« L'avantage
québécois et l'avantage canadien : une combinaison gagnante pour les
Québécois »
L'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales
Document de réflexion
distribué à l'occasion d'une réunion
de la Table ronde du Québec
devant le Conseil pour l'unité canadienne
Sainte-Foy (Québec)
le 27 mai 1999
« Conditions gagnantes ». Rarement deux mots
auront mieux capté une stratégie. Car chacun sait que telle est bien
l'obsession de l'actuel gouvernement du Québec que de créer les conditions
gagnantes d'un troisième référendum. Conditions gagnantes de son point de vue,
bien sûr, qui sont, du nôtre, des conditions perdantes pour les Québécois
comme pour l'ensemble des Canadiens.
D'aucuns auraient pu croire que le fait que le Parti québécois soit arrivé
second en termes de voix, derrière les libéraux de Jean Charest, équivaut à
une obligation morale de ne pas tenir de référendum lors du présent mandat.
Mais il apparaît que le gouvernement péquiste ne peut s'empêcher de toujours
pousser de l'avant son projet référendaire et d'y subordonner son action comme
gouvernement.
Comment s'y prend-t-il pour tenter de créer des conditions gagnantes?
Comment réagissons-nous à ces tentatives, nous qui, au-delà de nos
allégeances partisanes, croyons dans un Canada uni? Voilà les deux questions
auxquelles je vais répondre. Je remercie notre forum non partisan, le Conseil
pour l'unité canadienne, de m'en donner l'occasion.
1. La stratégie du nationalisme exclusif : comment amener les
Québécois à renoncer au Canada
La stratégie du gouvernement péquiste consiste à présenter notre
dimension canadienne comme étant étrangère à nous-mêmes, nous les
Québécois. Étrangère, inutile, et même pire que cela : nuisible et
menaçante.
La stratégie consiste à nous convaincre que nous ne sommes pas Canadiens.
Nous sommes Québécois mais pas Canadiens. Le Canada, ce n'est pas nous. Le
Canada est une autre nation que nous. Et notre assujettissement à cette autre
nation est plus que jamais dangereux pour nous.
Je m'empresse d'ajouter que ce discours n'est pas que stratégique. Il est
avant tout sincérité et conviction. Les indépendantistes sont en général
tout aussi sincères et convaincus que les partisans de l'unité canadienne. En
fait, nous faisons face à une idéologie très forte, qui invite les gens à ne
concevoir la vie en société qu'à travers la grille nationaliste.
En vertu de cette idéologie, quand on l'envisage à l'état pur, il n'existe
que des nations. Les citoyens sont des atomes de ce corps organique qu'est la
nation. Une nation, pour être vraiment libre, doit former son propre État
indépendant, et non être incluse dans un État où une autre nation y est plus
nombreuse qu'elle, comme les Québécois dans le Canada. Car alors elle n'est
pas libre : elle est dominée par cette autre nation, comme les Québécois
sont dominés par les Canadiens.
Quand, le 27 octobre 1997, Bernard Landry a déclaré publiquement que Lucien
Bouchard était un « libérateur de peuple » au même titre
que Gandhi ou Bolivar, il se croyait vraiment, aussi incroyable que cela puisse
nous paraître. Nous touchons là non pas à une outrance de langage, mais au
fondement de cette idéologie : nous, les Québécois, ne sommes pas libres,
figurez-vous. Que le Canada soit l'une des plus anciennes démocraties du monde,
que les citoyens canadiens jouissent de libertés civiques depuis plus longtemps
que presque tous les autres pays de la terre, que le Canada se classe parmi les
pays où les libertés civiques sont les mieux respectées selon les études
internationales, que le Canada soit un bon citoyen du monde, toujours volontaire
pour y promouvoir plus de liberté, de démocratie et de paix, tout cela est à
peine pertinent au débat. Car la donnée qui prime, c'est que le Québec n'est
pas un État indépendant, il est une province d'un État où les Québécois
sont minoritaires. Donc, le Québec n'est pas libre, il est à libérer.
