Avant-projet de loi donnant effet à l'exigence de
clarté définie dans l'avis de la Cour suprême du Canada sur le Renvoi relatif
à la sécession du Québec
- Annoté, avec renvois aux paragraphes pertinents de
l'avis sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec -
Attendu :
QUE la Cour suprême du Canada a confirmé que ni l'Assemblée nationale, ni
la législature, ni le gouvernement du Québec ne dispose, en droit
international ou au titre de la Constitution du Canada, du droit de procéder
unilatéralement à la sécession du Québec du Canada; (Paragraphes 104, 149,
154, 155)
QUE toute proposition relative au démembrement d'un État démocratique
constitue une question extrêmement grave et est d'une importance fondamentale
pour l'ensemble des citoyens de celui-ci; (Paragraphes 1, 31, 96, 149)
QUE le gouvernement d'une province du Canada est en droit de consulter sa
population par référendum sur quelque sujet que ce soit et de décider du
texte de la question référendaire; (Paragraphe 87)
QUE la Cour suprême du Canada a déclaré que les résultats d'un
référendum sur la sécession d'une province du Canada ne sauraient être
considérés comme l'expression d'une volonté démocratique créant
l'obligation d'engager des négociations pouvant mener à la sécession que
s'ils sont dénués de toute ambiguïté en ce qui concerne tant la question
posée que l'appui reçu; (Paragraphes 87, 88)
QUE la Cour suprême du Canada a déclaré que le principe de la démocratie
signifie davantage que la simple règle de la majorité, qu'une majorité claire
en faveur de la sécession serait nécessaire pour créer une obligation de
négocier la sécession et que c'est une majorité claire au sens qualitatif,
dans les circonstances, dont il faut déterminer l'existence; (Paragraphes 73,
74, 76, 77, 87, 88)
QU'ELLE a confirmé qu'au Canada, la sécession d'une province, pour être
légale, requerrait une modification à la Constitution du Canada, qu'une telle
modification exigerait forcément des négociations sur la sécession auxquelles
participeraient notamment les gouvernements de l'ensemble des provinces et du
Canada, et que ces négociations seraient régies par les principes du
fédéralisme, de la démocratie, du constitutionnalisme et de la primauté du
droit, et de la protection des minorités; (Paragraphes 84, 88, 94, 151)
QUE, compte tenu du fait que la Cour suprême du Canada a conclu qu'il
revient aux représentants élus de déterminer en quoi consistent une question
et une majorité claires dans le cadre d'un référendum sur la sécession tenu
dans une province, la Chambre des communes, seule institution politique élue
pour représenter l'ensemble des Canadiens, a un rôle important à jouer pour
déterminer en quoi consistent une question et une majorité suffisamment
claires pour que le gouvernement du Canada engage des négociations sur la
sécession d'une province du Canada; (Paragraphes 100, 101, 153)
QUE le gouvernement du Canada se doit de n'engager aucune négociation
pouvant mener à la sécession d'une province du Canada et, par conséquent, au
retrait de la citoyenneté et à l'annulation des autres droits dont jouissent,
à titre de Canadiens à part entière, les citoyens du Canada qui résident
dans la province à moins que la population de celle-ci n'ait déclaré
clairement et de façon démocratique qu'elle veut que la province fasse
sécession du Canada, (Paragraphes 83, 87, 151)
Sa Majesté, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre
des communes du Canada, édicte :
1. (1) Dans les trente jours suivant le dépôt à l'assemblée législative
d'une province, ou toute autre communication officielle, par le gouvernement de
cette province, du texte de la question qu'il entend soumettre à ses électeurs
dans le cadre d'un référendum sur un projet de sécession de la province du
Canada, la Chambre des communes examine la question et détermine, par
résolution, si la question est claire. (Paragraphes 100, 153)
(2) S'il coïncide, en tout ou en partie, avec la tenue d'une élection
générale des députés à la Chambre des communes, le délai mentionné au
paragraphe (1) est prorogé de quarante jours.
(3) Dans le cadre de l'examen de la clarté de la question référendaire, la
Chambre des communes détermine si la question permettrait à la population de
la province de déclarer clairement si elle veut ou non que celle-ci cesse de
faire partie du Canada et devienne un État indépendant. (Paragraphes 83, 87,
153)
(4) Pour l'application du paragraphe (3), la question référendaire ne
permettrait pas à la population de la province de déclarer clairement qu'elle
veut que celle-ci cesse de faire partie du Canada dans les cas suivants :
a) elle porte essentiellement sur un mandat de négocier sans requérir de la
population de la province qu'elle déclare sans détour si elle veut que la
province cesse de faire partie du Canada;
b) elle offre, en plus de la sécession de la province du Canada, d'autres
possibilités, notamment un accord politique ou économique avec le Canada, qui
rendent ambiguë l'expression de la volonté de la population de la province
quant à savoir si celle-ci devrait cesser de faire partie du Canada.
