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Archives - Salle de presse

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« Référendums sur la sécession et exigence de clarté :
exemples de l'Europe du Nord
 »

Notes pour une allocution de
l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales

lors de la Conférence de
l'Association nordique d'études canadiennes

Reykjavik, Islande

le 5 août 1999

Si j'avais pleine liberté de choisir le sujet dont j'aimerais m'entretenir avec vous, canadianistes de l'Association nordique d'études canadiennes, ce serait de cette nordicité que nous partageons. Notre parenté géographique nous rapproche plus que nous ne le soupçonnons. Je pourrais par exemple discuter du Conseil de l'Arctique, créé en 1996, au sein duquel nos pays siègent côte à côte, et dont le Canada a été le premier à assumer la présidence.

Mais ce n'est pas le ministre des Affaires indiennes et du Nord que vous avez invité. Si vous avez choisi le ministre des Affaires intergouvernementales, c'est sans doute que vous voulez entendre parler d'unité canadienne.

Et si vous voulez entendre parler d'unité canadienne, c'est sans doute que vous avez en tête le résultat serré du référendum tenu au Québec le 30 octobre 1995, alors que 50,6 % des votes valides exprimés ont appuyé le « non » en réponse à une question vague, soumise par le gouvernement du Québec, sur un projet plutôt nébuleux, celui de souveraineté du Québec avec offre de partenariat politique et économique avec le Canada. Je dis vague, mais à vous de juger de la clarté du libellé de cette question : « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12 juin 1995? ». Vous ne serez pas surpris d'apprendre qu'une telle question a engendré beaucoup de confusion, laquelle a d'ailleurs été mesurée par les sondages. Ainsi, un sondage Créatec effectué en septembre 1995 révélait notamment que 53 % des Québécois trouvaient la question ambiguë et que 29 % croyaient qu'un Québec souverain demeurerait une province du Canada.

Depuis, le gouvernement du Canada a lancé de nombreuses initiatives qui ont raffermi l'unité du pays et renforcé le désir de nombreux Québécois de rester Canadiens. Il s'est attelé à la tâche d'améliorer l'une des meilleures qualités de vie au monde et d'assouplir encore davantage l'une des fédérations les plus décentralisées qui soient. En effet, l'approche du gouvernement du Canada en matière d'unité canadienne consiste, d'abord et avant tout, à améliorer toujours davantage un pays dont les citoyens peuvent être fiers, un pays démocratique et prospère, une fédération dont les populations variées s'épanouissent avec leurs cultures et leurs institutions propres tout en travaillant ensemble à des objectifs communs, un pays respecté qui se comporte en bon citoyen du monde, toujours prêt à servir la cause de la paix et de la démocratie.

Devant vous, aujourd'hui, je vais traiter de l'une de ces initiatives qui a permis de consolider l'unité canadienne et qui continuera de le faire. Je veux parler de la décision du gouvernement du Canada de soumettre à la Cour suprême du Canada certaines questions portant sur le projet de sécession unilatérale du Québec. Vous savez sans doute que la Cour a rendu son avis le 20 août 1998. Cet avis, je vais le démontrer, constitue un point tournant dans l'histoire de la fédération canadienne.

Un colloque de l'Association nordique d'études canadiennes offre un excellent forum pour discuter de cet avis important de la Cour suprême du Canada sur la sécession unilatérale. Pourquoi? Parce que les expériences de vos pays en matière d'unité nationale et de sécession aident à comprendre le bien-fondé des principes qui ont été mis de l'avant par la Cour. D'ailleurs, plusieurs de ces expériences vécues en Europe du Nord, que je me propose de relever ici, ont été présentées à la Cour suprême du Canada lorsque le renvoi a été entendu.

Parmi les principes émis par la Cour, deux en particulier invitent à un parallèle intéressant avec l'histoire de vos pays : premièrement, que la sécession unilatérale n'a pas de fondement juridique; deuxièmement, qu'un référendum tenu dans le cadre d'un projet de sécession doit poser une question claire et dégager une majorité claire pour que la sécession puisse éventuellement se faire.

Après avoir résumé comment la Cour suprême du Canada a posé ces deux principes, j'en illustrerai la portée en puisant des exemples à même l'histoire de vos pays.

