« Les municipalités et le gouvernement fédéral »
Notes pour une allocution
de l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales
Conférence annuelle
Fédération canadienne des municipalités
Banff (Alberta)
le 26 mai 2001
L'allocution prononcée fait
foi
C'est la deuxième fois que vous me faites l'honneur de m'inviter à votre
conférence annuelle. La première fois, c'était à Calgary, en 1996; j'en
étais alors à mes débuts dans la vie politique, nommé ministre
depuis cinq mois seulement et élu député depuis à peine
deux mois! À l'époque, non seulement m'avez-vous accueilli avec chaleur,
mais vous m'avez aussi remis un sac à dos en cuir tout neuf, pour remplacer
mon vieux sac à dos d'universitaire. Il y a même une inscription sur le
sac : FCM, Calgary'96. Je l'apporte avec moi partout où je vais. Nous avons
reçu tous les deux notre part de coups et d'éraflures, mais nous sommes
encore très solides. Rien ne pourrait nous séparer. C'est comme le Canada!
Pendant ces cinq années, vous et moi avons été témoins d'énormes
changements dont certains nous ont touchés plus directement que d'autres.
Ainsi, mon comté de Saint-Laurent-Cartierville existe toujours, mais
Ville
Saint-Laurent, par contre, disparaîtra à compter de janvier
2002, car elle a été frappée par le courant de fusions qui
entraînera la disparition de bon nombre de nos municipalités. Aussi,
c'est non sans tristesse que je souligne la présence de mon maire, le Dr
Bernard Paquet, et de sa délégation. La municipalité de
Saint-Laurent me manquera, mais je ferai tout pour aider le nouvel
arrondissement de Saint-Laurent.
La
fédération canadienne a, elle aussi, connu une évolution marquée qui
a favorisé une meilleure collaboration des gouvernements dans le
respect de leurs compétences respectives. Nous avons été témoins
d'importantes ententes fédérales-provinciales sur l'union sociale, sur la
main-d'œuvre, sur la santé, sur l'harmonisation environnementale, sur les
enfants, sur les infrastructures, etc. Un débat historique sur les
règles de sécession a produit une clarté qui renforce notre unité
nationale et consolide les principes fondamentaux de la démocratie.
Nos municipalités canadiennes ont, elles aussi, évolué. Prenant acte de
cette évolution, le Premier ministre du Canada, le très honorable Jean
Chrétien, vient, comme vous le savez, de créer un groupe de travail sur
les questions urbaines formé de treize députés et sénateurs libéraux.
Mon collègue Bryon Wilfert vous en apprendra plus à ce sujet un peu
plus tard au cours de votre conférence. La mission de ce groupe de travail
est, comme l'explique bien le communiqué de presse émis lors de sa
création le 9 mai dernier, d'explorer « de concert avec les
citoyens, les experts et d'autres instances publiques les façons de mieux
collaborer, à l'intérieur de la sphère de compétence fédérale, en vue
de rehausser la qualité de vie dans nos grands centres urbains ».
«
À l'intérieur de la sphère de compétence fédérale » : voilà
qui nous amène à poser deux questions. Premièrement, pourquoi est-il si
important que le gouvernement fédéral s'en tienne à sa compétence propre?
Deuxièmement, qu'est-ce que le gouvernement fédéral peut faire pour vous
aider à l'intérieur de sa sphère de compétence? Je répondrai
successivement à ces deux questions avant de revenir, en conclusion, sur la
pertinence de créer, maintenant, un groupe de travail sur les questions
urbaines.
I) Pourquoi est-il si important que le
gouvernement fédéral s'en tienne à sa compétence propre?
La
Constitution! D'après mon expérience, ce n'est pas un sujet très
populaire auprès des maires ni des conseillers municipaux de quelque
province ou territoire qu'ils viennent. S'il y a une phrase que vous n'aimez
pas nous entendre prononcer, c'est bien celle-ci : malheureusement, le
gouvernement fédéral ne peut intervenir dans ce secteur car il est de
compétence provinciale.