(Paragraphes 83, 87, 151) (5) Dans le cadre de l'examen de la clarté de la
question référendaire, la Chambre des communes tient compte de l'avis de tous
les partis politiques représentés à l'assemblée législative de la province
dont le gouvernement propose la tenue du référendum sur la sécession, des
résolutions ou déclarations officielles des gouvernements ou assemblées
législatives des provinces et territoires du Canada, des résolutions ou
déclarations officielles du Sénat et de tout autre avis qu'elle estime
pertinent. (Paragraphes 100, 153)
(6) Le gouvernement du Canada n'engage aucune négociation sur les conditions
auxquelles une province pourrait cesser de faire partie du Canada si la Chambre
des communes conclut, conformément au présent article, que la question
référendaire n'est pas claire et, par conséquent, ne permettrait pas à la
population de la province de déclarer clairement si elle veut ou non que
celle-ci cesse de faire partie du Canada. (Paragraphes 87, 88, 100, 153)
2. (1) Dans le cas où le gouvernement d'une province, après la tenue d'un
référendum sur un projet de sécession de celle-ci du Canada, cherche à
engager des négociations sur les conditions auxquelles la province pourrait
cesser de faire partie du Canada, la Chambre des communes, sauf si elle a conclu
conformément à l'article 1 que la question référendaire n'était pas claire,
procède à un examen et, par résolution, détermine si, dans les
circonstances, une majorité claire de la population de la province a déclaré
clairement qu'elle veut que celle-ci cesse de faire partie du Canada.
(Paragraphes 100, 101, 153)
(2) Dans le cadre de l'examen en vue de déterminer si une majorité claire
de la population de la province a déclaré clairement qu'elle voulait que
celle-ci cesse de faire partie du Canada, la Chambre des communes prend en
considération :
(a) l'importance de la majorité des voix validement exprimées en faveur de
la proposition de sécession;
(b) le pourcentage des électeurs admissibles ayant voté au référendum;
(c) tous autres facteurs ou circonstances qu'elle estime pertinents.
(Paragraphe 87)
(3) Dans le cadre de l'examen en vue de déterminer si une majorité claire
de la population de la province a déclaré clairement qu'elle voulait que
celle-ci cesse de faire partie du Canada, la Chambre des communes tient compte
de l'avis de tous les partis politiques représentés à l'assemblée
législative de la province dont le gouvernement a proposé la tenue du
référendum sur la sécession, des résolutions ou déclarations officielles
des gouvernements ou assemblées législatives des provinces et territoires du
Canada, des résolutions ou déclarations officielles du Sénat et de tout autre
avis qu'elle estime pertinent. (Paragraphes 56, 92, 100, 149, 153)
(4) Le gouvernement du Canada n'engage aucune négociation sur les conditions
auxquelles la province pourrait cesser de faire partie du Canada, à moins que
la Chambre des communes ne conclue, conformément au présent article, qu'une
majorité claire de la population de cette province a déclaré clairement
qu'elle veut que celle-ci cesse de faire partie du Canada. (Paragraphes 88, 100)
3. (1) Il est entendu qu'il n'existe aucun droit, au titre de la Constitution
du Canada, d'effectuer unilatéralement la sécession d'une province du Canada
et que, par conséquent, la sécession d'une province du Canada requiert la
modification de la Constitution du Canada, à l'issue de négociations
auxquelles participeraient notamment les gouvernements de l'ensemble des
provinces et du Canada. (Paragraphes 84, 91, 97, 149)
(2) Aucun ministre ne peut proposer de modification constitutionnelle portant
sécession d'une province du Canada, à moins que le gouvernement du Canada
n'ait traité, dans le cadre de négociations, des conditions de sécession
applicables dans les circonstances, notamment la répartition de l'actif et du
passif, toute modification des frontières de la province, les droits,
intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones du Canada et
la protection des droits des minorités. (Paragraphes 90, 91, 92, 96, 139, 151)
Paragraphes mentionnés dans l'avant-projet de loi annoté
1. Nous sommes appelés, dans le présent renvoi, à examiner des questions
d'extrême importance, qui touchent au coeur même de notre système de
gouvernement constitutionnel. L'observation que nous avons faite, il y a plus de
dix ans, dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1
R.C.S. 721, à la p. 728, s'applique tout autant au présent renvoi qui, lui
aussi, «allie des questions juridiques et constitutionnelles des plus subtiles
et complexes à des questions politiques très délicates». À notre avis, il
n'est pas possible de répondre aux questions soumises sans d'abord examiner un
certain nombre de principes sous-jacents. L'étude de la nature et du sens de
ces principes ne revêt pas seulement un intérêt théorique, mais est, au
contraire, d'une très grande utilité pratique. Ce n'est que lorsque ces
principes sous-jacents auront été examinés et circonscrits que nous pourrons
donner une réponse valable aux questions auxquelles nous devons répondre.