Certes, cette libération doit se faire par la démocratie. On est entre
démocrates. Mais là encore, les nations sont les acteurs principaux. C'est
pourquoi le Québec n'est pas divisible, puisqu'il est fait d'une nation, alors
que le Canada est divisible puisqu'il est fait de deux nations. Le Canada n'est
pas un vrai pays, nous a dit Lucien Bouchard. Il est donc divisible. Le Québec
indépendant, lui, serait un vrai pays, fait d'une seule nation, et donc lui
serait indivisible. Telle est la seule donnée qui prime, même si des
populations territorialement concentrées devaient exprimer démocratiquement et
clairement leur préférence pour que leur région reste dans le Canada. Ces
régions, nous disent les chefs indépendantistes et leurs fidèles
intellectuels, ne sont pas des nations. Les droits démocratiques sont
hiérarchisés selon qu'on forme une nation ou non.
Dans cet univers, les citoyens sont nationalistes. Il n'est d'autre identité
collective que nationale. Et cette identité collective nationale est exclusive
: on n'est membre que d'une seule nation. Il est impossible d'être Québécois
et Canadien en même temps. Non pas parce qu'être Canadien, c'est mal. Mais
parce qu'être Canadien, ce n'est pas nous. Nous, nous sommes Québécois. Les
Canadiens, nous a expliqué Bernard Landry le 15 mai dernier, ne pensent qu'à
leur nation, et sacrifient nos intérêts, à nous, les Québécois, qui formons
une autre nation. Être Québécois, ce n'est pas seulement habiter le
territoire du Québec. Être Québécois c'est cesser d'être Canadien dans sa
tête et dans son coeur, en attendant de cesser de l'être dans les faits. Tel
est le non-dit du débat sur l'identité que le Bloc s'est senti obligé de
lancer, et que Mme Tremblay par rapport à Céline Dion, M. Landry par
rapport à M. Monty, ont posé à leur façon, à la suite de bien d'autres :
M. Lévesque par rapport à l'appartenance écossaise de M. Trudeau, les
commentaires de M. Bouchard sur la race blanche, ou de M. Parizeau sur
le vote ethnique.
Certains voient dans ces déclarations le signe d'une xénophobie larvée.
Ils ratent l'essentiel en posant le problème de cette façon. L'idéologie à
laquelle nous faisons face n'est pas principalement xénophobe. Elle est
principalement sécessionniste. Elle participe d'une conception exclusive de la
nation : on ne peut être Québécois qu'en étant que Québécois. Si on
se sent Canadien, c'est que quelque part, on n'aime pas le Québec. Jean Charest
n'aime pas le Québec, il se sent aussi Canadien.
Si l'appartenance au Québec et au Canada est une combinaison impossible,
l'équivalence est parfaite entre le Québec et le projet indépendantiste.
D'où les noms Parti québécois et Bloc québécois pour ces deux formations
indépendantistes.
Telle est l'idéologie à laquelle croient les chefs indépendantistes. Leur
problème, cependant, et c'est le même problème qu'ils ont depuis trente ans,
c'est que les Québécois, dans leur grande majorité, n'y croient pas. Les
Québécois en général n'ont pas une conception exclusive de la nation. Ils se
sentent à la fois Québécois et Canadiens, et vivent ces deux identités comme
une belle complémentarité, et non une contradiction ou je ne sais trop quelle
visite chez le dentiste. Ils n'ont pas de mal à admettre que les Québécois
forment un peuple. Ils n'ont pas de mal à admettre qu'il puisse y avoir plus
d'un peuple au Québec. Ils n'ont pas de mal à admettre que les Canadiens
forment un peuple. Et ils sont en général très heureux de faire partie de
tous ces peuples en même temps.
Puisque les Québécois ne peuvent se convaincre qu'ils seraient plus heureux
s'ils cessaient d'être aussi des Canadiens, les chefs indépendantistes doivent
faire preuve de stratégie. En fait, ils déploient simultanément différentes
stratégies.
La première de ces stratégies consiste à convaincre les Québécois qu'ils
garderont le Canada d'une certaine façon, même en votant oui. D'où la
stratégie du partenariat, hier « l'association ». Le
partenariat, c'est clairement une stratégie, un attrape-vote qui vise à
gonfler artificiellement les appuis au oui. La preuve, c'est que
M. Bouchard lui-même a qualifié ce partenariat de « squelette »
le 19 juin 1997, et que pas davantage depuis qu'avant, les partis
indépendantistes n'ont été capables de mettre de la chair sur ce squelette.
