« LE CANADA VA Y ARRIVER, MALGRÉ TOUT! »
NOTES POUR UNE
ALLOCUTION À LA
CONFÉRENCE BIENNALE DE L'ASSOCIATION
AMÉRICAINE DES ÉTUDES CANADIENNES
MINNEAPOLIS (MINNESOTA)
LE 21 NOVEMBRE 1997
Étant donné que vous tous, ici présents aujourd'hui, êtes des étudiants
passionnés des affaires canadiennes, je sais que vous vous intéressez beaucoup
à l'avenir de mon pays. Au lendemain du référendum tenu au Québec en 1995,
on a publié dans les médias américains un certain nombre d'articles donnant
à penser que le Canada ne franchirait pas le cap du prochain siècle sans
brisure. Je veux vous faire une prédiction ici, à Minneapolis, la ville de
l'émission de Mary Tyler Moore : «Le Canada va y arriver, malgré tout»!
Vous avez bien raison d'étudier les affaires
canadiennes! Mon pays est un bon sujet d'études, car il réalise de grandes
choses, aussi bien à l'étranger que chez lui.
Le Canada et le monde
Le Canada est un bon citoyen du monde; il
projette au-delà de ses frontières ses valeurs de générosité et de
tolérance, de même qu'un engagement inébranlable envers la paix et la
démocratie. Permettez-moi de vous donner juste quelques exemples de ce que je
veux dire.
Les Canadiennes et Canadiens peuvent
s'enorgueillir du fait que chaque fois que nous avons envoyé des troupes à
l'étranger au XXe siècle, nous l'avons fait pour défendre la démocratie ou
pour nous joindre à d'autres pays dans le cadre de missions de maintien de la
paix. Nous pouvons être fiers, aussi, de ce que notre pays a inventé
l'insuline plutôt que la bombe atomique. C'est un Canadien -- l'ancien Premier
ministre Lester B. Pearson -- qui a eu l'idée d'une force internationale de
maintien de la paix, ce qui lui a valu le prix Nobel de la paix. Depuis, des
milliers de Canadiens ont fait partie de missions internationales de maintien de
la paix et plus d'une centaine ont donné leur vie non seulement pour leur pays,
mais aussi pour l'ensemble de l'humanité. J'aimerais citer un de ces modèles
de bravoure, le caporal-chef Mark Isfeld, qui est mort au moment où il
procédait à l'enlèvement de mines terrestres en Croatie, le 21 juin 1994. À
mes yeux, ses propos résument le sens même du concept de maintien de la paix.
Dans une lettre à un ami où il évoquait les dangers des armes antipersonnel,
il a écrit ceci :
«Je sais ce que ces trucs peuvent faire. Les
civils, les petits enfants, ils ne le savent pas. Mes compétences me permettent
de les protéger. [Nous] pensons au nombre de vies [que nous avons] sauvées, et
non à [celle que nous exposons à] des risques».
Aujourd'hui, le Canada est à la tête d'une
«action» mondiale qui a pour but l'interdiction des mines antipersonnel, qui
ont tué et handicapé des dizaines de milliers de personnes. 90 % de ces
victimes étaient des civils, dont un bon nombre, des enfants. Environ 500
nouvelles victimes viennent alourdir ce bilan toutes les semaines. Notre
gouvernement est très encouragé du fait que plus de 100 pays se sont ralliés
au processus d'Ottawa, qui arrivera à son point culminant en décembre, lorsque
sera signé dans la capitale du Canada un traité interdisant l'utilisation, la
production, le transfert et le stockage de mines antipersonnel. Votre
concitoyenne américaine, Jody Williams, lauréate du prix Nobel, a récemment
fait l'éloge du Canada, parce qu'il a fait prendre une nouvelle orientation au
monde :
[«si le ministre des Affaires étrangères
Axworthy n'avait pas pris cette initiative l'an dernier, en agissant en grande
partie de son propre chef, provoquant un choc dans les milieux diplomatiques[. .
.], nous n'en serions pas là aujourd'hui»], a-t-elle déclaré.
