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Archives - Salle de presse

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« Le fédéralisme au Canada et en Russie :
contextes différents , principes communs »

Notes pour une allocution
de l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales

Conférence
« Les enjeux de la gouvernance fédérale »

Centre des congrès

Ottawa (Ontario)

le 16 décembre 2000

 

L'allocution prononcée fait foi


          Nos deux pays, la Russie et le Canada, ne se ressemblent pas seulement par leur immensité, leur nordicité et l'amour du hockey. Ils partagent aussi, entre autres similitudes, le fait d'être des fédérations. Et ce point commun gagne en pertinence depuis que votre pays a évolué vers une forme pluraliste de démocratie.

          C'est avec la démocratie pluraliste que le fédéralisme prend toute sa signification. Le gouvernement fédéral se voit alors dans l'obligation de partager le pouvoir avec des gouvernements d'orientations politiques différentes, élus dans les entités fédérées. Les gouvernants donnent ainsi l'exemple aux citoyens en leur montrant qu'il est possible pour des personnes ne partageant pas les mêmes croyances politiques de travailler ensemble pour le bien commun. Le fédéralisme suppose aussi l'existence d'un pouvoir judiciaire indépendant du pouvoir politique, en mesure de maintenir chaque ordre de gouvernement à l'intérieur des responsabilités que lui reconnaît la Constitution. Les citoyens y gagnent une protection additionnelle contre les abus de pouvoir.

          Le fédéralisme favorise aussi la concurrence des idées, la recherche plurielle des meilleures façons de faire, l'entraide dans le respect mutuel, autant de valeurs compatibles avec la démocratie et qui la nourrissent en retour.

          Il n'est donc pas surprenant que la Russie soit désireuse d'approfondir la réalité du fédéralisme. Je suis convaincu que nos deux pays apprendront l'un de l'autre par leur pratique du fédéralisme. Le Forum des fédérations nous y aidera en plus de faciliter nos contacts avec les autres fédérations.

          Bien sûr, il faut tenir compte des différences de contextes, qui sont énormes sous certains aspects. Mais ces différences peuvent elles-mêmes être riches d'enseignements si on en prend toute la mesure.

          De plus, je suis persuadé qu'il existe des principes d'action que toutes les fédérations, par-delà leurs différences de contextes, doivent respecter pour pouvoir bien fonctionner.

          Ce matin, je compte faire deux choses. Premièrement, j'aimerais dégager ce qui me semble être les grandes spécificités de la fédération canadienne. Deuxièmement, je vais dresser la liste de ces principes universels que toute fédération doit, selon moi, respecter.

1. Les cinq spécificités de la fédération canadienne

          Pour vous décrire la fédération canadienne, je retiendrai cinq facteurs. Ils expliquent pourquoi les relations entre les deux ordres de gouvernement revêtent une importance énorme dans mon pays. Dans une large mesure, la vie politique canadienne est façonnée par les relations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

1.           La force de nos provinces. Un premier critère de comparaison entre les fédérations est la force relative du second ordre de gouvernement. Au Canada, nous avons des provinces fortes. Comparativement à la constitution d'autres fédérations, celle du Canada reconnaît peu de pouvoirs concurrents et nos provinces ont d'importantes compétences législatives qui leur sont propres. Il est peu de politiques que le gouvernement fédéral puisse initier seul sans avoir à collaborer avec les provinces. Avec le temps, elles ont aussi accru leurs recettes fiscales en comparaison de celles du gouvernement fédéral.

2.           Le petit nombre de nos provinces. Lorsque les entités fédérées sont peu nombreuses, il leur est plus facile d'adopter des stratégies communes et d'entretenir un dialogue régulier avec le gouvernement fédéral. C'est le cas chez nous. On compte seulement dix provinces canadiennes - auxquelles s'ajoutent trois territoires - comparativement à 16 länder allemands, 26 cantons suisses, 50 États américains et 89 régions russes. Non seulement le nombre relativement peu élevé de provinces canadiennes facilite-t-il la tenue de fréquentes réunions interprovinciales ou fédérales-provinciales, mais il rend aussi la cohésion interprovinciale moins compliquée à bâtir. De plus, nos plus grosses provinces, l'Ontario et le Québec, mais aussi la Colombie-Britannique et l'Alberta, possèdent des structures politico-administratives d'une taille appréciable par rapport à celle du gouvernement fédéral. Elles sont des acteurs majeurs de notre système politique.