31. Il ne fait aucun doute que les questions du renvoi soulèvent des points
difficiles et sont susceptibles d'interprétations diverses. Toutefois, plutôt
que de refuser complètement d'y répondre, la Cour est guidée par l'approche
préconisée par la majorité à l'égard de la question touchant les
«conventions» dans le Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution,
[1981] 1 R.C.S. 753 (Renvoi relatif au rapatriement), aux pp. 875 et 876:
Si les questions paraissent ambiguës, la Cour ne devrait pas, dans un renvoi
constitutionnel, être dans une situation pire que celle d'un témoin à un
procès, et se sentir obligée de répondre par oui ou par non. Si elle estime
qu'une question peut être trompeuse ou si elle veut seulement éviter de
risquer un malentendu, il lui est loisible d'interpréter la question
[. . .] ou de nuancer à la fois la question et la réponse . . .
Les questions du renvoi revêtent une importance fondamentale pour le public.
On ne peut affirmer que les questions sont trop imprécises ou ambiguës pour
qu'il soit possible d'y répondre correctement en droit. On ne peut pas dire non
plus que la Cour n'a pas reçu suffisamment d'information sur le contexte actuel
dans lequel les questions sont soulevées. Dans les circonstances, la Cour est
donc tenue d'y répondre.
56. Dans un système fédéral de gouvernement comme le nôtre, le pouvoir
politique est partagé entre deux ordres de gouvernement: le gouvernement
fédéral, d'une part, et les provinces, de l'autre. La Loi constitutionnelle de
1867 a attribué à chacun d'eux sa propre sphère de compétence. Voir, par
exemple, Liquidators of the Maritime Bank of Canada c. Receiver- General of
New-Brunswick, [1892] A.C. 437 (C.P.), aux pp. 441 et 442. Il appartient aux
tribunaux de «contrôle[r] les bornes de la souveraineté propre des deux
gouvernements», Northern Telecom Canada Ltée c. Syndicat des travailleurs en
communication du Canada, [1983] 1 R.C.S. 733, à la p. 741. Dans leur
interprétation de notre Constitution, les tribunaux ont toujours tenu compte du
principe du fédéralisme inhérent à la structure de nos arrangements
constitutionnels, l'étoile qui les a guidés depuis le tout début.
73. Pour bien comprendre l'étendue et l'importance des principes de la
primauté du droit et du constitutionnalisme, il est utile de reconnaître
explicitement les raisons pour lesquelles une constitution est placée hors de
la portée de la règle de la simple majorité. Trois raisons se chevauchent.
74. Premièrement, une constitution peut fournir une protection
supplémentaire à des droits et libertés fondamentaux qui, sans elle, ne
seraient pas hors d'atteinte de l'action gouvernementale. Malgré la déférence
dont font généralement preuve les gouvernements démocratiques envers ces
droits, il survient des occasions où la majorité peut être tentée de passer
outre à des droits fondamentaux en vue d'accomplir plus efficacement et plus
facilement certains objectifs collectifs. La constitutionnalisation de ces
droits sert à garantir le respect et la protection qui leur sont dus.
Deuxièmement, une constitution peut chercher à garantir que des groupes
minoritaires vulnérables bénéficient des institutions et des droits
nécessaires pour préserver et promouvoir leur identité propre face aux
tendances assimilatrices de la majorité. Troisièmement, une constitution peut
mettre en place un partage des pouvoirs qui répartit le pouvoir politique entre
différents niveaux de gouvernement. Cet objectif ne pourrait pas être atteint
si un de ces niveaux de gouvernement démocratiquement élus pouvait usurper les
pouvoirs de l'autre en exerçant simplement son pouvoir législatif pour
s'attribuer à lui-même, unilatéralement, des pouvoirs politiques
supplémentaires.
