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Archives - Salle de presse

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« Que faire des demandes sécessionnistes en démocratie? »

Notes pour une allocution
de l’honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales

Allocution prononcée devant les membres du
Constitution Unit

University College London
Londres (Royaume-Uni)

le 15 octobre 2003

L’allocution prononcée fait foi


La sécession, soit l’acte de se séparer d’un État pour en constituer un nouveau, est un phénomène particulièrement rare en démocratie. En fait, jamais une démocratie bien établie ayant vécu au moins dix années consécutives de véritable suffrage universel n’a connu de sécession. Dans les cas les plus souvent relevés, la sécession n'est advenue que quelques années après l'introduction ou un élargissement important du suffrage universel : la Norvège et la Suède en 1905, l'Islande et le Danemark en 1918, l'Irlande et le Royaume-Uni en 1922. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses sécessions se sont produites, mais toutes sont survenues dans le contexte des décolonisations ou lors des périodes de transition qui ont marqué le passage entre la fin de régimes autoritaires ou totalitaires et l’établissement de nouvelles démocraties.


Qu’une démocratie bien établie n’ait jamais connu de sécession ne veut pas dire qu’un tel phénomène ne puisse se produire. Mais cela suppose tout de même, et c’est ce que je ferai valoir, une conciliation difficile entre la sécession et la démocratie.


Dans quelques États démocratiques, il existe des partis politiques qui, de façon tout à fait pacifique, par la voie démocratique, cherchent à faire sécession. Je vais traiter ici de ces revendications sécessionnistes pacifiques, et non de celles qui recourent à la violence et au terrorisme. Je tiens pour acquis que nous convenons tous qu’il ne faut pas céder au terrorisme. La seule question que je pose est la suivante : comment une démocratie doit-elle réagir à une revendication sécessionniste parfaitement pacifique?


Une telle revendication existe dans votre pays, avec le Scottish National Party (SNP) qui veut faire de l’Écosse un État indépendant ne faisant plus partie du Royaume-Uni.1 Elle existe aussi dans mon pays, le Canada, avec le Parti québécois et le Bloc québécois, qui veulent que le Québec devienne un État indépendant ne faisant plus partie du Canada. On pourrait aussi mentionner le cas de l’Espagne, où la formation politique actuellement au pouvoir dans la communauté autonome du Pays basque, le Parti nationaliste basque (Pardido Nacionalista Vasco, PNV), prône l’accession à l’indépendance par des moyens pacifiques et se dissocie des actes de violence de l’ETA. Comment ces démocraties doivent-elles traiter les revendications sécessionnistes pacifiques?


Notons d’emblée que, dans ces trois pays, les partis séparatistes pacifiques sont tout à faits reconnus légalement. Ils ont le droit de présenter des candidats aux élections, de siéger au Parlement et aux Cortes s’ils sont élus et de gouverner, le cas échéant. Mais auraient-ils le droit de faire sécession?


En Espagne, les grands partis, le Parti populaire (Partido Popular, PP) et le Parti socialiste (Partido Socialista Obrero Español, PSOE), répondent par la négative en s’appuyant sur le caractère indivisible du pays, caractère qui est enchâssé dans l’article 2 de sa Constitution : « La Constitution est fondée sur l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des régions qui la composent et la solidarité entre elles. » D’ailleurs, plusieurs autres démocraties bien établies se déclarent indivisibles dans leur Constitution, de manière explicite ou implicite. Citons par exemple la France, les États-Unis, l’Italie, l’Australie et bien d’autres démocraties qui affirment former des entités indissolubles.2


Chez vous, le SNP annonce que, s’il formait le gouvernement écossais, il demanderait aux Écossais par référendum, au cours de son premier mandat (quatre ans), s’ils veulent leur indépendance.3 Et le SNP affirme que, même si ce référendum n’était peut-être que consultatif sur le plan légal, le gouvernement du Royaume-Uni serait politiquement obligé de consentir à la sécession, advenant un appui majoritaire des Écossais en sa faveur. Une telle obligation prévaudrait-elle vraiment? Lors des élections législatives écossaises du printemps dernier, la validité d’un tel référendum a semblé être mise en doute et les leaders séparatistes écossais s’en sont indignés.4


Cette question ne concerne que les Britanniques, tout comme l’unité canadienne ne concerne que les Canadiens, ou celle de l’Espagne, que les Espagnols. Le Canada se félicite des relations fructueuses qu’il entretient avec un Royaume-Uni fort, effectivement uni, mais il ne s’ingère ni n’intervient dans les questions internes britanniques.