1. L'avis de la Cour suprême sur la sécession unilatérale

Parmi les États les plus démocratiques, il s'en trouve plusieurs qui interdisent la sécession dans leur Constitution. En Europe du Nord, c'est le cas de la Finlande, de la Norvège, de la Suède, de l'Estonie et de la Lituanie. Le principe qui justifie une telle interdiction de la sécession est l'indivisibilité du territoire national. On estime que chaque parcelle du territoire national appartient à tous les citoyens du pays et que ce territoire ne saurait donc être divisé.

Ce principe a sa validité. Toutefois, au Canada, nous avons adopté une approche différente. Le gouvernement du Canada estime en effet que notre pays ne serait pas le même s'il ne reposait sur l'adhésion volontaire de toutes ses provinces. Mais le gouvernement du Canada est aussi d'avis qu'une tentative de sécession devrait être négociée à l'intérieur du cadre juridique établi et non être entreprise de façon unilatérale par le gouvernement d'une province.

Le gouvernement du Canada a saisi la Cour suprême de cette question, laquelle a confirmé le bien-fondé de la position du gouvernement. Qu'ont dit les juges de la plus haute cour du Canada? Les neuf juges de la Cour suprême, dont trois viennent du Québec, ont confirmé à l'unanimité qu'une sécession unilatérale n'avait pas de fondement juridique, ni en droit canadien ni en droit international. La Cour a ajouté que l'obligation d'entamer des négociations sur la sécession n'existe que si les Québécois donnent clairement leur appui à la sécession, au moyen d'une majorité claire sur une question claire portant sur la sécession.

Je ne doute pas que cet avis de la Cour a eu et continuera d'avoir un effet bénéfique sur l'unité canadienne. La raison en est que l'approche adoptée par la Cour oblige à la clarté. Or, justement, s'il y a une chose qui ressort clairement, sondage après sondage, c'est que lorsqu'ils ont à répondre à une question claire portant sur la sécession, les Québécois choisissent de demeurer au sein du Canada. Autrement dit, si l'avis de la Cour suprême a pour effet de renforcer l'unité canadienne, ce n'est pas du fait de la volonté des juges, c'est du fait de la volonté des Québécois. En nous obligeant tous à jouer la carte de la clarté, l'avis de la Cour nous place devant le choix clair des Québécois : le Canada uni.

Cette façon d'aborder le problème de la sécession, fondée sur deux principes, le respect de la légalité et l'obligation de la clarté, ne vous est pas tout à fait étrangère à vous, membres de l'Association nordique d'études canadiennes, car vos pays en ont fait l'expérience à leur façon. Les Québécois et tous les autres Canadiens peuvent apprendre de vos expériences. Traitons d'abord de la question de la légalité, avant d'aborder celle de la clarté.

2. Sécession et légalité

Hors du contexte colonial, des situations dans lesquelles une population est soumise à la domination étrangère, et peut-être aussi hors des cas de violation extrême des droits de la personne d'une population, le droit international ne reconnaît pas un droit à la sécession unilatérale. C'est ce qu'a reconnu la Cour suprême du Canada. Le premier cas important qui a permis de clarifier cet aspect du droit international est celui des îles d'Åland, qui appartiennent à la Finlande.

Comme vous le savez, les îles d'Åland sont situées à l'entrée du golfe de Botnie entre la Suède et la Finlande. Entre 1917 et 1921, les habitants de ces îles ont cherché à faire sécession de la Finlande, non pas pour qu'elles deviennent un pays indépendant, mais pour qu'elles soient rattachées à la Suède avec laquelle elles ont des affinités linguistiques et ethniques. La Suède appuyait cette demande, mais la Finlande s'y opposait. Saisie de la question, la Société des Nations a créé deux commissions qui ont établi que la souveraineté de la Finlande sur les îles d'Åland était « incontestable », que celles-ci ne possédaient aucun droit à la sécession, ni par plébiscite ni autrement, et que le droit à l'autodétermination n'était pas à confondre avec le droit à la sécession.

Les îles d'Åland font toujours partie de la Finlande. Elles jouissent d'un statut autonome, encore renforcé par une loi spéciale qui a été modifiée encore récemment, soit en 1991. Une autre loi protège la culture propre aux habitants de ces îles. À bien des égards, le cas des îles d'Åland démontre comment il est possible de réaliser l'autodétermination interne au sein d'un État existant.