3.           Notre type de seconde Chambre. Dans la plupart des fédérations, la seconde Chambre offre une représentation régionale. C'est le cas de votre Conseil de la fédération. Or, au Canada, le Sénat n'étant ni élu par la population ni nommé par les exécutifs ou les législatures des entités fédérées, mais étant plutôt nommé par l'exécutif fédéral, il n'est pas en mesure de faire concurrence aux gouvernements provinciaux du point de vue de la représentation régionale. Les relations entre les deux ordres de gouvernement se font chez nous entre des exécutifs clairement distincts et sans lien parlementaire institutionnalisé.

4.           La force du pouvoir exécutif face au pouvoir législatif. Sur les 24 fédérations existantes, quatre seulement combinent un régime parlementaire et un mode de scrutin à pluralité simple : le Canada, l'Inde, la Malaysie ainsi que Saint Kitts et Nevis. Cette combinaison tend à produire, tant au niveau fédéral que provincial, des gouvernements composés d'un seul parti qui sont habituellement en mesure de faire adopter les lois qu'ils proposent. Il s'ensuit que les relations intergouvernementales se font entre gouvernements forts. Lorsque le Premier ministre du Canada, les dix premiers ministres des provinces et les trois leaders territoriaux signent une entente, ils sont en mesure de la faire appliquer.

5.           L'existence d'un groupe minoritaire à l'échelle du pays, mais majoritaire dans l'une des entités fédérées. Il y a des fédérations dont les groupes minoritaires sur les plans de l'ethnie, de la langue ou de la religion ont une population trop peu nombreuse ou trop dispersée pour être majoritaire au sein d'une entité fédérée. C'est le cas de l'Australie ou des États-Unis par exemple. Si les Noirs américains ou les hispanophones devenaient majoritaires dans un ou plusieurs États, nul doute que la dynamique de la fédération américaine serait transformée. Car lorsqu'un groupe ethnique, linguistique ou religieux minoritaire à l'échelle du pays est majoritaire dans une entité fédérée, il tend à faire pression pour que cette unité conserve ou accroisse son degré d'autonomie. C'est un phénomène que vous connaissez bien en Russie, plusieurs de vos régions, notamment les Républiques, comprenant plusieurs populations en majorité ou en pluralité non russes sur le plan ethnique. Au Canada, les francophones forment 23,3 % de la population canadienne, mais 81,5 % de la population québécoise. Aussi n'est-il pas étonnant que les Québécois francophones ajoutent à leur appartenance canadienne une identification particulière à leur province. Le gouvernement du Québec joue un rôle de premier plan dans la promotion de l'autonomie provinciale au Canada. De plus, la présence dans cette province d'un parti séparatiste au pouvoir ou dans l'opposition depuis trois décennies donne souvent aux relations intergouvernementales un caractère existentiel inconnu dans la grande majorité des autres fédérations.

          Tels sont les cinq facteurs qui, fondamentalement, m'apparaissent expliquer l'importance exceptionnelle des relations intergouvernementales au Canada et la vitalité avec laquelle nous vivons notre fédéralisme.

2. Quelques principes universels à respecter dans chaque fédération

          J'ai proposé, lors de la conférence internationale sur le fédéralisme, tenue à Mont-Tremblant le 6 octobre 1999, sept principes fondamentaux dont l'observance devrait guider pour le mieux les fédérations. J'insiste pour dire que ces sept principes forment pour moi un tout et que le respect de l'un d'eux ne peut servir de prétexte pour ignorer les autres.

1.           La Constitution doit être respectée. Il faut proscrire l'excuse trop facile qui veut que telle ou telle initiative gouvernementale réponde à un besoin trop pressant pour se laisser arrêter par des questions de champ de compétence. Les empiètements de compétences législatives créent une confusion nuisible à la qualité des politiques publiques.

2.           La coopération est une règle de base. Elle est plus souvent qu'autrement nécessaire tant les champs de compétence des gouvernements se touchent dans presque tous les secteurs d'activité. En tant que ministre des Affaires intergouvernementales, je peux vous confirmer qu'il est peu de politiques que le gouvernement du Canada puisse mettre en œuvre seul, sans la collaboration active des provinces.

