« La situation financière de
nos gouvernements : la fédération équilibrée»
Notes pour une allocution
de l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales
Discours devant la
Chambre de commerce de Saint-Laurent
Saint-Laurent (Québec)
Le 10 avril 2001
L'allocution prononcée fait
foi
Voilà cinq années maintenant que j'ai l'honneur de représenter la
circonscription de Saint-Laurent-Cartierville à la Chambre des communes.
Tout en m'inspirant beaucoup de la grande dame qui m'a précédé, Shirley
Maheu, j'ai essayé d'imprimer mon style, j'ai tenté d'innover. Et l'une
des innovations auxquelles je tiens le plus est ce bilan financier de la
fédération que vous m'invitez à faire tous les printemps.
Cette
année, le sujet qui s'impose à mon avis est l'équilibre fiscal entre le
gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces. Ces derniers - et
pas seulement celui du Québec - doutent qu'un équilibre
prévale en ce moment.
S'ils
ne pratiquent pas tous la surenchère verbale qui amène notre gouvernement
du Québec à parler « d'étranglement fiscal » des provinces,
rien de moins, ils sont nombreux à adopter le slogan : l'argent est à
Ottawa, les besoins sont dans les provinces.
Ce
slogan ne correspond pas à la réalité. Certes, le gouvernement fédéral,
sous le leadership du très honorable Jean Chrétien, a redressé sa
situation financière de façon spectaculaire depuis 1993. Mais les
provinces aussi ont amélioré considérablement l'état de leurs finances.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le gouvernement fédéral ne
nagera pas dans les surplus au cours des prochaines années. Tout comme les
provinces, il lui faudra gérer de façon judicieuse une marge de sécurité
acquise au prix de bien des sacrifices consentis par les Canadiens.
Cela
dit, que l'on pense qu'il y a équilibre fiscal ou non, on
doit convenir qu'il s'agit là d'une question très importante. Comme
ministre des Affaires intergouvernementales du Canada, je tiens à ce que
nous ayons une fédération forte, pas seulement un gouvernement fédéral
fort.
Après avoir examiné successivement la situation financière du
gouvernement fédéral et celle des gouvernements des provinces, je
m'arrêterai sur le cas particulier des coûts de la santé. On verra que,
plutôt que de déséquilibre fiscal, c'est de la responsabilité collective
de nos gouvernements dont il faut parler.
1. La situation financière du gouvernement
fédéral
Rien
ne contribue davantage à créer l'impression d'un déséquilibre fiscal que
les surplus que le gouvernement fédéral est parvenu à accumuler. Voyons
ce qu'il en est exactement.
Il
est vrai que le gouvernement fédéral envisage de consacrer cette année au
moins 10 milliards de dollars au remboursement de sa
dette. Mais il s'agit précisément du budget de l'année qui vient de
s'achever et qui ne tient donc compte ni de l'importante baisse d'impôts de
100 milliards de dollars sur cinq ans annoncée par le ministre des Finances
Paul Martin lors de son énoncé économique du 18 octobre 2000, ni des
26,6 milliards de dollars de nouvelles dépenses sur cinq ans annoncés
dans le cadre de cet énoncé.
Ces
annonces marquent un point tournant dans les perspectives budgétaires
fédérales : nos dépenses - y compris nos transferts aux provinces -
croîtront plus rapidement au cours des années qui viennent qu'elles ne
l'ont fait au cours des années 1990, tandis que nos recettes croîtront
plus lentement.
Par
ailleurs, compte tenu du ralentissement économique qui se fait sentir aux
États-Unis, les analystes financiers invitent le gouvernement fédéral à
la plus grande prudence. Ainsi, selon le TD Economics,
« la plus grande partie (des surplus) a déjà été
utilisée » [traduction] (Étude « Using the Federal
Budget Surplus: Is there any left? », 1er mars 2001).