76. Les Canadiens n'ont jamais admis que notre système est entièrement
régi par la seule règle de la simple majorité. Notre principe de la
démocratie, en corrélation avec les autres principes constitutionnels
mentionnés plus haut, est plus riche. Un gouvernement constitutionnel est
nécessairement fondé sur l'idée que les représentants politiques du peuple
d'une province ont la possibilité et le pouvoir de prendre, au nom de la
province, l'engagement pour l'avenir de respecter les règles constitutionnelles
qui sont adoptées. Ces règles les «lient» non pas en ce qu'elles font échec
à la volonté de la majorité dans une province, mais plutôt en ce qu'elles
définissent la majorité qui doit être consultée afin de modifier
l'équilibre fondamental en matière de partage du pouvoir politique (y compris
les sphères d'autonomie garanties par le principe du fédéralisme), de droits
de la personne et de droits des minorités dans notre société. Bien entendu,
ces règles constitutionnelles sont elles-mêmes susceptibles de modification,
mais seulement par un processus de négociation qui permet d'assurer à toutes
les parties le respect et la conciliation des droits garantis par la
Constitution.
77. De cette façon, il est possible d'allier notre foi dans la démocratie
et notre foi dans le constitutionnalisme. La modification de la Constitution
requiert souvent quelque forme de consensus important, précisément parce que
la teneur des principes fondamentaux de la Constitution l'exige. L'exigence d'un
vaste appui sous forme de «majorité élargie» pour introduire une
modification constitutionnelle garantit que les intérêts des minorités seront
pris en considération avant l'adoption de changements qui les affecteront.
83. La sécession est la démarche par laquelle un groupe ou une partie d'un
État cherche à se détacher de l'autorité politique et constitutionnelle de
cet État, en vue de former un nouvel État doté d'une assise territoriale et
reconnu au niveau international. Dans le cas d'un État fédéral, la sécession
signifie normalement le détachement d'une entité territoriale de la
fédération. La sécession est autant un acte juridique qu'un acte politique.
La question 1 du renvoi nous demande de statuer sur la légalité d'une
sécession unilatérale «en vertu de la Constitution du Canada». La question
est appropriée puisqu'elle comporte l'examen de la légalité d'une sécession
unilatérale, en premier lieu du moins, du point de vue de l'ordre juridique
interne de l'État dont l'entité cherche à se séparer. Comme nous le verrons,
on prétend aussi que le droit international pose une norme permettant
d'apprécier la légalité de l'acte de sécession envisagé.
84. La sécession d'une province du Canada doit être considérée, en termes
juridiques, comme requérant une modification de la Constitution, qui exige
forcément une négociation. Les modifications requises pour parvenir à une
sécession pourraient être vastes et radicales. Certains auteurs ont exprimé
l'avis qu'une sécession entraînerait un changement d'une telle ampleur qu'il
ne pourrait pas être considéré simplement comme une modification de la
Constitution. Nous n'en sommes pas convaincus. Il est vrai que la Constitution
est muette quant à la faculté d'une province de faire sécession de la
Confédération, mais bien que la Constitution n'autorise pas ni n'interdise
expressément la sécession, un acte de sécession aurait pour but de
transformer le mode de gouvernement du territoire canadien d'une façon qui est
sans aucun doute incompatible avec nos arrangements constitutionnels actuels. Le
fait que ces changements seraient profonds, ou qu'ils prétendraient avoir une
incidence en droit international, ne leur retire pas leur caractère de
modifications de la Constitution du Canada.
87. La Constitution elle-même ne traite pas d'un recours au référendum, et
les résultats d'un référendum n'ont aucun rôle direct ni effet juridique
dans notre régime constitutionnel, mais un référendum peut certainement
fournir un moyen démocratique de connaître l'opinion de l'électorat sur des
questions politiques importantes dans un cas précis. Le principe démocratique
défini plus haut exigerait d'accorder un poids considérable à l'expression
claire par la population du Québec de sa volonté de faire sécession du Canada
même si un référendum, de lui-même et sans plus, n'aurait aucun effet
juridique direct et ne pourrait à lui seul réaliser une sécession
unilatérale. Nos institutions politiques sont basées sur le principe
démocratique et, par conséquent, l'expression de la volonté démocratique de
la population d'une province aurait du poids, en ce sens qu'elle conférerait
légitimité aux efforts que ferait le gouvernement du Québec pour engager un
processus de modification de la Constitution en vue de faire sécession par des
voies constitutionnelles. Dans ce contexte, nous parlons de majorité «claire»
au sens qualitatif. Pour être considérés comme l'expression de la volonté
démocratique, les résultats d'un référendum doivent être dénués de toute
ambiguïté en ce qui concerne tant la question posée que l'appui reçu.