Dans ses derniers documents, le Bloc avoue presque ne pas savoir que faire de ce
partenariat. Comment veut-on que 25 % de la population d'un pays le brise par
une sécession et ensuite revienne en force pour compter pour 50 % dans les
institutions communes de ce pays, acquérant du même coup une sorte de veto sur
certaines de ses politiques les plus stratégiques? Mais peu importe que l'idée
ait un sens ou non, elle est nécessaire électoralement pour maquiller le vote
sur la sécession.
La deuxième de ces stratégies consiste à mettre en quelque sorte les
Québécois devant un fait accompli en niant leur dimension canadienne.
Lorsqu'il y a quelques mois, le gouvernement péquiste a avancé un chèque de
200 000 $ aux organisateurs des Jeux du Québec à Trois-Rivières pour bien
s'assurer qu'aucune feuille d'érable ne serait visible à ces Jeux, c'était
là plus qu'une anecdote. Il faut y voir un symbole de cette stratégie qui
consiste à sortir autant que possible le Canada du Québec, en attendant de
sortir le Québec du Canada.
Quand Mme Beaudoin se félicitait récemment que le Printemps du Québec
à Paris nous ait représentés « dans toutes nos dimensions »,
il va de soi qu'elle n'incluait pas notre dimension canadienne, laquelle avait
soigneusement été rendue invisible aux yeux des Parisiens.
Mais ce n'est pas suffisant de présenter le Canada comme nous étant
étranger. Ce n'est pas suffisant de passer sous silence ses mérites, de ne pas
dire un mot de l'entraide canadienne, du levier que représente l'appartenance
au Canada sur la scène internationale, de l'assistance que le ministère des
Affaires étrangères et les ambassades canadiennes offrent à la politique
extérieure du gouvernement du Québec, de cacher autant que possible
l'existence de la péréquation ou de l'argent du verglas ou, de façon
générale, toute la synergie positive que les Québécois et les autres
Canadiens dégagent ensemble. Il faut dépeindre le Canada comme nous étant
nuisible, menaçant. Menaçant du moins tant qu'il n'y aura pas, entre lui et
nous, une frontière internationale. Et c'est cela la stratégie : le
Canada est une menace. Non pas forcément par méchanceté. Plutôt parce que le
Canada, que voulez-vous, est une autre nation, qui pense à ses propres
intérêts.
Le Canada, mais surtout le gouvernement canadien, le fédéral, sont
objectivement contre le Québec. D'où le fameux : « c'est la
faute du fédéral ». Quand les choses vont mal, c'est la faute du
fédéral. Quand elles vont bien, c'est malgré le fédéral. Le chômage
élevé, c'est la faute du fédéral. Le développement de la haute technologie
à Montréal, c'est malgré le fédéral.
Les Québécois francophones qui deviennent Premier ministre et ministres à
Ottawa sont particulièrement cloués au pilori. Dans ses discours les plus
incantatoires, Lucien Bouchard qualifie Jean Chrétien d'« ennemi »,
de « matraqueur » du Québec. Lucien Bouchard déploie un
grand talent pour cela dans ses discours incantatoires. Récemment, lors d'une
joute parlementaire assez vive, Gilles Duceppe a traité le Premier ministre de
« Canadien-français de service ». De son siège, je l'ai
entendu vociférer « collabo » tandis que ses députés
criaient « vendu ». Au sortir de la Chambre, il l'a appelé
en point de presse « oncle Tom ». Ce sont là des propos
infamants, qui visent à convaincre les Québécois qu'ils ne peuvent travailler
pour le Canada sans se renier eux-mêmes, sans travailler contre le Québec.
Le Renvoi à la Cour suprême, qui a eu pour résultat de protéger les
Québécois contre un premier ministre indépendantiste abusif qui chercherait
à les priver de leur pleine identité canadienne sur la base d'une procédure
confuse et illégale, a été bien sûr décrit comme une attaque en règle
contre le Québec, contre la démocratie québécoise.
