« Plaidoyer pour la
solidarité canadienne
Les effets pervers du chantage à la séparation »
Notes pour une allocution
de l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales
Discours devant la faculté de
droit de
l'Université de Toronto
Toronto (Ontario)
le 14 février 2001
L'allocution prononcée fait
foi
Mon
propos d'aujourd'hui tient avant tout en une proposition de base qui est la
suivante : un pays se donne les meilleures chances de s'améliorer si tous
ses citoyens adhèrent au principe de solidarité. Ce principe s'énonce
comme suit : « Quoi qu'il advienne, nous choisirons de rester ensemble.
»
Ce
que je vais vous dire est le contraire d'un plaidoyer pour le statu quo. Ce
pays, dont nous avons déjà tant de raisons d'être fiers, marchera encore
mieux, sera plus facile à améliorer, si nous restons fidèles au principe
de solidarité, si nous nous donnons l'assurance de rester ensemble.
De
cette assurance naît une plus grande confiance mutuelle, un désir plus
fort et plus sincère de vraiment s'entraider, une meilleure aptitude à la
discussion franche et à la découverte de solutions quand surviennent des
désaccords.
Car
il est normal que nous ayons des désaccords dans une démocratie. Il entre
dans l'ordre des choses que les conceptions politiques, fédératives et
constitutionnelles de MM. Chrétien, Day, Harris, Klein et Charest
diffèrent. Mais l'invention de solutions nouvelles qui résulte de ce choc
des idées sera bien plus fructueuse si elle repose sur une solidarité
indéfectible plutôt que sur la remise en question de l'unité même du
pays. Comme l'a déclaré récemment le premier ministre Ralph Klein : «
La présence de tensions au sein d'un régime fédéral, toutefois, n'est
pas un signe de différences irréconciliables. Ces tensions sont
inévitables et sont la réalité de toutes les fédérations. »
[traduction libre]
Au
principe de solidarité s'opposent non seulement le séparatisme mais aussi
le chantage à la séparation, c'est-à-dire
l'utilisation de la menace séparatiste comme un outil de négociation. Il
me faut bien vous expliquer ce que j'entends par cette expression, «
chantage à la séparation », avant d'en faire ressortir les cinq effets
pervers qui constituent autant de raisons de nous en détourner.
Qu'est-ce que le chantage à la
séparation?
Certains de nos concitoyens n'adhèrent pas au principe de solidarité
canadienne car ils ne veulent plus être Canadiens. On les retrouve
essentiellement au Québec et, même là, ils
sont bien moins nombreux qu'un certain référendum a pu le laisser croire. Ils
disent : « Je ne me reconnais pas en vous et donc je veux mon propre
pays. »
On
n'a pas besoin de gratter beaucoup la surface pour découvrir que,
contrairement à ce que suggère une certaine rhétorique, leur désir de
rupture ne vient pas de ce que le Canada serait trop centralisé ou que le
Québec ne recevrait pas sa « juste part ». À ce compte-là, aucun pays
ne pourrait maintenir son unité car il s'en trouve bien peu à être plus
décentralisés que le nôtre ou à pratiquer une redistribution régionale
plus poussée.
Non,
ils veulent leur propre pays parce qu'ils ne se sentent pas Canadiens. Ils
veulent être majoritaires dans leur propre pays plutôt que d'en partager
un plus grand avec d'autres qu'ils ne considèrent pas comme leurs
concitoyens.
Il
faut dialoguer avec ces Québécois qui veulent renoncer à leur dimension
canadienne. Il faut leur parler poliment, avec empathie, mais aussi
avec franchise, afin de leur montrer ce qu'est le Canada. La franchise
commande, aussi, de leur dire que la réalité canadienne d'aujourd'hui ne
leur fournit aucune raison valable de poser un geste aussi grave que celui
qui consisterait à transformer des concitoyens en étrangers. Une telle
franchise est la meilleure et peut-être la seule façon de les réconcilier
avec le principe de la solidarité canadienne.
Mais
le principe de solidarité n'est pas seulement remis en question par ceux
qui veulent la séparation. Il l'est aussi par ceux qui soit pratiquent le
chantage à la séparation, soit y cèdent. Le chantage le plus direct
consiste à dire : « Faites ce que je dis, sinon je pars. » Une
forme plus indirecte s'énonce comme suit : « Faites ce que je dis,
sinon ceux qui veulent partir auront de plus en plus de bons arguments pour
le faire. » On cède à ce chantage en répondant : « Donnons aux
séparatistes une partie de ce qu'ils demandent de façon à éviter la
séparation. »
Bien
que l'expression « chantage à la séparation » soit péjorative, je ne
doute pas que la grande majorité de ceux qui le pratiquent ou qui y cèdent
le font de bonne foi. C'est une habitude que l'on prend vite : dès que les
uns l'adoptent, les autres deviennent enclins à le faire aussi. On en vient
à perdre de vue, alors, ses effets négatifs.
