Le débat constitutionnel canadien: De l'échec de
l'accord du lac Meech de 1987
au référendum de 1992
James Ross Hurley
Nota : Les opinions exprimées dans ce document sont
celles de l'auteur et ne représentent pas nécessairement celles du
gouvernement du Canada.
Introduction
La réforme
constitutionnelle : 1968 à 1987
L’Accord du lac Meech : 1987 à 1990
La réforme
constitutionnelle : 1990 à 1992
L’Accord de Charlottetown, août
1992
La suite
Introduction
Meech a avorté sur le coup de minuit le 23 juin 1990.
Les causes de l'échec de la Modification constitutionnelle de 1987,
communément appelée l'Accord du lac Meech, sont nombreuses et complexes.
Techniquement, cet échec peut-être attribué à l'incapacité du Parlement
et des assemblées législatives provinciales de ratifier unanimement à
l'intérieur du délai de trois ans prescrit par la Constitution.
Le chronomètre avait été mis en marche le 23 juin 1987 avec l'adoption par
l'Assemblée nationale du Québec de la première résolution constitutionnelle
autorisant la proclamation de la Modification constitutionnelle de 1987.
Le Manitoba n'est pas parvenu à adopter la résolution à temps en raison de
problèmes de procédure à l'assemblée législative. À Terre-Neuve, il a
été décidé de ne pas tenir de vote sur la résolution constitutionnelle.
Ces problèmes techniques n'expliquent cependant pas tout. Il est devenu
apparent dans les dernières phases du processus de ratification que la
désaffection de plus en plus vive du public à l'égard de l'Accord portait
tant sur le processus adopté pour le négocier que sur le fond de l'Accord,
c'est-à-dire ce qu'il contenait, ou ne contenait pas.
Les causes de l'échec de Meech ne peuvent être évaluées qu'à la lumière
des approches adoptées pendant les deux décennies précédentes en matière de
renouveau constitutionnel.
La réforme
constitutionnelle: Approches de 1968 à 1987
En février 1968, les gouvernements fédéral et provinciaux entreprirent le
tout premier réexamen complet de la Constitution. Les questions soulevées
étaient nombreuses et diverses; elles touchaient aux droits et libertés, y
compris les droits linguistiques, de même qu’aux institutions nationales, à
la répartition des pouvoirs, aux disparités régionales et au rapatriement de
la Constitution avec une formule de modification. Les négociations eurent lieu
en privé entre les gouvernements, même si les premiers ministres ont
participé à un certain nombre de présentations ou débats télévisés. En
1971, un premier pas modeste, la Charte de Victoria, fut fait dans le sens d'une
réforme de la Constitution, mais cette formule ne fut pas acceptée par les
gouvernements du Québec et de la Saskatchewan. Faute d'accord unanime entre
Ottawa et les provinces, cette Charte ne donna lieu à aucune mesure.
En avril 1975, les premiers ministres convinrent en privé d'essayer de
rapatrier la Constitution avec une formule de modification et des garanties pour
la langue et la culture françaises, sans toutefois s'appliquer à réaliser une
réforme en profondeur de la Constitution avant son rapatriement. Des
discussions bilatérales eurent lieu entre les hauts fonctionnaires fédéraux
et le premier ministre (ou, dans certains cas, un ministre) de chacune des
provinces. Certaines propositions de réforme furent alors faites, mais ce
processus fut abandonné au début de 1976.
Le 31 mars 1976, le Premier ministre, M. Pierre Trudeau, écrivit à ses
homologues des provinces pour leur suggérer trois possibilités distinctes
d'action unilatérale du Parlement en vue du rapatriement de la Constitution. L’une
des suggestions était assortie de certaines mesures initiales dans le sens
d'une réforme en profondeur. Cette démarche fut abandonnée au début de 1977.
Plus tard, avec le dépôt du projet de loi C-60 en juin 1978, le gouvernement
fédéral chercha par une intervention législative du Parlement, à modifier
des parties de la Constitution qu'il pensait modifiables. Les possibilités que,
présentaient les modifications proposées étaient vastes, mais restreintes en
principe aux domaines de compétence fédérale. Cette initiative fut également
abandonnée.
Les premiers ministres se lancèrent une deuxième fois dans une vaste
tentative de réforme de la Constitution en octobre 1978. Les négociations
furent menées en privé par le Comité permanent des ministres sur la
Constitution, appuyé par le Comité permanent des fonctionnaires sur la
Constitution, où étaient représentés les gouvernements fédéral et
provinciaux. Encore là, les sujets à l'ordre du jour étaient nombreux, allant
des droits et libertés aux institutions en passant par la répartition des
pouvoirs. Toutefois, les premiers ministres ne parvinrent à s'entendre
unanimement sur aucune des modifications proposées, et la question de la
réforme constitutionnelle n'était toujours pas réglée à la veille du
référendum québécois.
Le référendum du Québec, mai 1980
Avec son référendum de mai 1980, le gouvernement du Québec cherchait à
obtenir des citoyens de la province le mandat de négocier la
souveraineté-association avec le reste du pays. Pendant la campagne
référendaire, le premier ministre du Canada et la majorité des premiers
ministres des autres provinces dirent aux Québécois que le rejet de la
souveraineté-association pourrait et allait mener à un renouveau
constitutionnel. Environ 60 p. 100 des Québécois ayant voté au référendum
refusèrent d'accorder au gouvernement provincial le mandat qu'il recherchait.
Le rapatriement de la Constitution, de 1980 à 1982
Dès l'été de 1980, les gouvernements fédéral et provinciaux tinrent des
négociations intensives - à huis clos, dans la tradition typiquement
canadienne du fédéralisme exécutif - sur un ordre du jour en douze points,
qui comprenait entre autres :
- un préambule constitutionnel ou énoncé de principe (y compris la
question du caractère distinct de la société québécoise),
- le rapatriement de la Constitution avec une formule de modification,
- une charte des droits et libertés,
- la réforme du Sénat et de la Cour suprême,
- une plus grande autorité des provinces sur les ressources naturelles, les
ressources extracôtières, les pêches, les communications et le droit de la
famille, et
- une plus grande autorité fédérale sur l'économie.
Les dirigeants politiques des peuples autochtones du Canada furent invités
à exposer leurs vues sur ces questions.
Quand ils se rencontrèrent en septembre 1980, les premiers ministres ne
parvinrent pas à un consentement unanime - qui était alors le critère
déterminant pour la conclusion d'une entente - sur aucun des points de l'ordre
du jour. En octobre, le Premier ministre Trudeau décida d'essayer de rapatrier
«unilatéralement» la Constitution et de la modifier en se fondant sur une
série de propositions «populaires» qui comprendraient :
- une Charte des droits et libertés,
- un engagement constitutionnel envers les principes de la péréquation et
de la réduction des disparités régionales, et
- le rapatriement de la Constitution et un processus permettant d'adopter une
formule de modification dans un délai de deux ans.
Le rapatriement unilatéral pourrait se faire par une Adresse commune des
deux chambres du Parlement à la Couronne demandant que le Parlement du
Royaume-Uni renonce à son autorité législative sur la Constitution du Canada
et autorise la proclamation au Canada par la Reine de certaines modifications à
notre Constitution. Le gouvernement du Canada avait tenté d'obtenir le
consentement des provinces à certaines modifications avant l'adoption de
l'Adresse commune, mais il affirma qu'il n'était pas légalement tenu de le
faire.
Deux provinces - l'Ontario et le Nouveau-Brunswick - appuyèrent le projet de
rapatriement unilatéral, mais la majorité s'y opposa. Un Comité mixte
spécial du Sénat et de la Chambre des communes fut chargé d'étudier le
projet d'Adresse commune. Pour la première fois dans l'histoire du pays, était
présentée une proposition constitutionnelle dans le cadre d'audiences
parlementaires publiques télévisées, avec pour effet que cette proposition
unilatérale se gagna la faveur populaire malgré l'opposition de la plupart des
gouvernements provinciaux. La Charte canadiennes des droits et libertés devint
le point central du débat et différents groupes se mirent les uns après les
autres à militer en faveur de la consécration de certains droits dans la
Constitution.
