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Archives - Salle de presse

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« UNION SOCIALE VEUT DIRE ENTRAIDE CANADIENNE »

NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DEVANT LE WOMEN'S CANADIAN CLUB OF TORONTO

TORONTO, ONTARIO

LE 10 DÉCEMBRE 1998


Union sociale : l’expression est peut-être nouvelle, mais l’union sociale canadienne existe bel et bien. Il ne s’agit pas de la créer. Il s’agit de l’améliorer. Après vous avoir décrit ce qu’est l’union sociale et la nature des négociations que les gouvernements mènent à son propos, j’examinerai avec vous les liens qu’il faut établir entre d’une part, ces négociations et notre système fédéral et d’autre part, notre problème d’unité nationale.

En effet, deux craintes ont été abondamment exprimées ces derniers jours à propos de ces négociations, particulièrement en Ontario. Ces deux craintes, vous les ressentez peut-être. Voyons si je saurai les dissiper.

Beaucoup de gens craignent que la qualité de nos programmes sociaux et de notre système de santé soit sacrifiée 1) pour acheter la paix avec les provinces, ou 2) pour accommoder les séparatistes. Je peux vous assurer que tel ne sera pas le cas. Ces deux craintes sont non fondées. Dans cette affaire, le Premier ministre Jean Chrétien et l’ensemble de son gouvernement n’ont qu’un seul objectif : trouver le cadre de décision le plus apte à produire les meilleures politiques sociales et de santé pour tous les Canadiens où qu’ils soient au Canada. Et c’est d’ailleurs ainsi, en ayant pour seule visée la qualité du service à la population, que nous améliorerons notre fédération et consoliderons l’unité de notre pays.

Un regroupement de femmes tel que le vôtre, c’est ce qu’il me fallait comme auditoire pour parler de l’union sociale actuellement en négociation au Canada. Les femmes, plusieurs études le démontrent, tendent à avoir des préoccupations sociales plus marquées que les hommes. Parce qu’elles sont plus intelligentes, bien sûr... mais surtout parce que c’est en bonne partie sur leurs épaules que retombe le poids des carences de nos politiques sociales et de santé.

1. Qu’est-ce que l’union sociale?

L’union sociale, c’est l’entraide canadienne, l’un des meilleurs principes d’entraide que des êtres humains aient inventés. C’est l’entraide canadienne dans ses aspects les plus cruciaux pour les gens : la santé, la protection sociale, l’égalité des chances.

Où que nous soyons au Canada, nous voulons avoir accès à des soins de santé de qualité pour tous sans égard au revenu personnel, nous voulons recevoir l’aide nécessaire en cas de perte d’emploi ou d’invalidité, nous voulons que nos jeunes poursuivent leurs études dans de bonnes conditions et nous voulons des régimes de pension et de prestation pour les aînés qui nous permettent de préserver notre qualité de vie pendant nos vieux jours. Ces programmes et services sont ce que nous appelons l’union sociale.

Toutes les sociétés industrialisées ont lancé de nouveaux programmes sociaux après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, mais rares sont celles qui ont aussi bien réussi que nous. Selon une étude effectuée en 1997 par la British Economist Intelligence Unit, par exemple, le Canada se classait au quatrième rang au monde pour la santé de sa population et au deuxième rang pour ses pratiques médicales. Selon le World Economic Forum, le Canada occupe la première place sur 53 pays pour la fréquentation des institutions postsecondaires. De façon plus générale, nos pratiques gouvernementales semblent être de bonne qualité si on les compare à celles des autres pays. Une étude sur la qualité des gouvernements rendue publique récemment par un centre de recherche américain, le National Bureau of Economic Research, classait le Canada au cinquième rang sur 150 pays.

Toutefois, un rapport tout récent de l’ONU a estimé que l’action des gouvernements envers les plus démunis était insuffisante au Canada. Et vous connaissez la situation inquiétante touchant la pauvreté des enfants en notre pays. Notre union sociale a des faiblesses graves et il y a beaucoup à faire. L’occasion est propice de revoir nos façons de faire, maintenant que les gouvernements ont mis de l’ordre dans leurs finances publiques et espèrent être en situation de réinvestir dans la santé et le social.