3.           La capacité d'action des gouvernements doit être préservée. Il ne faut pas que la recherche de la coopération nous amène à créer une fédération où aucun gouvernement ne peut bouger sans obtenir la permission des autres. La capacité d'initiative et d'innovation doit être préservée dans chaque sphère d'action autonome. Il ne faut pas tomber dans ce que les Européens appellent le joint decision trap (piège de l'unanimité).

4.           La fédération doit être flexible. La recherche d'une action commune doit tenir compte de la diversité du pays; elle doit concilier les objectifs communs et le désir des citoyens d'avoir des services gouvernementaux de qualité comparable partout au pays avec la capacité des entités fédérées d'innover et d'établir des politiques adaptées à leur situation.

5.           La fédération doit être équitable. Les fédérations doivent favoriser la redistribution entre leurs entités fédérées, de façon à ce que même les moins fortunées de ces entités soient en mesure d'offrir une qualité acceptable de services à leurs citoyens. Au Canada, il s'agit d'un principe constitutionnel depuis 1982.

6.           L'échange d'information est essentiel. Il faut éviter l'unilatéralisme et les surprises. Toute nouvelle initiative qui pourrait avoir un effet notable sur l'action des autres gouvernements doit leur être annoncée à l'avance. L'échange d'information permet aussi aux gouvernements de comparer leurs performances, d'évaluer leurs initiatives respectives et d'établir entre eux une saine émulation.

7.           Les contributions respectives des différents gouvernements doivent être connues du public. Les citoyens ont le droit de savoir à quoi servent leurs gouvernements. Ils doivent être en mesure d'évaluer la performance de chacun, c'est une question de transparence.

          Voilà des principes qui, selon moi, pourraient guider les relations intergouvernementales dans les fédérations. En tout cas, leur importance m'apparaît certaine au Canada. Je ne dis pas que nous, Canadiens, parvenons à les respecter entièrement. Je dis que nous devons nous y efforcer.

          Bien sûr, cela ne se fait pas sans mal. Une certaine tension créatrice est inhérente au système fédéral. La perspective du gouvernement fédéral n'est pas celle des entités fédérées. Le gouvernement fédéral, représentant tous les électeurs, se préoccupe naturellement du principe 2 : la nécessaire collaboration, la mise en commun des ressources et des talents pour l'atteinte d'objectifs nationaux. Les gouvernements des entités fédérées ont en tête les principes 3 et 4 : leur marge d'action autonome, leur capacité d'initiative et d'innovation. Pour que les relations intergouvernementales donnent de bons résultats, il faut que chacun accepte le bien-fondé du point de vue de l'autre et que tous respectent les autres principes : l'équité, l'échange d'information, la transparence et le respect de la Constitution.

Conclusion

          Permettez-moi de clore mes propos avec l'histoire des quatre écoliers qui doivent écrire une dissertation sur les éléphants. L'élève britannique intitule son texte : «L'empire et les éléphants». Le Français : « L'amour chez les éléphants ». Le petit Américain : « Comment rendre les éléphants plus gros et plus forts ». Quant à l'élève canadien, il choisit : « Les éléphants : compétence fédérale ou provinciale? »

          Oui, le Canada a poussé très loin sa dimension fédéraliste. J'ai proposé à la fois cinq facteurs pouvant expliquer ce phénomène et sept principes d'action qui devraient nous aider à en tirer le meilleur parti.

L'enjeu est de taille car le fédéralisme est plus qu'un système efficace de gouvernement. Il est aussi apprentissage de la négociation, art de la résolution des conflits, cette dimension inévitable de la vie en société. Dans une fédération, les gouvernements sont en bonne position pour donner l'exemple à leurs citoyens, en leur prouvant qu'il leur est possible de collaborer pour le pays entier, dans le respect des différences de parti, de région, de langue, de culture ou de composition ethnique. Le fédéralisme est la preuve que la diversité n'est pas un problème, qu'elle est une force pour un pays. Certes, les relations intergouvernementales dans les fédérations sont parfois bien complexes. Mais les praticiens que nous sommes ne doivent jamais oublier qu'au-delà de cette complexité nécessaire, qui constitue notre pain quotidien, le fédéralisme est, par-dessus tout, un projet profondément humain, projet que nos deux pays partagent et sur lequel nous devons bâtir une entraide mutuellement bénéfique.  


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Mise à jour : 2000-12-16  Avis importants