« LES PRINCIPES SOUS-JACENTS
À LA DÉCLARATION DE CALGARY »
NOTES POUR UNE
ALLOCUTION
DEVANT L'UNIVERSITÉ DE CALGARY
CALGARY (ALBERTA)
LE 15 OCTOBRE 1997
Par delà les clichés, le Canada est vraiment l'un des plus grands pays au
monde. On sait que les Nations Unies nous ont classés au premier rang pour ce
qui est de notre qualité de vie pendant plusieurs années consécutives et que,
selon les études de l'OCDE, le Canada devrait connaître l'un des taux de
croissance les plus élevés parmi les pays industrialisés au cours des
prochaines années. Nos réalisations - - économiques, sociales et culturelles
- - font aussi l'envie de millions de gens de par le monde.
Si le Canada est une réussite, c'est d'abord et
avant tout grâce à notre population et à notre capacité en tant que citoyens
d'origines culturelles, linguistiques et ethniques différentes, d'atteindre des
objectifs communs. Cette capacité qu'ont les Canadiens de se rassembler, cette
solidarité qui s'est manifestée dans la réaction spontanée des Canadiens aux
inondations du Saguenay et du Manitoba, repose sur un sentiment partagé, fait
de convictions et de valeurs communes qui transcendent la langue, l'origine
ethnique et la géographie.
Ce sont ces valeurs communes qui sont au coeur de
la déclaration de Calgary. C'est pourquoi je suis optimiste quant aux chances
de succès de cette démarche entreprise par neuf premiers ministres provinciaux
et les leaders territoriaux à Calgary. Pour la première fois peut-être au
cours de la triste histoire constitutionnelle des trente dernières années, des
dirigeants politiques ont décidé de mettre de l'avant les valeurs communes des
Canadiens plutôt que de les subordonner à une série de compromis politiques
pragmatiques.
Nous devons rendre hommage au premier ministre
Klein pour le rôle important qu'il a joué en lançant le débat sur l'unité
et en étant l'hôte de la réunion de Calgary. Nous devons aussi reconnaître
la contribution des autres politiciens de l'Alberta qui ont véritablement fait
progresser le débat récemment : le chef libéral, Grant Mitchell, le chef du
NPD, Pam Barrett, le chef du Parti réformiste, Preston Manning, et une de mes
collègues du Cabinet, Ann McLellan. L'Alberta a prouvé qu'il était possible,
dans l'intérêt de l'unité nationale, d'oublier la politique partisane en vue
du mieux-être du Canada. Comme le dit si bien M. Manning, les leaders
politiques de l'Alberta ont décidé de se comporter comme de «grands
Westerners» et non pas comme de «petits Westerners».
Permettez-moi de citer un discours prononcé par
le premier ministre Klein au printemps dernier :
«Je crois en un Canada où toutes les provinces
ont un statut égal mais qui permet au Québec de protéger les éléments qui
contribuent à la spécificité de notre caractère national. Ces deux principes
ne me paraissent pas opposés. Le Canada que je décris est peut-être tout à
fait familier à beaucoup d'entre nous qui avons grandi ici : c'est une nation
où règnent la tolérance et la diversité et où tous les Canadiens sont
égaux, quel que soit l'endroit où ils vivent, sans que le mot «égalité»
soit utilisé pour étouffer la diversité».
Je ne crois pas que j'aurais pu exposer plus
clairement moi-même mes propres convictions au sujet du Canada. De plus, ces
mots reflètent à mon avis exactement l'esprit de la déclaration de Calgary.
Voyons comment cette déclaration, adoptée à
Calgary grâce aux efforts du premier ministre Klein et de ses collègues, tente
de concilier ces idéaux profondément canadiens que sont l'égalité et la
diversité.
Le principe selon lequel tous les Canadiens sont
égaux, comme citoyens et comme êtres humains, constitue un des fondements de
notre notion de démocratie. En pratique, notre société n'est peut-être pas
aussi égalitaire qu'on pourrait le souhaiter, mais nous partageons certainement
dans toutes les régions du Canada un idéal d'égalité. Ce principe est
reconnu explicitement dans la Charte canadienne des droits et libertés, en
particulier à l'article 15, qui garantit à tous les Canadiens le droit à
l'égalité devant la loi. La reconnaissance, dans la déclaration de Calgary,
de l'égalité des citoyens comme valeur fondamentale du Canada n'est donc
qu'une simple extension de ce principe généralisé.