Je
conviens que, grâce à une gestion avisée, le gouvernement fédéral
entreprend cette décennie en bien plus solide position que ce n'était le
cas au début des années quatre-vingt-dix ou au début des années
quatre-vingts. Mais la vigilance demeure de mise. Il ne faut pas oublier que
le gouvernement fédéral est plus endetté que ne le sont les provinces. Le
service de la dette accapare 26 cents de chaque dollar de recettes
fédérales, comparativement à une moyenne provinciale de 12 cents (environ
15 cents au Québec). Si le gouvernement fédéral devait retomber dans les
déficits, les conséquences, en termes de perte de confiance dans
l'économie et de hausse des taux d'intérêt, toucheraient tout le monde, y
compris les gouvernements des provinces.
Encore plus que celles des provinces, les recettes et les dépenses du
gouvernement fédéral sont exposées aux effets d'un éventuel
ralentissement économique, notamment en raison de sa part relativement
large de recettes très cycliques - comme l'impôt sur le revenu des
sociétés et les contributions d'assurance sociale - et de sa
responsabilité à l'égard du programme d'assurance-emploi. Tant les
recettes que les dépenses du gouvernement fédéral ont fluctué davantage
que celles des provinces au cours des récents cycles économiques. Dans la
conjoncture actuelle, il ne faut donc pas s'attendre à ce que le
gouvernement fédéral dégage des surplus importants comme ceux des deux
dernières années.
Cela
dit, le gouvernement fédéral a fait de l'aide financière aux provinces
une priorité. Depuis qu'il a atteint l'équilibre budgétaire,
c'est-à-dire depuis l'exercice financier 1997-1998, le total de ses
nouvelles initiatives de dépenses pour la période 1997-1998 à 2002-2003
se chiffre à 66,7 milliards de dollars. De ce montant, 25,1 milliards de
dollars, soit 37,6 %, auront été transférés directement aux
gouvernements provinciaux. Par ailleurs, ces chiffres n'incluent pas les
augmentations automatiques de la péréquation puisque celles-ci ne
constituent pas des « initiatives » fédérales en tant que
telles. Ces augmentations ont quand même valu 3,0 milliards de
dollars aux provinces récipiendaires depuis 1997-1998. En plus, le
gouvernement du Canada s'est engagé à augmenter ses transferts aux
provinces pour la santé et les programmes sociaux d'un autre montant de
15,1 milliards de dollars pour la période 2003-2004 à 2005-2006.
2. La situation financière des gouvernements
provinciaux
Considérons maintenant la situation des provinces, étant entendu qu'elle
diffère passablement d'une province à l'autre, la riche Alberta se
démarquant de façon très nette.
Huit
provinces sur dix prévoient un budget équilibré ou excédentaire pour
l'exercice en cours. La situation dans les deux provinces encore
déficitaires (Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse) est en nette
amélioration. Toutes les provinces s'attendent à une baisse de leur ratio
d'endettement net par rapport au Produit intérieur brut (PIB). La plupart
des provinces qui ont déjà présenté leur budget 2001 ont
procédé à des baisses d'impôts cette année.
En
moyenne, les recettes provinciales croissent au même rythme que celles du
gouvernement fédéral, c'est-à-dire, en gros, à un rythme légèrement
inférieur à celui de notre économie. Ainsi, de 1991-1992 à 1999-2000,
les recettes provinciales sont passées de 20,6 % du PIB à 19,8 % et les
recettes fédérales de 19,0 % du PIB à 18,0 %. Cinq des provinces (y
compris le Québec) ont enregistré pendant cette période une croissance de
leurs recettes plus forte que celle du gouvernement fédéral. (Seule Terre-Neuve
- en raison du déclin de sa population - a connu une croissance de revenus
significativement plus faible que celle du gouvernement fédéral.)
Rien
dans l'avenir ne permet de prévoir un ralentissement de la croissance des
recettes provinciales par rapport à celle du gouvernement fédéral. Il
faut se rappeler que, selon notre Constitution, les deux ordres de
gouvernement ont accès à peu près aux mêmes sources de revenus (alors
que, dans les autres fédérations, l'accès des états/länder/cantons aux
sources de recettes est plus limité). De plus, les assiettes fiscales qui,
de nos jours, enregistrent les taux de croissance les plus élevés (redevances
des ressources naturelles et revenus de jeux) appartiennent aux provinces et
non au fédéral.