La question qui se pose est plutôt de savoir s’il existe des principes universels susceptibles de guider les démocraties lorsqu’elles sont confrontées à des demandes sécessionnistes pacifiques. Il est peut-être utile, de ce point de vue, qu’à titre de ministre des Affaires intergouvernementales du Canada ayant des responsabilités vis-à-vis l’unité canadienne depuis huit ans, je vous fasse état des développements qui sont survenus au Canada récemment.


Le 29 juin 2000, le Canada est devenu le premier grand État démocratique à admettre sa divisibilité par un texte législatif. Dans cette « Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec » ou Loi de clarification, plus simplement appelée « loi sur la clarté », le Parlement canadien a précisé les circonstances dans lesquelles le gouvernement du Canada pourrait entreprendre une négociation sur la sécession de l’une des ses provinces. Je voudrais faire valoir aujourd’hui les fondements éthiques de cette loi que j’ai eu l’honneur de parrainer au Parlement canadien. Je vous remercie de m’en donner l’occasion à une tribune aussi prestigieuse que celle du Constitution Unit.


La loi sur la clarté a reçu un large appui, mais a aussi été critiquée, autant par les partisans de la sécession sur demande que par ceux qui, à l’inverse, préconisent l’indivisibilité absolue du territoire national. Je vais commencer mon exposé par un examen critique de la thèse de la sécession sur demande, avant de décrire la loi sur la clarté et les principes qui la sous-tendent.


1. Les trois faiblesses de la thèse de la sécession sur demande

Les leaders sécessionnistes québécois ont défendu pendant les trois dernières décennies une thèse que je résume dans ce paragraphe. Selon cette thèse, une simple victoire électorale lors des élections provinciales permettrait à un gouvernement formé par le Parti québécois de faire l’indépendance du Québec au moyen d’un vote majoritaire à l’Assemblée nationale du Québec. La tenue d’un référendum ne serait pas considérée comme nécessaire en droit, mais on admet que cette sanction de la population québécoise constituerait une source de légitimité démocratique supplémentaire. C’est le gouvernement du Québec qui, fort de sa majorité à l’Assemblée nationale, formulerait la question référendaire. Un résultat majoritaire, si serré fût-il en faveur du projet du gouvernement, serait suffisant pour que l’Assemblée nationale puisse proclamer l’indépendance. Mais, avant que cette proclamation d’indépendance n’ait lieu, une négociation pourrait être engagée avec le gouvernement du Canada afin de faciliter la transition et en vue de conclure éventuellement une forme d’association économique ou de partenariat politique et économique. Cependant, à tout moment au cours de cette négociation, l’Assemblée nationale pourrait s’autoproclamer, unilatéralement, parlement d’un État indépendant. Sitôt faite, cette déclaration d’indépendance s’appliquerait à tout le territoire du Québec, dont les frontières seraient sacrées. Tous les citoyens et tous les gouvernements seraient alors tenus de considérer le gouvernement du Québec comme étant, effectivement, le gouvernement d’un État indépendant. La négociation pourrait se poursuivre, mais, cette fois, entre deux États indépendants.


Cette procédure de sécession est bien reflétée dans le projet de loi no 1, Loi sur l’avenir du Québec5 présenté par le gouvernement du Québec à l’Assemblée nationale avant le référendum de 1995. Selon l’article 1, « L’Assemblée nationale est autorisée, dans le cadre de la présente loi, à proclamer la souveraineté du Québec ». Pour plus de certitude, l’article 2 précise : « À la date fixée dans la proclamation de l’Assemblée nationale, la déclaration de souveraineté inscrite au préambule prend effet et le Québec devient un pays souverain ». L’article 26 ajoute que les négociations sur un traité de partenariat avec le Canada devraient se faire dans un délai d’un an, période au cours de laquelle l’Assemblée nationale pourrait proclamer la souveraineté à tout moment s’il s’avérait que les négociations sont infructueuses.