C'est également un Canadien, John Humphrey, qui
a été un chef de file dans la rédaction de la version initiale de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, laquelle, comme l'avait prédit
Eleanor Roosevelt, est devenue la «Grande Charte internationale de toute
l'humanité». Aujourd'hui, grâce à notre politique d'aide au développement
international, le Canada figure parmi les pays qui investissent le plus
d'efforts en vue de faire progresser les causes que sont la démocratie, les
droits de la personne et le statut des femmes. Notre tradition démocratique,
notre engagement envers la primauté du droit ainsi que notre société bilingue
et multiculturelle, nous ont bien préparés à aider les pays d'Europe de l'Est
ainsi que l'ex-Union soviétique à faire la transition vers la démocratie. La
réputation du Canada en tant que société ouverte et tolérante nous habilite
à fournir des conseils en matière de gestion des affaires publiques, de
réforme institutionnelle et de lois sur les droits des minorités.
L'édification de nos valeurs
Si le Canada est devenu une société aussi
ouverte et aussi tolérante, cela tient notamment au fait qu'il a été marqué
dès le départ par sa diversité : anglophones, francophones et peuples
autochtones. De nos jours, le Canada -- tout comme les États-Unis --est l'un
des pays les plus diversifiés au monde sur le plan culturel.
Les Anglais et les Français, ennemis
traditionnels sur le Vieux continent, ont eu à apprendre à vivre ensemble dans
le nouveau monde. Bien sûr, cette expérience n'a pas été sans heurts. Bien
que les francophones aient traversé des périodes difficiles et aient subi des
injustices, la communauté française au Canada, enracinée en grande partie au
Québec, a résisté à la pression presque écrasante de la langue anglaise en
Amérique du Nord; elle a non seulement survécu, mais elle a prospéré.
Le Canada n'est absolument pas le seul exemple
d'une société qui a connu des tensions de ce type. Aucune société
diversifiée n'est à l'abri de ces problèmes, qu'ils trouvent leurs racines
dans la langue, le caractère ethnique ou la culture. Les États-Unis en ont eu
leur juste part, aussi bien au cours de leur histoire que récemment. De nos
jours, la Californie, Hawaï et New York en constituent tous des exemples. Cela
dit, vous vous efforcez de remédier à ces tensions par la voie du dialogue.
Dans le même ordre d'idées, les colons
britanniques et français ont appris à se respecter et à s'accepter. Cet
apprentissage nous a préparés à accueillir de nouveaux arrivants venus de
tous les coins du monde qui, plus récemment, sont devenus des citoyens
canadiens. On a souvent dit du Canada qu'il forme une mosaïque. Il n'y a aucun
doute que tout comme chaque morceau d'une mosaïque, chacune des différentes
communautés au Canada contribue à l'identité globale de notre pays. Au fil
des ans, nous avons appris à transcender nos différences de langue et
d'origine et à acquérir des valeurs et des convictions qui nous unissent,
comme l'ouverture, la civilité, la générosité et l'engagement envers la
paix.
Les Canadiennes et les Canadiens d'un océan à
l'autre, indépendamment de la province où ils vivent, ont en commun un profond
sentiment de solidarité et de communauté. Les Canadiens de toutes les régions
croient au partage et à l'entraide. Ils croient à l'effort collectif en vue de
réaliser le bien commun. Vous savez, lorsqu'un de vos anciens présidents a
fait campagne en prenant pour slogan son désir de faire des États-Unis une
société «plus soucieuse de l'autre, plus compatissante», beaucoup de gens
ont pensé qu'il parlait du Canada! La conviction qu'ont les Canadiens qu'il
faut se serrer les coudes apparaît peut-être de façon plus évidente lorsque
se produisent des événements tragiques, comme les inondations qui ont
dévasté la région du Saguenay, au Québec, l'an dernier, et la catastrophe de
la rivière Rouge de cet été, qui a submergé une bonne partie du sud du
Manitoba. Dans ces deux cas, des milliers de personnes de toutes les régions du
pays ont donné de l'argent et des biens; ils ont partagé le désarroi de ceux
qui étaient directement touchés. Le fait que les administrateurs du fonds de
secours du Saguenay ont envoyé 1,5 million de dollars au Manitoba a démontré,
peut-être de manière plus claire et plus poignante que tout autre geste,
l'importance que mes concitoyens canadiens accordent à l'entraide.
Ce sentiment d'appartenance à une communauté
nationale n'en permet pas moins à chaque province et à chaque groupe culturel
au Canada de vivre son identité canadienne à sa propre manière. La diversité
culturelle est à la fois une réalité de la vie pour les Canadiens et une
valeur fondamentale de notre société. D'ailleurs, le nationalisme canadien a
peut-être un caractère unique dans le monde en ce sens qu'en plus d'être
très discret, il repose sur la mise en valeur de la diversité et de la
différence.