En plus du droit international, il faut considérer la pratique des États. La communauté internationale se montre extrêmement réticente à reconnaître des sécessions unilatérales en dehors du contexte colonial. Sans doute, rien n'illustre mieux cette vive aversion de la communauté internationale envers les sécessions unilatérales que le cas des républiques baltes.

Celles-ci avaient été annexées de force par l'Union soviétique en 1940. Peu de pays démocratiques avaient reconnu l'extinction des États baltes et leur rattachement brutal à l'Union soviétique. Aussi quand la Lituanie déclara son indépendance en mars 1990, on aurait pu s'attendre à ce que la communauté internationale la reconnaisse rapidement, sinon automatiquement. Tel ne fut pas le cas.

Avant que son indépendance ne soit reconnue, la Lituanie dut faire face à une intervention armée de la part de l'Union soviétique en janvier 1991, tenir un référendum qui a clairement confirmé l'appui des Lituaniens à l'indépendance le 9 février 1991, obtenir la reconnaissance du Président de la République de Russie, Boris Eltsine, le 29 juillet, et attendre qu'un coup d'État raté en Union soviétique, le 21 août, confirme l'affaiblissement du gouvernement soviétique face à Eltsine.

La Lettonie et l'Estonie ont été confrontées à des obstacles similaires avant d'obtenir la reconnaissance de la communauté internationale. En fait, les deux seuls États qui ont reconnu l'indépendance des Républiques baltes avant la Russie -- qui est devenue par la suite l'État continuateur de l'Union soviétique -- furent l'Islande (dans le cas des trois républiques baltes) et le Danemark (dans le cas de la Lituanie).

Le Canada, quant à lui, a reconnu l'indépendance des Républiques baltes le 26 août 1991 et les États-Unis, le 2 septembre suivant. Le Conseil de sécurité a recommandé leur admission aux Nations Unies le 12 septembre suivant.

On le voit, la communauté internationale fait preuve d'une extrême prudence face aux demandes unilatérales de reconnaissance internationale, même lorsqu'une population revendique clairement son indépendance et est victime d'exactions graves de la part de l'État dont elle veut se séparer.

Si ni le droit international ni la pratique des États ne sanctionnent un droit automatique à la sécession unilatérale, c'est pour de bonnes raisons. C'est parce qu'il serait bien difficile de déterminer à qui ce droit serait conféré, qu'un tel droit automatique à la sécession aurait des conséquences dramatiques pour la communauté internationale -- avec plus de 3 000 groupes humains se reconnaissant chacun une identité collective dans le monde -- et que la création de chaque nouvel État risquerait de créer dans cet État des minorités qui, à leur tour, revendiqueraient leur propre indépendance.

De façon plus fondamentale, une philosophie de la démocratie qui serait basée sur la logique de la sécession inciterait les groupes à se séparer plutôt qu'à s'efforcer de se rapprocher et de s'entendre.

3. Sécession et clarté

Pour qu'un référendum puisse mener à une sécession, il faut qu'il soit l'occasion de confirmer l'existence d'un consensus en faveur de la sécession. Il faut que la question référendaire porte clairement sur la sécession et que cette option recueille l'appui d'une majorité claire. Ce principe de clarté, la Cour suprême du Canada ne l'a pas inventé. Il est tout à fait conforme à ce qui s'est passé dans l'histoire de vos pays.

C'est presque à l'unanimité que la population norvégienne a approuvé la séparation d'avec la Suède. Le plébiscite de 1905, organisé avec l'appui du gouvernement suédois, invitait la population à répondre à la question suivante : « Êtes-vous d'accord, oui ou non, pour que soit dissoute l'Union? ». Les Norvégiens ont répondu favorablement à 99,95 % des votes valides exprimés.

L'union entre l'Islande et le Danemark a pris fin à la suite d'un référendum qui s'est tenu en Islande en 1944. La question soumise aux Islandais était sans ambiguïté : « L'Althing prend la résolution de déclarer que l'Acte d'union du Danemark et de l'Islande de 1918 est annulé », l'Althing étant l'assemblée législative islandaise. L'Acte d'union de 1918, sujet à une révision après 25 ans, prévoyait qu'on pouvait mettre fin à l'Union, mais en respectant des conditions très précises. Il exigeait notamment une majorité d'au moins trois quarts des votes valides exprimés. Ce seuil fut largement dépassé : le Oui a obtenu 98,65 %.