Telle était la procédure de sécession que les leaders séparatistes québécois entendaient faire prévaloir. Ils la fondaient sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Tantôt ces leaders soutenaient que ce principe d’autodétermination confère un droit à la sécession reconnu en droit international, tantôt ils en faisaient une règle démocratique qui transcende le droit formel.


Une telle procédure de sécession unilatérale comporte trois faiblesses qui la rendent inacceptable : elle pose des problèmes graves sur les plans du droit, de l’équité et de la clarté.


Cette procédure n’a pas de fondement juridique. La Cour suprême du Canada a confirmé que le gouvernement d’une province n’a pas le droit de se proclamer, unilatéralement, gouvernement d’un État indépendant. Il n’a pas ce droit, ni en vertu du droit canadien ni au regard du droit international.6  Comme vous le savez, en droit international, le droit à l’autodétermination des peuples ne peut pas constituer le fondement d’un droit à l’autodétermination externe, c’est-à-dire d’un droit de faire sécession unilatéralement, sauf dans les situations coloniales, d’occupation militaire ou de violation grave des droits humains. Outre ces cas extrêmes, le droit à l’autodétermination s’applique dans les limites accordées à l’intégrité territoriale des États.7


Est-il grave que cette procédure n’ait pas de fondement juridique? Certainement. La thèse selon laquelle l’accession à l’indépendance serait une question purement politique sans aucun fondement juridique est incompatible avec les principes élémentaires de la démocratie et de l’État de droit. Un gouvernement qui agit de façon contraire au droit tout en exigeant que ses citoyens se conforment à ses lois expose la société à des dangers inacceptables en démocratie. Pourquoi des citoyens attachés à un pays accepteraient-ils d’en être dépossédés illégalement? Les difficultés concrètes qui empêcheraient une déclaration unilatérale d’indépendance d’être effective sur le terrain sont innombrables.


Il n’est pas si facile d’évacuer le droit. Les leaders séparatistes québécois, qui prétendent constamment que l’accession à l’indépendance est une question purement politique, ne manquent pas d’annoncer leur intention d’utiliser leur autorité juridique pour rendre effective la sécession et proclamer en droit l’indivisibilité du nouvel État ainsi créé. Ceci nous amène au deuxième problème que pose cette procédure de sécession sur demande : elle n’est pas seulement sans fondement juridique, elle est inéquitable.


En effet, les leaders séparatistes québécois estiment que la sécession sur demande n’est valable que pour eux. Le territoire canadien est divisible, celui du Québec ne l’est pas. Si des populations territorialement concentrées au Québec demandaient à se séparer à leur tour, ou tout simplement à rester rattachées au Canada, les leaders sécessionnistes québécois s’estiment en droit de prendre les moyens de les en empêcher. Ce problème n’est pas théorique : lors des deux référendums que le Parti québécois a tenus sans succès, le premier en 1980, le second en 1995, des nations autochtones ont tenu leurs propres référendums qui ont fait ressortir clairement leur volonté de rester rattachées au Canada.


Enfin, troisième problème, cette procédure manque de clarté. Elle suppose que la sécession peut être obtenue à l’arraché, sur la base d’une majorité incertaine et fragile, qui aurait pu ne pas être obtenue la veille ou le lendemain. Une procédure claire devrait exiger qu’une sécession se fasse sur la base d’une majorité claire, car il s’agit d’un geste grave et probablement irréversible, qui engage les générations futures et qui entraîne des conséquences majeures pour tous les citoyens du pays qui se fait ainsi scinder.


