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Archives - Salle de presse

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« LES DIFFICULTÉS PRATIQUES D'UNE
SÉCESSION UNILATÉRALE »

NOTES POUR UNE ALLOCUTION DEVANT L'ASSOCIATION DU BARREAU CANADIEN

MONTRÉAL

LE 23 MARS 1998


Vous qui êtes juristes savez que l'on ne saurait plaider une cause devant l'opinion publique, surtout lorsqu'elle a déjà été entendue par la Cour suprême. Je n'ai donc pas l'intention de vous présenter à nouveau les arguments que nous avons soumis dans le cadre du renvoi sur la dimension juridique d'une sécession unilatérale. Mon propos est tout autre. Ce que je voudrais examiner avec vous, ce sont les conséquences pratiques qu'une telle déclaration unilatérale d'indépendance entraînerait pour les citoyens du Québec.

Le débat sur la séparation-indépendance-souveraineté-sécession du Québec s'étire depuis plus de trente ans. On pourrait en déduire que tous les aspects de la question ont été explorés à fond. En fait, une dimension essentielle du problème a été presque entièrement négligée.

Le débat s'est en effet centré sur le «pourquoi», mais a négligé le «comment». On s'est demandé «pourquoi» faire ou non l'indépendance, sans s'arrêter vraiment à se demander «comment» cette indépendance pourrait se faire, c'est-à-dire comment le Québec pourrait passer du statut de province canadienne à celui d'État indépendant.

Les partis indépendantistes ont certes une thèse bien arrêtée à cet effet. Jusqu'à récemment, toutefois, celle-ci n'avait pas été discutée autrement que de façon superficielle.

En vertu de cette thèse, le gouvernement indépendantiste monopolise la procédure, fort de sa majorité à l'Assemblée nationale. Une fois élu, il détermine seul si l'accession à la souveraineté doit passer par deux référendums comme en 1980, ou par un seul comme en 1995. Cette consultation populaire est fixée et interprétée par lui seul, au moment qui lui semble opportun, avec la question qu'il lui plaît de poser. Une majorité simple lui suffit pour proclamer l'indépendance et ce changement de statut vaut pour tout le territoire du Québec. La négociation avec le Canada peut se faire avant ou après la déclaration d'indépendance, le gouvernement gardant la liberté de se déclarer indépendant à tout moment s'il n'aime pas la tournure des négociations. Il est en position de force au point même de pouvoir claquer la porte en laissant derrière lui sa part de la dette, menace que réitérait encore récemment M. Gilles Duceppe.

Tel est, si l'on peut dire, le credo indépendantiste sur la procédure de sécession. Quiconque met en doute ce credo se fait traiter d'antidémocrate, d'ennemi du Québec et j'en passe.

Mais ne nous laissons pas intimider et essayons de départager le vrai du faux. Ce qui me semble vrai, c'est que nous, Québécois, ne serons jamais retenus dans le Canada contre notre volonté très clairement exprimée. Il me paraît cependant inexact de prétendre que seul notre gouvernement provincial peut apprécier cette volonté des Québécois. De plus, il est erroné de penser que ce gouvernement pourrait seul déterminer ce qui serait négociable et ce qui ne le serait pas et dicter les termes de la sécession.

Déjà une sécession mutuellement consentie poserait d'énormes problèmes pratiques. Une déclaration unilatérale d'indépendance créerait des difficultés concrètes insurmontables. Permettez que j'examine avec vous pourquoi.

Les difficultés pratiques d'une sécession unilatérale

Si la sécession devait être tentée au Canada, ce serait la première fois que l'on scinderait une démocratie bien établie. Ce serait la première fois qu'on entreprendrait de retirer à des citoyens qui veulent la garder une citoyenneté conférant des droits aussi étendus que la nôtre. Ce serait la première fois qu'une sécession serait tentée alors qu'existent une charte des droits, des groupes organisés pour défendre les intérêts les plus divers, des droits minoritaires bien reconnus, des responsabilités fiduciaires envers les Autochtones. Jamais jusqu'à présent n'a-t-on tenté de départager des bureaucraties publiques aussi complexes et élaborées, avec un secteur public qui représente près de la moitié de la richesse collective.