Voilà pourquoi j'ai interpellé M. Stockwell Day le 23 janvier dernier. Il
ne doit pas simplement dire aux partisans de ce groupuscule séparatiste qui
vient de naître en Alberta d'être patients. Il doit leur faire savoir que
le Canada tel qu'il est ne mérite pas qu'on le soumette à un chantage
séparatiste. Il doit toujours faire une distinction claire et nette entre
ses idées pour améliorer le pays - y compris la place de l'Ouest dans le
pays - et le chantage à la séparation.
Les
Canadiens sont en droit d'entendre M. Day prononcer cette simple phrase : «
Rien dans le Canada d'aujourd'hui ne justifie la sécession, rien au Québec,
rien dans l'Ouest, rien ailleurs au pays. »
Non
pas que je crains que ce nouveau parti séparatiste en Alberta soit une
menace pour le Canada. Je sais trop à quel point les Albertains sont des
Canadiens convaincus qui veulent améliorer la
solidarité canadienne et non rompre avec elle. Mais je crois que le
chantage à la séparation nous nuit de toutes sortes de façons et que
certains de nos leaders politiques, qui croient pourtant sincèrement en
notre pays, doivent cesser de flirter avec cette stratégie.
Je
vais maintenant examiner de plus près le caractère néfaste du chantage à
la séparation. Je vais en faire ressortir les cinq effets pervers.
1. Le chantage à la séparation nous fait perdre de
vue l'intérêt public
Dans
la perspective du chantage à la séparation, la qualité des politiques
publiques n'est pas une préoccupation, elle disparaît comme enjeu pour
laisser toute la place à la seule préoccupation de calmer le séparatisme.
Ce qui nous est suggéré, c'est de concéder aux séparatistes une partie
de ce qu'ils demandent de façon à au moins rallier les moins radicaux.
Par
exemple, en termes de partage des pouvoirs, la stratégie préconisée
consiste à transférer un certain nombre de compétences du gouvernement
fédéral au gouvernement provincial, non pas parce qu'on croit que ces
responsabilités seraient mieux assumées au niveau provincial, mais parce
qu'on espère ainsi apaiser le séparatisme. Puisque les séparatistes
veulent tous les pouvoirs, on leur en concédera une partie en souhaitant
que les moins radicaux s'en satisfassent. Et s'ils ne s'en satisfont pas,
c'est qu'on n'a pas encore transféré suffisamment de pouvoirs. Il faut en
ajouter d'autres. Ainsi va le raisonnement.
Ce
raisonnement ne marche pas. Les séparatistes ne veulent pas des pouvoirs à
la pièce, ils veulent un nouveau pays. Les chefs indépendantistes
québécois se sont chargés de l'expliquer lors de la dernière campagne
électorale dans cette province. Ils ont bien averti que chaque concession
sous forme de transferts de pouvoirs serait accueillie comme une avancée
vers l'indépendance. Ils ont appelé cela la politique du « butin ».
C'est
une erreur que de céder à cette politique du butin. Tout transfert de
pouvoir, comme tout effort pour améliorer notre fédération, ne doit être
motivé par rien d'autre que la recherche du bien commun.
2. Le chantage à la séparation conduit à
banaliser l'enjeu de la sécession
Le
chantage à la séparation nous fait commettre l'erreur de rechercher un
entre-deux entre la sécession et l'unité canadienne, une sorte de
demi-séparation. Or, cet entre-deux introuvable n'existe évidemment pas.
Ce qui existe par contre, ce sont soit des propositions pour améliorer
le Canada, soit des propositions pour en sortir. Il convient de toujours
maintenir une distinction claire et étanche entre ces deux types de
propositions.
D'ordinaire, quand les Québécois sont sondés sur la question nationale,
on leur présente en éventail quatre options : 1) le statu quo
constitutionnel, 2) le fédéralisme renouvelé, 3) la souveraineté-association
(maintenant souveraineté avec offre de partenariat) et 4) l'indépendance.
En fait, cet éventail est déchiré en son milieu par l'enjeu de la
sécession.