La question référendaire aussi doit être claire. Il coule de source que seule une question portant vraiment sur la sécession permet de savoir si les citoyens souhaitent la sécession. Le gouvernement du Parti québécois, tant lors du référendum de 1980 que de celui de 1995, a préféré poser aux Québécois une question référendaire qui entremêlait le projet d’indépendance et le maintien d’une éventuelle association quelconque avec le Canada. Ainsi, la question de 1995 se lisait comme suit : « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l’entente signée le 12 juin 1995? »


Avec un tel libellé, on ne s’étonne pas que quantité d’électeurs se soient présentés aux urnes en croyant, de bonne foi, que l’indépendance était conditionnelle à une entente de partenariat politique et économique avec le Canada. Par exemple, en octobre 1995, un sondage indiquait que seulement 46 % des électeurs avaient compris que la question signifiait que le Québec deviendrait indépendant même si les négociations sur le partenariat politique et économique devaient échouer.8


2. En quelles circonstances une négociation sur la sécession devrait-elle se produire en démocratie?

Ainsi, la sécession sur demande telle qu’elle est préconisée par les leaders séparatistes québécois est inacceptable pour des raisons de droit, d’équité et de clarté. Doit-on alors considérer le Canada comme indivisible? Certains l’ont soutenu, en faisant valoir des arguments qui ne sont pas sans validité mais qui, eux aussi, ont leurs limites.


On peut tout à fait convenir que les citoyens d’une démocratie sont liés par un principe de loyauté mutuelle. Ils se doivent tous assistance sans égard à des considérations de race, de religion ou d’appartenance régionale. Pour cette raison, tous les citoyens sont, en quelque sorte, propriétaires de l’ensemble du pays, avec son potentiel de richesses et de solidarité humaine. Aucun groupe de citoyens ne peut prendre sur lui de monopoliser la citoyenneté sur une partie du territoire national, ni de retirer à des concitoyens, contre leur volonté, leur droit de pleine appartenance à l’ensemble du pays. Ce droit d’appartenance, chaque citoyen devrait être en mesure de le transmettre à ses enfants. Idéalement, un tel droit ne devrait jamais être remis en cause en démocratie. Voilà sans doute pourquoi tant de démocraties se considèrent comme indivisibles.


Puisque la loyauté relie tous les citoyens par-delà leurs différences, aucun groupe de citoyens dans un État démocratique ne peut s’arroger de droit à la sécession sous prétexte que ses attributs particuliers – langue, culture ou religion – le qualifient au titre de nation ou de peuple distinct au sein de l’État. Comme l’a écrit la Cour suprême du Canada à propos du Québec : « Quelle que soit la juste définition de peuple(s) à appliquer dans le présent contexte, le droit à l’autodétermination ne peut, dans les circonstances présentes [celles d’un État démocratique], constituer le fondement d’un droit de sécession unilatérale. »9


Mais, en même temps, on ne peut écarter la possibilité qu’en démocratie, des circonstances se produisent qui fassent de la négociation d’une sécession la moins mauvaise des solutions envisageables. Cela pourrait être le cas advenant qu’une partie de la population manifeste clairement, de façon pacifique mais résolue, sa volonté de ne plus faire partie du pays. Il est en effet des moyens qu’un État démocratique ne saurait envisager pour retenir contre sa volonté clairement exprimée une population concentrée sur une partie de son territoire. Autrement dit, la sécession n’est pas un droit en démocratie, mais elle demeure une possibilité à laquelle l’État existant peut consentir devant une volonté de séparation clairement affirmée.


Telle est la position que le gouvernement du Canada a défendue, tant face au mouvement indépendantiste québécois que face aux tenants de l’indivisibilité absolue du territoire national. C’est cette position que je vais maintenant exposer.


Le gouvernement du Canada affirme qu’il ne saurait s’engager dans une procédure de scission du pays et abdiquer ses propres responsabilités constitutionnelles envers les Québécois – ou toute autre population canadienne – sans avoir l’assurance que c’est ce qu’ils veulent clairement. En fait, aucun État démocratique ne saurait cesser d’honorer ses responsabilités envers une partie de sa population en l’absence d’un appui clair à la sécession.


Le gouvernement du Canada n’accepterait d’entreprendre une négociation sur la sécession que dans l’hypothèse où la population d’une province manifesterait clairement sa volonté de ne plus faire partie du Canada. Cette volonté claire de sécession devrait s’exprimer par une majorité claire appuyant une question portant clairement sur la sécession et non sur un vague projet de partenariat politique.


