« L'EXPÉRIENCE CANADIENNE ET
L'APPROCHE FÉDÉRALE AU XXIe SIÈCLE »
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DEVANT LA SOCIETÉ
AUTRICHIENNE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
VIENNE (AUTRICHE)
LE 23 JANVIER 1998
Bien que je sois l'homonyme de Céline Dion, je n'ai pas sa voix et je l'ai
moins que jamais aujourd'hui. Au Canada, en Ontario et au Québec, surtout au
Québec, nous venons de passer une semaine épouvantable à cause d'un déluge
de pluie verglaçante, le pire depuis qu'on tient des statistiques sur la
météo, et j'ai passé la semaine à me promener dans des villages où il y
avait ni électricité, il n'y avait pas de téléphone, dans l'obscurité, et
j'ai jamais cru dans ma vie que je verrais ça, des branches d'arbres qui
tombaient sur des voitures, et tout ça... et sur des maisons, des pylônes qui
s'écroulaient sur des maisons, et tout ça me laissait penser qu'en effet nous
sommes dans un monde global. Le réchauffement de la planète semble bien être
véritable, et on ne le gérera pas sans avoir une intégration forte de tous
les différents pays, et c'est un des thèmes dont je vais parler, la gestion
d'un monde global et le rôle du fédéralisme dans le cadre de cette gestion.
C'est avec un très grand plaisir que je prends la parole ici même, à Vienne,
parce qu'il y a à peine dix ans, cette ville se trouvait à la frontière d'une
Europe divisée. Aujourd'hui, elle se situe au coeur d'une nouvelle Europe. Vous
avez été témoins de l'extraordinaire transformation de l'Europe de l'Est, qui
paraissait inimaginable il y a dix ans. Tant la situation géographique de
l'Autriche que votre nouveau rôle dans le monde, ce dont témoigne sa prochaine
présidence de l'Union européenne, font de votre ville un endroit idéal pour
réfléchir à certains des principaux changements de l'ordre mondial. Je
mettrai l'accent, en particulier, sur les tendances que nous observons dans le
monde : expansion de la démocratie et des pratiques démocratiques et le rôle
de la fédération dans ce cadre. Je me propose de le faire en ma qualité de
Canadien, de Québécois, et de ministre chargé des relations entre
gouvernements au sein d'une fédération.
Il est vrai que nous assistons à l'expansion des modes de gouvernement
démocratiques. Il suffit de regarder un peu partout dans le monde, que ce soit
à l'est à partir de Vienne, ou en Amérique du Sud et dans une certaine mesure,
en Asie, où, là aussi, nous constatons une expansion de la démocratie. Nous
l'observons de plus en plus, un consensus est en train de se dégager dans le
monde sur le fait que la démocratie, j'entends par là des gouvernements élus
par le peuple et la primauté du droit, constitue la meilleure recette en vue de
la gestion interne d'une société.
Toutefois, nous avons de plus en plus de preuves qu'Emmanuel Kant avait raison
lorsqu'il soutenait qu'on pourrait mieux régler le problème externe de la
gestion de la chose publique, de la création d'une société internationale
d'États pacifiques, si ces États sont démocratiques. La démocratie vaut à
la fois pour les gestions interne et externe des affaires publiques. D'ailleurs,
on aurait du mal à citer deux démocraties bien enracinées qui se sont fait la
guerre. Je ne dis pas que cela n'arrivera jamais, mais je crois que la liberté
de l'opinion publique et des contre-pouvoirs ainsi que la primauté du droit
aident les pays à régler par des moyens pacifiques les conflits qui les
opposent.
Toutefois, la transition du totalitarisme à la démocratie ne s'est pas faite
sans heurts dans de nombreux pays. Vous le savez d'autant mieux que vous avez pu
observer cela près de votre pays. Nous avons connu une période de ruptures
politiques spectaculaires, fruit du communisme et de toutes ses conséquences.
Vous avez vu de près les bouleversements qui ont secoué l'Europe de l'Est,
dont l'éclatement de plusieurs pays, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie,
l'Union soviétique.
Mais qu'est-ce qui caractérise ces ruptures? Premièrement, elles ont eu lieu
dans des pays multi-ethniques ou multilingues. Deuxièmement, il s'agissait de
pays aux traditions démocratiques très peu enracinées. Ils n'avaient pas
derrière eux une longue histoire de débats et de compromis politiques. Ils ont
explosé lorsque le couvercle de la dictature a sauté, laissant échapper des
pressions internationales et internes. Prenez, par exemple, le cas qui a connu
la rupture la plus harmonieuse, la Tchécoslovaquie. Je considère que si ce
pays avait connu dix autres années de suffrage universel, une charte des droits,
des groupes de pression, tous ces éléments dont nous disposons dans les
démocraties solidement implantées, cette rupture aurait été de beaucoup plus
difficile.