Certains font valoir que les problèmes ruraux et urbains ont pris une telle
ampleur qu'il ne faut surtout pas s'embarrasser de considérations
constitutionnelles quand il s'agit de les résoudre. À cela, il faut bien
sûr répondre que notre Constitution doit être respectée, sinon, il n'y a
pas d'ordre juridique ni de gouvernement ordonné qui puisse être maintenu.
D'accord, il faut respecter la Constitution, mais alors amendons-la,
affirment certains, et donnons des pouvoirs constitutionnels au troisième
ordre de gouvernement afin de lui octroyer les moyens de faire face au
monde actuel. Ceux-là font valoir que notre Constitution de 1867 n'a pas
été pensée en fonction de la réalité d'aujourd'hui. On déplore qu'elle
fasse des municipalités des « créatures » des provinces, selon
l'expression péjorative consacrée, et on soutient que c'est là un
état de choses de plus en plus anachronique à l'ère de
la mondialisation.
Il
est indéniable que notre vie municipale a bien changé depuis la
Confédération. À l'époque du premier recensement, en 1871,
seulement 18 % des Canadiens vivaient dans des agglomérations comptant plus
de 1 000 personnes; maintenant, c'est 80 %. La taille de certaines de nos
grandes villes dépasse de plus en plus celle de bien des provinces,
phénomène accentué par les fusions récentes ou à venir. Pas moins
de six provinces sont moins populeuses que la municipalité de Toronto. Il
en ira de même pour la future ville de Montréal, gonflée par les fusions.
Les maires de ces grandes villes deviennent des personnages
de plus en plus importants, tant sur le plan national qu'international. Au
sein même des provinces, les grandes villes ont pris un poids énorme : 55
% des Manitobains vivent à Winnipeg, 37 % des habitants de la Nouvelle-Écosse
habitent à Halifax et 28 % des Albertains vivent à Calgary. De plus, 25 %
des Québécois habiteront la future ville de Montréal.
Voilà des réalités qui rendent nécessaire la reconnaissance
constitutionnelle de l'ordre municipal et son affranchissement de l'ordre
provincial, entend-t-on parfois dire. Pourtant, vous savez très bien que la
Constitution établit clairement que les affaires municipales relèvent de
la compétence provinciale et que les provinces sont déterminées à faire
en sorte que cela demeure ainsi. On ne peut pas modifier cet aspect de
la Constitution sans leur accord.
Je
vous invite plutôt à tirer parti de la flexibilité et de l'adaptabilité
de notre Constitution. Celle-ci n'a pas empêché notre fédération
d'évoluer vers un cadre décentralisé, si l'on définit la
décentralisation par le poids budgétaire et l'importance des
responsabilités de l'ordre provincial de gouvernement par rapport à
l'ordre fédéral. De même, il n'y a aucun empêchement constitutionnel à
ce que les provinces confient à leurs municipalités plus de moyens et de
responsabilités.
Je
produis d'ailleurs un tableau qui suggère l'existence d'une marge de manœuvre
de ce point de vue. Il compare le Canada et les États-Unis sur le plan du
partage des revenus autonomes des gouvernements. On constate que, si nos
provinces ont un poids fiscal appréciable par rapport aux états
américains, ce n'est pas le cas de nos municipalités en comparaison de
leurs consœurs du Sud.
Ceux qui, au Canada, accusent notre gouvernement fédéral d'être
centralisateur se trompent de cible. S'il y a une force centralisatrice au
Canada, elle ne vient pas du gouvernement fédéral, elle vient des
gouvernements des provinces. Voilà du moins ce que suggère la comparaison
avec les États-Unis.
Notre Constitution n'empêche en rien cet état de choses de changer. Du
reste, elle a permis une grande variété de situations d'une province à
l'autre du point de vue des responsabilités et des pouvoirs fiscaux de nos
administrations municipales.