Les huit provinces dissidentes contestèrent la tentative de rapatriement
unilatéral. Au Manitoba et au Québec, les tribunaux de dernière instance
tranchèrent en faveur du gouvernement fédéral, mais Terre-Neuve se prononça
contre.
Le gouvernement fédéral interjeta un appel devant la Cour suprême du
Canada le 28 avril 1981. Le 28 septembre suivant, la Cour statua que le
rapatriement unilatéral était légal, mais incompatible avec les conventions
constitutionnelles, lesquelles exigeaient le net consentement des provinces --
peut-être pas toutes les dix, mais sûrement plus de deux d'entre elles.
Afin de respecter les conventions constitutionnelles, une Conférence des
premiers ministres fut tenue le 2 novembre 1981 pour essayer d'obtenir un vaste
appui des gouvernements aux modalités du rapatriement. Le 5 novembre 1981, tous
les gouvernements - sauf celui du Québec - signèrent une entente ayant pour
but de régler la question constitutionnelle. À cet égard, il convient de
mentionner les points suivants en ce qui concerne tant le processus que la
substance de l'entente :
- les gouvernements ont conclu l’entente à huis clos,
- elle incluait une formule de modification et (dans la Charte) une clause de
dérogation au sujet desquelles le public n'avait pas été consulté pendant le
processus unilatéral, et
- certains ajustements furent apportés à l'entente suite à des
consultations au niveau exécutif avant que sa dema de soit fait aux deux
chambres du Parlement d'adopter la résolution constitutionnelle. Par exemple :
- tous les gouvernements convinrent, après l’entente du 5 novembre,
d'ajouter à la formule de modification une disposition exigeant du gouvernement
fédéral qu'il compense raisonnablement une province qui se dissocierait de
toute modification future transférant au Parlement l'autorité sur l'éducation
et d'autres éléments d'ordre culturel, et
- le premier ministre du Manitoba laissa tomber l'exigence que l'assemblée
provinciale détermine si les droits des minorités de langue officielle en
vertu de la Charte devraient s'appliquer dans cette province.
Bref, malgré la forte participation des citoyens au processus unilatéral,
les gouvernements revinrent à la pratique du fédéralisme exécutif lorsqu'ils
adoptèrent un processus multilatéral. Mais il y eut deux exceptions notables.
La résolution unilatérale dont avait été saisie la Cour suprême
reconnaissait et affirmait les droits ancestraux et issus de traités des
peuples autochtones du Canada. On renonça le 5 novembre à en faire une
condition pour obtenir l'appui des provinces. La résolution avait aussi
comporté une garantie absolue d'application égale aux hommes et aux femmes des
droits et libertés garantis par la Charte. Cet élément fut assujetti à la
disposition de dérogation ou «clause nonobstant».
Lorsque les dirigeants autochtones et les groupements féminins
protestèrent, le Premier ministre du Canada affirma qu'il rétablirait les
dispositions initiales si les autochtones et les groupements féminins
parvenaient à convaincre les neuf premiers ministres provinciaux qui avaient
signé l'accord du 5 novembre de le faire. Les Autochtones et les groupements
féminins mobilisèrent leurs ressources et menèrent une campagne vigoureuse
dans tout le pays. Les uns après les autres, les premiers ministres
acceptèrent, et quand la Constitution fut finalement rapatriée, le 17 avril
1982, elle contenait des dispositions touchant aux droits des Autochtones et aux
droits relatifs à l'égalité des sexes, sans disposition de dérogation. On
pourrait dire que c'est à partir de ce moment que les dirigeants autochtones et
les groupements féminins sont devenus d'importants acteurs politiques dans le
débat constitutionnel.
Qui plus est, la Constitution rapatriée contenait une disposition exigeant
la tenue de conférences constitutionnelles des premiers ministres sur la
détermination et la définition des droits des Autochtones à inclure dans la
Constitution. Des représentants des peuples autochtones du Canada ainsi que des
représentants élus des deux territoires devaient être invités à participer
aux discussions. Le Québec assista à ces conférences à titre d'observateur,
refusant d'y participer activement tant qu'on ne se serait pas penché sur ses
doléances constitutionnelles.
Une modification constitutionnelle portant sur des questions intéressant les
Autochtones fut proclamée avant la dernière conférence exigée par la
Constitution, en mars 1987, mais la question cruciale de l'autonomie
gouvernementale des Autochtones, qui se posait avec de plus en plus d'acuité,
resta sans suite. Toutefois, les conférences créèrent un précédent en
instituant un nouveau processus que j'appellerais fédéralisme exécutif
élargi étant donné que toutes les parties présentes représentaient des
gouvernements ou, dans le cas des participants autochtones, ce qu'on pourrait
appeler des «gouvernements en devenir».
À la veille des négociations qui allaient mener à l'Accord du lac Meech,
les précédents établis en matière de négociation constitutionnelle
devenaient complexes :
- de 1968 à 1971, en 1978-1979 et en 1980, l'ordre du jour était vaste et
le processus était restreint au fédéralisme exécutif multilatéral,
- en 1975-1976, l'ordre du jour était très limité et le processus tenait
du fédéralisme exécutif bilatéral secret,
- en 1976 et 1978, il y eut des propositions fédérales en vue d'une action
unilatérale du Parlement,
- en 1980-1981, l'ordre du jour était restreint (la série de «propositions
populaires») et un processus unilatéral comprenant une vaste consultation des
citoyens, faite au moyen d’audiences parlementaires fut adopté,
- en novembre 1981, l'ordre du jour était encore restreint, mais pour ce qui
est du processus, on était revenu au fédéralisme exécutif multilatéral et
ce, jusqu'au 5 novembre, après quoi on a assisté à une recrudescence des
consultations au niveau exécutif ainsi qu'à un lobbying direct par deux
groupes importants, et
- de 1983 à 1987, on a pratiqué le fédéralisme exécutif élargi, avec la
participation de représentants des peuples autochtones et des territoires, mais
l'ordre du jour était limité aux questions intéressant directement les
peuples autochtones du Canada.
Aucune formule précise de négociation de modifications multilatérales n’est
donc ressortie au cours des vingt années de discussions menées après 1968. La
formule de modification établie au moment du rapatriement en 1982 ne dit rien
sur ce point, sauf en ce qui touche aux discussions sur des questions
intéressant directement les peuples autochtones. Elle est explicite quant au
rôle du Sénat, de la Chambre des communes et des assemblées législatives
provinciales pour ce qui est d'autoriser la proclamation de modifications, mais
elle n'indique pas les moyens à prendre pour parvenir à s'entendre sur un
texte dans les deux langues officielles.
C'est à la lumière de ces faits que doit être évaluée la démarche du
lac Meech.
L’isolement du Québec, de 1982 à 1987
Le Québec n'était pas partie à l'entente du 5 novembre 1981 sur les
modalités du rapatriement. Le 1er décembre 1981, l'Assemblée nationale
rejeta, par voie de résolution, les propositions fédérales à cet égard. La
Loi constitutionnelle de 1982 fut néanmoins proclamée et la Cour suprême
statua ultérieurement que le Québec n'avait, en droit et en fait, aucun veto
qu'il puisse exercer pour s'opposer au rapatriement de la Constitution : le
Québec était légalement lié par la Loi constitutionnelle de 1982.
Le gouvernement du Québec adopta comme position que la Loi constitutionnelle
de 1982, bien que légale, était politiquement illégitime puisqu'elle
restreignait l'autorité législative de l'Assemblée nationale sans son
consentement. Le Québec annonça qu'il ne participerait pas à d'autres
discussions constitutionnelles multilatérales tant que ses propres problèmes
constitutionnels n'auraient pas été efficacement résolus.