On n'ose imaginer ce qui se produirait si le gouvernement indépendantiste, après avoir posé sa question «gagnante» et arraché une courte majorité référendaire dans ce que M. Claude Ryan a appelé une «dangereuse ambiguïté», et après que son offre de partenariat politique et économique a été vivement rejetée en raison de son irréalisme, se déclarait unilatéralement gouvernement d'un État indépendant.

Le 12 novembre 1997, lors d'une conférence de presse, le ministre Jacques Brassard laissait entendre qu'il suffirait, après une déclaration unilatérale d'indépendance, que son gouvernement exerce «une autorité effective sur le territoire du Québec» pour que la reconnaissance internationale s'ensuive. Il brandissait là un scénario très inquiétant, chargé d'incertitudes et presque certainement voué à l'échec.

En pratique, ni M. Brassard ni aucun ministre péquiste n'ont jamais expliqué comment leur gouvernement pourrait récupérer toutes les responsabilités fédérales sur tout le territoire québécois. Car c'est bien cela la définition la plus concrète que l'on puisse donner d'une tentative de sécession unilatérale : le gouvernement du Québec essaierait d'avaler les institutions communes canadiennes en ce qu'elles touchent le Québec. Le gouvernement fédéral, lui, estimerait de son devoir, dans le contexte de «dangereuse ambiguïté» précité, de continuer à exercer ses responsabilités constitutionnelles puisque 1) les Québécois n'auraient pas clairement indiqué leur désir de renoncer au Canada pour faire du Québec un État indépendant et que 2) la sécession n'aurait pas été dûment négociée.

Une telle tentative du gouvernement du Québec échouerait pour deux raisons. Premièrement, le conflit de légitimité que provoquerait une déclaration unilatérale d'indépendance placerait les citoyens québécois dans une situation intenable, inacceptable en démocratie. Deuxièmement, le gouvernement du Québec n'aurait pas les moyens de ses prétentions et ne pourrait assumer toutes les fonctions actuellement remplies par le gouvernement fédéral. Examinons tour à tour ces deux aspects du même problème.

Considérons d'abord le dilemme moral qui se poserait aux citoyens. Chacun serait obligé de décider pour soi-même à quelle loi, à quel gouvernement, il obéirait. En démocratie, on n'a pas à choisir entre différents ordres publics. Le citoyen qui remplit sa déclaration d'impôt, le fonctionnaire qui se lève le matin pour aller au bureau, le policier qui mène son enquête, l'avocat qui défend son client, tous doivent savoir où loge l'autorité. Quand les citoyens seraient appelés à voyager, quel passeport et quels services d'ambassade utiliseraient-ils sinon ceux du Canada?

Qu'en serait-il des nombreux citoyens québécois qui sont à l'emploi de la fonction publique fédérale et des sociétés de la Couronne fédérale comme la Société canadienne des postes et Radio-Canada? En l'absence d'ententes avec le gouvernement canadien, quitteraient-ils leur emploi pour se joindre à la fonction publique québécoise? Sans entente sur le transfert de leur fonds de pension, prendraient-ils le risque que les sommes accumulées, alors qu'ils étaient à l'emploi du gouvernement fédéral ou des sociétés de la Couronne, ne soient pas transférées à leur nouvel employeur?

Des questions tout aussi épineuses se poseraient également eu égard au maintien de l'ordre. Les membres de la GRC renonceraient-ils à exercer les fonctions que leur attribuent de nombreuses lois fédérales, comme les enquêtes relatives aux infractions en matière de drogue et de blanchiment d'argent? Les policiers de la Sûreté du Québec accepteraient-ils de faire respecter des lois que les autorités fédérales ne reconnaîtraient pas et dont on contesterait la légitimité et la légalité devant les tribunaux? Et dans quelles institutions carcérales enverrait-on les personnes déclarées coupables d'une infraction criminelle? Quant aux citoyens qui refuseraient de se plier à certaines lois québécoises au motif qu'elles ne seraient pas conformes à la Constitution canadienne, devant quel tribunal les poursuivrait-on?