D’où les négociations fédérales-provinciales-territoriales en cours. À l’invitation surtout du Premier ministre du Canada et du premier ministre de la Saskatchewan, les premiers ministres ainsi que les leaders territoriaux de ce pays se sont entendus, le 12 décembre 1997, pour essayer d’améliorer l’union sociale canadienne. Ils en ont donné le mandat à leurs ministres responsables. La coprésidence des négociations est assurée par ma collègue Anne McLellan, présidente du Comité du Cabinet fédéral sur l’union sociale et par Bernie Wiens, ministre des Affaires intergouvernementales de la Saskatchewan.

L’objectif de ces négociations est que les gouvernements améliorent ensemble l’union sociale canadienne. Il faut trouver le cadre de décision le plus apte à aider les gouvernements à aider les Canadiens.

2. L’union sociale et les relations fédérales-provinciales

Pour améliorer notre union sociale, nous devons nous appuyer sur les forces de notre fédération. Ni le gouvernement fédéral, ni les provinces ne pourront réussir seuls. Il faut que les gouvernements travaillent mieux ensemble dans le respect de leurs compétences et pouvoirs constitutionnels. C’est pour ça que nous avons une fédération.

Au fait, posons-nous la question : Pourquoi avons-nous une fédération? Ma réponse : pour poursuivre des objectifs communs dans la diversité des expériences.

Les pays unitaires se donnent des objectifs communs, mais ils ne peuvent pas s’appuyer autant que les fédérations sur cette richesse que représente la diversité des expériences. Dix républiques égoïstes au nord des États-Unis expérimenteraient des choses très différentes, mais elles n’auraient pas du tout la même capacité de poursuivre des objectifs communs et de s’entraider comme c’est le cas dans notre fédération.

Nous avons des provinces fortes en mesure d’expérimenter leurs propres solutions. Et nous avons un gouvernement fédéral fort en mesure de contribuer à étendre les expériences provinciales les plus valables à l’ensemble des Canadiens. C’est ainsi que nous les Canadiens avons réussi l’exploit de nous donner un système de santé infiniment plus humain que celui des États-Unis. Et c’est ainsi que, plus récemment, est née la Prestation nationale pour enfants, cette nouvelle initiative fédérale-provinciale qui doit réussir à inverser la tendance à la hausse de la pauvreté chez les enfants.

Pour améliorer notre union sociale, il nous faut accroître notre capacité de dégager des objectifs communs et d’expérimenter différentes solutions. Il nous faut mieux évaluer le mérite de ces différentes solutions et, de façon plus systématique, les comparer entre elles par une saine émulation.

Il est dans la nature des choses que les provinces soient surtout préoccupées par la diversité de leurs expériences, c’est-à-dire par leur propre autonomie, tout en gardant en tête la nécessité d’avoir des objectifs communs au Canada.

Inversement, il est dans la nature des choses que le gouvernement fédéral, lui, en tant que gouvernement élu de tous les Canadiens, soit surtout préoccupé par les objectifs communs, tout en gardant en tête la diversité du pays.

Cette différence de perspective toute naturelle entre les deux ordres de gouvernement peut créer entre eux des frictions, surtout dans un contexte de rigueur budgétaire. Ces tensions donnent des maux de tête aux politiciens et aux bureaucrates, de la bonne copie aux journalistes, mais, au bout du compte, par un effet de synergie, de meilleurs services à la population.

Je vous dis tout cela parce que c’est exactement ce qui se passe lors des présentes négociations sur l’union sociale.

Le mandat de négociation a été donné par les premiers ministres à leurs ministres le 12 décembre 1997. Les provinces ont présenté une position commune le 18 juin 1998. Le gouvernement fédéral a fait connaître sa propre proposition un mois plus tard, le 16 juillet. Le premier ministre du Québec s’est joint aux discussions le 7 août.

Depuis, nous discutons ensemble de ces deux propositions : celle des provinces et la proposition fédérale. Elles font toutes les deux l’objet d’un examen. Je ne vous cache pas que les provinces exercent des pressions pour accroître leur capacité d’expérimenter leurs propres solutions, ce qui est légitime. Le gouvernement fédéral, lui, ne signera rien qui ne consolide les objectifs communs que nous avons déjà, tels ceux exprimés dans la Loi canadienne sur la santé, et veut accroître notre capacité d’en avoir d’autres, notamment concernant l’égalité des chances et la mobilité de tous les Canadiens partout au pays. Le gouvernement fédéral insiste aussi pour que, partout au pays, les gouvernements soient plus transparents et rendent mieux compte de leurs actions.