Ce
n'est pas vrai que le fédéralisme renouvelé et la
souveraineté-partenariat sont des notions voisines. Entre les deux, il y a
un gouffre, celui de la sécession. En fait, les notions de statu quo
constitutionnel et de fédéralisme renouvelé, d'une part, et celles de
souveraineté-partenariat et d'indépendance, d'autre part, forment deux
paires complètement séparées par la cassure de la sécession.
Vous
connaissez les nombreux sondages qui montrent que de 20 à 35 % des
électeurs du OUI au référendum de 1995 croyaient qu'un Québec
souverain ferait toujours partie du Canada. Il ne faut pas s'en étonner,
depuis le temps qu'on répète aux Québécois qu'entre la «
souveraineté-partenariat » et le « fédéralisme renouvelé », il n'y a
que des nuances.
Cette
fausseté a été battue en brèche ces dernières années. Le gouvernement
du Canada s'est affairé à mettre en lumière l'enjeu de la sécession. Le
renvoi à la Cour suprême, mes lettres ouvertes à M. Bouchard et à ses
ministres, la loi sur la clarté, tout cet exercice de clarification a
dissipé la brume. On a pu voir alors à quel point, quand les choses sont
claires, les Québécois sont nombreux à exprimer leur attachement au
Canada et leur détermination à ne pas le perdre.
En
plus de nous faire perdre de vue l'enjeu de la sécession, le raisonnement
vicié qui présente cette notion vague qu'est la «
souveraineté-partenariat » comme une solution modérée, voisine du «
fédéralisme renouvelé », induit un autre biais. Il présente les
Canadiens qui ne réclament pas de changements constitutionnels particuliers
comme le pendant extrémiste des partisans de la séparation. Ces Canadiens
qui sont fiers du Canada tel qu'il est, l'un des pays les plus prospères et
les plus tolérants au monde, l'une des fédérations les plus
décentralisées, deviennent des ultras, des partisans d'une solution
décrite comme aussi radicale que la sécession.
On
sait que le gouvernement libéral de M. Chrétien entend continuer à
améliorer le pays sans procéder pour l'heure à des changements
constitutionnels. Pour cette raison, l'industrie constitutionnelle
canadienne tend à le définir comme l'antipode extrémiste des partisans de
la séparation du Québec. Un éditorialiste du National Post a
récemment poussé cette confusion intellectuelle jusqu'à l'appliquer au
cas du groupuscule séparatiste qui vient de naître en Alberta : « À
un extrême, il y a les séparatistes de l'Ouest, avec, à leur tête le
Parti de l'indépendance de l'Alberta (...) À l'autre extrême, il y a
Jean Chrétien. » [traduction libre]
(National Post, 26 janvier 2001, p. A15)
Je
dis qu'il n'y a rien de bon à attendre d'une telle banalisation de l'enjeu
de la sécession, certainement pas une négociation constitutionnelle
fructueuse.
3. Le chantage à la séparation nous incite à
dramatiser nos désaccords
En
même temps qu'il banalise ce geste extrême qu'est la sécession, le
chantage à la séparation dramatise les désaccords pourtant bien normaux
que nous avons au Canada.
En
effet, le chantage à la séparation nous pousse à considérer des
changements non pas pour améliorer le pays, mais pour le sauver. D'où une
surenchère : chacun estime que les changements qu'il préconise revêtent
une importance existentielle. Cette surenchère nous fait perdre le sens des
perspectives. On en oublie presque à quel point ce qui nous oppose est peu
de choses par rapport aux drames qui déchirent tant d'autres pays.
Je
vous invite à relire de ce point de vue le discours d'adieu de M. Bouchard.
Il y justifie son départ de la vie politique par son incapacité à
enflammer les Québécois contre les « offensives » du gouvernement
fédéral. Dans son réquisitoire contre le gouvernement fédéral, M.
Bouchard a mentionné quatre choses : les bourses du millénaire, les
Chaires de recherche du Canada, l'union sociale et la loi sur la clarté.
Quoi? C'est cela qui devait convaincre les Québécois de se séparer : plus
d'argent pour nos étudiants, des chaires pour nos meilleurs professeurs,
une entente gouvernementale dans le domaine social et la reconnaissance que
le pays est divisible mais pas n'importe comment? Je doute qu'il y ait un
autre pays au monde où de telles initiatives gouvernementales auraient
servi de justification à un geste aussi extrême que la sécession.