88. Le principe du fédéralisme, joint au principe démocratique, exige que
la répudiation claire de l'ordre constitutionnel existant et l'expression
claire par la population d'une province du désir de réaliser la sécession
donnent naissance à une obligation réciproque pour toutes les parties formant
la Confédération de négocier des modifications constitutionnelles en vue de
répondre au désir exprimé. La modification de la Constitution commence par un
processus politique entrepris en vertu de la Constitution elle-même. Au Canada,
l'initiative en matière de modification constitutionnelle relève de la
responsabilité des représentants démocratiquement élus des participants à
la Confédération. Pour ces représentants, le signal peut être donné par un
référendum mais, en termes juridiques, le pouvoir constituant au Canada, comme
dans bien d'autres pays, appartient aux représentants du peuple élus
démocratiquement. La tentative légitime, par un participant de la
Confédération, de modifier la Constitution a pour corollaire l'obligation
faite à toutes les parties de venir à la table des négociations. Le rejet
clairement exprimé par le peuple du Québec de l'ordre constitutionnel existant
conférerait clairement légitimité aux revendications sécessionnistes, et
imposerait aux autres provinces et au gouvernement fédéral l'obligation de
prendre en considération et de respecter cette expression de la volonté
démocratique en engageant des négociations et en les poursuivant en
conformité avec les principes constitutionnels sous-jacents mentionnés
précédemment.
90. La conduite des parties dans de telles négociations serait régie par
les mêmes principes constitutionnels que ceux qui ont donné naissance à
l'obligation de négocier: le fédéralisme, la démocratie, le
constitutionnalisme et la primauté du droit, et la protection des minorités.
Ces principes nous amènent à rejeter deux propositions extrêmes. La première
consiste à dire que les autres provinces et le gouvernement fédéral auraient
l'obligation légale de donner leur assentiment à la sécession d'une province,
sous réserve seulement de la négociation des détails logistiques de la
sécession. Cette proposition serait une conséquence soi-disant implicite du
principe démocratique de la Constitution, ou reposerait sur le principe de
l'autodétermination des peuples en droit international.
91. Nous ne pouvons accepter ce point de vue pour des raisons à la fois
théoriques et pratiques. À notre avis, le Québec ne pourrait prétendre
invoquer un droit à l'autodétermination pour dicter aux autres parties les
conditions d'une sécession: ce ne serait pas là une négociation. De même, il
serait naïf de penser que l'objectif principal, la sécession, pourrait être
distingué aisément des détails pratiques d'une sécession. Les écueils
résident dans les détails. Comme nous l'avons souligné, on ne peut invoquer
le principe de la démocratie pour écarter les principes du fédéralisme et de
la primauté du droit, les droits de la personne et des minorités, non plus que
le fonctionnement de la démocratie dans les autres provinces ou dans l'ensemble
du Canada. Il n'y a pas de véritables négociations si le résultat recherché,
la sécession, est conçu comme un droit absolu résultant d'une obligation
constitutionnelle de lui donner effet. Un tel a priori viendrait en réalité
anéantir l'obligation de négocier et la vider de son sens.
92. Toutefois, il nous est tout aussi impossible d'accepter la proposition
inverse, selon laquelle une expression claire de la part de la population du
Québec d'une volonté d'autodétermination n'imposerait aucune obligation aux
autres provinces ou au gouvernement fédéral. L'ordre constitutionnel canadien
existant ne pourrait demeurer indifférent devant l'expression claire d'une
majorité claire de Québécois de leur désir de ne plus faire partie du
Canada. Cela reviendrait à dire que d'autres principes constitutionnels
reconnus l'emportent nécessairement sur la volonté démocratiquement et
clairement exprimée de la population du Québec. Une telle proposition
n'accorde pas suffisamment de poids aux principes constitutionnels sous-jacents
qui doivent guider le processus de modification, notamment le principe de la
démocratie et le principe du fédéralisme. Les droits des autres provinces et
du gouvernement fédéral ne peuvent retirer au gouvernement du Québec le droit
de chercher à réaliser la sécession, si une majorité claire de la population
du Québec choisissait cette voie, tant et aussi longtemps que, dans cette
poursuite, le Québec respecte les droits des autres. Des négociations seraient
nécessaires pour traiter des intérêts du gouvernement fédéral, du Québec
et des autres provinces, d'autres participants, ainsi que des droits de tous les
Canadiens à l'intérieur et à l'extérieur du Québec.
94. Dans de telles circonstances, la conduite des parties acquiert une grande
importance constitutionnelle. On doit mener les négociations sans jamais perdre
de vue les principes constitutionnels que nous avons décrits et ces principes
doivent guider le comportement de tous les participants à ces négociations.
96. Personne ne peut prédire le cours que pourraient prendre de telles
négociations. Il faut reconnaître la possibilité qu'elles n'aboutissent pas
à un accord entre les parties. Des négociations engagées à la suite d'un
vote référendaire en faveur d'un projet de sécession toucheraient
inévitablement des questions très diverses et souvent d'une grande portée. Il
existe inévitablement, après 131 ans de Confédération, un haut niveau
d'intégration des institutions économiques, politiques et sociales au Canada.