Le Québec à l'intérieur du Canada
Le fait que le Canada soit un grand pays
s'explique en partie par la présence du Québec. Je prends la parole devant
vous aujourd'hui, fier d'être Québécois et fier d'être Canadien. Pour moi,
ces deux composantes de mon identité se renforcent mutuellement et je suis
très attaché à chacune d'elles. Je suis fier d'être partie prenante de ce
que les Québécois ont réalisé ensemble -- la société dynamique, à
prédominance francophone que nous avons édifiée, contre vents et marées, sur
un continent où l'anglais domine. Je suis extrêmement fier, aussi, d'être
associé à ce que notre famille élargie, le Canada, a réalisé. Les sondages
révèlent que je suis loin d'être le seul qui éprouve ces sentiments : la
grande majorité de mes concitoyens du Québec se définissent à la fois comme
Québécois et comme Canadiens, en dépit de tous les efforts des dirigeants
sécessionnistes.
Les Québécois ont contribué de façon
décisive à faire du Canada ce qu'il est aujourd'hui. D'ailleurs, pendant 26
des 28 dernières années, le Premier ministre du Canada a été un Québécois.
Au sein du Québec, nous avons édifié une société qui, comme le Canada dans
son ensemble, a le souci de l'autre, est respectueuse de la diversité, est
tolérante et démocratique. Les entrepreneurs québécois, forts de l'appui à
la fois des gouvernements fédéral et provincial, en ont fait un centre mondial
pour les industries de technologie de pointe, notamment l'industrie
pharmaceutique, l'énergie hydroélectrique, l'aérospatiale et la
biotechnologie. Notre volet culturel est un des plus dynamiques, des plus
créateurs et des plus fascinants parmi les sociétés francophones. De nos
jours, nos artistes éblouissent le monde : Céline Dion, Robert Lepage, le
Cirque du Soleil et l'Orchestre symphonique de Montréal, pour n'en nommer que
quelques-uns. Et, à titre d'amateur de sports, je ne peux résister à la
tentation de faire remarquer que le premier champion mondial canadien de la
Formule 1, Jacques Villeneuve, est Québécois, sans parler d'un nombre
incalculable de vedettes de la Ligue nationale de hockey, celles d'hier et
d'aujourd'hui!
Tout cela prouve, comme je l'ai dit il y a
quelques instants, que les Québécois ont réussi non seulement à préserver
sur notre continent une société où prédomine la langue française, mais à
faire en sorte qu'elle soit florissante. Vous conviendrez, j'en suis certain,
que ce n'est pas là une réalisation négligeable. Depuis le début de la
Confédération, le Québec n'a jamais été aussi francophone qu'il ne l'est
aujourd'hui. En 1997, pas moins de 94 % des Québécois peuvent s'exprimer en
français. Cela est attribuable en partie aux lois linguistiques canadiennes et
québécoises adoptées dans les années 1960 et 1970 afin de reconnaître et de
protéger le statut de la langue française. Même si au départ elles ont
suscité une certaine controverse, il n'en reste pas moins que les lois
linguistiques du Québec sont plus libérales que celles qui ont été adoptées
dans d'autres démocraties comme la Belgique et la Suisse.
Pourquoi la sécession est une erreur
Lorsqu'ils observent les succès du Québec au
sein du Canada, d'aucuns font l'erreur de penser que certains Québécois
veulent se séparer parce que le Québec est moins tolérant que le reste du
Canada. Ce n'est pas le cas. Le Québec est une société formidable. Le
problème ne vient pas de la société québécoise; le problème, c'est la
sécession elle-même. La sécession fait partie de ces questions qui peuvent
engendrer l'intolérance et la division et ce, même dans les sociétés les
plus tolérantes et les plus démocratiques.
Le Québec, tout comme le Canada dans son
ensemble, est une société dont les valeurs démocratiques libérales sont
profondément ancrées. Les Québécois, à l'instar des autres Canadiens, sont
très ouverts aux autres cultures. Pas moins de 82 % des Québécois, selon un
sondage effectué en 1996, croient que les immigrants représentent un
enrichissement culturel pour notre société. Les chiffres les plus récents qui
sont disponibles montrent qu'au cours d'une période d'un an, des familles
québécoises ont adopté 881 enfants de l'étranger, dans des pays comme la
Chine, Haïti et le Vietnam.