De
même, notre Constitution n'interdit aucunement au gouvernement fédéral
d'avoir des relations fructueuses avec les municipalités, ceci dans le
plein respect de la compétence provinciale. S'il est clair que le
gouvernement fédéral n'a pas de rôle à jouer dans les affaires
municipales, qu'il ne lui appartient pas de décider des rôles précis, des
pouvoirs ou de l'organisation des administrations municipales, il est tout
aussi évident que les activités propres du gouvernement fédéral, dans
les domaines de l'économie, de l'immigration, des affaires étrangères, de
l'emploi, etc. influencent profondément nos villes et nos villages.
Il faut donc faire une distinction importante entre les affaires
municipales - qui ne relèvent absolument pas du gouvernement fédéral
- et les questions rurales et urbaines de façon plus large - que
le gouvernement fédéral doit aborder par le biais de ses activités.
Dès lors que l'action fédérale influe sur la qualité de vie de nos
villes et villages, sur leur compétitivité, sur leur composition sociale
et démographique, il serait bien anormal qu'il n'y ait pas de relations
directes et intenses entre les dirigeants fédéraux et municipaux. Dans
aucune fédération au monde on ne pourrait concevoir une telle absence de
relation. Non seulement l'interaction fédérale-municipale peut-elle
s'établir dans le plein respect des provinces, mais elle peut se faire avec
leur concours, de façon à ce que les trois ordres de gouvernement
établissent entre eux une synergie maximale. Tel est le but du gouvernement
du Canada. Permettez que je vous en donne quelques illustrations.
II) Les questions municipales et les priorités
du gouvernement fédéral
Le
plus bel exemple de collaboration fédérale-provinciale-municipale est sans
doute le programme d'infrastucture. Il devait être provisoire quand
M. Chrétien l'a institué en 1993. Mais il s'est révélé si utile et
populaire que vous l'avez convaincu de le renouveler en 1997, puis encore en
2000!
Pour le gouvernement du Canada, il était essentiel que les municipalités
soient des partenaires dans ce programme, car l'expérience enseigne qu'il
est difficile de prendre les bonnes décisions en ces matières sans y
inclure les décideurs locaux. Mais, en même temps, il fallait respecter
les prérogatives des provinces. C'est pourquoi nous avons développé un
mécanisme souple dans le cadre duquel les municipalités participent au
Comité de gestion fédéral-provincial dans chacune de leur province de
diverses façons, soit à titre de membres en règle, d'observateurs ou par
l'entremise d'un comité consultatif. Le gouvernement fédéral a travaillé
fort pour obtenir la participation des municipalités, mais celle-ci varie
d'une province à l'autre, certaines provinces, comme l'Ontario et le
Québec, retenant un modèle de prise de décision plus centralisé, alors
que d'autres, comme l'Alberta, accordent aux municipalités un rôle plus
direct et plus actif dans la prise de décision.
La
recherche d'une solution à l'itinérance est un autre exemple de
collaboration fédérale-provinciale-municipale. Comment ne pas voir que ce
drame social interpelle les trois ordres de gouvernement quand, dans la
région de Toronto, par exemple, plus de 30 000 sans-abri, dont
6 200 enfants, se sont servis des refuges en 1999.
Face à ce problème alarmant, le Premier ministre a mobilisé
Claudette Bradshaw. Elle a traversé le pays de long en large,
multipliant les rencontres avec des ministres et des fonctionnaires
provinciaux, des maires et des conseillers, des travailleurs communautaires
et des bénévoles, ainsi que des centaines de sans-abri. Tout ce travail
collectif a mené à un programme fédéral de 753 millions de
dollars conçu non seulement pour refléter la diversité des besoins des
différentes régions du pays mais surtout pour s'appuyer sur les
collectivités locales. Celles-ci sont les mieux placées pour élaborer des
stratégies efficaces tant pour la prévention que pour la réduction de
l'itinérance.
Je
pourrais prendre plusieurs autres exemples de collaboration
intergouvernementale, telle que celle qui sous-tend notre politique
environnementale. Notre Constitution est muette au sujet de l'environnement.