Le Parti libéral du Québec fut porté au pouvoir en décembre 1985. Comme
les Libéraux n’avaient que cinq exigences constitutionnelles - le
gouvernement péquiste en avait 22, y compris l'exemption virtuelle du Québec
de l'application de la Charte canadienne des droits et libertés - les
conditions semblaient donc propices à un dénouement heureux de la question
québécoise.
L'exclusion du Québec en novembre 1981 ayant résulté d'un exercice de
fédéralisme exécutif, il n'est pas étonnant que les acteurs politiques aient
pensé que sa réintégration au sein de la famille constitutionnelle pourrait
se faire par le même processus. Toutefois, le processus de fédéralisme
exécutif qu'ils adoptèrent était nouveau : il ne fut pas établi de
mécanismes multilatéraux, comme le Comité permanent des ministres sur la
Constitution et le Comité permanent des fonctionnaires sur la Constitution, et
on ne fixa pas d'échéances.
On établit plutôt un double processus de bilatéralisme pour la
«vérification des préalables» : des négociations officielles ne seraient
pas engagées tant que des conditions minimales de succès n’auraient pas
été réunies. Le ministre québécois responsable des questions
constitutionnelles, M. Gil Rémillard, rencontra individuellement chacun de ses
homologues provinciaux et, après chaque rencontre, informa le ministre
fédéral, le sénateur Lowell Murray, de l'évolution du dossier. Pour
s'assurer qu'il n'y ait aucune mésentente ou mauvaise interprétation, le
sénateur Murray fit les mêmes démarches de son côté en informant chaque
fois M. Rémillard du résultat de ses entretiens.
L’Accord du lac Meech: 1987 à 1990
Ce n'est que lorsque ce double processus de fédéralisme exécutif
bilatéral eut créé une assurance raisonnable que la volonté politique de
parvenir à un arrangement avec le Québec qu'une réunion multilatérale de
hauts fonctionnaires fut convoquée à Ottawa pour les 5 et 6 mars 1987. Cette
réunion mena à une conférence des premiers ministres qui eut lieu le 30 avril
au lac Meech, dans les collines de la Gatineau juste au nord d'Ottawa. On y
parvint à un accord de principe. Le Québec tint des audiences publiques sur
cet accord de principe pendant que les fonctionnaires fédéraux et provinciaux
s'employaient à parachever le texte juridique qu'avait préparé le ministère
fédéral de la Justice. Les premiers ministres se réunirent de nouveau à
l'édifice Langevin à Ottawa les 2 et 3 juin 1987 et parvinrent à une entente
unanime sur le texte juridique d'une résolution de modification
constitutionnelle.
Le processus de ratification
La signature de l'Accord du lac Meech suscita un vaste mouvement d'appui de
la part de la population. Le Québec approuva sans tarder la résolution
constitutionnelle le 23 juin 1987, amorçant ainsi le processus de ratification.
La position du Québec étant qu’on devait donner suite à chacune de ses cinq
conditions pour qu'il mette fin à son isolement constitutionnel, on rédigea la
résolution constitutionnelle comme un tout indivisible. Étant donné que cette
résolution contenait des modifications exigeant l'approbation unanime des
assemblées législatives - pour lesquelles il n'y a aucune échéance de
ratification - et des modifications exigeant le consentement du Parlement et des
deux tiers des assemblées législatives représentant au moins 50 p. 100 de la
population - pour lesquelles il existait un délai maximal de trois ans -, il
fut décidé que la résolution :
- devrait être adoptée par toutes les assemblées législatives et par le
Parlement, et
- devrait être ratifiée par toutes les parties dans un délai de trois ans.
Même si la résolution fit l'objet d'audiences parlementaires, il était
entendu que les gouvernements n'envisageraient d'y apporter de modifications que
si on y décelait une erreur flagrante : tout changement devrait être
renégocié avec les provinces et invaliderait les résolutions déjà
adoptées. Divers groupes commencèrent à exprimer des préoccupations.
Certaines organisations féminines, des groupes multiculturels, les peuples
autochtones et des représentants des territoires, en autres, se mirent à
affirmer qu'on n'avait pas tenu compte de leurs intérêts ou que les
changements proposés les menaceraient ces intérêts ou y porteraient atteinte.
Dans l'ouest du pays, des citoyens considéraient que la nouvelle règle de
l'unanimité pour la réforme du Sénat rendrait cette dernière impossible. La
démarche que les gouvernements avaient conçue comme devant être la ronde
québécoise de négociations constitutionnelles et qui devait ouvrir la voie à
d'autres changements constitutionnels était perçue par de nombreux citoyens
comme une manoeuvre d'exclusion des intérêts des autres provinces.
Au mécontentement populaire de plus en plus vif vint s'ajouter un autre
facteur qui allait rendre la ratification de l'Accord plutôt problématique. En
octobre 1987, le gouvernement du Nouveau-Brunswick fut défait par un parti
d'opposition qui avait clairement affirmé qu'il ne ratifierait pas l'Accord du
lac Meech à moins qu'il soit modifié. Plus tard, les gouvernements du Manitoba
et de Terre-Neuve furent défaits à leur tour, si bien que trois des premiers
ministres provinciaux en poste ne faisaient pas partie des signataires de
l'Accord du lac Meech, lequel était un accord politique mais ne créait pas
d'obligation juridique.
Pendant le processus de ratification, aucune audience publique en
Saskatchewan, en Alberta, en Nouvelle-Écosse, en Colombie-Britannique et à
Terre-Neuve, ni au Québec où des audiences y avaient eu lieu sur l'accord de
principe, mais pas sur le texte juridique. Les audiences tenues par la Chambre
des communes (conjointement avec le Sénat à une occasion et séparément à
une autre), par l'Île-du-Prince-Édouard et par l'Ontario ne menèrent à aucun
changement au texte juridique.
Les audiences tenues au Nouveau-Brunswick et au Manitoba firent ressortir
qu'on y était en faveur de changements, dans le premier cas par l'ajout d'une
résolution d'accompagnement (ou supplémentaire) et dans le second cas, entre
autres choses, par l'adoption d'une «clause Canada» énonçant toutes les
caractéristiques fondamentales du pays, et non pas seulement les
particularités qui font du Québec une société distincte. Des audiences
tenues séparément par le Sénat menèrent à des modifications de la
résolution par cette chambre.
Il devint évident pendant les audiences publiques que la proclamation de la
Charte des droits et libertés en 1982 avait eu un profond effet sur la
société canadienne : elle avait donné aux citoyens, particulièrement aux
groupes minoritaires, le sentiment qu'elle leur conférait une emprise et un
droit de propriété sur la Constitution. Plus encore, la Charte dotait les
Canadiens d'un outil juridique de base pour contester les initiatives des
gouvernements fédéral et provinciaux.
Le Nouveau-Brunswick proposa d'adopter une résolution d'accompagnement qui
répondrait aux préoccupations des gens qui se sentaient exclus de la ronde
québécoise. Cette résolution d'accompagnement fit l'objet d'audiences
publiques par la Chambre des communes, qui y répondit favorablement.
Au début de juin 1990, deux provinces - le Nouveau-Brunswick et le Manitoba
- n'avaient toujours pas ratifié l'Accord du lac Meech et une autre -
Terre-Neuve - avait annulé la décision qu'elle avait prise antérieurement de
l'approuver. Du 3 au 9 juin, les premiers ministres tinrent en privé un autre
exercice de fédéralisme exécutif. Le 9 juin, ils émirent un communiqué qui
semblait créer les conditions propices à la ratification de l'Accord du lac
Meech, mais tel ne fut pas le cas.