Il aurait été impossible que deux dirigeants la négocient, presque dans un
climat de complot, en sachant que seulement un tiers de leurs citoyens était
favorable à ce scénario. Il aurait été impossible de négocier la rupture
sans donner voix au chapitre à la minorité hongroise de Slovaquie. Ce n'est
là qu'un seul exemple qui montre que dans une démocratie, dans une démocratie
bien ancrée, il ne s'est jamais produit de sécession à ce jour. Cela ne
signifie pas que c'est impossible; cela signifie simplement que les ruptures
auxquelles nous assistons dans ces pays ne sont pas des phénomènes liés à la
modernisation, à la mondialisation, ou à des tendances de ce type. Il s'agit
de phénomènes liés à la fin du totalitarisme, à la fin d'un mouvement qui a
pris forme au début du siècle et qui, dans un certain sens, appartient à
cette époque.
Mais des démocraties bien ancrées vivent des pressions du même ordre. Dans le
contexte de la mondialisation des économies, nous observons de plus en plus de
phénomènes macroéconomiques et micropolitiques. La question que je voudrais
vous poser est la suivante : croyez-vous que la mondialisation pourrait porter
atteinte à l'intégrité de l'espace démocratique existant? Estimez-vous que
nous serons témoins d'un effondrement comparable à celui que nous avons
constaté dans ces nouvelles démocraties? Est-il possible que nous assistions
maintenant à des éclatements de démocraties bien établies en raison des
pressions exercées par la mondialisation de l'économie et de la politique?
J'aimerais également vous demander s'il vous semble que la mondialisation de
l'économie encourage, d'une façon ou d'une autre, l'affirmation d'identités
régionalistes ou distinctes au sein des États-nations. Certaines forces
raffermissent les identités à l'intérieur des nations. Par exemple, il se
peut que l'intégration économique rehausse l'importance politique d'économies
régionales, au moment où les régions s'efforcent de s'adapter à des marchés
de beaucoup plus grande dimension. Dans mon pays, par exemple, de plus en plus
de régions ont des échanges commerciaux avec leurs voisins, les États-Unis,
situés à proximité. Le commerce intérieur a moins de valeur dans le cadre de
l'économie canadienne. Donc, peut-être les régions veulent-elles bénéficier
d'une plus grande latitude, de manière à être plus concurrentielles dans le
champ d'activité économique qui leur est propre. De plus en plus, les
relations Nord-Sud ont tendance à supplanter les relations Est-Ouest.
Nous assistons également, dans le contexte de l'économie mondiale, à une
augmentation importante des immigrants de diverses races et ethnies; ce
phénomène peut entraîner un contre-courant de nationalisme à l'échelle
locale. Il existe des pays, et je crois que votre pays en fait partie, où on
assiste à l'apparition de nouvelles formations politiques en réaction à cette
tendance; ces nouveaux partis veulent susciter ou favoriser un faux sentiment
d'homogénéité afin de faire face à ces difficultés.
Les valeurs libérales liées à l'intégration sur le plan international,
c'est-à-dire le pluralisme, les droits des groupes et la tolérance, pourraient
elles-mêmes avoir pour effet de renforcer les identités locales et d'instaurer
un climat propice à l'émergence d'identités collectives et à l'écoute de
leurs griefs. Dans le monde entier, la démocratisation apparaît souvent après
la formulation d'un nombre considérable de revendications en faveur de
l'autonomie locale.
Mais il y a d'autres forces que le mouvement identitaire local qui peuvent
déboucher sur la démocratisation. L'intégration économique exerce des
pressions très fortes en faveur de l'harmonisation des règles économiques, ce
qui limite les possibilités réelles de développement à l'échelle locale. La
transformation saisissante des goûts des consommateurs atténue les
comportements nationaux ou infranationaux distinctifs. De plus, sur le plan
culturel, les valeurs de l'internationalisation peuvent susciter une plus grande
sympathie à l'égard de l'identité de groupes, mais elles sont également
liées à une conception plus large de la participation universelle des êtres
humains, phénomène qui tend à freiner les revendications d'un traitement
respectueux des particularismes.