Le discours du grand courant nationaliste
québécois, qu'il soit fédéraliste ou non, ne tombe pas dans l'idôlatrie de
la race qui a dominé le discours nationaliste dans de nombreuses régions du
monde au début du XXe siècle. Le nationalisme québécois est à caractère
civique plutôt qu'ethnique et, lorsqu'il s'exprime avec ouverture et est
canalisé pour le bien de tous les Canadiens, il peut se révéler une force
positive pour notre pays.
Certains Québécois pensent que pour protéger
leur identité québécoise, ils doivent se séparer. Ils se trompent. Les
Québécois ont accompli beaucoup de choses au sein du Canada, aussi bien dans
leur propre province qu'en travaillant avec d'autres Canadiens pour le
mieux-être de l'ensemble du pays. Pourquoi mes concitoyens québécois
devraient-ils avoir à abandonner une dimension de leur identité, une dimension
de leurs réalisations? Depuis le tout début du Canada, les Québécois se sont
employés à enrichir et à faire grandir notre pays. Nous avons toujours vu
grand. Pourquoi devrions-nous maintenant rétrécir notre champ de vision?
La sécession est une question dangereuse qui est
source de division. Il s'agit d'un acte politique par lequel un groupe de
personnes tourne le dos au reste de ses concitoyens. Les dirigeants
séparatistes québécois disent : «Pourquoi devrions-nous continuer
d'entretenir des liens de solidarité et de citoyenneté avec les autres
Canadiens? Contentons-nous de préserver les seuls liens liés à nos intérêts
économiques». Or, dans une démocratie, nous ne devrions pas parler
d'abandonner nos concitoyens. La démocratie nous oblige à maintenir et à
renforcer nos liens de communauté et de solidarité. D'ailleurs, il est très
difficile de concilier sécession et démocratie. Ce n'est pas un hasard si le
droit international ne reconnaît un droit de sécession que dans des situations
coloniales ou dans des cas d'oppression violente, c'est-à-dire dans des
situations où tous ne se voient pas accorder tous les droits liés à la
citoyenneté.
Dans un article paru récemment dans le Boston
Globe, Lester C. Thurow, du Massachusetts Institute of Technology, a écrit que
dans la nouvelle économie mondiale, les États plus petits peuvent survivre
plus facilement qu'avant, de sorte que «chacun se sent beaucoup plus libre de
se retirer de grands pays et de créer de petits pays plus homogènes», y
compris le Québec, qui «n'a pas besoin du reste du Canada du point de vue
économique» [Traduction libre]. En réalité, John McCallum, de la Banque
royale du Canada, estime que les échanges commerciaux entre deux provinces
canadiennes sont, en moyenne, 14 fois plus élevés que le commerce entre une
province canadienne et un État américain, après ajustement des chiffres en
fonction de la dimension du marché et des distances. De plus, les provinces, au
Canada, bénéficient de la stabilisation assurée par la péréquation et par
d'autres paiements de transfert. Les frontières comptent. De toute évidence,
une sécession ne saurait se résumer à sa seule dimension économique. La
sécession serait économiquement mauvaise pour le Québec, mais elle
constituerait également une faute sur le plan moral et, d'un point de vue
pratique, elle créerait un gâchis.
La sécession représente une solution extrême,
un des actes semant le plus la discorde dans une société. La sécession du
Québec n'aurait pas uniquement pour effet de faire éclater le Canada. Elle
dresserait les Québécois les uns contre les autres et générerait
l'intolérance dans une société aujourd'hui très tolérante et très ouverte.
Dans un pays aussi démocratique, aussi riche, qui a autant de succès et qui
est aussi respectueux de la diversité que l'est le Canada, rien ne saurait
justifier la sécession.
De plus, elle enverrait au monde un signal
erroné. Le Canada est un modèle pour le monde de par sa capacité de faire
place à la diversité et de la mettre en valeur. La sécession, toutefois,
établirait un précédent fâcheux. Selon Daniel Elazar, de l'Université
Temple à Philadelphie, on compte actuellement environ 3 000 groupes d'êtres
humains qui se reconnaissent une identité collective. Pourtant, les Nations
Unies ne reconnaissent que 185 États. La conviction selon laquelle chaque
société possédant son propre caractère distinct devrait devenir un État
provoquerait manifestement le chaos sur notre planète. En tant qu'Américains,
vous avez de nombreuses responsabilités dans le monde et à ce titre, vous avez
un intérêt particulier à ce que le Canada reste uni.