L'échec de Meech a été attribué dans une grande mesure à deux facteurs
que j'appellerai le processus et la substance. Pour ce qui est du processus, il
était manifestement inacceptable qu'on n’ait pas consulté le public au moyen
d'audiences avant que les détails juridiques aient tous été arrêtés
définitivement. À cet égard aussi, on avait le sentiment que le caractère
indivisible de la résolution constitutionnelle assujettie à la double
contrainte de l'unanimité et du délai de trois ans pouvait poser un problème
et, en fait, que la formule de modification elle-même aurait peut-être besoin
d'être réexaminée. Pour ce qui est de la substance de l'accord, il était
également évident qu'en dehors du Québec, l'idée d'une ronde québécoise
limitée était mal comprise et mal vue. On voulait plutôt que les questions
constitutionnelles soient traitées globalement.
Après l'échec de Meech, il aurait peut-être été préférable de prendre
un temps d'arrêt pour réfléchir et attendre un moment plus favorable pour
reprendre l'examen des questions constitutionnelles. Mais ce ne fut pas
possible.
Après l’échec de Meech, juin 1990
Meech a échoué la veille de la Saint-Jean Baptiste, fête nationale des
Québécois francophones. Le 24 juin est une fête légale au Québec et ce
jour-là, on vit déferler dans les rues de Montréal le flot bleu et blanc des
drapeaux provinciaux que brandissait une foule animée du sentiment
nationaliste. D'après certains sondages, plus de 60 p. 100 des Québécois
auraient voté en faveur de la souveraineté si un référendum avait eu lieu à
ce moment-là. Les souverainistes réclamèrent évidemment la tenue immédiate
d'un référendum.
Partout ailleurs au Canada, l'atmosphère se chargeait d'émotivité. Dans
certains milieux, on se mit à réclamer du Québec qu'il devienne une province
comme les autres ou qu'il se sépare - et ce, pas nécessairement dans les
conditions les plus généreuses. La colère montait aussi chez ceux qui
s'étaient sentis exclus de la ronde québécoise et qui voulaient voir leurs
objectifs constitutionnels se réaliser.
Pendant l'été de 1990, une crise survint à Oka, au Québec, où des
Mohawks avaient érigé des barricades par suite d'une querelle avec les
citadins et la police provinciale. On finit par arriver à une entente, mais pas
avant que quelqu’un soit tué et que les Forces armées canadiennes soient
intervenues. Un des effets de la crise d'Oka a été de mettre en lumière la
nécessité que les gouvernements donnent suite aux préoccupations
constitutionnelles de longue date des Autochtones, y compris la question de leur
autonomie gouvernementale.
L'atmosphère était devenue explosive et il était impérieux de gagner du
temps jusqu'à ce que les esprits se refroidissent et qu'on puisse analyser la
situation de façon plus rationnelle. C'est au Québec que la situation était
la plus épineuse. Au sentiment de «trahison» par le reste du Canada le 5
novembre 1981 s'ajoutait celui d'un «rejet» par le reste du Canada le 23 juin
1990.
La réforme
constitutionnelle: Approches de 1990 à 1992
Le Comité Allaire du Québec
Le Parti libéral du Québec réaffirma son adhésion à l'Accord en février
1990 durant la dernière phase du processus de ratification de Meech, et
établit, sous la présidence de M. Jean Allaire, un comité interne chargé de
définir une position constitutionnelle pour la ronde de négociations qui
suivrait la proclamation de Meech. Le rapport Allaire, publié le 28 janvier
1991 - après l'échec de Meech - représentait un changement de cap radical par
rapport aux cinq conditions qui avaient mené à l'Accord.
L'Accord du lac Meech avait une grande valeur symbolique et on y insistait
beaucoup sur le droit du Québec de participer activement au développement
constitutionnel futur du Canada. Il aurait reconnu au Québec le statut de
société distincte au sein du Canada, et consacré l'exigence déjà inscrite
dans nos lois que trois des neuf juges de la Cour suprême proviennent du
barreau québécois de droit civil. Cet accord aurait également accordé un
veto au Québec - et à toutes les provinces - sur la réforme des institutions
nationales et la création de nouvelles provinces dans les territoires. Il
aurait limité par une contrainte l'exercice du pouvoir de dépenser du
Parlement et accru l'autorité du Québec sur l'immigration (domaine où la
Constitution prévoit un partage des compétences entre Ottawa et les
provinces). Le rapport Allaire - qui fut adopté par le Parti libéral du
Québec - rejetait cette approche et était carrément centré sur une nouvelle
répartition des pouvoirs qui aurait considérablement accru les compétences du
Québec aux dépens du Parlement fédéral. Il recommandait une nouvelle
structure politique canadienne qui renforcerait l'union économique canadienne
tout en accordant l’autonomie politique à l'État québécois, principalement
en établissant l'autorité législative exclusive du Québec dans 22 domaines,
allant des affaires sociales, de la culture, de la santé, de la politique
familiale et de la politique de la main-d'oeuvre aux communications, à
l'environnement, à l'agriculture et à la sécurité publique.
Le rapport recommandait également la tenue au Québec, avant la fin de
l'automne de 1992, d'un référendum portant soit sur une proposition de
réforme Québec-Canada, soit sur l'accession du Québec à la souveraineté.
Le rapport Allaire se voulait une tentative de faire contrepoids à la
montée du sentiment nationaliste au Québec après l'échec de Meech, mais
nombreux sont ceux, ailleurs au pays, qui l'ont rejeté parce qu'ils le
trouvaient irréaliste.
La Commission Bélanger-Campeau du Québec
Le 4 septembre 1990, l'Assemblée nationale du Québec institua une
commission législative «élargie» composée de 36 personnes, dont 17 qui
n'étaient pas des politiciens élus et qui représentaient les municipalités,
les syndicats, les coopératives, le milieu culturel ainsi que le milieu des
affaires et de l'éducation. Parmi les politiciens élus faisant partie de la
Commission, trois étaient des députés fédéraux québécois. La Commission
était coprésidée par MM. Michel Bélanger et Jean Campeau.
Elle avait pour mandat d'examiner le statut politique et constitutionnel du
Québec et de faire des recommandations à l'Assemblée nationale à cet égard.
Les membres de la Commission avaient été choisis de manière à favoriser le
plus grand consensus possible entre Québécois. La Commission tint des
audiences publiques télévisées dans onze villes et municipalités du Québec,
reçut 607 mémoires et entendit 237 groupes ou particuliers.
La Commission Bélanger-Campeau conclut dans son rapport le 27 mars 1991 que
deux solutions pouvaient permettre de mettre fin à l'impasse entre le Québec
et le reste du Canada :
- une profonde modification du système fédéral, ou
- la souveraineté du Québec.
La Commission recommanda que l'Assemblée nationale :
- adopte une loi référendaire exigeant la tenue d'un référendum sur la
souveraineté qui pourrait avoir lieu dès le 8 juin et au plus tard le 26
octobre 1992, et qu'elle
- établisse deux commissions législatives dont l'une chargée d'examiner la
question de l'accession du Québec à la souveraineté, et l'autre, d'examiner
toute offre de fédéralisme renouvelé que le gouvernement du Canada et les
autres provinces pourraient présenter.
L'acceptation de ces recommandations par l'Assemblée nationale eut trois
conséquences :
- le débat constitutionnel ne pouvait plus être évité,
- la question devait être réglée à l'intérieur d'un échéancier, et
- le Québec ne participerait pas aux discussions multilatérales où les
gouvernements du Canada et des autres provinces pourraient chercher à
s'entendre sur un renouvellement du fédéralisme. Cependant le rapport Allaire,
qui avait été adopté par le Parti libéral du Québec, donnait une nette
indication du genre de fédéralisme renouvelé que le gouvernement du Québec
envisageait.