Par ailleurs, nous voyons les accords internationaux officiels se multiplier,
mettant en relief l'importance d'une communauté plus large, ainsi que les
avantages qu'il y a à ce que la population d'un pays soit relativement unie
lorsqu'elle traite avec des partenaires étrangers. C'est pourquoi je considère
qu'une dynamique de forces centripètes et centrifuges est à l'oeuvre dans bon
nombre de nos sociétés démocratiques. Je suis d'avis que, dans la plupart des
cas, il est possible de concilier ces effets contrastés à l'intérieur des
États existants et que le fédéralisme peut, souvent, constituer un moyen
très efficace d'atteindre cet objectif.
Le fédéralisme représente une forme de gestion des affaires publiques qui a
fait ses preuves des façons les plus diverses depuis plus de deux siècles. Il
convient particulièrement bien aux sociétés qui ont des populations très
nombreuses ou réparties sur de vastes territoires. En réalité, à la seule
exception du Japon, toutes les démocraties ayant une population d'au moins 60
millions d'habitants, que ce soit l'Inde, les États-Unis, l'Allemagne, la
Russie et le Brésil, ont un régime fédéral. Il en va de même pour les pays
comme le Canada ou l'Australie, qui ont la taille d'un continent.
Le fédéralisme convient également bien aux sociétés multi-ethniques ou
multilingues. L'Inde, le Canada, la Suisse sont des fédérations depuis
longtemps, mais il est révélateur que la Belgique bilingue et l'Afrique du Sud
multilingue aient, elles aussi, adopté récemment ce type de gestion. On s'est
servi du fédéralisme, dans le but très conscient de limiter les risques d'une
concentration excessive du pouvoir au sein d'une démocratie. Ces facteurs ont
inspiré à la fois les États-Unis et l'Allemagne.
Le fédéralisme constitue également un système de gouvernement extrêmement
souple, comme j'en discutais aujourd'hui avec mes collègues du Bundesrat et du
gouvernement autrichien. On peut conjuguer le fédéralisme à différents
régimes parlementaires, règles électorales et approches du partage du
pouvoir. Bien sûr, le fédéralisme ne convient pas à toutes les sociétés,
mais je considère qu'Alexis de Tocqueville avait fondamentalement raison,
lorsqu'il a écrit au siècle dernier, et je cite : «C'est pour unir les
avantages divers qui résultent de la grandeur et de la petitesse des nations
que le système fédératif a été créé».
Ce régime, le fédéralisme, aidera un monde comprenant plus de 3 000 groupes
ethniques vivant dans des aires géographiquement définies à s'adapter à un
système d'États composé d'environ 200 membres. Mon analyse explique, dans une
large mesure, à la fois mon engagement envers le régime fédéral canadien et
mon optimisme à ce sujet. Vous me permettrez donc de dire quelques mots au
sujet du Canada.
Nous, Canadiens, avons la troisième fédération la plus ancienne au monde.
C'est une association qui a permis au Canada de se développer, de prospérer et
d'acquérir une identité distincte. Je m'adresse à vous en tant que
Québécois francophone. Ma propre société se trouve dans une situation unique
en Amérique du Nord. Le Québec compte une majorité de francophones et une
minorité d'anglophones. Il est naturel qu'en tant que Québécois, nous ayons
un fort sentiment de notre identité et que nous nous nous sentions vulnérables
face à cette mer d'anglophones qui nous entoure et nous attire. De fait, si
nous laissons de côté le Mexique, la quasi-totalité du continent que forment
les États-Unis et le Canada est le premier continent unilingue, à peu de
choses près, depuis le début de l'histoire de l'humanité, et ce, à un moment
où le nombre de langues diminue au lieu d'augmenter, pour la première fois
dans l'histoire. Donc, ne soyez pas surpris que nous, Québécois, Québécois
francophones, nous sentions un peu isolés. Nous ne vivons pas sur un continent
plurilingue comme l'Europe. Nous sommes confrontés à la langue qui, en plus
d'être la langue internationale, est aussi la langue d'assimilation par
excellence.
Toutefois, les Québécois que nous sommes ont construit et développé leur
société unique au sein du cadre fédéral canadien. Cent trente ans après
l'établissement de la fédération canadienne, le Québec est plus francophone
qu'il ne l'a jamais été, les citoyens parlant le français représentant 84 %
de sa population. Le fédéralisme ne nous a pas seulement permis d'atteindre
nos objectifs comme société, il nous a enrichis sur le plan culturel et nous a
encouragés, comme il l'a fait pour nos compatriotes des autres provinces, à
acquérir une attitude plus tolérante et à développer chez nous un plus fort
sentiment de solidarité.