Le Québec n'est pas un échec, le Canada n'est
pas un échec mais la sécession en serait un. Au cours du prochain siècle,
lorsque le principal défi qui se posera à de nombreux États consistera à
assurer la coexistence de populations différentes, on aura, plus que jamais,
besoin du Canada comme modèle de tolérance et d'ouverture. Si nous n'arrivons
pas à préserver notre unité, nous enverrons un signal désolant au reste du
monde : le signal comme quoi même un pays aussi comblé que le Canada n'arrive
pas à faire en sorte que des populations de langues et d'antécédents
différents puissent vivre en harmonie les unes avec les autres.
Les perceptions erronées du Québec et
du Canada
Un élément qui me mobilise beaucoup dans
l'exercice de mes fonctions, en ce moment, c'est de voir à quel point le fait
d'avoir un mouvement séparatiste au Québec véhicule à l'étranger une image
tordue de ma province et de mon pays. Alors que, par le passé, on nous
admirait, de nos jours, on nous cite en exemple de «ce qu'il ne faut pas
faire» et même de «ce qu'il faut éviter à tout prix». C'est pourquoi,
aujourd'hui, j'aimerais aborder brièvement deux perceptions erronées qui
circulent au sujet du Canada et du Québec.
1. Avoir un «Québec» :
Une des raisons qui m'ont incité à me lancer
dans l'arène politique réside dans le fait que je ne veux pas que les
majorités aient peur de donner des droits à leurs minorités. Dans ma toute
première déclaration en qualité de ministre, j'ai affirmé ceci : «Le
Canada, s'il se brisait, deviendrait le repoussoir des majorités inquiètes. De
cette fédération défunte, il serait dit qu'elle est morte d'une surdose de
décentralisation, de tolérance, de démocratie en somme. Sa fin servirait
d'alibi à tout ce que le monde compte de partisans de la ligne dure face aux
aspirations des minorités[...] Au lieu de répandre ainsi la méfiance entre
majorités et minorités, il nous appartient au contraire d'illustrer la
concorde de différentes populations au sein d'un même État».
Votre Congrès envisage d'offrir à Porto Rico la
possibilité de devenir un État. Toutefois, des critiques (1) affirment que
cette situation créerait «le Québec des États-Unis». De plus, nous avons
entendu le même type d'argument outre-Atlantique : «ne donnez pas à l'Écosse
ou au pays de Galles un Parlement, parce que vous allez créer des Québec en
Grande-Bretagne».
Je rêve d'entendre les majorités dire l'inverse
: «Regardez, nous pouvons vivre en bonne entente avec nos propres minorités et
accepter leur différence. C'est ce qu'ils ont fait au Canada. Regardez à quel
point la force de l'identité québécoise a bien servi le Canada». Après
tout, le Canada, c'est un succès, et une des raisons de ce succès tient à la
contribution faite par les Québécois.
2. Le multiculturalisme et le bilinguisme
: une menace?
Si, à mon avis, le bilinguisme et le
multiculturalisme du Canada constituent deux des plus formidables forces de mon
pays, ce n'est pas toujours la perception qu'en ont des gens dans votre pays.
Tout récemment, plusieurs élus à la Chambre des représentants des
États-unis en ont critiqué les effets sur le Canada avant d'adopter un projet
de loi qui ferait de l'anglais la langue officielle des États-Unis. Le
républicain Robert Goodlatte, de la Virginie, a soutenu que le
multiculturalisme et le bilinguisme avaient fait naître des «mentalités de
ghetto. La déstabilisation du Québec. Une intolérance, à l'inverse, de la
part des immigrants à l'égard de la culture et des institutions canadiennes,
et la dévalorisation de l'idée même d'une nationalité commune». [Traduction
libre] De plus, en 1995, Pat Buchanan, candidat à la présidence du Parti
républicain, a émis un communiqué de presse dans lequel il affirmait que les
Américains «devraient regarder le Canada» et y trouveraient des preuves que
«le bilinguisme et le multiculturalisme sont porteurs de virus profondément
dangereux» [Traduction libre].
