« LES RAPPORTS ENTRE LE QUÉBEC
ET LA FRANCOPHONIE CANADIENNE
POUR LES ANNÉES 2 000 »
NOTES POUR UNE
ALLOCUTION À UN
COLLOQUE SUR LES ÉTATS GÉNÉRAUX DU
CANADA FRANÇAIS 30 ANS APRÈS
UNIVERSITÉ D'OTTAWA
LE 8 NOVEMBRE 1997
Madame Bureau, M. Leblanc, M. Brassard, M. Brien, Madame Lanteigne, chers
collègues de la Chambre des communes - j'en vois au moins deux : M. Bélanger,
M. Ménard - chers collègues de l'université - je vois plusieurs visages
connus et ça me fait plaisir de vous revoir - représentants de la presse,
Mesdames et Messieurs, quand les organisateurs de ce colloque ont eu la
gentillesse de m'inviter, je dois admettre que quand on m'a parlé des États
généraux, ça évoquait beaucoup plus pour moi la Révolution française que
la Révolution tranquille. M. Brien disait qu'il était trop jeune, Madame
Lanteigne a dit que ça lui rappelait 1967, donc l'année de l'Expo - pour moi
aussi, j'avais 12 ans, c'était l'année de l'Expo - et donc, j'ai appelé
Vincent Lemieux, et je lui ai demandé: qu'est-ce que ça évoque pour vous, les
États généraux du Canada français? Là, il m'a dit, écoute, je me souviens
surtout que ton père avait beaucoup insisté auprès de John Trent pour qu'il
fasse sa thèse de doctorat là-dessus, mais il ne l'a jamais complétée. Donc,
la conclusion, c'est que s'il y a des sièges vides ici aujourd'hui, c'est de la
faute à John Trent.
Maintenant, on nous dit que ça a été un moment
de rupture entre les francophones des autres régions canadiennes et les
francophones du Québec. M. Leblanc a cité une phrase extraordinairement
catégorique de madame Bissonnette là-dessus, mais je dois vous dire que ce
n'est pas vrai, que les Québécois francophones ne veulent pas rompre avec les
francophones des autres provinces et se sentent très solidaires d'eux. L'une
des preuves de cela, c'est que parmi les Québécois francophones, ceux qui
préconisent l'indépendance du Québec sont tout de suite mal à l'aise dès
qu'on leur parle de ce sujet-là et cherchent à se donner bonne conscience soit
en prétendant que la cause du français est fichue hors-Québec, soit en disant
que le retrait de la province francophone du Canada n'affaiblirait pas les
francophones en-dehors du Québec, une thèse tellement abracadabrante qu'on
doit se demander si ceux qui la défendent y croient vraiment eux-mêmes ou ne
cherchent pas encore là à se donner bonne conscience.
Puisque la solidarité existe vraiment entre les
Québécois et les autres francophones du Canada, vous avez eu raison
d'intituler cette table ronde «Les rapports entre le Québec et la francophonie
canadienne pour les années 2000», et c'est de ça dont je vais parler avec
vous en essayant de distinguer ce qui est semblable et ce qui est différent
entre la situation des francophones qui vivent au Québec et des francophones
qui vivent ailleurs au Canada. À partir de cela, on pourrait peut-être
dégager les tendances pour le prochain siècle.
Alors, qu'est-ce qui est semblable dans la
situation des francophones au Québec et des autres francophones du Canada? Tout
d'abord, il y a le contexte mondial, qui est le même pour tous les francophones.
La langue française est une langue internationale de prestige, mais en déclin.
On parlait aujourd'hui du débat sur la situation au Vietnam, le pays qui
accueille la Francophonie et qui a des législations, qui a des lois qui
interdisent l'utilisation du français. Alors, c'est certain que le français
est en déclin.