En fait, le XIXe siècle a été un siècle d'assimilation. Même les penseurs
libéraux de l'époque croyaient qu'il était de leur devoir de faire en sorte
que tous et chacun aient les mêmes chances dans la vie. Si vous êtes
francophone dans un milieu où l'anglais est la langue de l'industrie, vous
devriez devenir Anglais. C'est bon pour vous. C'était donc, si vous voulez,
l'assimilation libérale. C'était l'idéologie de l'époque.
Mais les Britanniques, au Canada, ont essayé d'assimiler les Français, et ils
ont échoué. Les deux communautés ont alors eu à apprendre à s'accepter
mutuellement, à se respecter, à s'entraider. En retour, ces deux groupes de
citoyens canadiens étaient disposés à accepter et à accueillir
chaleureusement des immigrants venant de toutes les régions du monde, de tous
les continents. Cela explique qu'aujourd'hui, le pays multiculturel qu'est le
Canada se classe presque toujours, dans les études comparatives, au premier
rang pour ce qui est de la tolérance, de la diversité raciale et de
l'immigration. Je pourrais énumérer de nombreuses autres réalisations de mon
pays qui contribuent à sa qualité de vie, mais celle que je viens d'évoquer
suffit à elle seule à me rendre très fier d'être Canadien.
Cette réalisation suit les Canadiens depuis la formation de leur pays, parce
que les populations anglaise et française se sont vues dans l'obligation
d'apprendre à s'accepter l'une l'autre. Je crois qu'il serait honteux,
maintenant que nous avons atteint cet objectif, d'envoyer au reste du monde le
message que nous avons fait des efforts, mais qu'en dernière analyse, pour les
populations française et britannique ou, comme on les appelle de nos jours,
pour les francophones et les anglophones, la séparation représente la seule
avenue. Je crois qu'il s'agirait là d'une erreur terrible, car le
fédéralisme, comme philosophie applicable à la vie publique, encourage la
tolérance qui se manifeste dans notre capacité d'accepter différentes façons
de faire.
Le philosophe canadien Charles Taylor — et il est également Québécois —
parle de diversité, grâce à laquelle les citoyens prennent conscience de leur
statut sous diverses formes. Cela suppose que nous ayons nous-mêmes plusieurs
identités et que nous acceptions la différence; cela suppose aussi, jusqu'à
un certain point, que nous partagions ces identités avec d'autres. Je suis
Québécois et Canadien; je ne vois pas de contradiction entre ces deux
identités. Je veux convaincre mes compatriotes de cette réalité : le fait
d'avoir en commun notre pays, une fédération généreuse comptant des
populations qui ne parlent pas notre langue, dont les repères culturels ne sont
pas toujours les nôtres, mais qui veulent nous aider et acceptent notre aide,
c'est une occasion, une grande occasion qu'il nous faut saisir pour nous-mêmes
et pour la génération à venir.
Il est formidable que nous partagions notre pays avec des gens aux antécédents
différents, qu'ils soient de l'Atlantique, de l'Asie ou du Pacifique. Je ne
veux pas que ma fille de dix ans manque cette possibilité parce que nous
croyons que ces gens ne veulent pas de nous ou parce qu'ils croient que nous ne
voulons pas d'eux. Ce serait là commettre une erreur terrible.
Je suppose que la situation est semblable dans de nombreux pays d'Europe, où il
faut que les gens acceptent d'être Catalans, Espagnols et aussi Européens. Et
pourquoi pas? Qui peut affirmer qu'il existe une contradiction entre ces
identités si on arrive à concilier les besoins de chacune de ces identités au
sein d'un même État? Ces réflexions vous aideront à comprendre les motifs
qui m'incitent à m'opposer au séparatisme dans mon propre pays et à estimer,
de façon générale, que cette orientation constitue une façon de penser mal
adaptée aux sociétés démocratiques. Certes, une sécession peut se justifier
dans un contexte colonial, lorsque les citoyens ne jouissent pas des droits qui
découlent de la citoyenneté. En revanche, dans un pays où, en ma qualité de
francophone, je bénéficie des mêmes droits qu'un anglophone, je ne vois pas
une seule raison pour laquelle il faudrait préconiser la sécession.
D'ailleurs, ce n'est certes pas par pure coïncidence qu'en définitive, le
droit international ne reconnaît pas le droit à l'autodétermination dans sa
forme extrême — à savoir le droit à la sécession — ailleurs que dans les
situations coloniales. En situation coloniale, c'est permis, mais en dehors
d'une situation coloniale, ce ne l'est pas en vertu du droit international. Bien
que nous admettions la possibilité d'accepter la sécession si elle se fait, le
droit de la faire n'existe pas. Il me paraît que cette façon de voir repose
sur une certaine philosophie.
