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Salle de presse

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Notes pour une allocution devant
le Canadian Club de Winnipeg

Winnipeg (Manitoba)

le 10 avril 1996


Mesdames et Messieurs, Ladies and Gentlemen,

Introduction

Le résultat du référendum du 30 octobre dernier nous a appris une leçon importante, une leçon que nous ne devons jamais oublier : il ne faut jamais tenir le Canada pour acquis.

Pour reprendre les propos du Premier ministre dans son adresse à la nation le 25 octobre : « La dissolution du Canada serait l'échec d'un rêve. [...] Le Canada n'est pas n'importe quel pays, c'est un pays unique au monde. Le meilleur. Un pays qui fait partie depuis tellement longtemps de notre paysage qu'on a fini par le prendre pour acquis. On ne devrait jamais, jamais faire ça. »

Ceux qui, parmi nous, ont foi dans le Canada ne peuvent accepter que le pays puisse un jour connaître une fin. Mais cela est pourtant possible.

Seulement 54 288 votes ont séparé le « Non » du « Oui » en octobre dernier. Imaginez qu'on remplisse le Maple Leaf Gardens ou le nouveau Centre Molson avec ceux qui ont voté « Non » sans grande conviction et qu'on demande seulement à la moitié d'entre eux de voter « Oui ».

C'est tout ce qu'il faudrait pour lancer le Canada dans des eaux troubles, inexplorées et dangereuses pour un bon bout de temps.

C'est pourquoi je remercie les membres du Canadian Club de me donner l'occasion de parler d'une chose qui nous tient tous à coeur : notre pays, le Canada.

Pourquoi le Canada?

Je crois que chacun d'entre nous doit se poser les deux questions suivantes : pourquoi est-il si important de redoubler d'efforts pour renforcer l'unité canadienne et que faisons-nous pour y parvenir?

Commençons par la première question : pourquoi le Canada?

Nous avons tous nos propres raisons de partager notre pays. C'est la diversité de nos convictions qui, en bout de ligne, nous rendra plus forts.

a) L'argument économique

L'une des raisons évidentes est l'argument économique. À mon humble avis, ce n'est pas le plus important, mais c'est là une grande et légitime préoccupation.

Bon nombre d'entre vous êtes des gens d'affaires actifs. Vous êtes très bien placés pour évaluer les répercussions considérables d'une rupture, non seulement sur l'économie du Québec mais sur celle du pays tout entier.

Il serait irrationnel de la part de la septième économie industrialisée en importance au monde, l'une des puissances économiques mondiales les plus fortes, de mettre son avenir en danger en se séparant.

Vous connaissez la force de l'union économique canadienne et vous n'en mésestimez pas le potentiel. Vous savez ce que nous avons accompli ensemble, Manitobains et Canadiens.

Vous savez que, parmi les pays du G-7, le Canada est celui qui a affiché la plus forte croissance dans le domaine de la création d'emplois et la deuxième plus forte croissance économique au cours des trente dernières années. Les Canadiens bénéficient du sixième niveau de vie au monde mesuré en terme de revenu par habitant. (Sondages économiques, OCDE, 1995).

L'union économique canadienne est une force extraordinaire qui profite à chaque province et dont la pertinence est plus qu'évidente avec la mondialisation de l'économie.

Certains soutiennent que le gouvernement du Canada devrait concentrer ses efforts uniquement sur l'économie et ignorer nos problèmes d'unité. Ils oublient que ces deux questions sont intimement liées.

De nos jours, on ne peut pas parler de l'économie canadienne sans parler du climat d'incertitude créé par la menace de sécession du Québec. Le lien entre la situation économique et le danger d'une sécession est évident. Ceux qui font des affaires ici à Winnipeg, au Québec ou ailleurs au pays ou à l'étranger savent qu'il faudrait être aveugle pour ne pas voir les conséquences négatives de la menace sécessionniste.