Toutes les idées à la mode qui passent sont bonnes du moment qu'elles
permettent de présenter notre appartenance au Canada comme inutile, nuisible ou
menaçante. La mode est à la monnaie commune, on saute dans ce train sans autre
examen : va pour le dollar américain, ou l'améro, on ne sait trop, et
tant pis si hier on préconisait le maintien du dollar canadien, et avant-hier
l'adoption d'une monnaie québécoise. C'est la cause qui importe, pas la
cohérence des positions successives. Tant pis si des économistes prévoient de
graves problèmes en cas d'abandon du dollar canadien, et beaucoup de chômage.
La cause vaut tous les risques qu'on peut faire subir aux Québécois.
En 1993, l'idée à la mode était que le Canada était un pays en quasi-faillite,
en voie « d'argentinisation ». Alors Lucien Bouchard a fait la
campagne fédérale en exhortant les Québécois à sortir de ce pays en quasi-faillite.
« S'ils [les Canadiens hors Québec] ont l'intention de faire faillite,
tant pis pour eux. Mais nous allons sauver notre peau », affirmait-il
le 14 août 1993. En 1995, le Canada était en plein redressement financier à
coups de compressions difficiles. Alors Lucien Bouchard a fait la campagne
référendaire en exhortant les Québécois à voter oui pour échapper au
« vent froid » des compressions. Mais en 1996, Lucien
Bouchard devenu premier ministre est obligé de faire lui-même des compressions
et fixe l'objectif du déficit zéro. Nouveau virage : il ne faut plus faire
l'indépendance pour échapper aux compressions, il faut faire les compressions
pour se payer l'indépendance. Et on atteindra le déficit zéro dans un pays
qui, logiquement, aurait dû tomber en faillite. Comprenne qui pourra :
c'est la cause qui importe, pas la cohérence des positions successives.
Le 17 octobre 1967, Jacques Parizeau a prononcé à Banff une conférence
restée fameuse, où il expliquait que le Canada était une fédération
exceptionnellement décentralisée, trop décentralisée, et qu'il devait se
centraliser pour se donner une gestion économique rationnelle. L'idée à la
mode à l'époque, c'était la planification économique, le keynésianisme. Le
28 janvier 1999, M. Parizeau a prononcé à Québec un discours, où il
expliquait que le Canada était une fédération exceptionnellement
décentralisée, trop décentralisée, et qu'il devait se centraliser pour mieux
s'adapter à la nouvelle donne internationale. L'idée à la mode c'est
maintenant la mondialisation : « Il est absolument impératif et
essentiel que le gouvernement fédéral, pour être capable de garder les
pouvoirs d'un véritable gouvernement et de déterminer des politiques à suivre,
centralise ce qui est une fédération extraordinairement décentralisée ».
Peu importe que la centralisation constamment annoncée par M. Parizeau
se fasse attendre depuis des décennies, et qu'on ne voie pas pourquoi la
mondialisation d'aujourd'hui plus que le keynésianisme d'hier métamorphoserait
le Canada en pays centralisé. C'est la cause qui importe, pas la cohérence des
positions successives.
Une autre stratégie pour convaincre les Québécois que le Canada est
nuisible consiste à grossir démesurément les moindres difficultés, les
moindres désaccords, à y voir la preuve que le Canada lui-même ne fonctionne
pas. D'où toutes ces séances de déchirage de chemise qui se succèdent. Tout
y est prétexte : l'anniversaire du verglas, l'entente sur l'union sociale,
le budget fédéral, le budget provincial, le voyage en Europe de
M. Bouchard, son voyage au Mexique.
D'où la pratique agressive de ce que MM. Bouchard et Parizeau ont
appelé durant la campagne électorale la « politique du butin ».
Elle consiste en une revendication permanente, sur tous les fronts, de plus de
pouvoirs ou d'argent au gouvernement fédéral. Si celui-ci résiste, on
dénonce ce refus comme la preuve que le fédéralisme canadien est rigide et
irréformable. Si celui- ci réagit positivement, on insinue que les Québécois
ont bien fait de se donner un rapport de force en élisant des indépendantistes,
et que ce n'est rien à côté du rapport de force que les Québécois se
donneront après avoir voté oui.