L'égalité de statut des provinces est
également un principe auquel peuvent adhérer tous les Canadiens. À ma
connaissance, il n'y a pas, au Canada, deux ou trois provinces qui ont un statut
légal différent. Il n'y a qu'un seul statut pour les provinces au Canada : ou
vous êtes une province, avec tous les droits constitutionnels qui s'ensuivent,
ou vous n'êtes pas une province. Toutes les provinces ont les mêmes pouvoirs
juridiques et toutes ont la même relation avec leurs citoyens et avec le
gouvernement fédéral, aux termes des articles 92 et 93 de la Loi
constitutionnelle de 1867.
Un régime fédéral doit évidemment être
souple, mais une fédération qui accorderait des pouvoirs beaucoup plus vastes
à l'une de ses composantes serait par le fait même instable. Il est donc
naturel, si une ou plusieurs provinces obtiennent certains pouvoirs qui n'ont
pas été définis en 1867, d'offrir ces mêmes pouvoirs à toutes les autres
provinces. C'est pourquoi la déclaration de Calgary précise que dans
l'éventualité où une modification constitutionnelle attribuerait des pouvoirs
à une province, ces mêmes pouvoirs devraient également être accessibles à
toutes les provinces.
À la suite de l'inclusion du principe de
l'égalité des citoyens et des provinces dans la déclaration de Calgary, un
débat s'est engagé pour savoir qui a d'abord proposé de reconnaître cette
égalité et qui est le plus attaché à ce principe. Dans les débats
politiques en cours dans notre pays, tous les partis tentent de s'approprier le
principe de l'égalité. Mais l'égalité n'est pas un principe défendu
uniquement par les Réformistes ou les Libéraux, par les Conservateurs ou les
Néo-démocrates. Ce n'est pas non plus un concept de l'Ouest ou de l'Est. C'est
un principe auquel adhèrent tous les Canadiens, et c'est vraiment un principe
universel. Ce n'est pas non plus un slogan politique, mais un idéal humain vers
lequel nous tendons tous.
Mais comme l'a dit le premier ministre Klein,
nous ne pouvons pas utiliser le mot «égalité» pour étouffer la diversité.
L'égalité n'est pas synonyme d'uniformité ni d'homogénéité. C'est pourquoi
l'autre principe clé de la déclaration de Calgary est la diversité.
Qui peut nier que le Canada est un pays où
règne la diversité? Il est évident que l'Alberta est différente de la
Nouvelle-Écosse. Il est évident que les peuples autochtones, les colons
français et britanniques, les immigrants venus du monde entier ont tous
apporté les éléments qui composent aujourd'hui un tissu culturel riche et
varié. C'est indéniable.
Nous, Canadiens, avons appris à vivre dans la
diversité. Nous acceptons le fait que chaque province, chaque communauté
culturelle du Canada, a une façon bien à elle d'être canadienne. Dans un
monde où les pays sont déchirés par les différences culturelles, cette
aptitude à composer avec la diversité est l'une des grandes forces des
Canadiens et un exemple pour le monde entier.
Nous sommes en général fiers, en tant que
Canadiens, de la diversité et de la tolérance qui nous caractérisent. Il y a
un aspect de la diversité canadienne que pratiquement tous les Canadiens
reconnaissent et célèbrent comme élément fondamental de l'identité
canadienne, mais qui sème la discorde dans l'arène constitutionnelle. C'est
bien sûr la reconnaissance du caractère unique du Québec.
Le Québec est la seule province, la seule
entité fédérale dans une Amérique du Nord anglophone, où l'on trouve une
majorité francophone et une minorité anglophone. La langue, la culture et le
droit civil du Québec contribuent sans contredit à l'originalité du Québec
et du Canada.
Ce sont des réalités sociologiques évidentes,
que personne ne saurait nier. Certains hésitent toutefois à reconnaître le
fait québécois dans la Constitution du Canada, de crainte qu'une telle
reconnaissance des caractéristiques uniques d'une province ne nuise au principe
de l'égalité des citoyens et des provinces que nous nous sommes engagés à
respecter.
C'est pourquoi je crois que la déclaration de
Calgary a su rejoindre la population de tout le Canada : elle affirme clairement
que la reconnaissance du caractère unique du Québec s'inscrit dans le contexte
canadien de l'égalité dans la diversité. Le Québec est bien sûr unique, et
son parlement est appelé à jouer un rôle particulier et à assumer une
responsabilité spéciale dans la protection de ce caractère unique. Mais cette
responsabilité peut s'exercer dans le respect des droits des minorités, des
droits individuels et de l'égalité des provinces.