Le but des négociations n’est pas de faire un compromis boiteux entre les deux perspectives, il est de tirer le meilleur de chacune d’elles de sorte que nous puissions accroître à la fois notre capacité d’avoir des objectifs communs et d’expérimenter différentes solutions. Il serait facile d’affaiblir un ordre de gouvernement au bénéfice de l’autre. Renforcer les deux ordres de gouvernement dans leurs rôles légitimes et surtout améliorer leur capacité d’agir en commun, voilà qui demande beaucoup plus d’imagination.

Il nous faut de l’imagination, mais aussi de la foi en ce pays. Ceci m’amène à mon dernier sujet : le lien entre ces négociations sur l’union sociale et l’unité canadienne.

3. Union sociale et unité canadienne

Une fédération oblige des gouvernements de couleurs politiques différentes à travailler ensemble. Il est presque impossible, par exemple, que les treize gouvernements fédéral-provinciaux-territoriaux soient tous libéraux en même temps. La coexistence de gouvernements de partis différents est inévitable. Elle exige discernement et esprit d’ouverture tant de la part des gouvernements que de la population.

Prenons par exemple la situation politique actuelle dans votre province. Plusieurs Ontariennes et Ontariens reprochent à leur gouvernement conservateur actuel de manquer de conscience sociale. Ce n’est pas mon rôle de me prononcer sur le bien-fondé de ce reproche, du moins pas à titre de ministre des Affaires intergouvernementales appelé à travailler avec ce gouvernement. Mais celles et ceux qui jugent ce reproche fondé sont sans doute enclins à souhaiter que les présentes négociations sur l’union sociale aient pour résultat de renforcer le rôle du gouvernement fédéral et d’affaiblir le gouvernement ontarien. Pourtant, il faut penser plus à long terme quand on vise l’amélioration d’une union sociale. On ne peut exclure totalement la possibilité qu’un jour un gouvernement très conservateur prenne le pouvoir à Ottawa et qu’au même moment un gouvernement très ouvert aux politiques sociales soit au pouvoir à

Queen’s Park. Plusieurs seraient alors très heureux de compter sur un gouvernement provincial suffisamment armé dans ses compétences pour faire contrepoids au néoconservatisme d’Ottawa.

Voilà pourquoi les négociations en cours en vue d’améliorer notre union sociale doivent se situer au-delà de la partisannerie. La difficulté est accrue cependant lorsque l’un des gouvernements autour de la table a pour objectif officiel, tel qu’écrit dans l’article un de son programme politique, non pas d’améliorer la fédération, mais de la briser.

Ce gouvernement vient d’être réélu par la population québécoise. Il s’ensuit que les autres gouvernements ont pour responsabilité constitutionnelle de travailler avec lui tant qu’il s’agira d’améliorer le Canada. Le Premier ministre Jean Chrétien s’y est engagé publiquement le soir même de la réélection du gouvernement de M. Bouchard.

Améliorer le Canada, cela veut dire rechercher les meilleures politiques pour les Canadiens. Cela ne veut pas dire céder à la politique du butin.

Cette expression, la recherche du butin, qui remonte à l’ancien premier ministre du Québec Maurice Duplessis, a été déterrée et brandie à leur façon par les chefs indépendantistes lors de la campagne électorale québécoise. L’ancien premier ministre Jacques Parizeau en a bien résumé le sens dans un discours où il traitait, justement, des négociations sur l’union sociale :

«On ne peut pas perdre. Dans ce sens-là, il n’y a aucune espèce d’opposition entre une stratégie intelligente pour aller récupérer quelque chose d’Ottawa, ou bien braquer Ottawa, selon le cas, et puis la préparation d’un référendum sur la souveraineté.» (Discours à Trois-Rivières, le 26 novembre 1998)

Je peux vous résumer en d’autres termes cette politique du butin à la sauce indépendantiste. Elle consiste à exiger du gouvernement fédéral quelque chose : des pouvoirs, de l’argent. Si le gouvernement fédéral dit non, alors on se retourne vers les Québécois et on leur dit : «Vous voyez à quel point cette fédération est sclérosée et injuste envers vous, il faut en sortir!» Si le gouvernement fédéral dit oui, le message aux Québécois devient le suivant : «Vous voyez le rapport de force que vous vous donnez en élisant des indépendantistes, alors imaginez celui que vous auriez après un oui au référendum; on irait chercher le beau partenariat qu’on vous promet.»