Revenons aux cas des Républiques baltes. En Lituanie, 93,2 % des votes valides exprimés indiquaient une réponse favorable à la question : « Êtes-vous pour la République indépendante et démocratique de Lituanie? ».

En Estonie, c'est avec 79,7 % des votes valides exprimés que les électeurs ont répondu favorablement à la question : « Voulez-vous le rétablissement de la souveraineté et de l'indépendance de la République d'Estonie? ».

Et en Lettonie, c'est 74,9 % des votes valides exprimés qui indiquaient une réponse positive à la question : « Êtes-vous favorable au statut d'État démocratique et indépendant de la République de Lettonie? ».

Il faut aussi citer le cas des îles Féroé qui montre qu'une majorité trop courte est insuffisante pour réussir une sécession. Ces îles font partie du Danemark. En septembre 1946, les gouvernements du Danemark et des îles Féroé ont tenu un référendum où 50,72 % des votes valides exprimés indiquaient un appui à l'indépendance des îles Féroé. La déclaration unilatérale d'indépendance qui suivit ce référendum ne fut pas acceptée par le gouvernement du Danemark.

Au moins deux raisons justifient qu'une majorité claire soit requise à l'appui d'une sécession. Premièrement, il est très souhaitable que l'appui de la population touchée soit suffisamment ferme pour se maintenir à travers les épreuves que pose inévitablement la réalisation d'une sécession. Deuxièmement, une sécession est un changement lourd de conséquences, pour la population sécessionniste comme pour l'ensemble de l'État touché par la scission, un changement quasi irréversible qui engage les générations futures. Il importe qu'un tel changement ne soit pas tenté à la faveur d'une majorité de circonstance.

Conclusion

J'ai puisé dans l'histoire récente de vos pays des exemples qui, de différentes façons, montrent le bien-fondé de l'avis de la Cour suprême du Canada, qui établit notamment qu'un projet de sécession doit être négocié dans la légalité et la clarté pour être conciliable avec la démocratie.

Ces exemples, bien que différents les uns des autres, renforcent mes convictions sur ce sujet, à savoir :

- qu'il ne serait pas acceptable que nous les Québécois voyions notre appartenance au Canada remise en question dans la confusion : il faudrait que nous exprimions clairement notre volonté d'y renoncer;

- qu'une question vague comme celle posée en 1995, laquelle portait sur la souveraineté avec offre de partenariat politique et économique, ne permet pas de vérifier si les Québécois veulent vraiment faire sécession, veulent vraiment que le Québec cesse de faire partie du Canada et devienne un État indépendant;

- qu'il serait irresponsable de nous engager dans la négociation d'une sécession sur la base d'une majorité courte, d'un Québec cassé en deux;

- que le gouvernement du Canada ne saurait entreprendre la négociation de la fin de ses obligations constitutionnelles envers les Québécois que si ceux-ci le demandaient clairement, au moyen d'une majorité claire sur une question claire portant sur la sécession;

- qu'il est tout à fait illusoire de la part des leaders sécessionnistes de croire que la communauté internationale reconnaîtrait leur tentative de sécession contre la volonté manifeste du gouvernement du Canada;

- et que, par-dessus tout, puisque ce qui est clair, c'est que nous, Québécois, désirons rester Canadiens, on ne doit pas nous imposer un référendum dont nous ne voulons pas.

Nous devons cesser de gaspiller notre énergie dans des référendums à répétition et, ensemble, Québécois et autres Canadiens, consacrer tous nos efforts aux enjeux économiques, sociaux, culturels et environnementaux dont notre qualité de vie dépend.

Faire porter nos efforts, par exemple, sur le Nord, puisque c'est la première chose à laquelle j'ai fait allusion en introduction -- sur l'avenir du Nord, ce grand baromètre écologique de notre planète, un enjeu crucial pour nous tous, auquel mon pays doit faire face avec les vôtres.

 

L'allocution prononcée fait foi  


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Mise à jour : 1999-08-05  Avis importants