Il ne devrait pas être nécessaire d'aller jusqu'à la séparation dans des
sociétés démocratiques pluralistes. Le fédéralisme est une formule qui, non
seulement concilie une large gamme d'objectifs, mais qui peut aussi aller
au-delà, créant ainsi un climat plus profond de tolérance et de respect.
Avant de conclure, je tiens à dire que de plus en plus de mes compatriotes se
rendent compte que notre débat interminable, au Canada, ne constitue pas
uniquement un débat strictement canadien; il s'agit d'un débat universel. J'ai
la certitude que de nombreux Autrichiens ne souhaitent pas que le Canada donne
un mauvais exemple à vos nouveaux voisins. Vous aspirez à la stabilité, vous
la méritez et vous vous employez à encourager vos voisins à trouver une
solution pacifique à leurs problèmes.
Si un pays aussi riche que le Canada, un pays qui offre autant de possibilités
que le Canada, dit au reste du monde : «ne vous donnez même pas la peine
d'essayer, nous avons échoué», comment ces pays arriveront-ils à résoudre
leurs différends? Ce serait un précédent très fâcheux. Je sais ce qui se
produirait. Je sais que dans bon nombre de pays, les majorités tireraient une
leçon de la situation au Canada et diraient : «Notre pays ne devrait pas être
aussi démocratique que le Canada l'a été, aussi décentralisé et aussi
tolérant, aussi ouvert à l'égard de nos minorités que le Canada l'a été,
car, sinon, nos minorités vont nous détruire».
En tant que Québécois, je ne suis pas fier d'entendre le mot Québec prononcé
au Congrès américain, lorsqu'il discute de la possibilité de conférer à
Porto Rico le statut d'État, alors que les opposants à cette thèse font
valoir qu'ils ne veulent pas créer un Québec antillais. Je ne suis pas très
fier lorsqu'au cours d'une campagne référendaire en Grande-Bretagne, ceux qui
s'opposaient à ce qu'on accorde un parlement aux Écossais et aux Gallois, ont
tenu les propos suivants : «Vous ne voulez tout de même pas créer un Québec
en Grande-Bretagne». Je veux entendre le contraire. Je veux que, dans le monde
entier, des majorités disent : «Nous devrions être libéraux et tolérants à
l'égard de nos minorités, parce qu'au Canada, les Québécois et les autres
Canadiens s'entraident et ils ont une fédération forte qui fonctionne bien».
Il nous faut inventer nos Canada, nos propres Canada. Nous ne devons pas
détruire celui qui existe déjà. Nous, au Canada, nous sommes conscients des
composantes universelles de notre débat.
Permettez-moi, en guise de conclusion, de vous faire remarquer qu'à mes yeux,
ceux qui vivent dans des régimes fédéraux ont beaucoup à apprendre les uns
des autres; ils ont également une contribution à apporter dans la recherche
d'un monde meilleur. Au cours de la dernière semaine, j'ai visité les quatre
fédérations européennes que sont la Belgique, l'Allemagne, la Suisse et
l'Autriche. Les enseignements que j'en ai tirés m'ont aidé à jeter un regard
neuf sur mon propre pays et m'inciteront à réexaminer certaines de nos
pratiques canadiennes.
Je suis d'avis qu'il serait fort utile de reproduire une expérience de ce type
dans une démarche plus générale, en créant un forum permettant aux
fédérations de se rencontrer à l'occasion afin de mettre en commun des
expériences et des idées. Non seulement cela serait bénéfique aux
fédérations plus anciennes comme l'Autriche et le Canada, mais j'estime que
cela pourrait aider des gens dans des pays comme l'Afrique du Sud et la Russie,
qui oeuvrent en vue de la mise en place de nouveaux régimes fédéraux qui
soient stables.
J'ai lancé cette idée dans mes entretiens avec mes interlocuteurs européens
et je suis heureux de l'intérêt qu'ils ont manifesté. Je m'emploierai à la
faire cheminer au cours des prochains mois. Cela fera partie de mes tâches, en
tant qu'unique ministre chargé de l'unité dans une démocratie bien
enracinée; je suis à la fois président et membre du club des ministres
chargés de l'unité, et mon objectif consiste à faire disparaître la
nécessité de mon propre rôle pour vivre dans une fédération aussi sûre et
aussi unie que l'Autriche.
L'allocution prononcée fait
foi.
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