Gouvernement du Canada, Bureau du Conseil privé
English Contactez-nous Aide Recherche Site du Canada
Quoi de neuf Carte du site Ouvrages de référence Autres sites BCP Accueil
Abonnez-vous
Archives - Salle de presse

Archives - Salle de presse


«Le Forum des fédérations»

Notes pour une allocution de
l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales

dans le cadre du
Forum diplomatique Canada Atlantique 1999

St. John's (Terre-Neuve)

 

le 6 novembre 1999

 

Au Mont-Tremblant (Québec), les 6, 7 et 8 octobre dernier, a eu lieu la conférence la plus importante jamais tenue sur le fédéralisme. Elle a réuni 500 participants venus de 27 pays, dont 20 fédérations : des élus, des gestionnaires publics, des universitaires, des dirigeants du secteur privé, des représentants des organisations non gouvernementales et des jeunes.

Aujourd'hui, alors que j'ai le privilège de m'adresser à vous, à St. John's, dans le cadre de ce Forum diplomatique, j'aperçois des personnes qui ont contribué à ce succès international en suscitant l'intérêt et la participation de leurs leaders politiques. Nous serions plusieurs à pouvoir témoigner de la qualité remarquable de la conférence de Mont-Tremblant.

Pour ma part, je n'oublierai jamais, entre autres interventions, celle de l'écrivain et Prix Nobel de littérature, M. Wole Soyinka du Nigéria, qui, avec une rare éloquence et beaucoup d'émotion, nous a rappelé les dangers d'une trop grande centralisation. Ou encore, je pense à la conviction avec laquelle le Président Zedillo du Mexique nous a entretenus des potentialités qu'offre le fédéralisme dans le monde de demain. Et bien sûr, personne n'est resté indifférent aux propos du Président Clinton, mais j'y reviendrai.

Le succès de cette conférence permet d'envisager avec confiance l'avenir du Forum des fédérations nouvellement créé. L'objectif est de se doter d'une organisation internationale non gouvernementale aux structures légères et efficaces, grâce à laquelle les pays qui ont adopté cette forme de gouvernement pourraient davantage apprendre les uns des autres.

S'il nous faut un tel Forum, c'est d'abord parce que le fédéralisme est un phénomène important dans le monde; c'est aussi parce que les fédérations ne se connaissent pas suffisamment.

1. L'importance du fédéralisme dans le monde

Le fédéralisme est un sujet d'une importance énorme. Il existe actuellement 24 fédérations comptant quelque deux milliards d'habitants, ou 40 pour cent de la population mondiale, et regroupant environ 480 entités fédérées. Il est aussi des pays qui, sans être des fédérations, adoptent des éléments de ce système. Si une conférence sur le fédéralisme avait été organisée il y a disons 20 ans, bien des pays représentés au Mont-Tremblant n'auraient même pas envisagé d'y participer.

Bien sûr, le système fédératif n'est pas le seul qui assure un bon gouvernement. Alors que certaines fédérations éprouvent de graves difficultés, plusieurs pays unitaires réussissent très bien, du triple point de vue de la démocratie, des droits humains et de la richesse collective. Mais le fait est que le fédéralisme s'est répandu dans le monde parce qu'il a su répondre à des besoins variés. Souvent d'ailleurs, le fédéralisme a émergé des difficultés d'autres systèmes.

Généralement, il est apparu comme la réponse à un besoin de décentralisation. Au Canada, par exemple, notre fédération est née, en 1867, en partie en raison de l'expérience insatisfaisante d'un seul gouvernement unitaire pour l'Ontario et le Québec. Un peu pour les mêmes raisons, la Belgique s'est transformée au cours des trois dernières décennies, passant de l'un des systèmes unitaires les plus centralisés à l'une des fédérations les plus décentralisées.

Mais, à l'inverse, il est des cas où le fédéralisme a été implanté afin de renforcer le régime en son centre. Ainsi, les régimes fédéraux actuels des États-Unis et de la Suisse sont issus de la faiblesse des régimes confédéraux qui les ont précédés.