La vision des fondateurs de la Confédération était de créer un pays unifié
et non pas une vague alliance de provinces autonomes. Par conséquent, s'il
existe des intérêts économiques régionaux qui coïncident parfois avec les
frontières provinciales, il existe également des entreprises et intérêts
(publics et privés) nationaux qui seraient exposés au démantèlement. Il y a
une économie nationale et une dette nationale. La question des frontières
territoriales a été invoquée devant nous. Des minorités linguistiques et
culturelles, dont les peuples autochtones, réparties de façon inégale dans
l'ensemble du pays, comptent sur la Constitution du Canada pour protéger leurs
droits. Bien sûr, la sécession donnerait naissance à une multitude de
questions très difficiles et très complexes, qu'il faudrait résoudre dans le
cadre général de la primauté du droit de façon à assurer aux Canadiens
résidant au Québec et ailleurs une certaine stabilité pendant ce qui serait
probablement une période d'incertitude et de bouleversement profonds. Nul ne
peut sérieusement soutenir que notre existence nationale, si étroitement
tissée sous tant d'aspects, pourrait être déchirée sans efforts selon les
frontières provinciales actuelles du Québec. Comme le disait le Procureur
général de la Saskatchewan dans sa plaidoirie:
[traduction] Une nation est construite lorsque les collectivités qui la
composent prennent des engagements à son égard, quand elles renoncent à des
choix et des possibilités, au nom d'une nation, [. . .] quand les
collectivités qui la composent font des compromis, quand elles se donnent des
garanties mutuelles, quand elles échangent et, peut-être plus à propos, quand
elles reçoivent des autres les avantages de la solidarité nationale. Les fils
de milliers de concessions mutuelles tissent la toile de la nation . . .
97. Dans ces circonstances, on ne peut douter que des négociations
résultant d'un tel référendum seraient difficiles. Les négociateurs
devraient envisager la possibilité d'une sécession, sans qu'il y ait toutefois
de droit absolu à la sécession ni certitude qu'il sera réellement possible de
parvenir à un accord conciliant tous les droits et toutes les obligations en
jeu. Il est concevable que même des négociations menées en conformité avec
les principes constitutionnels fondamentaux aboutissent à une impasse. Nous
n'avons pas ici à faire des conjectures sur ce qui surviendrait alors. En vertu
de la Constitution, la sécession exige la négociation d'une modification.
100. Le rôle de notre Cour dans ce renvoi se limite à identifier les
aspects pertinents de la Constitution, dans leur sens le plus large. Nous avons
interprété les questions comme se rapportant au cadre constitutionnel dans
lequel des décisions politiques peuvent, en dernière analyse, être prises. À
l'intérieur de ce cadre, les rouages du processus politique sont complexes et
ne peuvent être déterminés que par le moyen de jugements et d'évaluations
d'ordre politique. La Cour n'a aucun rôle de surveillance à jouer sur les
aspects politiques des négociations constitutionnelles. De même, l'incitation
initiale à la négociation, à savoir une majorité claire en faveur de la
sécession en réponse à une question claire, n'est assujettie qu'à une
évaluation d'ordre politique, et ce à juste titre. Le droit et l'obligation
correspondante de négocier ne peuvent reposer sur une présumée expression de
volonté démocratique si cette expression est elle-même chargée
d'ambiguïtés. Seuls les acteurs politiques auraient l'information et
l'expertise pour juger du moment où ces ambiguïtés seraient résolues dans un
sens ou dans l'autre, ainsi que des circonstances dans lesquelles elles le
seraient.
101. Si les circonstances donnant lieu à l'obligation de négocier devaient
survenir, l'analyse juridique ne permettrait pas non plus de faire la
distinction entre la défense énergique d'intérêts légitimes et la prise de
positions qui, en réalité, écarteraient totalement les intérêts légitimes
de certains. La Cour n'aurait pas accès à toute l'information dont disposent
les acteurs politiques, et les méthodes établies pour la recherche de la
vérité devant une cour de justice sont mal adaptées à une analyse en
profondeur de négociations constitutionnelles. Dans la mesure où les questions
sont de nature politique, ce n'est pas le rôle du judiciaire d'interposer ses
propres opinions sur les positions divergentes adoptées par les parties aux
négociations, même s'il était invité à le faire. Il incombe plutôt aux
représentants élus de s'acquitter de leurs obligations constitutionnelles
d'une façon concrète que, en dernière analyse, seuls leurs électeurs et
eux-mêmes sont en mesure d'évaluer. La conciliation des divers intérêts
constitutionnels légitimes décrits plus haut relève nécessairement du
domaine politique plutôt que du domaine judiciaire, précisément parce que
cette conciliation ne peut être réalisée que par le «donnant, donnant» du
processus de négociation. Une fois établi le cadre juridique, il
appartiendrait aux dirigeants démocratiquement élus des divers participants de
résoudre leurs différends.