4. Le chantage à la séparation exacerbe les
jalousies régionales
Le
chantage à la séparation exige que des concessions soient faites aux
séparatistes. Du coup, il pénalise les citoyens qui ne l'utilisent
pas comme levier pour rehausser leurs préoccupations dans l'ordre des
priorités gouvernementales.
Je
suis persuadé qu'un gouvernement ne doit pas avantager les séparatistes.
Il doit traiter tous ses citoyens avec le même souci de justice et
d'équité. C'est ce que nous avons cherché à faire au Canada.
Le
Québec n'est pas l'enfant gâté de la fédération. S'il reçoit plus du
gouvernement fédéral qu'il ne contribue à ses revenus, c'est qu'il est un
peu moins riche que la moyenne canadienne. Mais les Albertains et les
Ontariens aident davantage, per capita, leurs concitoyens de l'Atlantique,
du Manitoba et des trois territoires que ceux du Québec.
Toutefois, comme le séparatisme québécois reçoit depuis des décennies
plus d'attention que tout autre phénomène politique au Canada, comme il a
été au centre de nos mélodrames nationaux, il s'est développé dans les
autres provinces la croyance que la préoccupation première sinon unique du
gouvernement fédéral, c'est le Québec. On en est venu à penser que les
autres préoccupations, notamment celles de l'Ouest, sont négligées par le
gouvernement fédéral. Certains en viennent à regretter de ne pas utiliser
le chantage à la séparation comme un moyen d'attirer l'attention sur leurs
revendications.
J'ai
pu expérimenter la profondeur de ce sentiment récemment. Le 5 novembre
dernier, le Calgary Herald a publié une citation de moi dans
laquelle je disais ne pas craindre de montée séparatiste dans l'Ouest : «
Tous les gens de l'Ouest sont des Canadiens convaincus. Pour moi,
la question ne se pose pas », [traduction
libre] ai-je déclaré. Normalement,
cette déclaration aurait dû être prise pour ce qu'elle était,
l'expression de ma confiance envers les Canadiens de l'Ouest et non pas du
tout d'un désintérêt pour leurs préoccupations. Mais en fait, cette déclaration
a été dénoncée dans certains journaux et par des adversaires politiques
comme la preuve que le ministre des Affaires intergouvernementales ne se
soucie pas de l'Ouest.
Aurais-je dû dire que les Canadiens de l'Ouest sont des crypto-séparatistes?
Était-ce le moyen de prouver que je prends à coeur les intérêts de cette
région de mon pays?
À
tous ceux de mes concitoyens des autres provinces qui croient que le
chantage à la séparation a été payant pour le Québec, j'aimerais dire
à quel point c'est le contraire qui est vrai. J'ai vu dans ma province
toute la déplorable perte, non seulement d'argent, mais aussi d'énergie et
de talent, que cela a représentée. Ce fut une perte sèche pour le Québec
comme pour l'ensemble du Canada.
À la
longue, cette exacerbation des tensions régionales ternit l'image du Canada
auprès de ses propres citoyens. Ils en viennent à percevoir leur pays
comme une dispute perpétuelle. Certains en déduisent que la séparation
est le moyen d'obtenir la paix.
Vous
vous rappelez du principal argument de M. Bouchard lors du référendum de
1995, celui de la fin de la chicane. Après un OUI, non seulement n'y
aurait-il plus de chicane avec les autres Canadiens, mais au Québec même,
promettait-il, il n'y aurait plus de souverainistes et de fédéralistes,
que des Québécois, frères et soeurs, plus solidaires que jamais. Ce fut
sans doute l'argument le plus efficace pour la cause du OUI. Mais en même
temps, c'était le plus faux qui soit.
Le
plus sûr moyen de diviser profondément les Québécois entre eux est de
leur demander de renoncer au Canada. Une tentative de sécession, surtout si
elle devait être faite sur la base d'une question confuse, d'une majorité
incertaine et hors du cadre juridique, opposerait non seulement le Québec
et le Canada, mais en plus créerait, entre Québécois, une chicane comme
ils n'en ont jamais connue. Nous le réalisons mieux maintenant parce que le
gouvernement s'est appliqué à le démontrer.
5. Le chantage à la séparation libère les leaders
séparatistes du fardeau de la preuve
Le
chantage à la séparation assigne aux tenants de l'unité canadienne une
tâche insurmontable, celle de rendre le Canada acceptable. On peut et on
doit toujours améliorer le Canada mais on ne peut pas le rendre acceptable,
pour la simple raison qu'il l'est déjà, et bien plus encore. C'est un pays
extraordinaire, loin d'être parfait mais admirable à
l'échelle du monde.