La négociation sur la sécession devrait se dérouler dans le cadre constitutionnel canadien et devrait être guidée par la recherche réelle de la justice pour tous. Par exemple, dans l’hypothèse où des populations territorialement concentrées au Québec demanderaient clairement de rester rattachées au Canada, il faudrait envisager la divisibilité du territoire québécois avec le même esprit d’ouverture que celui qui a conduit à accepter la divisibilité du territoire canadien.


Cette position, le gouvernement du Canada l’a exprimée à plusieurs reprises, notamment par la voix du procureur général du Canada lorsque celui-ci a expliqué à la Chambre des communes les raisons pour lesquelles il demandait à la Cour suprême du Canada si le gouvernement du Québec avait ou non le droit de faire unilatéralement la sécession : « Les principales personnalités politiques de toutes nos provinces et le public canadien ont convenu depuis longtemps que le pays ne restera pas uni à l’encontre de la volonté clairement exprimée des Québécois. »10


La Cour suprême du Canada a rendu son avis le 20 août 1998. Elle confirme que le gouvernement du Québec n’a pas le droit d’effectuer la sécession unilatéralement, ni en droit canadien ni au regard du droit international. Une sécession, pour être légale, nécessiterait une modification de la Constitution canadienne. Une telle modification exigerait la négociation d’« une multitude de questions très difficiles et très complexes », y compris, éventuellement, celle des frontières territoriales.11  L’obligation d’entreprendre une telle négociation sur la sécession n’existerait qu’à la suite d’un appui clair à la sécession, exprimé au moyen d’une majorité claire et en réponse à une question claire. Seul un tel appui clair donnerait à la demande sécessionniste suffisamment de légitimité démocratique pour justifier l’obligation d’une négociation sur la sécession. Le gouvernement du Québec n’aurait toujours pas le droit d’effectuer unilatéralement la sécession même après des négociations infructueuses de son point de vue. « En vertu de la Constitution, la sécession exige la négociation d’une modification. »12


C’est dans cette foulée que le gouvernement du Canada a fait adopter par le Parlement du Canada la Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec. Cette loi sur la clarté interdit au gouvernement du Canada d’entreprendre une négociation sur la sécession d’une province à moins que la Chambre des communes ait constaté que la question référendaire a porté clairement sur la sécession et qu’une majorité claire s’est prononcée en faveur de la sécession.


La loi sur la clarté précise aussi les éléments qui devront obligatoirement figurer au menu de la négociation : « Aucun ministre ne peut proposer de modification constitutionnelle portant sécession d’une province du Canada, à moins que le gouvernement du Canada n’ait traité, dans le cadre des négociations, des conditions de sécession applicables dans les circonstances, notamment la répartition de l’actif et du passif, toute modification des frontières de la province, les droits, intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones du Canada et la protection des droits des minorités. »13


En somme, puisque l’acceptation de la sécession comme droit automatique est contraire à la démocratie, et étant donné que l’interdiction absolue de la sécession peut se révéler impraticable en démocratie, l’approche canadienne que je viens de décrire m’apparaît réaliste. Elle consiste d’abord à mettre l’accent sur le besoin d’améliorer toujours davantage un pays dont tous les citoyens peuvent être fiers, un pays démocratique et prospère dont les populations les plus diversifiées s’épanouissent avec leurs cultures et leurs institutions propres tout en travaillant ensemble à des objectifs communs. Si, malgré ce type d’entente propre à une fédération comme le Canada, une population devait exprimer clairement sa volonté de se séparer, alors une négociation sur la sécession devrait être entamée dans la légalité et avec un souci de justice pour tous, si nombreuses soient les difficultés inhérentes à cette négociation.