2. La mise en valeur de notre dimension canadienne
Comment contrecarrer les stratégies des promoteurs du nationalisme exclusif?
Je le dirai en quelques mots : ne pas accepter de jouer le même jeu qu'eux.
Les chefs indépendantistes veulent jouer la confusion pour masquer aux
Québécois la rupture avec le Canada que représenterait la sécession. Alors
jouons la clarté. Disons-le clairement, qu'il est impossible que les
Québécois voient leur appartenance au Canada remise en question dans la
confusion, sans qu'ils aient exprimé clairement leur volonté d'y renoncer.
C'est impossible car ce ne serait pas démocratique. Et ce ne serait pas légal.
Disons-le clairement, que le gouvernement du Canada n'a pas le droit de
négocier la fin de ses obligations constitutionnelles envers les Québécois à
moins que ceux-ci le lui aient clairement demandé, au moyen d'une majorité
claire sur une question claire sur la sécession. Pas sur ce concept ambigu
qu'est la souveraineté : le Québec fédéré est souverain dans ses
champs de compétence. Pas sur cette fraude intellectuelle qu'est le partenariat.
Sur la sécession.
L'avis de la Cour suprême existe pour servir l'état de droit et la
démocratie pour tous. Alors respectons-le, en démocrates.
Ne pas jouer leur jeu. Ils veulent cacher le Canada. Montrons-le. Quand ils
ont voulu cacher l'aide au verglas, nous en avons parlé. Quand ils ont voulu
cacher la péréquation, nous en avons parlé. Quand ils ont voulu cacher le
levier international que représente le Canada, nous en avons parlé. Mais ce
« nous » ne doit pas être seulement le gouvernement du
Canada et le Parti libéral du Québec. Il doit inclure tous ceux d'entre nous
qui trouvons que c'est extraordinaire que d'être à la fois Québécois et
Canadiens.
Ils présentent le Canada comme une menace : prenons-les à leurs
propres contradictions. Ainsi, quand ils tiennent ce propos d'une rare
intransigeance, à l'effet qu'un Bernard Landry, ou qu'une Louise Beaudoin,
parce que Québécois, peut servir adéquatement le Québec alors qu'un John
Manley ou qu'une Sheila Copps ne le peut pas, eux qui ne sont pas Québécois,
demandons-leur pourquoi, au Québec même, des non-francophones pourraient
accepter de confier leurs intérêts à des francophones. Accepter
l'intolérance de leur raisonnement, c'est non seulement accepter la destruction
de ce qui fait l'idéal même du Canada : l'entraide entre populations
différentes, c'est aussi saper la solidarité entre Québécois. Ça, il faut
le montrer et le montrer clairement.
Ils sombrent dans les attaques personnelles. Ne les suivons jamais sur ce
terrain. Mais montrons une tolérance zéro pour ce genre d'infamies. Je n'en
reviens pas que Gilles Duceppe s'en soit tiré si facilement après ses attaques
viles et odieuses contre le Premier ministre.
Ils pratiquent la politique du butin. Refusons, là encore, de jouer le jeu.
Il est temps de dire, et de nous convaincre nous-mêmes, que la question du
partage des compétences entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du
Québec n'est pas une monnaie d'échange en vue de calmer le séparatisme. C'est
avant tout une question de qualité du service public. Les Québécois ont deux
gouvernements dotés de pouvoirs constitutionnels : leur gouvernement
provincial et leur gouvernement fédéral. Ils sont en droit d'exiger le
meilleur agencement possible entre ces deux gouvernements.
Prenons les deux dossiers les plus chaudement contestés actuellement par le
gouvernement péquiste : la politique étrangère et la politique
culturelle. Personne ne peut prétendre sérieusement que les deux gouvernements
sont en désaccord quant aux orientations à suivre. En fait, la plupart du
temps, ils partagent les mêmes objectifs. Et quand, historiquement, sont
survenus des désaccords, on ne peut pas dire avec le recul que c'est toujours
le gouvernement fédéral qui a eu tort du point de vue des intérêts des
citoyens québécois. Ce fut même l'inverse durant toute la période Duplessis.