Je répondrais que l'acceptation de ce que le
philosophe politique canadien Charles Taylor, un Québécois, appelle une
«profonde diversité» constitue un élément fondamental de l'identité
canadienne. L'ensemble du Canada contredit les thèses de ceux qui soutiennent,
comme l'a fait le théoricien allemand Herder, que «l'État le plus naturel est
un État où n'existe qu'une nationalité possédant un seul caractère».
[Traduction libre] Au contraire, les Canadiennes et les Canadiens sont l'exemple
même du fait qu'on peut imbriquer les identités les unes dans les autres,
concept qu'ont étudié un certain nombre de politologues canadiens.
La dualité linguistique du Canada nous a aidés
à devenir un pays tolérant et ouvert. Le fait de disposer de deux fenêtres
sur le monde nous renforce de multiples façons, que ce soit dans les domaines
social, culturel ou économique.
L'attachement du Canada au multiculturalisme
contribue à faire en sorte que notre pays favorise une meilleure intégration
et une meilleure cohésion. Même si les commentateurs que j'ai cités il y a un
instant considèrent qu'il affaiblit le Canada, un sondage réalisé en 1996
révèle que seulement 13 % des Canadiennes et Canadiens ne sont pas d'accord
avec l'idée que «la diversité culturelle renforce le Canada». Le Canada a
été le premier pays au monde qui a adopté une politique en matière de
multiculturalisme et nouscontinuons de donner le ton à cet égard. D'ailleurs,
selon un rapport récent de la Commission mondiale de la culture et du
développement, organisme de l'UNESCO, l'approche qu'adopte le Canada sur le
plan du multiculturalisme constitue un modèle pour d'autres pays.
Conclusion
Si je suis très confiant en ce qui concerne
l'unité du Canada, c'est que la plupart de mes concitoyens québécois seraient
d'accord avec les propos que j'ai tenus devant vous. Ils considèrent que le
Canada est un pays qui a réussi. Ils croient que c'est une chance d'être à la
fois Québécois et Canadien. Ils ne sont attirés par l'option sécessionniste
que lorsque les dirigeants sécessionnistes leur disent qu'ils pourraient
continuer de faire partie du Canada, d'une façon ou d'une autre, même s'ils
votent pour eux. Lorsque nous les aurons convaincus du fait qu'il n'y a pas de
contradiction à être à la fois Québécois et Canadien, l'appui à la
sécession va chuter, ce qui se produit d'ailleurs en ce moment.
Le gouvernement du Canada fait valoir cet
argument. Neuf provinces l'ont fait aussi par l'intermédiaire de la
déclaration de Calgary, qui met l'accent sur les valeurs que nous avons en
commun en tant que Canadiens. De plus, nous travaillons tous pour améliorer ce
pays en ramenant ensemble le déficit à zéro et en abaissant le taux de
chômage. Nous oeuvrons de concert avec les provinces afin de former des
partenariats dynamiques. En outre, nous nous assurons que tous les Canadiens
comprennent l'ampleur des difficultés que provoquerait l'éclatement de notre
pays.
Donc, en guise de conclusion, je tiens à
répéter que j'ai bon espoir, en tant que ministre des Affaires
intergouvernementales, en tant que Québécois et Canadien, qu'au cours du
prochain millénaire, le Canada demeurera un pays uni, tolérant et ouvert. Nous
allons y arriver. C'est une bonne nouvelle pour les Québécois et pour tous les
Canadiens. C'est aussi une bonne nouvelle pour vous, nos amis américains, qui
souhaitez que le Canada préserve son unité, non seulement pour des raisons
économiques, mais aussi en tant que voisin et allié fort et confiant.
(1) Par exemple, le représentant Luis V.
Gutierrez a fait observer que «Porto Rico ne constitue pas seulement un
territoire, c'est une nation. [L'imposition du statut d'État présente des
risques]. Il suffit de regarder le Québec» [Traduction libre]. (The Washington
Post, 30 septembre 1997); le maire de San Juan, Sila Maria Calderon, s'est posé
la question suivante : «le Congrès est-il disposé à accueillir un peuple
hispanophone ayant un sentiment de nationalité aussi pleinement développé que
celui du Québec et aussi jaloux de la protection de sa langue que l'est le
Québec?» [Traduction libre] (The Toronto Star, 26 octobre 1997).
Le discours prononcé fait foi.
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