Par ailleurs, on est dans un monde où, pour la
première fois dans l'histoire de l'humanité, le nombre de langues dans le
monde diminue au lieu d'augmenter. Les forces d'assimilation sont décuplées
par les moyens de communication modernes. On est aussi dans un monde où il y a
une langue autre que le français qui est de loin la plus utilisée dans les
échanges internationaux, l'esperanto moderne, l'esperanto des affaires,
l'esperanto des sciences, de la culture, d'Internet. Or cette langue, c'est
aussi la langue qui domine notre continent, la langue anglaise. C'est aussi la
première fois dans l'histoire de l'humanité qu'un quasi-continent -
l'Amérique du Nord sans le Mexique - est à ce point unilingue. Mais on parle
de la langue qui, précisément, prédomine dans le monde.
Alors, voilà la situation dans laquelle nous
sommes tous, en tant que francophones du Canada, que nous vivions au Québec ou
ailleurs. Donc, le défi qui a été le nôtre durant ce siècle, qui a été de
s'épanouir en français, sera notre défi pour le prochain siècle. C'est pour
nous un défi très important parce qu'on sait très bien que la langue est
beaucoup plus qu'un moyen de communication. La langue est une ouverture sur un
univers culturel, une forme de vie, et cette langue, donc, nous caractérise
profondément.
Pour nous aider à relever ce défi ensemble,
nous, les francophones du Québec et d'ailleurs au Canada, nous partageons deux
atouts. Le premier atout, c'est que nous sommes plus scolarisés qu'avant. C'est
un fait d'observation qu'on est beaucoup plus attaché à sa langue, on est
beaucoup plus motivé à la transmettre à ses enfants quand on est plus
scolarisé
Ça, c'est un changement très important sur
lequel nous devons nous appuyer, notamment pour faire en sorte que les moyens de
communication modernes, nous les maîtrisions plutôt que d'en faire des chevals
de Troie pour notre assimilation. Au contraire, par exemple, que l'Internet
puisse servir à briser l'isolement des communautés et faire en sorte que tous
les francophones aient des moyens de communication beaucoup plus directs.
Si le Canada est un des leaders mondiaux pour ce
qui est de l'utilisation d'Internet en français, c'est seulement 3 % des
communications de l'Internet qui sont en français, et le tiers viennent du
Canada, c'est parce que les gouvernements du Canada et du Québec et aussi le
gouvernement du Nouveau-Brunswick ont une responsabilité sur ce plan, qui est
la promotion du français dans les nouveaux moyens de communication modernes.
D'autres gouvernements doivent s'y mettre aussi.
Le deuxième atout c'est la montée des valeurs
libérales d'ouverture et de pluralisme. Le pluralisme linguistique est de plus
en plus vu comme une force, quelque chose à promouvoir, et non plus comme un
problème, quelque chose à éliminer. On mesure mal à quel point il s'agit là
d'un phénomène nouveau. Je peux citer le linguiste Jacques Leclerc :
«L'autoritarisme centralisateur qui consiste à imposer unilatéralement une
seule langue partout sur le territoire en ignorant le pluralisme linguistique
(...) allait de soi au 19ième siècle». Pour les différents pays, l'entrée
dans la modernité s'est accompagnée de politiques actives d'assimilation,
notamment par l'instruction publique.
Si, dans les comparaisons internationales, le
Canada apparaît comme l'un des pays les plus tolérants, les plus ouverts au
monde, c'est certainement parce que les francophones et les anglophones ont dû
apprendre à vivre ensemble.
C'est ainsi que nos concitoyens anglophones,
sondage après sondage, appuient majoritairement des politiques des langues
officielles qui auraient été impensables au moment de la Confédération ou du
temps de Wilfrid Laurier. C'est ainsi que le français a percé depuis 30 ans
dans les institutions communes de cette fédération, il a été
considérablement renforcé dans ses droits, tant dans la législation que dans
la Constitution. Il suffit de comparer les lois constitutionnelles de 1867 et de
1982 pour voir à quel point le français a été renforcé dans ses droits.
C'est ainsi que les écoles d'immersion sont un phénomène qui est là pour
durer, que la nouvelle génération de Canadiens est la plus bilingue de notre
histoire, et que tous ces progrès, bien sûr insuffisants, qu'on doit
poursuivre encore bien davantage, sont indéniables et sans pareils à travers
le monde.