Les initiatives prises par les autres provinces et les territoires
Les autres provinces et territoires prirent tous des initiatives pour
examiner la question constitutionnelle, mais pas tous au même moment ni de la
même façon. Ils avaient cependant une chose en commun : ils cherchaient à
acquérir une meilleure compréhension des opinions de leurs populations
respectives sur la Constitution :
- le 14 mai 1990, le Yukon mit sur pied un comité spécial sur la réforme
constitutionnelle qui tint des audiences avant de présenter son rapport en mai
1991,
- pendant l'été de 1990, l'Île-du-Prince-Édouard établit un comité
spécial qui tint des audiences et qui présenta un rapport en septembre 1991,
- en septembre 1990, le Nouveau-Brunswick institua une commission
parlementaire sur le fédéralisme canadien. Cette commission ne tint pas
d'audiences publiques, mais elle reçut des mémoires et organisa des tables
rondes ainsi que des séances à huis clos avant de faire rapport en mars 1992,
- en décembre 1990, l'Ontario institua un comité spécial qui tint des
audiences publiques avant de faire rapport en février 1992,
- en décembre 1990, le Manitoba établit un groupe de travail parlementaire
sur la Constitution qui tint des audiences publiques et fit rapport en octobre
1991,
- en mars 1991, l'Alberta mit sur pied un comité spécial sur la réforme
constitutionnelle qui tint des audiences publiques avant de présenter son
rapport en mars 1992,
- en juin 1991, un groupe de travail non législatif fut institué en
Nouvelle-Écosse. Ce groupe de travail tint des audiences avant de présenter
son rapport en novembre 1991,
- en août 1991, la Saskatchewan constitua un groupe de travail sur l'avenir
de cette province dans la Confédération. Ce groupe de travail tint des
audiences et fit rapport en février 1992,
- en septembre 1991, Terre-Neuve établit un comité constitutionnel formé
de sept députés de l'assemblée législative et de sept autres personnes. Ce
comité tint des audiences publiques, mais son rapport au Premier ministre ne
fut pas rendu public,
- en décembre 1991, un comité spécial de l'Assemblée sur la réforme
constitutionnelle fut constitué dans les Territoires du Nord-Ouest, mais il ne
présenta pas un rapport approfondi, et
- en janvier 1992, la Colombie-Britannique mit sur pied un comité spécial
sur la réforme de la Constitution qui présenta son rapport le 1er avril de la
même année après avoir tenu des audiences publiques.
La Commission Spicer
Le 1er novembre 1990, le gouvernement du Canada annonça la création d'une
commission chargée de promouvoir un dialogue entre tous les Canadiens et de
dégager un nouveau consensus sur le Canada et son avenir. Le Premier ministre
déclara alors que le consensus auquel les Canadiens étaient arrivés sur ce
qui constituait le Canada et sur l'orientation qu'il devrait prendre s'était en
grande partie dissipé et que le Canada risquait de se morceler le long des
lignes de failles linguistiques et régionales. Présidée par M. Keith Spicer,
la Commission se voulait, selon le Premier ministre, «une initiative à
l'intention des citoyens et qui devait venir des citoyens eux-mêmes» et le
processus de consultation devait être «dénué de formalités et facilement
accessible».
Le mandat de la Commission était vaste. Elle eut souvent à évoluer en
territoire inconnu, et elle ne fut pas sans connaître d'importants problèmes
d'organisation et d'autre nature. Il lui fallut faire face à un désabusement
généralisé à l'endroit des politiciens et du processus politique et à l’humeur
«de revêche» de la population, comme l’a qualifié un ancien premier
ministre de l’Ontario.
Dans son rapport, déposé le 27 juin 1991, la Commission Spicer conclut que
les Canadiens étaient déçus des politiciens élus et que les députés de
tous les partis devaient envisager de recourir à de nouvelles techniques afin
d'intensifier considérablement les consultations populaires au moment de l’élaboration
des politiques et des programmes et du règlement de résoudre des problèmes
qui touchent directement les citoyens. Bref, il préconisait l'adoption de
nouveaux processus, sans recommander la substance sur laquelle on devrait se
fonder pour orienter l'évolution constitutionnelle du Canada.
Le Comité Beaudoin-Edwards
Le gouvernement du Canada intervint également sur un deuxième front. Le 17
décembre 1990, il institua un comité mixte spécial de la Chambre des communes
et du Sénat - le Comité Beaudoin-Edwards - dont le mandat était d'examiner la
formule de modification et le processus suivant lequel devaient se faire les
changements constitutionnels. Le Comité reçut plus de 500 mémoires et
entendit 209 groupes ou particuliers pendant son périple dans chaque province
et territoire du pays avant de présenter son rapport le 20 juin 1991.
La principale recommandation du Comité Beaudoin-Edwards était que, dans le
cas des modifications maintenant assujetties au consentement du Parlement et de
deux tiers des assemblées législatives provinciales (représentant au moins
sept des provinces et 50 p. 100 de la population - la règle du 7/50), on
revienne essentiellement à la formule de Victoria de 1971, laquelle aurait
accordé des vetos individuels à l'Ontario et au Québec, mais à aucune autre
province à elle seule. Cette recommandation fut vivement dénoncée par trois
provinces, qui défendaient le principe de l'égalité des provinces. Étant
donné que tout changement à la formule de modification nécessite le
consentement unanime, il était évident que, sur une question cruciale de
processus, cette recommandation n'apporterait pas de solution.
Dans son rapport, le Comité Beaudoin-Edwards proposa par contre qu'une loi
fédérale soit adoptée pour permettre au gouvernement fédéral, à sa
discrétion, de tenir un référendum consultatif sur une proposition
constitutionnelle, soit pour confirmer l'existence d'un consensus national, soit
pour faciliter l'adoption des résolutions requises pour ratifier une
modification. Cela n'était pas incompatible avec la politique du gouvernement,
dévoilée un mois plus tôt.
Les propositions du gouvernement fédéral
Dans le Discours du Trône du 13 mai 1991, le gouvernement fédéral annonça
que le Parlement serait appelé «à légiférer pour permettre aux Canadiens et
Canadiennes de participer davantage à la réforme constitutionnelle». Deux
jours plus tard, le 15 mai 1991, le gouvernement du Québec présentait le
projet de loi 150 qui rendait obligatoire la tenue d'un référendum provincial
sur la souveraineté du Québec en juin ou en octobre 1992, comme l'avait
proposé la Commission Bélanger-Campeau. Ce projet de loi fut adopté le 20
juin 1991.
Un an plus tard, le 15 mai 1992, le gouvernement fédéral déposa son propre
projet de loi prévoyant la tenue de référendums sur la Constitution. Cette
mesure législative allait permettre la tenue d'un référendum pancanadien ou
d'un référendum dans une province ou plus. Le projet de loi C-81 fut adopté
le 22 juin 1992.
Le Québec n'était pas la seule province à avoir pris des dispositions en
vue de la tenue d'un référendum constitutionnel. En juillet 1990, la
Colombie-Britannique avait adopté le Constitutional Amendment Approval Act. En
Alberta, le Constitutional Referendum Act fut adopté en juin 1992. En juin 1992
également, Terre-Neuve modifia son Election Act afin de permettre la tenue d'un
plébiscite sur des questions constitutionnelles en même temps qu'un
plébiscite ou référendum tenu par le gouvernement du Canada.
Pour ce qui est de la substance, le gouvernement fédéral commença à
prendre d'importantes mesures au début de 1991. Le 21 avril, l’ex-premier
ministre, M. Joe Clark, fut nommé ministre responsable des Affaires
constitutionnelles et président du Comité du Cabinet chargé de l'unité
canadienne et des négociations constitutionnelles. Le Comité commença à se
réunir hebdomadairement et à tenir des rencontres dans divers centres urbains
du pays dans le but avoué d'élaborer des propositions constitutionnelles
fédérales à soumettre à la population du pays.