En de telles circonstances, vous tous qui pratiquez le droit, quel conseil donneriez-vous à une entreprise oeuvrant dans un domaine de compétence fédérale et qui désirerait obtenir un permis ou une autorisation environnementale, modifier sa structure corporative, ou régler un problème de relations de travail? En cas de litige commercial opposant un de vos clients à un concurrent américain, quel gouvernement vous donnerait accès aux mécanismes de règlement des différends prévus par l'Accord de libre-échange? Sûrement pas un gouvernement qui se dit indépendant mais qui n'est pas signataire de l'ALENA.

Du point de vue du gouvernement du Québec, maintenant, imaginons le capharnaüm en matière d'impôts! Comment, en l'absence d'une collaboration intense du gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec récupérerait-il les retenues à la source en matière d'impôts ou d'assurance-emploi, les taxes d'accise et les droits de douane, le paiement des permis d'exploitation, les redevances de toutes sortes et les divers prélèvements pour l'exercice d'innombrables activités économiques et professionnelles? Et à partir du moment où le gouvernement du Québec ne peut pas compter sur tous les revenus d'impôt et de taxe versés par les Québécois, comment pourrait-il fournir tous les services et assumer tous les programmes fédéraux au Québec, comme l'assurance-emploi et les pensions de vieillesse?

Comment le gouvernement du Québec pourrait-il empêcher les citoyens de la province de continuer à se prévaloir des services dispensés par le gouvernement fédéral, surtout dans la mesure où il n'a pas les moyens, l'expertise ni les ressources humaines pour les offrir lui-même? Peut-on imaginer que les artistes et les gens d'affaire se priveraient des subventions et prêts de toutes sortes consentis par le gouvernement du Canada?

Simplement pour transférer 1 000 fonctionnaires du gouvernement fédéral vers le gouvernement du Québec dans le cadre de la nouvelle entente sur la main-d'oeuvre, il a fallu prendre d'infinies précautions. Pourtant, les deux gouvernements ont étroitement collaboré et le gouvernement fédéral a consenti à défrayer l'essentiel des coûts du transfert. Le grand branle-bas que représenterait une intégration de la bureaucratie fédérale au secteur public québécois tentée contre l'avis du gouvernement fédéral dépasse l'entendement. Le gouvernement du Québec n'en aurait pas les moyens, surtout pas dans la turbulence économique provoquée par sa tentative de sécession unilatérale.

On pourrait prendre bien d'autres exemples de difficultés pratiques inextricables que créerait une déclaration unilatérale d'indépendance : les activités portuaires, les pêches, les aéroports, la réglementation du trafic aérien, les banques... Notre société québécoise se trouverait tout entière divisée en elle-même, ballottée par des directives conflictuelles, dans un climat survolté et chargé d'émotions.

Autant l'admettre carrément : la scission d'une démocratie bien établie comme le Canada, dont le secteur public représente la moitié de l'économie, est une entreprise impossible sans la collaboration volontaire et intense des gouvernements et des citoyens de ce pays. Si on devait en venir à constater que les Québécois ne veulent plus demeurer Canadiens, la négociation s'engagerait à l'intérieur du cadre juridique. Dans cette hypothèse, le gouvernement sécessionniste ne serait aucunement en mesure de décider seul de ce qui serait négociable et de ce qui ne le serait pas. La sécession serait très difficile à réaliser, les embûches et les risques de dérapage nombreux, la situation économique profondément perturbée, mais du moins pourrait-on espérer éviter le chaos.

Une sécession mutuellement consentie ne pourrait reposer que sur un appui très clair des Québécois, constaté par tous, et devrait être négociée avec un souci d'équité pour tout le monde. Il faudrait tenir compte des intérêts divers qui s'exprimeraient au Québec, de même que des préoccupations de tous les Canadiens. Il me semble que nous devrions tous en convenir, que nous soyons pour le Canada uni ou pour l'indépendance du Québec.