Conclusion

Telle est l’approche canadienne. Sa prémisse fondamentale, selon laquelle une sécession, sans être impossible, ne devrait être négociée que face à une volonté claire de rupture, me paraît juste et de portée universelle. Un tel principe reçoit d’ailleurs souvent un écho favorable dans la littérature sur les sécessions. Par exemple, selon le professeur Daryl J. Glaser, de l’université de Strathclyde de Glasgow, « les États existants doivent donc accepter la sécession pourvu que ses tenants puissent démontrer un appui majoritaire clair et durable parmi les habitants du territoire sécessionniste; s’efforcer de limiter au minimum le nombre d’antisécessionnistes, autant que faire se peut, en démontrant l’appui de supermajorités dans les plébiscites tenus, [et] en revendiquant des frontières rigoureusement définies... »14 [Traduction]


Dans le cas du Canada, cette approche a eu un effet bénéfique sur l’unité nationale en introduisant la notion de clarté. Car, justement, s’il y a une chose qui ressort clairement, sondage après sondage, c’est qu’en réponse à une question claire les Québécois choisissent le Canada uni.15  Les Québécois, dans une grande majorité, désirent rester Canadiens et ne veulent pas briser les liens de loyauté qui les rattachent à leurs concitoyens des autres parties du Canada. Ils ne souhaitent pas être forcés de choisir entre leur identité québécoise et leur identité canadienne. Ils rejettent les définitions exclusives du mot « peuple » et veulent appartenir à la fois au peuple québécois et au peuple canadien, dans ce monde global où le cumul des identités sera plus que jamais un atout pour s’ouvrir aux autres.


Malgré ses effets manifestement bénéfiques pour l’unité canadienne, je ne doute pas que l’approche que je viens de qualifier de réaliste pourra paraître très audacieuse et trop libérale face à ce phénomène internationalement abhorré qu’est la sécession. L’approche canadienne rejette le recours à la force, à toute forme de violence. Elle mise sur la clarté, la légalité et la justice pour tous. Si elle peut paraître idéaliste à de nombreuses nations, c’est justement parce qu’elle vise à traiter de façon idéale des situations complexes et délicates. Elle pourrait à mon avis contribuer à la paix et à la pratique éclairée des États.

 


  1. Je comprends aussi que le parti nationaliste gallois, Plaid Cymru, réfère maintenant explicitement à « l’indépendance », pour définir son objectif.
  2. Patrick J. Monahan et al. Coming to Terms with Plan B: Ten Principles Governing Secession, Toronto, Commentaire de l’Institut C.D. Howe, no 83, juin 1996.
  3. Scottish National Party, A Constitution for a Free Scotland, septembre 2002.
  4. Alex Salmond, « Labour Blunders into Dangerous Ground on a Scots Referendum », The Scotsman, 22 avril 2003.
  5. Projet de loi no 1, Loi sur l’avenir du Québec, présenté le 7 septembre 1995.
  6. Avis de la Cour suprême du Canada sur le Renvoi sur la sécession du Québec, [1998] R.C.S 217, au par.96.
  7. Antonio Cassese, Self-determination of peoples: a legal reappraisal, Cambridge, Cambridge University Press, 1995; James Crawford, La pratique des États et le droit international relativement à la sécession unilatérale, rapport d’expert présenté à la Cour suprême du Canada, 19 février 1997; voir aussi : Avis de la Cour suprême du Canada sur le Renvoi sur la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, aux par.113 à 139.
  8. Maurice Pinard, Confusion et incompréhension entourant l’option souverainiste, mémoire présenté devant le comité législatif de la Chambre des communes chargé d’étudier le projet de loi C-20, 24 février 2000.
  9. Avis de la Cour suprême du Canada sur le Renvoi sur la sécession du Québec, op. cit., au par.125
  10. Déclaration de l’honorable Allan Rock, ministre de la Justice et procureur général du Canada à la Chambre des communes, 26 septembre 1996, Hansard, p. 4707.
  11. Avis de la Cour suprême du Canada sur le Renvoi sur la sécession du Québec, op. cit., au par. 96.
  12. Ibid., au par. 97.
  13. Loi de clarification, Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, sanctionnée le 29 juin 2000, ch. 26, par. 3 (2).
  14. Daryl J. Glaser, « The Right to Secession: An Anti-Secessionist Defence », document issu de la 51e conférence de la Political Studies Association, Manchester, Royaume-Uni,10-12 avril 2001.
  15. Maurice Pinard, op. cit.

 

 

 

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Mise à jour : 2003-10-15  Avis importants