Du reste, la pollution ne s'arrête pas aux frontières, ni municipales, ni
provinciales, ni même nationales. Une collaboration intergouvernementale
est essentielle à toute action environnementale efficace. Mais je crois
avoir fait ma démonstration : face aux défis auxquels sont confrontés les
régions rurales et urbaines, les trois ordres de gouvernement doivent
travailler ensemble dans le respect de leurs compétences respectives.
Conclusion
Quand je me suis adressé à vous en 1996, une étude internationale toute
récente, du Swiss Corporate Resources Group montrait que, du point de
vue de la qualité de vie, nos villes se classaient très bien. Sur 118
villes, Vancouver arrivait deuxième, Toronto, quatrième, et Montréal,
septième.
Eh
bien, je peux répéter la même chose aujourd'hui. Une étude
internationale récente, portant sur deux fois plus de villes, (World-Wide
Quality of Life Survey 2000, William M. Mercer Consultants) montre
que, en 2000, du point de vue de la qualité de vie, Vancouver se
classait première sur 215 villes. Toronto et Montréal s'y classaient
toutes deux au 19e rang.
Incontestablement, nos grandes villes sont des joyaux. Ce constat m'inspire
deux conclusions.
Premièrement, le Canada, ça marche, il faut le garder. Nous réussirons
mieux si nous restons ensemble et si nous travaillons dans l'esprit de
partenariat que j'ai voulu vous décrire.
Deuxièmement, il ne faut surtout pas nous reposer sur nos lauriers. Nos
problèmes, tels ceux que j'ai mentionnés en matière
d'infrastructure, de pauvreté et de pollution, empireront si nous devenons
complaisants.
Une façon de ne pas se reposer sur ses lauriers est de remettre en question
ses façons de faire. Le Premier ministre tient beaucoup à cela. C'est
pourquoi, par exemple, il vient de me charger de la responsabilité de
coordonner nos politiques de langues officielles, afin de revoir nos façons
de travailler dans ce domaine. C'est dans le même esprit qu'il a créé le
groupe de travail libéral sur les questions urbaines.
En
1998, notre gouvernement a parrainé un dialogue avec plus de
7 000 Canadiens des régions rurales et éloignées. Cette
initiative a contribué à l'intégration d'une « perspective rurale » à
l'élaboration des politiques et des programmes fédéraux. De même, nous
devons maintenant intégrer une « perspective urbaine » à l'action
fédérale. C'est sur cette question que se penchera le nouveau groupe de
travail afin de s'assurer que nos politiques fédérales répondent mieux
aux besoins de nos municipalités.
Cela est vrai pour nos politiques actuelles comme pour celles que nous
envisageons, telles que les deux initiatives suivantes mentionnées dans le
discours du Trône. La première est le logement, avec la promesse de
créer de 60 000 à 120 000 nouveaux logements locatifs abordables
en quatre ans. La deuxième est le transport urbain : dans le discours du
Trône, le gouvernement a promis que « avec
les administrations provinciales et municipales, il collaborera en outre à
améliorer les infrastructures de transport public ».
Mais qu'il s'agisse de politiques actuelles ou à venir, il ne fait aucun
doute que l'avenir du Canada, notre qualité de vie, notre harmonie
sociale,
notre dynamisme culturel et notre compétitivité économique sont
intimement liés à nos municipalités. Elles seront au centre des
priorités fédérales. Le Premier ministre Jean Chrétien et tout son
gouvernement comptent sur votre appui continu et sur votre créativité pour
être en mesure de bien relever le défi.
Part des recettes
autonomes des niveaux de gouvernement au
Canada et aux États-Unis
(en %)
|
|
Fédéral |
Province/État |
Municipalités |
Canada (1999) |
45,5 |
42,8 |
11,7 |
États-Unis (1996) |
55,1 |
26,2 |
18,7 |
Sources :
Canada : Statistique Canada (Comptes nationaux de revenus
et de dépenses)
États-Unis : U.S. Census Bureau (Statistical Abstract of the United States
2000)
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