suis persuadé qu'une reconnaissance mieux affirmée du Québec dans notre Constitution serait une bonne chose en soi, une belle expression des valeurs canadiennes.

Faisons ensemble un petit exercice d'imagination. Imaginez, gens de la Saskatchewan, que vous êtes dans la situation des Québécois. Imaginez que vous résidez dans la seule province anglophone entourée de neuf provinces francophones au Canada, que le français est la langue des États-Unis, la langue internationale de l'économie, des finances, de la science, d'Internet, du cinéma, de la musique pop branchée, la langue vers laquelle tendent les immigrants qui vous arrivent d'Asie ou d'ailleurs. Ne demanderiez-vous pas alors à vos concitoyens des autres provinces de reconnaître la situation particulière dans laquelle vous vous trouvez? Vous n'appelleriez peut-être pas cela «société distincte», mais peut-être bien que oui.

Vous le savez parce que vous observez ce qui se passe à travers le monde. Vous voyez qu'en cette fin de siècle où les populations se brassent, où les identités deviennent incertaines, où, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, le nombre de langues diminue au lieu d'augmenter, les gens affirment leur langue, leur culture et leur identité.

Les Québécois, dans leur grande majorité, se sentent Canadiens et veulent demeurer Canadiens. Mais ils sont aussi fiers d'être Québécois. Et je sais que vous comprenez leur fierté, tant parce que vous éprouvez du respect et de l'affection pour les Québécois que parce que la réalité québécoise constitue une caractéristique fondamentale du Canada que vous aimez.

Alors dites-le. Dites-le avec votre premier ministre, Roy Romanow, qui est un ardent défenseur de l'unité canadienne. Dites-le fort afin que votre voix soit entendue partout au pays.

Il nous faut trouver la façon d'exprimer le lien évident qui existe entre la reconnaissance constitutionnelle du Québec et la grande valeur canadienne de respect pour la diversité. Nous pouvons sans mal harmoniser cette reconnaissance avec notre idéal d'égalité des citoyens que la Charte canadienne consacre juridiquement. Nous pouvons l'harmoniser avec l'égalité de statut de nos provinces. L'égalité de statut n'est pas à confondre avec un traitement uniforme. Les parents aiment leurs enfants également, et leur accordent la même attention, mais ils traitent chacun d'entre eux selon ses besoins propres.

En fait, c'est cette capacité d'allier l'égalité et la diversité qui a tant contribué à la réputation de notre pays à travers le monde. Eh bien c'est justement dans cette même perspective que nous devrions reconnaître la place de notre seule province à majorité francophone au sein du Canada.

Ce faisant, nous ne ferions à toutes fins pratiques qu'officialiser un principe déjà admis par nos cours, un principe qui les amène à prendre en compte le contexte de chaque province en vue de rendre des décisions justes, y compris le contexte propre au Québec. C'est un Saskatchewanais éminent qui l'a dit, l'ancien juge en Chef de la Cour suprême, Brian Dickson :

«[...] dans la pratique, l'enchâssement de la reconnaissance formelle du caractère distinct du Québec dans la Constitution ne nous éloignerait pas beaucoup des pratiques actuelles de nos tribunaux». [Traduction libre]

Bien sûr, tant qu'un gouvernement sécessionniste sera au pouvoir au Québec, nous ne serons pas vraiment en mesure de modifier notre Constitution pour exprimer le caractère du Canada et la place unique qu'y occupe le Québec. Mais nous pouvons chercher la façon d'exprimer ce en quoi nous croyons tous. J'espère que les premiers ministres des neuf provinces et les leaders des territoires s'engageront dans cette voie lorsqu'ils se rencontreront à Calgary la semaine prochaine.

Oui, nous sommes prêts à nous engager positivement à garantir l'avenir du Canada. Oui, notre Canada comprendra le Québec, pour nous-mêmes et les générations futures. Un Québec authentique, qui fait partie du Canada, qui fait partie de nous tous.

L'allocution prononcée fait foi.  


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Mise à jour : 1997-09-10  Avis importants