Le 28 septembre 1991, le gouvernement publia ses propositions de réforme
constitutionnelle dans un document intitulé Bâtir ensemble l'avenir du Canada.
Ces propositions étaient vastes et de grande portée. Elles portaient notamment
sur :
- l'identité canadienne,
- le caractère distinct du Québec,
- les peuples autochtones,
- la réforme des institutions nationales,
- l'union économique,
- la clarification du partage des pouvoirs, y compris le pouvoir de
dépenser, afin de mieux servir les Canadiens, et
- la rationalisation des services gouvernementaux.
Le gouvernement publia aussi une série de documents d'information sur les
questions constitutionnelles afin de faciliter le débat public.
Si les propositions étaient vastes et de grande portée, il y a un aspect
sous lequel elles ne l'étaient pas : seules les questions constitutionnelles
qui pouvaient être modifiées avec le consentement du Parlement et des deux
tiers des provinces représentent 50 p. 100 de la population (la règle du 7/50)
firent l'objet de propositions actives. Même si le gouvernement se montrait
disposé à envisager une action dans le cas de certaines questions
constitutionnelles qui ne pouvaient être modifiées qu’avec le consentement
unanime du Parlement et des provinces, une telle action dépendrait de la
réalisation d’un consensus tant sur la substance de la modification que sur l’opportunité
d'y aller d'une telle modification dans les propositions finales. Si les
propositions ne portaient que sur des questions soumises à la règle du 7/50 et
si les éléments de la résolution constitutionnelle définitive étaient
divisibles, on jouirait, pensait-on, d'une plus grande souplesse : il n'est pas
nécessaire d'avoir la même combinaison 7/50 pour chaque question et le danger
de créer des maillages paralysants s'en trouverait réduit.
Le Comité Beaudoin-Dobbie
Le 21 juin 1991, le Parlement avait institué un Comité mixte spécial sur
le renouvellement du Canada chargé «d'examiner, en vue de présenter des
recommandations au Parlement, les propositions relatives au renouvellement du
Canada contenues dans les documents dont pourra le saisir le gouvernement». Les
propositions de septembre furent dûment soumises au Comité - connu plus tard
sous le nom de Comité Beaudoin-Dobbie.
En novembre, pour diverses raisons, dont des problèmes de logistique, le
travail du Comité fut critiqué et à mesure qu’approchait le 28 février
1992, date d’échéance du rapport, la tension se mit à monter. On se
demandait si le Comité parviendrait à bien s'acquitter de sa tâche dans les
délais prescrits.
Les conférences nationales
Voyant cela, le gouvernement prit une initiative pour aider le Comité,
initiative qui, advenant l'impossibilité de produire un rapport, constituerait
une solution de rechange acceptable. On tiendrait donc cinq conférences
nationales de trois jours sous les auspices d'organisations ou d'instituts
indépendants :
- du 17 au 19 janvier, le Conseil économique des provinces de l'Atlantique
tint à Halifax une conférence sur la répartition des pouvoirs,
- du 24 au 26 janvier, la Fondation Canada Ouest tint à Calgary une
conférence sur des institutions nationales,
- du 31 janvier au 2 février, l'Institut C.D. Howe et l'Institut de
recherches politiques parrainèrent une conférence sur l'union économique
tenue à Montréal,
- le Niagara Institute tint une conférence à Toronto du 7 au 9 février sur
la société distincte, la clause Canada et la Charte, et
- les cinq organismes indépendants et le gouvernement fédéral se
partagèrent la responsabilité de la conférence de synthèse qui eut lieu à
Vancouver du 14 au 16 février.
Chaque conférence attira entre 200 et 260 participants. Les membres du
Comité Beaudoin-Dobbie furent invités à assister à toutes les conférences,
qui avaient lieu du vendredi au dimanche. Les organisateurs des conférences
avaient pour instruction d'assurer une représentation équilibrée des
régions, des deux langues officielles et des hommes et des femmes quand venait
le temps de choisir les participants recrutés parmi des experts et des
représentants de groupes d'intérêt. Les gouvernements fédéral, provinciaux
et territoriaux, ainsi que les peuples autochtones y avaient chacun un certain
nombre de représentants.
Il y eut cependant une innovation majeure à ces conférences. Des citoyens
«ordinaires» furent invités à participer au tirage des 50 places réservées
au grand public à chaque conférence. Les demandes de participation étaient
classées selon le choix de conférence, ainsi que par province. Les noms
étaient ensuite tirés au hasard (en assurant un équilibre régional) et les
personnes dont le nom était tiré étaient invitées à assister à la
conférence sans frais.
Les participants aux conférences étaient divisés en groupes de discussion
de 15 à 20 personnes qui faisaient ensuite rapport en séance plénière dont
les conclusions étaient résumées à la séance de clôture. Ces conférences
furent télévisées partout au pays.
Elles constituèrent un net succès sur les plans de l'organisation et de la
logistique et contribuèrent à rétablir la crédibilité du gouvernement
fédéral, ébranlée par les anicroches initiales du Comité Beaudoin-Dobbie.
Elles rehaussèrent l'image du débat constitutionnel et assurèrent une bonne
couverture publique de questions souvent complexes. La conférence de synthèse
produisit ce qu'on appela un consensus «fragile» qui incluait l'approbation de
la reconnaissance du Québec comme société distincte.
À l'automne de 1991, le gouvernement du Canada avait accepté de financer
des consultations parallèles par les quatre associations autochtones
nationales. Chacune d'elles tint des audiences ou des consultations auprès de
ses membres sur les questions constitutionnelles avant de transmettre ses
commentaires et suggestions au Comité Beaudoin-Dobbie. En outre, les
associations autochtones et le gouvernement fédéral organisèrent à Ottawa
une sixième conférence nationale sur les questions autochtones, mais cette
conférence eut lieu du 13 au 15 mars, après que le Comité Beaudoin-Dobbie eut
présenté son rapport.
Malgré les problèmes qu'il a connus au départ, le Comité Beaudoin-Dobbie
a reçu plus de 3 000 mémoires et entendu 700 témoins. Le Comité a fait des
exploits de haute voltige dans les derniers jours de son mandat, au moment où
il essayait de s’entendre sur son rapport avant l'échéance fixée pour sa
présentation. Finalement, le rapport fut adopté à l’unanimité et le
Comité parvint à respecter son délai au tout dernier moment.
À ce moment-là, les provinces avaient toutes terminé ou presque les
consultations entreprises auprès de leurs citoyens sur la question du renouveau
constitutionnel. Le gouvernement fédéral avait mené trois séries de
consultations : celles de la Commission Spicer, du Comité Beaudoin-Edwards et
du Comité Beaudoin-Dobbie. Cinq conférences nationales avaient aussi été
tenues. Quant aux peuples autochtones, ils avaient mené quatre séries de
consultations auprès de leurs commettants et ils étaient sur le point de tenir
une conférence nationale. Les deux gouvernements territoriaux avaient aussi
consulté leurs populations respectueuses.
Bref, entre l'échec de Meech, le 23 juin 1990, et le printemps de 1992, tous
les gouvernements et les associations autochtones tinrent des consultations,
mais il n'y eut pas de négociations intergouvernementales.
Comme je le soulignais plus haut, les précédents établis avant Meech ne
définissaient pas de règles précises pour la négociation fructueuse d'un
accord constitutionnel. L'Accord du lac Meech lui-même fournissait des
enseignements, mais aucune solution.
Les négociations multilatérales sur la Constitution
C'est dans ce contexte que, le 12 mars 1992, le ministre des Affaires
intergouvernementales, M. Joe Clark, lança un nouveau processus multilatéral
qui se révéla être, d'une certaine manière, l'exercice le plus généralisé
de fédéralisme exécutif élargi, étant donné que les territoires et les
peuples autochtones furent inclus comme participants à part entière dans une
ronde Canada globale. Cet exercice était cependant incomplet, car le Québec,
qui représente plus de 25 p. 100 de la population du pays, n'était pas
présent à la table. Il y avait seize délégations autour de la table, mais
une dix-septième, celle du Québec, était absente.
