Le fédéralisme fiscal : Perspectives et voie à suivre
Notes pour une allocution de l'honorable Lucienne Robillard, Ministre des
Affaires intergouvernementales
Table ronde sur le fédéralisme fiscal
Université de Toronto
LE TEXTE PRONONCÉ FAIT FOI
Monsieur Iacobucci, Mesdames et Messieurs
bonjour.
Je vous remercie de m’avoir invitée à
participer à cette conférence sur le fédéralisme fiscal. En tant que
ministre des Affaires intergouvernementales, je me dois d’accorder beaucoup
d’attention à cette question et aux principes qui la sous-tendent. C’est
pourquoi je suis très heureuse de cette occasion qui m’est offerte de vous
faire part de mes points de vue à ce sujet. Mais avant de l’aborder, je
voudrais situer le contexte en faisant quelques observations générales.
Le fédéralisme a été un choix avisé des
fondateurs de notre pays. C’était alors, et c’est toujours, la structure de
gouvernement qui est la plus conforme aux besoins et aux aspirations des
Canadiens et des Canadiennes. La diversité de notre pays - linguistique,
culturelle, géographique, économique et sociale, de même que celle que nous
apporte le riche héritage des peuples autochtones - est exceptionnelle. Le fédéralisme
contribue à un juste équilibre entre l’unité et la diversité.
La fédération canadienne est unique à bien
des égards, entre autres parce qu’elle peut se réinventer continuellement.
Grâce à cette souplesse qui lui est propre et à sa capacité de s’adapter
aux nouvelles situations et circonstances, elle peut répondre aux besoins des
Canadiens et des Canadiennes dans un monde en perpétuel changement.
Dans un système fédéral, les partenaires
constitutionnels doivent travailler ensemble tout en respectant leurs pouvoirs législatifs
respectifs. Un Canada fort et prospère est composé de provinces fortes et
d’un gouvernement fédéral fort. Et tous les gouvernements de notre fédération
ont un rôle à jouer pour réussir à répondre aux priorités et aux
aspirations des Canadiens et des Canadiennes, et à améliorer leur qualité de
vie. La collaboration est la clé de ce succès. L’un des défis qui se présentent
aujourd’hui est d’apprendre à mieux gérer l’interdépendance entre
gouvernements et citoyens, et de savoir comment tirer parti de cette interdépendance
à l’avantage de tous les Canadiens et les Canadiennes. La leçon que nous en
tirons est que nous ne pouvons pas agir seul et cette leçon s`avère profondément
vraie aujourd’hui.
Afin de mieux planifier l’avenir, nous
devons comprendre comment le fédéralisme et les arrangements fiscaux du Canada
ont fonctionné par le passé. Cette compréhension nous permettra de cerner les
priorités et les besoins actuels et de répondre à ceux qui se présenteront
à l’avenir.
Je veux tout d’abord placer la question du
fédéralisme fiscal dans un contexte plus large.
J’ai récemment participé à la rencontre
du Forum des fédérations qui s’est tenue en Belgique et cette expérience
m’a montré à quel point nos arrangements fiscaux sont utiles aux Canadiens
et aux Canadiennes. D’autres fédérations du monde se tournent d’ailleurs
vers nous et s’inspirent de la souplesse de notre système pour orienter leurs
propres relations financières.
Mais, fait encore plus important, j’ai
constaté le fait que toutes les fédérations mènent des débats sur le fédéralisme
fiscal et cela est normal lorsque l’on fait partie d’une fédération.
Lorsque j’examine les arrangements fiscaux d’autres fédérations, je vois
des approches différentes, mais non incompatibles, avec le modèle canadien.
Aux États-Unis, par exemple, il n’y a pas de programme de péréquation et
les États ont recours à l’impôt et aux transferts fédéraux ponctuels. À
l’opposé, l’Australie a un programme plus complet et complexe de péréquation
pour réduire les disparités régionales. Les arrangements fiscaux du Canada se
situent entre les deux et sont caractérisés par une combinaison d’impôts et
de transferts et un solide programme de péréquation.