Comment contrecarrer cette logique du butin? En refusant de jouer le jeu, tout simplement. En affirmant très clairement qu’il n’est pas question de céder à ce genre de chantage. En privilégiant par-dessus tout l’amélioration du service à la population dans le respect des compétences et pouvoirs constitutionnels de chaque ordre de gouvernement. Et en se rappelant que c’est en se donnant de meilleures politiques de santé, de meilleures politiques sociales, économiques et environnementales que nous renforcerons chez les Québécois et les autres Canadiens le goût de rester ensemble.

On n’améliorera pas cette union sociale en cherchant à accommoder les indépendantistes ou ceux qui seraient tentés de voter pour eux. On l’améliorera en accroissant notre capacité de poursuivre des objectifs communs dans la diversité des expériences. Les résultats qui en ressortiront seront bénéfiques aux Canadiens et par cela même consolideront l’unité canadienne. C’est ainsi que s’établit le lien entre l’union sociale et l’unité de notre pays.

La rhétorique du butin a été abondamment utilisée lors de la campagne électorale au Québec. Mais cette campagne est maintenant terminée. Nous avons un pays à améliorer ensemble et c’est dans cette perspective que le gouvernement du Canada est déterminé, je le répète, à collaborer avec le gouvernement du Québec comme avec tous les gouvernements élus de ce pays.

«Mais jurez-nous que ces négociations sur l’union sociale n’ont rien à voir avec le Québec!», me demandent certains chroniqueurs ontariens. Je ne peux jurer une telle chose, car il est évident que ces négociations ont tout à voir avec le Québec, comme elles ont tout à voir avec l’Ontario ainsi qu’avec les autres régions du Canada.

Ce n’est pas parce qu’une idée vient du Québec qu’elle est tout de suite identifiable à la politique du butin ou au chantage à la séparation. La société québécoise est une pépinière d’idées tout à fait intéressantes sur le plan social. Les autres provinces s’en rendront davantage compte quand nous aurons amélioré les échanges d’information, l’évaluation des résultats et l’imputabilité auprès du public, autant d’objectifs visés par les présentes négociations.

Il est certain que les Québécois, étant donné le caractère unique de leur société, exerceront toujours au sein de cette fédération une pression particulière en faveur de l’autonomie provinciale. En cela, ils font un contrepoids utile à d’autres forces dans notre pays qui, laissées à elles-mêmes, nous rapprocheraient d’une uniformité qui laminerait la capacité des provinces d’innover en expérimentant leurs propres solutions.

Mais il existe aussi au Québec une tradition d’ouverture aux autres Canadiens, un désir d’action commune en vue d’objectifs partagés. Trop souvent, malheureusement, ce désir a été étouffé par la logique du butin et du chantage à la séparation.

Une union sociale améliorée ne sera jamais une étape vers la séparation. Elle offrira aux Québécois la possibilité d’expérimenter leurs propres politiques sociales et de santé, dans l’entraide de tous les Canadiens, en poursuivant avec eux des objectifs communs.

Conclusion

L’union sociale n’est ni la désunion sociale ni l’uniformité sociale. Elle est cet ensemble de politiques sociales et de santé par lequel les Canadiens s’entraident dans la diversité de leurs expériences.

Les négociations en cours pour améliorer notre union sociale progressent bien. Si cependant elles devaient échouer cette fois-ci, ce serait malheureux, mais cela ne rendrait pas le Canada inacceptable pour les Québécois pas plus que pour les autres Canadiens. Le Canada est déjà plus qu’acceptable. Il est infiniment préférable à l’aventure sécessionniste et apparaît comme tel aux yeux de la grande majorité des Québécois.

Mais le Canada doit toujours être amélioré, que ce soit par un nouveau cadre d’union sociale ou autrement. Et c’est ensemble, sans arrière-pensée, sans chantage à la séparation, sans parti pris dogmatique en faveur des provinces ou du pouvoir fédéral, en se tenant loin des slogans préfabriqués qui arrêtent la pensée, en agissant résolument dans l’entraide de tous les Canadiens, et surtout des Canadiennes, que nous réussirons à améliorer notre pays face aux défis terribles et exaltants du siècle qui s’ouvre.

L'allocution prononcée fait foi.  


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Mise à jour : 1998-12-10  Avis importants