Les principes de la déclaration de Calgary, les
principes énoncés par le premier ministre Klein, traduisent avec éloquence
les valeurs canadiennes. J'encourage tous les citoyens de l'Alberta et du reste
du Canada à participer aux consultations en cours sur la déclaration, que ce
soit en assistant aux assemblées publiques, en envoyant une lettre à votre
député provincial ou en répondant à un questionnaire diffusé sur Internet.
Grâce à ces vastes consultations publiques, je
crois que nous pourrons préciser ces principes et, peut-être même les
améliorer, pour en arriver éventuellement à ce que les assemblées
législatives de tout le pays adoptent des résolutions et à ce que
parallèlement, le Parlement du Canada adopte une résolution de son côté.
Si elles sont adoptées, ces résolutions
enverront clairement aux Québécois le signal que les Canadiens hors-Québec
acceptent et épousent les mêmes valeurs fondamentales, notamment une
reconnaissance de la réalité unique du Québec. De plus, elles enverront à
tous les gouvernements un message clair quant au genre de valeurs fondamentales
que partagent les Canadiens.
Il importe aussi de comprendre ce que ces
résolutions ne sont pas. Elles ne sont pas des modifications
constitutionnelles. Il s'agit d'énoncés de principe qui précisent le genre de
pays auquel nous aspirons, et non pas d'une disposition juridique à invoquer
devant la Cour suprême du Canada, ni d'une nouvelle répartition des pouvoirs.
L'actuel gouvernement du Québec est séparatiste
et a bien indiqué qu'il n'avait aucunement l'intention de discuter de
modifications constitutionnelles. Il ne serait donc guère utile d'entamer un
processus de modification dans le but d'intégrer dans la Constitution la
reconnaissance du caractère unique du Québec.
Il est toutefois possible qu'un nouveau
gouvernement québécois fédéraliste souhaite un jour envisager l'inclusion
d'une telle modification dans la Constitution. Lorsque ce jour viendra, la
déclaration de Calgary pourrait nous fournir d'excellents principes dont nous
pourrions nous inspirer pour rédiger un projet de modification reconnaissant
l'égalité des citoyens et des provinces ainsi que la grande diversité du
Canada, y compris le caractère unique du Québec.
Et si nous reprenons effectivement les
pourparlers constitutionnels, vous, les citoyens, aurez encore une fois votre
mot à dire. L'Alberta et la Colombie-Britannique ont adopté des lois qui
exigent que les modifications constitutionnelles soient approuvées par la
population dans le cadre d'un référendum, et quelques autres provinces
envisagent, elles aussi, de faire la même chose. De plus, le gouvernement
fédéral s'est engagé à utiliser son droit de veto pour bloquer toute
modification constitutionnelle qui ne recueillerait pas l'approbation des cinq
régions du Canada, soit la Colombie-Britannique, les Prairies, l'Ontario, le
Québec et l'Atlantique. Comme l'Alberta compte plus de 50 % de la population
des Prairies, il lui faudrait approuver le projet pour que la région des
Prairies soit considérée dans son ensemble comme en faveur de la proposition.
En vertu de la loi actuelle, aucune modification
constitutionnelle ne peut donc être approuvée si la population de l'Alberta ne
l'entérine pas par voie de référendum, même si les assemblées législatives
ont déjà approuvé en principe des résolutions à l'appui de la déclaration
de Calgary. Certains voudraient vous faire croire que le gouvernement fédéral
ou les premiers ministres des provinces cherchent à modifier la Constitution à
votre insu et contre votre gré. Il n'en est rien. Aucune modification
importante de la Constitution ne peut être adoptée sans que la population de
votre province ait l'occasion de se prononcer dans le cadre d'un référendum.
La Réunion des neuf premiers ministres et des
leaders des territoires à Calgary a été la première étape d'un processus
qui permettra, je l'espère, de donner à l'unité canadienne des assises plus
solides, c'est-à-dire des valeurs communes que tous les Canadiens pourraient
partager et partagent effectivement. Je crois que grâce à des leaders
politiques visionnaires, comme on en trouve beaucoup en Alberta, et à la
réaction bienveillante de milliers de citoyens de l'Alberta et du reste du
Canada, ce processus est bien amorcé.
Le discours prononcé fait foi.
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