104. Il ressort donc clairement de l'analyse qui précède que la sécession
du Québec du Canada ne peut pas être considérée un acte légal si elle est
réalisée unilatéralement par l'Assemblée nationale, la législature ou le
gouvernement du Québec, c'est-à-dire sans négociations conformes aux
principes. Tout projet de sécession d'une province du Canada qui n'est pas
entrepris en conformité avec la Constitution du Canada est une violation de
l'ordre juridique du Canada. Cependant, l'ordre constitutionnel canadien ne peut
manquer d'être affecté dans son existence et son fonctionnement par
l'expression non ambiguë d'une majorité claire de Québecois de leur désir de
ne plus faire partie du Canada. Le principal moyen de donner effet à cette
expression est l'obligation constitutionnelle de négocier conformément aux
principes constitutionnels que nous avons définis. Si des négociations de
sécession étaient engagées, notre Constitution, tout autant que notre
histoire, appellerait les participants à s'efforcer de concilier les droits,
les obligations et les aspirations légitimes de tous les Canadiens dans un
cadre qui donnerait autant d'importance aux responsabilités qu'aux droits de
chacun en vertu de la Constitution
139. Nous ne voulons pas clore cet aspect de notre réponse à la question 2
sans reconnaître l'importance des arguments qui nous ont été présentés
relativement aux droits et inquiétudes des peuples autochtones et aux moyens
appropriés de délimiter les frontières du Québec, en cas de sécession,
particulièrement en ce qui concerne les territoires nordiques occupés
principalement par des peuples autochtones. Toutefois, les inquiétudes des
peuples autochtones découlent du droit invoqué par le Québec de faire
sécession unilatéralement. À la lumière de notre conclusion qu'aucun droit
de ce genre ne s'applique à la population du Québec, ni en vertu du droit
international ni en vertu de la Constitution du Canada, et que, au contraire,
l'expression claire d'une volonté démocratique en faveur de la sécession
entraînerait, en vertu de la Constitution, des négociations au cours
desquelles les intérêts des autochtones seraient pris en compte, il devient
inutile d'examiner davantage les préoccupations des peuples autochtones dans le
présent renvoi.
149. Le renvoi nous demande de déterminer si le Québec a le droit de faire
sécession unilatéralement. Ceux qui soutiennent l'existence d'un tel droit
fondent leur prétention d'abord et avant tout sur le principe de la
démocratie. La démocratie, toutefois, signifie davantage que la simple règle
de la majorité. Comme en témoigne notre jurisprudence constitutionnelle, la
démocratie existe dans le contexte plus large d'autres valeurs
constitutionnelles telles celles déjà mentionnées. Pendant les 131 années de
la Confédération, les habitants des provinces et territoires ont noué
d'étroits liens d'interdépendance (économique, sociale, politique et
culturelle) basés sur des valeurs communes qui comprennent le fédéralisme, la
démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, ainsi que le
respect des minorités. Une décision démocratique des Québécois en faveur de
la sécession compromettrait ces liens. La Constitution assure l'ordre et la
stabilité et, en conséquence, la sécession d'une province ne peut être
réalisée unilatéralement «en vertu de la Constitution», c'est-à-dire sans
négociations fondées sur des principes, avec les autres participants à la
Confédération, dans le cadre constitutionnel existant.
151. Le Québec ne pourrait, malgré un résultat référendaire clair,
invoquer un droit à l'autodétermination pour dicter aux autres parties à la
fédération les conditions d'un projet de sécession. Le vote démocratique,
quelle que soit l'ampleur de la majorité, n'aurait en soi aucun effet juridique
et ne pourrait écarter les principes du fédéralisme et de la primauté du
droit, les droits de la personne et des minorités, non plus que le
fonctionnement de la démocratie dans les autres provinces ou dans l'ensemble du
Canada. Les droits démocratiques fondés sur la Constitution ne peuvent être
dissociés des obligations constitutionnelles. La proposition inverse n'est pas
acceptable non plus. L'ordre constitutionnel canadien existant ne pourrait pas
demeurer indifférent devant l'expression claire, par une majorité claire de
Québécois, de leur volonté de ne plus faire partie du Canada. Les autres
provinces et le gouvernement fédéral n'auraient aucune raison valable de nier
au gouvernement du Québec le droit de chercher à réaliser la sécession, si
une majorité claire de la population du Québec choisissait cette voie, tant et
aussi longtemps que, dans cette poursuite, le Québec respecterait les droits
des autres. Les négociations qui suivraient un tel vote porteraient sur l'acte
potentiel de sécession et sur ses conditions éventuelles si elle devait
effectivement être réalisée. Il n'y aurait aucune conclusion prédéterminée
en droit sur quelque aspect que ce soit. Les négociations devraient traiter des
intérêts des autres provinces, du gouvernement fédéral, du Québec et, en
fait, des droits de tous les Canadiens à l'intérieur et à l'extérieur du
Québec, et plus particulièrement des droits des minorités. Il va sans dire
que de telles négociations ne seraient pas aisées.