Ces dernières années, nous avons assisté à la dislocation de certaines fédérations. Mais en même temps, de nouvelles fédérations sont nées et certains pays ont adopté des éléments du fédéralisme. Dans l'ensemble, on peut s'attendre à ce que le système fédératif s'étende encore davantage. Pourquoi? Parce qu'il s'inscrit dans le sillage de la démocratisation. La progression et l'approfondissement de la démocratie favorisent l'expression des besoins variés des populations au sein des États : besoins d'ordre matériel ou social, besoins liés aux aspirations identitaires.

Le fédéralisme est l'une des façons de répondre à ces besoins qui a fait ses preuves dans un grand nombre de contextes. Il offre à un pays démocratique la possibilité de poursuivre des objectifs communs à ses différentes régions à travers la libre expression de leurs propres expériences et pratiques. Un pays peut ainsi bâtir son unité en tirant le meilleur parti de sa riche diversité plutôt qu'en cherchant à imposer une uniformité mal adaptée à sa réalité.

La démocratisation a non seulement pour effet d'étendre le fédéralisme dans le monde, mais aussi d'approfondir la réalité fédérale au sein de chaque pays qui adopte ce système. Les élections pluralistes, l'indépendance du pouvoir judiciaire, le constitutionnalisme, tous ces traits de la démocratisation ont pour effet d'amener les fédérations à être de vraies fédérations, non seulement sur papier, mais aussi dans les faits. Dans un régime démocratique, le gouvernement fédéral doit composer avec des gouvernements de couleurs politiques différentes, élus à différents endroits du pays, et tous résolus à faire respecter leur autonomie constitutionnelle.

Souvent, le fait qu'un pays démocratique soit une fédération marque profondément son organisation sociale. Vous le savez bien, vous, diplomates dont l'une des missions est d'expliquer le Canada à vos gouvernements. Il ne vous est sans doute pas toujours facile de leur faire saisir la pleine mesure du dynamisme propre au fédéralisme canadien. Le Canada est une fédération décentralisée, où il est peu de politiques que le gouvernement fédéral puisse mettre en oeuvre seul sans la collaboration étroite des gouvernements provinciaux et territoriaux.

L'an dernier, votre forum diplomatique s'est tenu à Banff, en Alberta, dans l'Ouest du pays. Cette année, vous êtes à St-John's, Terre-Neuve, dans la région de Atlantique. Vous ne tarderez pas, si ce n'est déjà fait, à découvrir des similitudes entre les deux régions, mais aussi de fortes différences, y compris dans la façon dont le fédéralisme se pratique. Nous avons ici un fédéralisme de proximité qui sert bien les quatre provinces de l'Atlantique et fait ressortir leur potentiel.

Un jour, lors d'une conférence sur le fédéralisme canadien, le professeur belge Francis Delpérée s'est exclamé : «Mais en définitive, Canadiens, combien êtes-vous?» Malheureusement pour lui, il n'y a pas de réponse unique à cette question. Cela dépend des enjeux et des circonstances. Tantôt le Canada sera :

1 : Un seul pays, une seule Charte canadienne des droits et libertés, une seule voix dans le monde, une seule volonté nationale.

2 : Mais deux quoi? Deux langues officielles certainement. Deux peuples fondateurs, à moins que ce ne soit trois car les peuples autochtones ont contribué à l'édification de ce pays. Deux renvoie aussi à la relation entre le Québec et le reste du Canada.

5 : Cinq régions. La Loi concernant les modifications constitutionnelles reconnaît cinq régions : l'Ontario, le Québec, la Colombie-Britannique, l'Atlantique et les Prairies. Mais on en compte parfois quatre, lorsque la Colombie-Britannique est incluse dans la région de l'Ouest, comme lors de la rencontre annuelle des premiers ministres et leaders territoriaux de l'Ouest. Par ailleurs, notre Grand Nord, à bien des égards, constitue une région en soi. De même, l'honorable Brian Tobin, premier ministre de Terre-Neuve, la province qui nous accueille, vous expliquerait sûrement que sa province est une région, qu'elle a une histoire et une culture différentes de celles des trois provinces maritimes!