La Réunion multilatérale sur la Constitution regroupait des ministres
fédéraux, provinciaux et territoriaux ainsi que des représentants des quatre
associations autochtones, et elle était présidée par M. Clark. On appelait
collectivement «chefs de délégation» les membres de ce groupe de discussion.
Bien que cette réunion constituât un exercice de fédéralisme exécutif
élargi, elle donnait quand même à la presse à la fin de chaque journée de
travail des comptes rendus complets et francs des travaux de la journée :
chacun des seize membres présentait un bref exposé avant de répondre aux
questions des journalistes. On espérait ainsi donner plus de transparence au
processus et garder la population canadienne au courant de l'évolution des
dossiers. Les membres de la Réunion multilatérale sur la Constitution étaient
appuyés dans leurs travaux par le Comité permanent sur la Constitution qui
était composé de sous-ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux et de
représentants des quatre associations autochtones nationales. Quatre groupes de
travail furent aussi établis :
- le Groupe 1 était chargé de l'examen de la clause Canada - la définition
des caractéristiques fondamentales du Canada - et de la formule de
modification. Il était coprésidé par un fonctionnaire fédéral et un
fonctionnaire provincial,
- le Groupe 2 était chargé des institutions -- notamment de la question
litigieuse de savoir si les provinces devraient avoir une représentation
équitable ou égale au sein d'un nouveau Sénat élu. Ce groupe était
présidé par un fonctionnaire fédéral,
- le Groupe 3 s'occupait surtout des questions intéressant les peuples
autochtones et de leurs droits inhérents et issus de traités. Il était
coprésidé par un fonctionnaire fédéral, un fonctionnaire provincial et un
représentant autochtone, et
- le Groupe 4 qui s'intéressait à la répartition des pouvoirs, au pouvoir
de dépenser, à l'union économique et à la charte sociale, était coprésidé
par un fonctionnaire fédéral et un fonctionnaire provincial.
Les rapports des groupes de travail étaient soumis à l'approbation du
Comité permanent sur la Constitution avant d'être présentés à la Réunion
multilatérale sur la Constitution.
Il fallait que le processus multilatéral soit mené à terme à la fin du
mois de mai au plus tard pour qu'on puisse soumettre au Québec les propositions
sur lesquelles pourrait se tenir un référendum sur le fédéralisme renouvelé
plutôt que sur la souveraineté. Les travaux avançaient lentement et des
problèmes surgirent. En autres, l'exigence bien connue du Québec qu'on lui
accorde un veto constitutionnel sur la réforme des institutions était
contestée par les gouvernements qui soutenaient que l'accord constitutionnel
recherché devait forcément comprendre un Sénat égal. La série de
modifications proposée par le gouvernement fédéral en septembre 1991,
modifications qui étaient toutes assujetties à la règle du 7/50, dut céder
la place à une proposition exigeant l'unanimité et où il y avait un certain
nombre de liens entre les éléments.
La Réunion multilatérale sur la Constitution conclut ses travaux le 11 juin
1992 sans avoir réglé certaines questions, dont celles de la représentation
au Sénat. Le 7 juillet, à une rencontre des premiers ministres provinciaux, à
laquelle assistaient M. Clark, des représentants des territoires et des
représentants autochtones, on parvint à s'entendre sur une série de
propositions qui incluaient le droit inhérent des Autochtones à l'autonomie
gouvernementale, la reconnaissance du Québec comme société distincte, une
clause Canada, un Sénat égal, le droit de veto de toutes les provinces sur
toute réforme ultérieure des institutions, (sauf en ce qui concerne excepté
la création de nouvelles provinces dans les territoires) et le renforcement de
l'autorité législative des provinces.
L’Accord de Charlottetown, août
1992
Le premier ministre du Québec, M. Robert Bourassa, et le premier ministre du
Canada, M. Brian Mulroney, n’étaient pas présents à la réunion du 7
juillet et l’accord demeura provisoire. Cependant, après certaines
consultations bilatérales, le Premier ministre Bourassa conclut que l’entente
du 7 juillet englobait «l'essence» de l'Accord du lac Meech et accepta de se
joindre aux autres premiers ministres pour des discussions informelles qui
eurent lieu à la résidence d’été du Premier ministre Mulroney le 4 août
et, de nouveau, le 10 août. Les représentants des territoires et ceux des
Autochtones n'étaient pas présents à ces discussions, mais ils participèrent
pleinement à deux autres réunions des premiers ministres tenues à Ottawa puis
à Charlottetown. Le 28 août 1992, on parvint à un accord unanime sur le texte
du Rapport du consensus sur la Constitution, qu’on appela l’Accord de
Charlottetown.
Le nouvel élément particulièrement important dans l'Accord de
Charlottetown était l'entente selon laquelle la représentation des provinces
à la Chambre des communes serait rajustée afin de la rendre plus
proportionnelle à la population, comme l'exigeaient la populeuse Ontario et la
Colombie-Britannique, province en pleine croissance démographique. Cela
constituait un compromis en échange d'une représentation égale au Sénat. En
outre, le Québec se voyait garantir pour toujours au moins 25 p. 100 des
sièges à la Chambre des communes.
Les référendums du Canada et du Québec, octobre 1992
Les premiers ministres convinrent également à Charlottetown de tenir deux
référendums le 26 octobre : un qui serait tenu par le gouvernement fédéral
à la grandeur du pays, sauf au Québec, et un autre qui serait tenu uniquement
au Québec sous l'autorité du gouvernement de cette province. Aux termes de
négociations entre tous les gouvernements, il fut convenu de poser la question
suivante aux citoyens dans les deux référendums : «Acceptez-vous que la
Constitution du Canada soit renouvelée sur la base de l'entente conclue le 28
août 1992?»
En Colombie-Britannique et à Terre-Neuve, il ne fut pas nécessaire de
légiférer pour donner préséance au référendum fédéral sur celui de la
province. En Alberta, le Constitutional Referendum Act fut modifié le 22
septembre par le projet de loi 54 qui permettait le remplacement de la
législation provinciale par la législation fédérale aux fins du référendum
du 26 octobre.
Au Québec, le gouvernement présenta le 14 mai 1992, et fit adopter le 19
juin suivant le projet de loi 36 qui permettait au gouvernement provincial de
retarder jusqu'au 9 septembre le vote sur la question référendaire. Le projet
de loi 44, présenté le 3 septembre et adopté le 8, prévoyait que la question
posée au référendum provincial porterait sur l'Accord de Charlottetown et non
sur la souveraineté.
Pour des raisons d'ordre politique, les leaders convinrent entre eux que le
Oui devrait l'emporter dans toutes les provinces pour que l'Accord soit adopté,
même si ce n'était pas là une exigence de la loi.
Malgré l'accord unanime de onze premiers ministres, de deux chefs de
gouvernement territoriaux et des quatre leaders autochtones, la campagne
référendaire ne se déroula pas bien.
Afin de faciliter le débat et la compréhension des enjeux, on fit
distribuer le texte de l'Accord de Charlottetown dans tous les foyers du pays.
Lorsque les textes juridiques donnant effet à l'accord furent approuvés, le 9
octobre, on en mit des exemplaires à la disposition du public dans tous les
bureaux de poste du pays.
Il n'y a aucune raison précise qui puisse expliquer pourquoi la population
canadienne n'a pas approuvé l'Accord de Charlottetown lors du référendum,
mais on a relevé certains éléments d’explication.