En
somme, on ne peut parler de déséquilibre dans un contexte où les
provinces sont moins endettées que le gouvernement fédéral et où elles
encaissent des surplus, baissent leurs impôts et augmentent leurs dépenses.
À
titre d'illustration, prenons le récent budget Marois. On y trouve une
réduction de la dette de 500 millions de dollars, de nouvelles réductions
d'impôts de 3,5 milliards sur trois ans, de nouvelles dépenses de
plusieurs milliards de dollars et la création d'une réserve spéciale de
950 millions de dollars. Madame Marois a estimé elle-même à 5 milliards
de dollars la marge de sécurité dont elle dispose pour l'année qui se
termine et la prochaine année. Le gouvernement fédéral est très heureux
d'avoir contribué à cette bonne nouvelle, notamment par l'augmentation de
ses transferts au gouvernement du Québec de 1,8 milliard de dollars.
Cela
jure avec la thèse de « l'étranglement fiscal » avancée par
le premier ministre Landry dans le discours inaugural du 22 mars dernier.
Pour un gouvernement qui se dit « étranglé », il respire
plutôt bien.
Madame Marois a déclaré que les Québécois paient 33,1 milliards de
dollars d'impôts à Ottawa (ce qui est exact pour 1998, dernière
statistique disponible) et que « c'est avec cet argent que le
gouvernement central accumule les surplus impressionnants qu'il utilise pour
envahir les champs de compétence du Québec ». En fait, la
Ministre passe sous silence que les Québécois ont reçu 38,9 milliards de
dollars en dépenses fédérales en 1998, soit un excédent de
5,8 milliards de dollars.
3. Le défi de la santé
Les
provinces insistent beaucoup sur le fait que la croissance du coût des
soins de santé exerce sur elles une pression budgétaire énorme. Il est
vrai qu'elles consacraient en moyenne 30,3 % de leurs dépenses de
programme à la santé en 1995 et que ce pourcentage a grimpé à
34,1 % en l'an 2000. Par ailleurs, on peut prévoir une pression
budgétaire croissante à court et à plus long terme en raison
principalement de l'augmentation importante des coûts de la technologie
médicale mais aussi du vieillissement de la population.
Les
provinces déplorent que le gouvernement fédéral ait dû diminuer ses
transferts durant l'ère des compressions. En fait, durant cette période,
où il a éliminé un déficit annuel de 42 milliards de dollars,
le gouvernement Chrétien a concentré ses efforts de compression sur ses
propres dépenses directes davantage que sur les transferts aux provinces.
Si l'on tient compte, comme il se doit, non seulement des transferts en
espèces mais aussi des transferts en points d'impôt, l'ensemble des
principaux transferts aux provinces a diminué de 4,5 %, alors que les
dépenses fédérales directes ont décru de 5,2 % de 1993-1994 à
1997-1998.
Depuis qu'il a atteint un équilibre budgétaire, le gouvernement du Canada
a fait de la santé une priorité. Du montant de 25,1 milliards en
transferts additionnels aux provinces, celles-ci en ont utilisé la majeure
partie en dépenses en santé. Le gouvernement fédéral a également
consacré 5,1 milliards de dollars à la recherche en santé, à la
prévention, à la politique anti-tabac, aux soins de santé pour les
populations autochtones, au système canadien d'approvisionnement en sang et
à d'autres priorités dans le domaine de la santé.
L'accroissement des transferts fédéraux contribue à la marge de
sécurité dont les provinces disposent maintenant. Jusqu'à un certain
point, la hausse rapide de leurs dépenses en santé depuis 1999 provient
d'un besoin de rattrapage. Un fait peu connu est qu'au cours des années
1990 les recettes provinciales ont augmenté plus rapidement que les
dépenses des provinces en santé. En effet, dans l'ensemble des provinces,
la part des recettes consacrée à la santé est inférieure à ce qu'elle
était il y a dix ans, passant, en moyenne, de 36,6 % en 1992 à 32,7 %
en l'an 2000.
De
même, les dépenses provinciales en santé, qui représentaient en moyenne
6,7 % du PIB en 1991, ont diminué à 6,0 % du PIB en l'an 2000.
Il
faut bien utiliser la marge de sécurité dont nous disposons en ce moment.