10 : Dix provinces égales en statut mais, dans la pratique, asymétriques de multiples façons.

13 : Dix provinces et trois territoires avec la création récente du Nunavut.

14 : Quand le Premier ministre du Canada réunit les dix premiers ministres provinciaux et les trois leaders territoriaux.

Multiple : avec sa population multiculturelle venue de tous les continents.

Je pourrais pousser plus loin cette description de la complexité canadienne, mais l'aspect que je tiens à faire ressortir est le suivant : le Canada ne saurait concilier toutes ces définitions de lui-même s'il n'était une fédération décentralisée.

Il est bien d'autres pays dans le monde qu'on ne peut comprendre sans bien saisir leur régime fédéral particulier. Le fédéralisme est une solution complexe à des réalités complexes. Cette solution est de plus en plus répandue dans le monde et le marque profondément.

2. Pourquoi un Forum des fédérations?

Aider les fédérations à apprendre les unes des autres, c'est non seulement promouvoir la bonne gouvernance dans le monde, mais c'est aussi favoriser l'essor de la démocratie, renforcer la société civile et améliorer l'harmonie entre des populations de langues et de cultures différentes, particulièrement dans les pays en développement.

Le gouvernement du Canada en a la conviction. C'est pourquoi, fidèle à sa tradition d'appui au développement démocratique et à la bonne gouvernance, il a contribué à la mise en place, en août 1998, d'un comité non gouvernemental en vue de créer un Forum des fédérations. Ce comité a mené des consultations auprès d'experts et de praticiens du fédéralisme dans 18 pays et a préparé la conférence de Mont-Tremblant.

L'intérêt qu'a suscité cette conférence chez ses participants combiné à la qualité des discussions ont créé un momentum pour pousser plus loin l'expérience. Le gouvernement du Canada a annoncé qu'il consacrerait $3,5 millions au cours de chacune des trois prochaines années afin de permettre au Forum de devenir une organisation internationale permanente, sous la direction d'un conseil d'administration indépendant. Ce conseil d'administration sera composé de 13 membres choisis parmi les membres de gouvernements et autres praticiens et experts des différentes fédérations. L'honorable Bob Rae, ancien premier ministre de l'Ontario, continuera de jouer un rôle clé dans la mise en oeuvre des objectifs du Forum.

La raison d'être de ce Forum sera de contribuer à l'amélioration de la pratique du fédéralisme de trois façons.

1. En mettant en place un centre d'information et de ressources qui :

i. rendra les travaux de recherche accessibles aux praticiens comme les élus et les hauts fonctionnaires;
ii facilitera la création de réseaux entre praticiens et chercheurs;
iii gérera un centre de documentation.

2 . En favorisant l'échange des meilleures pratiques afin d'assister les praticiens des fédérations établies et émergentes en matière de politiques et de programmes.

3 . En aidant les jeunes, en tant que futurs praticiens, à développer une expertise professionnelle dans le domaine grâce à de stages.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada et l'Agence canadienne de développement international seront étroitement associés aux activités du Forum.

Le succès de cette initiative est lié à la participation internationale, une participation qui doit être celle de praticiens du fédéralisme à tous les niveaux de gouvernement des différentes fédérations. Cet intérêt international est déjà bien réel : la Suisse veut accueillir la prochaine conférence. Des délégués du Brésil et du Nigéria présents au Forum, ainsi que l'agence de développement international de l'Allemagne ont fait connaître leur intérêt à travailler avec le Forum à la réalisation de projets portant sur le fédéralisme.

Le Forum a déjà établi un site Web interactif à l'adresse www.ciff.on.ca. Ce site sera un outil important pour disséminer les résultats de ses travaux. Le Forum travaille également en collaboration avec la Revue internationale des sciences sociales de l'UNESCO à la publication d'un numéro spécial consacré entièrement à la récente conférence internationale. Une version vidéo des faits saillants de la conférence sera disponible sous peu.