Les comités du Oui étaient mal organisés au départ. On a en grande partie
présenté l'Accord comme un compromis honorable qui éviterait les
conséquences malheureuses d'un échec, plutôt que comme une vision exaltante
de l'avenir. Quant aux comités du Non, ils s'attaquaient à des éléments
particuliers d'un accord volumineux et complexe, prétendant souvent qu'il
fallait rejeter l'ensemble des propositions à cause d'un élément jugé
inacceptable. Il est probable que le sentiment que la Charte canadienne des
droits et libertés proclamée en 1982 a donné aux Canadiens d’avoir de
l'influence et une emprise sur la Constitution, a renforcé le désir de
certains groupes d'obtenir entière satisfaction sur des points précis, ce qui
a peut-être diminué l'intérêt pour l'ensemble des dispositions de l'accord
et fait oublier, en dernière analyse, la nécessité d'un compromis.
De plus, la garantie offerte au Québec de toujours avoir 25 p. 100 des
sièges aux Communes attaqua la fibre démocratique de certains milieux et
nourrit chez d'autres un sentiment anti-québécois. Par ailleurs, certains
demandèrent qu'on leur explique exactement ce qu'impliquait la notion
d'autonomie gouvernementale des Autochtones. D'autres affirmèrent que le Sénat
égal et élu avait été obtenu au prix de son efficacité. Certains
groupements féminins jugèrent que la question d'égalité des sexes n'avaient
pas été traitée de façon satisfaisante. Quant aux leaders autochtones, ils
déclarèrent ne pas avoir eu suffisamment de temps pour étudier les textes
juridiques et les évaluer convenablement.
Le chef du Reform Party, M. Preston Manning, misa sur le mécontentement des
électeurs envers les politiciens et appela cet accord négocié par 17 parties
«les propositions Mulroney». Au Québec, il y avait dès le départ une
opposition souverainiste inconditionnelle de l'ordre de 30 p. 100. Au début de
la campagne, l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée entre
deux des principaux conseillers du Premier ministre Bourassa fut rendu public.
Ceux-ci disaient de M. Bourassa qu'il avait été faible dans la phase finale
des négociations et qu'il avait accepté trop peu pour satisfaire les
intérêts du Québec. Plus tard au cours de la campagne, des documents secrets
du gouvernement québécois renforçant ces perceptions furent divulgués et
publiés dans le magasine d'information bimensuel québécois L'actualité.
La décision politique d'exiger le consentement unanime des provinces força
tous les premiers ministres à prouver que leur province était «gagnante», ce
qui a souvent été fait en essayant de marquer des points aux dépens des
autres provinces.
Les populations du Québec et de la Colombie-Britannique demeurèrent
opposées à l'Accord de Charlottetown pendant toute la campagne. D'après un
expert en sondages, la première semaine d'octobre fut décisive. Selon lui,
après l'attaque menée contre l'Accord par l'ancien premier ministre, M. Pierre
Trudeau, le 1er octobre et la publication de sondages montrant que le Québec ne
l'approuverait pas, de nombreux Canadiens se sont sentis libérés de
l'obligation de voter oui au nom de l'unité nationale. Après la première
semaine d'octobre, on enregistra une énorme baisse de 20 p. 100 des appuis et
cette désaffection pour l'Accord allait s'avérer irréversible.
Le 26 octobre, 1992, l'Accord fut rejeté par la majorité des Canadiens dans
une majorité des provinces, y compris par la majorité des Québécois et la
majorité des Indiens vivant dans des réserves. Au Québec, 56,6 p. 100 des
Québécois ont rejeté l'Accord et ailleurs au pays 54 p. 100 des Canadiens ont
également dit non. En Ontario, le Oui l'a très faiblement emporté par 49,8 p.
100 contre 49,6 p. 100 (29 000 bulletins de vote furent rejetés).
Si ce tableau semble particulièrement négatif, il serait bon de signaler
qu'en dehors du Québec, 4 500 000 Canadiens, soit plus de 45 p. 100 des
citoyens ayant voté, ont dit oui et qu'au Québec, 1 700 000 citoyens, soit
plus de 43 p. 100 de l'électorat, ont également dit oui. Plus de 37 p. 100 des
Indiens vivant dans des réserves ont voté en faveur de l'Accord.
La participation au scrutin n'a pas été aussi forte que prévu. Le taux de
participation en dehors du Québec a été de 72 p. 100, le taux le plus élevé
ayant été de 76 p. 100 en Colombie-Britannique et le taux le plus faible, de
54 p. 100 à Terre-Neuve. Au Québec, la participation au scrutin a été forte,
soit à 82,8 p. 100.
Il aurait été souhaitable pour les gouvernements d’obtenir un vote
favorable dans toutes les provinces. Ce ne fut pas le cas, mais les résultats
obtenus sont probablement ce qu'on pouvait espérer de mieux dans les
circonstances : les Québécois n'avaient pas été rejetés par le reste du
Canada, le reste du Canada n'avait pas été rejeté par le Québec et les
peuples autochtones n'avaient pas été rejetés par les non-Autochtones. Cela
contribua au climat de calme généralisé qui suivit le référendum --
contrairement à ce qui s'était passé après l'échec de l'Accord du lac
Meech.
La suite
Que peut-on dire du processus? La période allant du 23 juin 1990 au 12 mars
1992 a été marquée par les consultations les plus vastes jamais entreprises
auprès de la population canadienne. Au processus de fédéralisme exécutif
élargi amorcé le 12 mars 1992 se sont ajoutés des comptes rendus publics
donnés par tous les participants.
Une importante lacune fut l'absence du Québec de presque tout le processus
de négociation, ce qui a fait que le gouvernement québécois n'a pas
participé à l'élaboration des grandes lignes de l'Accord de Charlottetown.
Comme résultat, les arrangements auxquels on en est arrivé en août pour
ramener le Québec à la table n’ont pu être mis en relief que très tard ans
le processus.
En outre, parce qu'on avait pris trop de temps pour arriver à un accord -
initialement, le processus multilatéral devrait se terminer en mai -, le temps
dont on disposa pour expliquer l'accord et dialoguer avec les Canadiens fut
limité; le 26 octobre était une échéance fixe et on ne disposait d'aucune
marge de manoeuvre. Le référendum porta la participation publique au débat
sur la réforme constitutionnelle à son plus haut niveau de toute l'histoire
canadienne.
Le précédent créé par le référendum a-t-il ajouté un nouvel élément
au processus de modification de la Constitution canadienne et, le cas échéant,
dans quelle circonstance et à quelle étape des négociations devrait-on
envisager de tenir des référendums à l'avenir?
Une chose est claire : bien qu'on puisse tirer des leçons de l'expérience
de Charlottetown, il n'a pas laissé de règle infaillible garantissant le
succès des prochains exercices de modification de la Constitution.
Dans l'immédiat, aucune nouvelle tentative de réforme de la Constitution ne
peut être envisagée avant la prochaine élection fédérale, qui devrait avoir
lieu avant la fin de novembre 1993, et la prochaine élection au Québec, qui
devrait avoir lieu avant la fin de septembre 1994.
Présentement, les gens en ont assez du débat constitutionnel et les
gouvernements font de l'économie leur priorité immédiate. Mais le dossier
constitutionnel n'est évidemment pas clos; la quête éternelle de la
Constitution parfaite deviendra peut-être un jour la caractéristique
déterminante du Canada.
Mais si, par contre, les Canadiens voulaient en arriver à une réforme
constitutionnelle réaliste, ils auraient peut-être avantage àse rappeler,
comme l'a dit Voltaire, que «le mieux est l'ennemi du bien.»
Version révisée d'un document présenté à la Conférence de 1992 de
l'Association d'études canadiennes en Australie et en Nouvelle-Zélande,
Wellington (Nouvelle-Zélande), le 16 décembre 1992.
@ Ministre des Approvisionnements et Services Canada 1994
No de cat. CP22-52/1994
ISBN 0-662-61173-X
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