Si le fédéralisme fiscal du Canada est
semblable à celui d’autres fédérations à certains égards, il comporte des
éléments uniques qui reflètent nos circonstances particulières. Le Canada
est un pays vaste où les capacités fiscales varient largement d’une région
à l’autre. Nos arrangements fiscaux tiennent compte de ces disparités. Ils
se fondent sur le principe de la péréquation - autrement dit de l’équité.
Le gouvernement du Canada a la responsabilité essentielle de s’assurer que
tous les Canadiens et les Canadiennes, quel que soit l’endroit où ils vivent,
ont accès à des services de niveaux comparables, selon des niveaux
d’imposition comparables. Le Programme de péréquation et les transferts - le
Transfert canadien en matière de santé et le Transfert canadien en matière de
programmes sociaux - restent les piliers de nos arrangements fiscaux
intergouvernementaux.
Au Canada, les provinces ont le pouvoir de
lever des impôts et de prendre leurs propres décisions de dépenses. Certains
des domaines fiscaux sont communs avec le gouvernement du Canada. Cette façon
de procéder n’est pas propre au Canada, mais le degré d’interdépendance
entre les deux ordres de gouvernement est plus élevé que dans d’autres fédérations.
Il y a en effet des variations considérables
dans la capacité des gouvernements du pays de répondre aux besoins et aux
attentes des Canadiens et des Canadiennes à des niveaux d’imposition
raisonnablement comparables. C’est là que le gouvernement du Canada joue un rôle
de redistribution clé en partageant les risques et les possibilités qui se présentent
aux Canadiens de l’ensemble du pays.
En outre, je tiens à mentionner que pour
pouvoir jouer ce rôle de redistribution et poursuivre les objectifs nationaux
dans l’intérêt de tous les Canadiens et les Canadiennes, le gouvernement du
Canada doit impérativement maintenir sa santé budgétaire et être en mesure
de faire des choix et de répondre aux défis qui se présentent.
Il est important de reconnaître que les
arrangements fiscaux ont toujours fait l’objet de débats au Canada et qu’il
en sera toujours ainsi. Ceux d’aujourd’hui sont chargés d’émotions,
surtout depuis que le gouvernement du Canada a amélioré sa situation budgétaire.
Cette amélioration signifie que le gouvernement fédéral peut réinvestir des
fonds dans les transferts intergouvernementaux qui reflètent les priorités des
Canadiens et des Canadiennes. Fait intéressant, certains gouvernements
ont utilisé l’augmentation de l’appui fédéral aux provinces comme
argument pour affirmer qu’ils ne reçoivent pas leur juste part du financement.
Mais en bout de ligne, d’après notre expérience collective, ces débats
aboutissent à des changements positifs.
Plus tard aujourd’hui, vous entendrez par
exemple les déclarations du premier ministre McGuinty. Il y a quelques semaines,
le Premier ministre et le premier ministre McGuinty ont oeuvré de concert pour
s’atteler à des questions importantes pour les Ontariens, telles que
l’immigration, l’accord sur le développement du marché du travail et
l’enseignement postsecondaire. Ce travail a abouti à un investissement de
5,75 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années.
De plus, à l’automne 2004, de concert avec
les provinces et les territoires, le gouvernement du Canada a fait des
investissements historiques dans le nouveau cadre pour la péréquation et la
formule de financement des territoires, qui fournissent un montant supplémentaire
de 34 milliards de dollars sur dix ans sous forme de transferts, y compris une
indexation annuelle de 3,5 % pour répondre aux préoccupations des provinces et
des territoires concernant la stabilité et le caractère prévisible du
financement.
De même, en septembre 2004, les premiers
ministres ont convenu d’un investissement de 41 milliards de dollars au titre
du Plan décennal pour la santé, conçu pour réduire les temps d’attente et
améliorer la reddition de comptes aux Canadiens et aux Canadiennes. Le Plan prévoit
aussi une indexation de 6 % qui donnera aux gouvernements la stabilité à long
terme nécessaire pour offrir les soins de santé.
Pour discuter du fédéralisme fiscal, on a
créé récemment un certain nombre de tribunes à la fois fédérales et
provinciales.