153. La tâche de la Cour était de clarifier le cadre juridique dans lequel
des décisions politiques doivent être prises «en vertu de la Constitution»,
et non d'usurper les prérogatives des forces politiques qui agissent à
l'intérieur de ce cadre. Les obligations que nous avons dégagées sont des
obligations impératives en vertu de la Constitution du Canada. Toutefois, il
reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste «une majorité
claire en réponse à une question claire», suivant les circonstances dans
lesquelles un futur référendum pourrait être tenu. De même, si un appui
majoritaire était exprimé en faveur de la sécession du Québec, il
incomberait aux acteurs politiques de déterminer le contenu des négociations
et le processus à suivre. La conciliation des divers intérêts
constitutionnels légitimes relève nécessairement du domaine politique plutôt
que du domaine judiciaire, précisément parce que cette conciliation ne peut
être réalisée que par le jeu des concessions réciproques qui caractérise
les négociations politiques. Dans la mesure où les questions abordées au
cours des négociations seraient politiques, les tribunaux, conscients du rôle
qui leur revient dans le régime constitutionnel, n'auraient aucun rôle de
surveillance à jouer.
154. Nous nous sommes également demandés s'il existe, en vertu du droit
international, un droit de sécession dans les circonstances envisagées par la
question 1, c'est-à-dire une expression démocratique claire en faveur de la
sécession du Québec, en réponse à une question claire. Certains de ceux qui
apportent une réponse affirmative se fondent sur le droit reconnu à
l'autodétermination qui appartient à tous les «peuples». Même s'il est
certain que la majeure partie de la population du Québec partage bon nombre des
traits qui caractérisent un peuple, il n'est pas nécessaire de trancher la
question de l'existence d'un «peuple», quelle que soit la réponse exacte à
cette question dans le contexte du Québec, puisqu'un droit de sécession ne
prend naissance en vertu du principe de l'autodétermination des peuples en
droit international que dans le cas d'«un peuple» gouverné en tant que partie
d'un empire colonial, dans le cas d'«un peuple» soumis à la subjugation, à
la domination ou à l'exploitation étrangères, et aussi, peut-être, dans le
cas d'«un peuple» empêché d'exercer utilement son droit à
l'autodétermination à l'intérieur de l'État dont il fait partie. Dans les
autres circonstances, les peuples sont censés réaliser leur autodétermination
dans le cadre de l'État existant auquel ils appartiennent. Un État dont le
gouvernement représente l'ensemble du peuple ou des peuples résidant sur son
territoire, dans l'égalité et sans discrimination, et qui respecte les
principes de l'autodétermination dans ses arrangements internes, a droit au
maintien de son intégrité territoriale en vertu du droit international et à
la reconnaissance de cette intégrité territoriale par les autres États. Le
Québec ne constitue pas un peuple colonisé ou opprimé, et on ne peut pas
prétendre non plus que les Québécois se voient refuser un accès réel au
gouvernement pour assurer leur développement politique, économique, culturel
et social. Dans ces circonstances, l'Assemblée nationale, la législature ou le
gouvernement du Québec ne possèdent pas, en vertu du droit international, le
droit de procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada.
155. Même s'il n'existe pas de droit de sécession unilatérale en vertu de
la Constitution ou du droit international, c'est-à-dire un droit de faire
sécession sans négociation sur les fondements qui viennent d'être examinés,
cela n'écarte pas la possibilité d'une déclaration inconstitutionnelle de
sécession conduisant à une sécession de facto. Le succès ultime d'une telle
sécession dépendrait de sa reconnaissance par la communauté internationale
qui, pour décider d'accorder ou non cette reconnaissance, prendrait
vraisemblablement en considération la légalité et la légitimité de la
sécession eu égard, notamment, à la conduite du Québec et du Canada. Même
si elle était accordée, une telle reconnaissance ne fournirait toutefois
aucune justification rétroactive à l'acte de sécession, en vertu de la
Constitution ou du droit international.
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