C'est ainsi que notre bilinguisme, notre
ouverture sur deux langues internationales est de plus en plus un atout
économique. Les statistiques sont là pour le dire, c'est payant d'être
bilingue au Canada et c'est payant pour le Canada d'être bilingue dans le
monde. Je vais citer Jean Laponce, un des plus grands spécialistes mondiaux des
questions de politique linguistique :
«La prédominance des langues anglaise et
française confère au Canada une place privilégiée parmi les États
démocratiques industrialisés qui sont au coeur du réseau mondial des
communications».
Les francophones en dehors du Québec sont
triplement minoritaires. Ils sont minoritaires dans leur continent, dans leur
pays et dans leur province ou territoire. Ils vivent avec des concitoyens
anglophones qui sont triplement majoritaires - dans leur continent, dans leur
pays et dans leur province ou territoire.
Mais comme l'a dit M. Leblanc, ces communautés
le relèvent, ce défi. Il y a des difficultés. Il ne faut pas peindre en rose,
il y a de l'assimilation, mais il ne faut pas non plus gonfler artificiellement
les taux d'assimilation. Il y a la capacité pour ces communautés de s'appuyer
sur un réseau d'institutions sans pareil par rapport à ce qui se produisait
auparavant, et donc il y a moyen pour elles d'envisager l'avenir avec confiance
malgré les défis énormes qu'il faudra relever.
La situation au Québec offre un contexte tout à
fait unique. Les deux communautés linguistiques doivent accepter que l'une et
l'autre sont à la fois une majorité et une minorité, et c'est ça qui fait le
caractère unique de la société québécoise, peut-être un caractère unique
dans le monde. Les anglophones sont majoritaires sur le continent, dans leur
pays, mais minoritaires au Québec, et les francophones sont majoritaires dans
leur province, mais minoritaires dans leur pays et dans le continent. Ce qui
fait que les anglophones acceptent et doivent accepter de plus en plus que les
francophones ont droit à une protection linguistique contre l'anglais. Dans des
démocraties aussi irréprochables que la Belgique ou la Suisse, on a des
politiques beaucoup plus exigeantes d'unilinguisme territorial que ce qu'on a au
Québec ou dans l'ensemble du Canada.
Par ailleurs, les francophones, eux, acceptent et
doivent accepter de plus en plus que, même si les anglophones québécois sont
majoritaires sur le continent, ils ne vivent pas dans un continent abstrait; ils
vivent en Gaspésie; ils vivent dans les Cantons de l'Est, ils vivent dans la
région de Montréal, et en tant que minorités, ils ont des droits aussi.
Cet équilibre à trouver entre les francophones
et les anglophones est tout à fait unique. Sont-ils capables, francophones et
anglophones québécois, de trouver cet équilibre? Bien sûr que oui, et ils
vont pouvoir accroître leur harmonie de plus en plus, j'en suis sûr, et ce
dans le respect des chartes québécoise et canadienne. Cependant, le danger de
la sécession, le débat sécessionniste nuit beaucoup à leur concorde et à
leur capacité à trouver une entente. Si vous voulez trouver le plus sûr moyen
de diviser les Québécois, demandez-leur de renoncer au Canada. Si vous voulez
renforcer leur solidarité entre eux, demandez-leur de rester solidaires de tous
les Canadiens, y compris les Canadiens français des autres provinces.
En conclusion, ceux qui nous demandent de
renoncer au Canada pour être Québécois ne voient pas dans quel siècle nous
entrons. Ce sera le siècle de la pluri-identité. La mobilisation du Québec
comme de l'ensemble du Canada pour la Francophonie sera essentielle pour la
cause du français dans le monde. De la même façon, sur un plan plus
individuel, être à la fois Québécois, francophone, Canadien français et
Canadien sera plus que jamais une formidable complémentarité que l'on doit
préserver pour nous-mêmes et nos enfants.
Le discours prononcé fait foi.
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