Le Forum voudra se doter d'un effectif international, et il espère être en mesure d'ouvrir des bureaux régionaux pour faire en sorte que ses travaux continuent d'être d'intérêt pour toutes les fédérations. Je prévois que des représentants du Forum communiqueront avec vous sous peu pour en discuter. Je sais qu'ils ont besoin de votre aide et qu'ils comptent sur vous.

Les membres du Forum pensent déjà à la planification de ses activités futures. Je vous encourage donc à communiquer avec le secrétariat du Forum si vous avez des idées d'initiatives qui pourraient contribuer à renforcer la pratique du fédéralisme et à informer vos gouvernements des objectifs que poursuit le Forum.

Je suis sûr que même les pays qui ne sont pas des fédérations suivront avec intérêt les travaux du Forum et en tireront profit.

Conclusion

Je ne saurais conclure sans faire de lien entre le Forum des fédérations et l'unité canadienne. Ce lien s'établit de cette façon : d'une meilleure connaissance des autres fédérations, le Canada tirera de riches enseignements qui lui permettront de s'améliorer; et plus le Canada s'améliorera, plus les Canadiens auront le goût de rester ensemble.

Mais à mon avis, le lien se conçoit surtout dans le sens inverse : c'est moins le Forum des fédérations qui sert la cause de l'unité canadienne que cette dernière qui sert la cause du fédéralisme dans le monde. Le Canada, qui a tous les atouts pour réussir, doit démontrer que l'entraide de populations différentes au sein d'une fédération décentralisée est non seulement souhaitable mais aussi possible.

Actuellement, des pays aux prises avec des tensions ethniques envisagent de se doter d'un régime fédératif ou d'adopter des éléments de fédéralisme. Le gouvernement indonésien a fait une déclaration en ce sens. Mais la crainte est que le fédéralisme, loin de calmer les tensions, ne soit que le précurseur de l'éclatement. Il revient aux fédérations comme le Canada de donner le bon exemple, celui d'une unité nationale regroupant des populations différentes qui coopèrent en toute confiance au sein d'un même État.

C'est en substance ce qu'a dit le Président Clinton au Mont-Tremblant. Jamais auparavant un Président américain n'avait aussi bien expliqué pourquoi les Américains apprécient grandement leur relation avec un Canada fort et uni. Ce n'est pas seulement parce que le Canada est un partenaire économique stable. C'est aussi et surtout parce que le Canada, pour le dire dans les mots du Président Clinton, «a montré au monde entier comment des gens de cultures et de langues différentes peuvent vivre dans la paix, la prospérité et le respect mutuel.» [TRADUCTION] Cette démonstration, nous avons le devoir moral de continuer à la faire au monde, nous Québécois, nous Terre-Neuviens, nous Canadiens.

Nous les Québécois, je crois, sommes de plus en plus conscients que l'unité entre tous les Canadiens a une signification universelle, une grandeur qui inspire le monde. Au-delà des désaccords qui s'expriment parfois quant à la forme exacte que doit prendre l'évolution du fédéralisme canadien, nous percevons mieux le principe d'entraide qui est le fondement même de notre pays.

En effet, le fédéralisme est plus qu'un système de gouvernement, il est bel et bien un principe d'entraide, principe qu'a exprimé avec éloquence au Mont-Tremblant, l'ancien Premier ministre de Belgique, monsieur Jean-Luc Dehaene : «[Le] fédéralisme suppose toujours une coopération loyale et une solidarité réelle entre les unités autonomes, ce qui permet d'éviter que la recherche et la valorisation de l'identité singulière ne soient sublimées au point d'aboutir au nationalisme, au sectarisme ou au racisme.»

Puisque les fédérations partagent le même idéal de paix et de concorde, elles ont intérêt à mieux se connaître et à apprendre les unes des autres. Elles ont intérêt à participer à la mise sur pied du Forum des fédérations.

L'allocution prononcée fait foi  


  Impression accessible
Mise à jour : 1999-11-06  Avis importants