À la rencontre des premiers ministres
d’octobre 2004, notre gouvernement a créé le Groupe d’experts sur la péréquation
et la formule de financement des territoires. Ce groupe a reçu pour mandat
d’examiner, entre autres, les principes et l’attribution des crédits aux
provinces et aux territoires. Il procède actuellement à des
consultations avec les provinces, les territoires, les universitaires et
d’autres Canadiens et Canadiennes intéressés et remettra son rapport au
gouvernement en décembre 2005.
Plus tard au cours de l’automne 2004, la
Chambre des communes a demandé au Comité permanent des finances de faire
examiner par le Sous-comité sur le déséquilibre fiscal les questions
actuelles de péréquation. Le Sous-comité remettra prochainement son rapport.
De même, par le truchement du Conseil de la
fédération, les provinces et les territoires ont mis sur pied un Groupe
d’experts sur le déséquilibre fiscal qui devrait rendre compte de ses
travaux en automne de cette année.
Ces nombreuses tribunes mises sur pied pour
examiner le fédéralisme fiscal illustrent bien à mon avis l’absence de
consensus entre les experts, le gouvernement fédéral, les provinces et les
territoires sur la meilleure façon de régler la question. Lorsque l’on
discute par exemple de l’équité horizontale, certaines administrations
veulent des transferts et des dépenses de programmes fondés sur les besoins,
d’autres, répartis entre les provinces de façon égale par habitant et
d’autres encore, sur le nombre de bénéficiaires de services. Le Groupe
d’experts sur la péréquation et la formule de financement des territoires et
d’autres tribunes nous aideront à trouver réponse à ces questions ainsi
qu’à d’autres enjeux importants. Mais par-dessus tout, nous devons
travailler ensemble pour y parvenir.
Nous pouvons tous être d’accord sur le
fait que l’équité, qui consiste à partager les risques et les possibilités
avec nos concitoyens, est importante pour les Canadiens et les Canadiennes et
est une valeur partagée dans l’ensemble du pays. Les Canadiens et les
Canadiennes nous ont dit qu’il est important que leurs gouvernements rendent
compte de leurs décisions de dépenses. Il est aussi important que les
arrangements fiscaux soient viables et que nous vivions selon nos moyens.
En tant que gouvernement, nous prenons des décisions
qui exigent souvent des compromis. Les décisions à propos des priorités en
matière d’arrangements fiscaux ne font pas exception. Nous devons aussi
reconnaître que la fédération, l’économie et la société canadienne évoluent
constamment de même que les attentes et les aspirations des Canadiens et des
Canadiennes. Pour moi, cela signifie que les gouvernements doivent conjuguer
encore davantage leurs efforts pour prendre les meilleures décisions possibles
pour les Canadiens. L’interdépendance est un fait de notre fédération.
Le fédéralisme fiscal n’est pas une
simple série de formules et d’arrangements complexes que peu de Canadiens et
de Canadiennes peuvent comprendre. Au-delà de considérations financières, ces
arrangements uniques touchent à l’essence même de ce que signifie notre
appartenance à la fédération et montrent que les gouvernements peuvent
poursuivre de concert des objectifs communs dans l’intérêt des Canadiens.
Dans la conjoncture actuelle, les principes
du fédéralisme fiscal sont tout aussi importants. Comme l’a souligné le
Premier ministre la semaine dernière, « l’équité ne consiste pas à
diviser chaque dollar fédéral en 13 tranches. Ni
à faire un bilan à la fin de chaque jour pour voir s’il a étéavantageux de faire
partie du Canada. »
Je crois sincèrement que notre approche du fédéralisme
fiscal a servi avec succès les intérêts des Canadiens et qu’il continuera
d’en être ainsi.
Tout au long de l’histoire du fédéralisme
fiscal au Canada, nous avons eu des débats sur le bien-fondé et l’efficacité
de nos arrangements fiscaux. Ces débats n’ont pas été faciles, mais ils ont
toujours abouti à des changements positifs pour les Canadiens. Nous devons voir
dans nos discussions d’aujourd’hui sur le fédéralisme fiscal l’occasion
de faire des changements positifs pour les Canadiens et les Canadiennes, comme
nous l’avons fait par le passé.
Dans cet esprit, le rassemblement
d’aujourd’hui est important. Je vous remercie et vous invite à bien
travailler ensemble au bénéfice des Canadiens.
|