Le 13 avril 1999, pressé par les journalistes, le député bloquiste Yvan
Loubier a été incapable de citer un seul cas où la politique étrangère
canadienne aurait mal servi les Québécois. Le 26 mai, il signe un texte
alambiqué qui montre tout le vide de son réquisitoire contre la politique
étrangère canadienne : « L'État canadien n'est pas un outil au
service de l'intérêt national québécois, même si sa politique est souvent
articulée - avec brio - par des Québécois. » En somme, le seul tort
de la politique étrangère canadienne est d'être...canadienne.
Le fichier informatique de la période des questions à la Chambre des
communes permet de remonter jusqu'en janvier 1994. J'ai fait
vérifier : avant le voyage récent de M. Bouchard à Barcelone, du
13 au 15 mars dernier, le Bloc n'avait pas posé une seule
question, durant toute cette période, sur la place faite au gouvernement du
Québec à l'étranger. Il est évident que l'offensive péquiste et bloquiste
sur le front international est une stratégie référendaire.
Prenons un autre dossier, hier si chaud : la formation professionnelle.
Le transfert a créé bien des problèmes qu'on peut charitablement attribuer à
une période de transition. Auquel cas on doit parler du fouillis bureaucratique
que créerait à grande échelle le transfert de toute la fonction publique
fédérale québécoise au gouvernement du Québec en cas de sécession.
Nous croyons avoir trouvé l'agencement optimal entre les responsabilités
provinciales dans ce secteur proche de l'éducation et les responsabilités
fédérales liées au développement économique et à l'assurance-emploi. Nous
allons tout faire pour que cette nouvelle formule, qui remet aux provinces de
lourdes responsabilités, soit une réussite pour les travailleurs canadiens.
Mais il faut admettre que les agencements antérieurs ne devaient pas être
aussi mauvais qu'on l'a dit, puisque selon l'International Institute for
Management Development, le Canada a l'une des mains-d'oeuvre les mieux formées
au monde. La leçon à tirer de cette histoire est que la formation
professionnelle est trop importante en soi pour être sacrifiée à la politique
du butin.
Il n'y a pas de religion dans ce domaine. Récemment, les Suisses ont
décidé par référendum de faire de la formation professionnelle une
compétence constitutionnelle fédérale. Je ne sache pas que cette décision
ait créé un seul séparatiste en Suisse.
Enfin, les chefs indépendantistes cherchent à capitaliser sur nos divisions
entre fédéralistes. Ils transforment le moindre désaccord, la moindre
tension, en preuve que le Canada ne marche pas. Eh bien, là encore, ne jouons
pas leur jeu. Disons tous, haut et fort, que rien en ce pays ne justifie la
sécession. Rien au Québec, rien ailleurs au pays. Bien sûr nous avons nos
désaccords, en matière de politique économique, d'union sociale, de politique
étrangère. Nous avons nos idées sur l'agencement des rôles entre les deux
ordres de gouvernement. Nous avons nos vues sur le type de leadership qui
convient à ce pays. Nous avons tous nos idées sur les changements
constitutionnels qu'on pourrait apporter, y compris une reconnaissance mieux
affirmée de la distinction québécoise. Mais nous croyons tous en ce pays.
Bien sûr, l'opposition n'est pas payée pour dire du bien du gouvernement.
Au sein de la famille libérale, les partis fédéral et provincial ont des
perspectives qui diffèrent parfois. Cela est naturel et sain. Nous avons tous
nos idées pour améliorer ce pays. Mais nous croyons tous que le Canada, tel
qu'il est, avec les forces de changement qui sont les siennes, est un grand
pays. On n'a pas à le rendre acceptable pour les Québécois, il l'est déjà
et mieux encore. Il est infiniment préférable à l'aventure sécessionniste.
En somme, nous devons garder le fardeau de la preuve sur les épaules des
indépendantistes. À eux de démontrer que le bonheur passe par la perte du
Canada. Si les deux tiers des Québécois ne veulent pas de référendum, c'est
qu'ils ne veulent pas avoir à choisir entre le Québec et le Canada. Ils
veulent être Québécois et Canadiens plutôt que Québécois sans le Canada.
Ils ont bien raison.
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