Le
chantage à la séparation nous invite à concentrer toute notre attention
sur la capacité des tenants de l'unité canadienne d'accomplir cette tâche
insurmontable, celle de livrer la grande réforme qui réglera tout. À eux
le fardeau de la preuve. Au bout du compte, on ne s'interroge plus du tout
sur le pourquoi et le comment de la sécession. Les leaders séparatistes
sont libérés de l'obligation de justifier et d'expliquer leur option.
La
tâche de persuasion d'un leader indépendantiste est grandement facilitée
si, au lieu d'être tenu de prouver en quoi les habitants de la province
seraient plus heureux en cessant d'être Canadiens, il peut se contenter de
répéter : « Puisque les fédéralistes n'ont pas livré la grande
réforme, partons. »
À
cela il faut répliquer haut et fort que puisque rien ne justifie la
sécession au Canada, c'est sur les épaules des leaders séparatistes que
repose le fardeau de la preuve. À eux de prouver que nous serions plus
heureux si nous devenions des étrangers au lieu de demeurer des concitoyens.
Conclusion
Le
chantage à la séparation comporte une série d'effets pervers que je me
suis employé à décrire. Il implique une logique des concessions qui fait
perdre de vue l'intérêt des citoyens. Il banalise la sécession et la
cassure qu'elle représente. Il sème la jalousie, la confusion et la
lassitude. Il libère les leaders séparatistes de l'obligation de justifier
leur projet.
Le
principe de solidarité fait tout le contraire : l'assurance de rester
ensemble nous aide à dialoguer, à garder le sens des perspectives en cas
de désaccords et à trouver ensemble les voies du bien commun. Il nous faut
rester fidèles au principe de solidarité. C'est lui qui nous procure les
meilleures chances d'améliorer toujours davantage notre pays.
Je
suis très fier des améliorations que le gouvernement Chrétien a
apportées à notre fédération ces dernières années. Pas à pas, un
dossier après l'autre, à la Jean Chrétien, nous avons accru la capacité
de nos gouvernements de travailler ensemble dans le respect de leurs
compétences respectives. Dans tous les domaines, ceux de la santé, de la
petite enfance, de l'environnement, de l'agriculture, des infrastructures,
nos gouvernements inventent de nouvelles façons de mieux servir les
citoyens. Ces changements n'ont pas le caractère spectaculaire d'une
méga-réforme constitutionnelle, mais ils sont efficaces et améliorent,
concrètement, la qualité de vie des Canadiens. De ça, je suis persuadé.
Pourtant, il ne me viendrait pas à l'esprit de vous faire croire que ces
améliorations rendent maintenant le Canada acceptable, alors qu'il ne
l'aurait pas été au référendum de 1995. Bien sûr que le Canada de 1995
était bien plus qu'acceptable.
Je ne
songerais pas davantage à nier le droit des autres formations politiques
d'affirmer que leur approche du fédéralisme serait meilleure pour le pays.
Je leur demande simplement de ne jamais prétendre ou laisser entendre que
l'approche libérale justifie la sécession.
On
aura compris que par ce plaidoyer pour le principe de solidarité, je ne
suggère aucunement de renoncer à toute réforme de la Constitution.
Celle-ci est bien sûr perfectible. Je ne dis pas que notre Sénat est
parfait, ou qu'une clause interprétative reconnaissant le caractère unique
du Québec ne serait pas chose utile. Je ne nie en aucune façon la
nécessité de réfléchir sur notre Constitution et notre fédéralisme,
comme l'a fait récemment le parti de M. Charest. En fait, j'accueille comme
une très bonne chose le fait que chaque parti politique qui croit au Canada
ait ses idées et ses méthodes à lui pour améliorer notre fédération.
Je
souhaite simplement que tous nos leaders politiques qui croient au Canada
renoncent à utiliser la menace du séparatisme comme argument pour faire
valoir leurs propres préférences politiques ou constitutionnelles.
J'aimerais les entendre dire que rien ne justifie la sécession dans le
Canada d'aujourd'hui. Nous avons tous nos idées sur la façon d'améliorer
notre pays, par des moyens constitutionnels ou autres. Mais aucune de ces
améliorations n'est essentielle au point qu'il faille se séparer faute de
l'obtenir. C'est en décidant résolument de rester ensemble en toute
confiance que nous serons le plus à même de répondre aux aspirations de
chacun.
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