Les chefs indépendantistes, eux, prétendent que le Canada serait une «prison» s'il ne s'engageait pas à reconnaître une éventuelle déclaration unilatérale d'indépendance. Alors ils doivent être prêts à qualifier de «prisons» toutes les démocraties constitutionnelles au monde. Plusieurs se déclarent indivisibles, et aucune n'accepterait pour elle-même la possibilité d'une sécession unilatérale. Ils devraient d'ailleurs appeler aussi «prison» l'entité sécessionniste indivisible en laquelle ils veulent transformer le Québec.

Convenir qu'une sécession unilatérale pose des problèmes pratiques inextricables n'a rien à voir avec une soi-disant ligne dure contre le Québec, bien au contraire. Qui aime le Québec ne veut pas le voir un jour plongé dans une telle incertitude inacceptable en démocratie.

Conclusion

Il aurait été beaucoup plus agréable pour moi de vous entretenir d'autres sujets qui, eux, évoquent l'unité, comme la transformation des forces économiques du Canada et la grandeur de nos valeurs communes telles qu'exprimées dans la déclaration de Calgary. De même aurais-je pu vous parler avec enthousiasme des initiatives du gouvernement libéral qui ont amélioré cette fédération, et auxquelles j'ai eu le plaisir de collaborer, depuis les nouvelles ententes sur la main-d'oeuvre jusqu'à l'harmonisation des politiques d'environnement, en passant par la modification constitutionnelle sur les commissions scolaires.

Dans deux jours, je parlerai à l'Université d'Ottawa du caractère décentralisé de la fédération canadienne et des changements que nous avons apportés depuis deux ans à cette fédération. Voilà un sujet qui me passionne.

Tenez, devant une assemblée de juristes, j'aurais tellement préféré développer un sujet qui me tient à coeur : l'harmonisation des lois fédérales avec le Code civil. Notre pays est non seulement bilingue mais bijuridique et c'est là l'une de ses grandes forces méconnues. Dans nos échanges avec l'Amérique du Sud, par exemple, notre tradition civiliste nous donne automatiquement un avantage que les Américains n'ont pas.

Au lieu de cela, j'ai envisagé avec vous une possibilité qui me répugne profondément, celle d'une rupture entre les Québécois et les autres Canadiens. Pourquoi scruter cette possibilité? Parce que la franchise commande de dire qu'il n'y a pas de consensus non seulement sur l'opportunité de faire ou de ne pas faire sécession, mais aussi sur la manière par laquelle cette sécession pourrait s'effectuer.

Il n'y a pas de consensus sur l'opportunité de tenir un troisième référendum. Il n'y en a pas sur la question à poser à cet éventuel référendum. On n'en voit pas sur la majorité requise pour faire sécession. Il n'y en a pas sur le statut des territoires habités par des populations qui très clairement, entendent rester canadiennes, les Autochtones notamment. Sur toutes ces questions et bien d'autres encore, les Québécois sont divisés entre eux, sans parler même des opinions qui ont cours ailleurs au Canada.

De plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer des clarifications sur toutes ces questions. Comme l'écrivait Michel Venne dans Le Devoir du 7 mars dernier :

«La polémique autour du grand jeu parisien de Jacques Parizeau et autour des 19 milliards de dollars qui auraient été mis de côté pour prévenir les coups, a amené bien des Québécois à se demander ce qui se produirait si le OUI l'emportait. Y aurait-il des négociations avant ou après la déclaration de souveraineté? Ces négociations porteraient sur quoi au juste? À quel moment le Québec se tournerait-il vers la communauté internationale? On ne veut pas des dates. Mais une idée assez précise du processus.»

M. Bouchard ne devrait pas craindre d'apporter ces clarifications nécessaires, à moins, bien sûr, qu'il craigne qu'en toute connaissance de cause, sans astuce, les Québécois ne veuillent jamais renoncer au Canada. Ma conviction à moi est que dans la clarté des choses, jamais nous ne renoncerons à être à la fois Québécois et Canadiens. Nous continuerons à améliorer toujours davantage cette fédération qui nous sert déjà si bien, en aidant nos concitoyens des autres provinces, et en acceptant leur aide.

L'allocution prononcée fait foi.  


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Mise à jour : 1998-03-23  Avis importants