Tout le monde reconnaît, avec M. Landry, que : « [l]es problèmes de
santé ne sont pas que des questions d'argent. (...) Ça va se régler avec
des changements culturels dans le système, avec d'autres méthodes de
gestion plus modernes, avec l'utilisation des techniques contemporaines de
gestion des grands ensembles. Il faut travailler là-dessus aussi. »
(TVA en direct, 12 h 30, 2 mars 2000)
Nous
n'aurons pas trop de la somme des enseignements de la commission Clair au
Québec, de la commission Fyke en Saskatchewan, et de la commission Romanow
et de toutes les réflexions qui se poursuivent ailleurs au Canada et dans
le monde pour prendre les bonnes décisions afin de nous doter de politiques
de santé toujours plus efficaces et plus humaines.
Conclusion
Ce
débat sur l'équilibre fiscal n'est pas l'apanage du Canada. Dans les
autres fédérations aussi, les gouvernements équivalents à ceux de nos
provinces trouvent que leur gouvernement fédéral devrait davantage les
aider. D'ailleurs, chez nous, nos municipalités ne sont pas en reste. Elles
aussi estiment que leur gouvernement provincial devrait leur transférer
plus de fonds.
Ce
qu'il y a de particulier au Québec, c'est que certains décrivent ces
tensions normales entre gouvernements comme une raison pour se séparer du
Canada. Ce sont d'ailleurs les mêmes qui nous exhortaient à la séparation
à l'époque où le gouvernement fédéral accumulait d'énormes déficits.
Quand
le « fédéral » est en déficit, c'est la preuve qu'il est incompétent;
quand il dégage des surplus, c'est la preuve qu'il « étrangle » le
Québec. Quand il pleut, c'est la faute du fédéral. Quand il fait beau,
c'est malgré le fédéral. Ceux qui tiennent ce discours feraient mieux
d'admettre qu'ils veulent se séparer du Canada de toute façon, quelle que
soit sa situation financière. J'espère que la commission Séguin, que le
gouvernement du Québec vient de créer pour étudier uniquement la question
de l'équilibre fiscal, ne tombera pas dans ces ornières et ne s'occupera
que de proposer des améliorations à la fédération canadienne sur la base
d'un examen compétent et objectif.
En
fait, c'est un signe de bonne santé que nos gouvernements se disputent des
surplus. Bien davantage qu'au début des deux décennies précédentes, nos
gouvernements, tout comme notre secteur privé, sont en bonne posture pour
faire face à tout ralentissement de l'économie internationale.
Je
crois avoir démontré qu'il n'y a pas de déséquilibre fiscal, ni volonté
« d'envahir » les champs de compétence des provinces à même
les surplus fédéraux. Il y a plutôt nécessité, pour les deux ordres de
gouvernement, de gérer les finances publiques de façon rigoureuse.
L'approche du Premier ministre Jean Chrétien est celle de l'équilibre :
équilibre entre les baisses d'impôts, les réinvestissements stratégiques
et la réduction de la dette; équilibre entre un gouvernement fédéral
fort, des provinces fortes et, surtout, une forte relation d'entraide entre
eux.
Je
sais que les provinces aimeraient que nous les aidions davantage. Et nous
allons continuer à le faire, dans la mesure du possible, étant entendu
qu'on ne s'entraide pas seulement par des transferts d'argent. Quand, par
exemple, un gouvernement, fédéral ou provincial, abaisse son niveau
d'endettement, il aide tous les autres gouvernements car il réduit
l'endettement collectif et contribue à la baisse des taux d'intérêt.
Il
faut aussi continuellement améliorer nos façons de travailler ensemble.
Compte tenu de la conjoncture économique, nos gouvernements en ont plus que
jamais l'obligation, dans le respect de leurs compétences respectives.
Toutes nos énergies doivent être consacrées à cela. Les Canadiens ont
consenti à beaucoup de sacrifices pour sortir de l'ère des déficits. Ils
aspirent à plus de prospérité et de justice sociale. Gens d'affaires de
Saint-Laurent, je sais que je peux compter sur vous pour nous aider à
atteindre cet objectif.
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