Poussé par l'appel pressant des gens d'affaires québécois, même M. Bouchard a dû reconnaître qu'il y a bel et bien un lien entre l'incertitude politique et l'instabilité économique. Et cette instabilité économique n'existe pas seulement au Québec, mais aussi dans l'ensemble du pays.

Il y a une limite à ce que peuvent faire le gouvernement et le secteur privé pour créer des emplois au pays dans un climat d'incertitude politique. La santé de notre économie est donc intimement liée à l'unité de notre pays.

b) L'argument non économique

L'économie est l'une des grandes raisons qui nous poussent à vouloir préserver l'unité canadienne, mais je ne crois pas que ce soit la plus importante. Ce n'est pas uniquement à cause de notre économie et de notre richesse qu'il est si important de maintenir l'unité canadienne.

Ce n'est pas parce que notre drapeau est le plus attrayant.

Ce n'est pas à cause de la beauté et de l'immensité de notre territoire.

Ce n'est pas non plus à cause de notre niveau de vie enviable, même si les Nations Unies le classent constamment parmi les plus élevés au monde.

Non, si je me considère chanceux d'être Canadien, ce n'est pas en raison de ce qui fait du Canada un pays si unique et particulier, mais plutôt parce que nous réalisons ici des idéaux humains universels.

Le Canada s'impose au monde entier comme un modèle où diverses collectivités vivent dans la tolérance, l'ouverture et l'harmonie.

Comme le Premier ministre l'a indiqué dans son discours en Chambre le 28 février, « ...nous voyons que lorsque le monde se mire dans le Canada, il aperçoit l'avenir, ou plutôt le meilleur avenir possible, l'espoir le plus solide. Ensemble, bâtissons ce modèle d'espoir et de confiance. Un modèle pour toute l'humanité. »

Nous avons bâti un pays qui reconnaît et célèbre la dualité linguistique, un pays qui reconnaît les vertus du multiculturalisme et la force de la diversité, un pays qui reconnaît la primauté des droits individuels mais aussi l'importance de protéger les minorités.

Ces valeurs universelles que le Canada s'est donné au fil des ans, le Manitoba les exprime bien. Le Manitoba est en effet un microcosme du Canada, une illustration de la force que procure la diversité canadienne. Il est la terre des Premières Nations et des Métis, des Canadiens anglophones et francophones, des descendants d'immigrants ukrainiens, allemands et d'Europe de l'Est. Évidemment, le Manitoba a eu sa part de difficultés au cours de son histoire, mais on trouve ici un sentiment d'harmonie, de solidarité et d'interdépendance qui est au coeur même de ce que cela signifie d'être Canadien.

Notre pays est trop beau pour risquer de le perdre. Malheureusement, nous, les Canadiens, nous ne sommes pas toujours conscients que nous représentons un modèle à suivre pour toute l'humanité. À cause de l'importance que nous attachons à ces idéaux universels, nous fixons la barre très haute, plus que tout autre pays.

Peu nombreux sont les pays qui débattraient aussi franchement que nous l'avons fait au cours des deux dernières années de l'équilibre fragile qui existe entre l'accroissement du commerce et la promotion du respect des droits de la personne dans le monde.

Aucun autre pays sans doute n'est aussi réticent que nous le sommes quand il s'agit de refuser le statut de réfugié à ceux qui se pressent à nos portes.

Et lorsqu'il est question de notre bonne réputation en tant que citoyens du monde, nous exigeons une conduite irréprochable de la part de ceux qui oeuvrent au sein de nos institutions diplomatiques et militaires.

Nous savons que le Canada est l'un des rares pays du monde à avoir envoyé ses troupes à l'étranger uniquement pour protéger la paix.

Peu nombreux sont les pays qui reconnaissent le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale de leurs populations indigènes. De fait, le gouvernement a lancé hier le processus de démantèlement du ministère des Affaires indiennes ici même au Manitoba.

Je ne suis pas en mesure de vous dire quelle sera l'issue de ces débats, mais je puis vous assurer que s'il y a un pays dans le monde qui peut se lancer dans des débats aussi sains, c'est bien le Canada, à cause de ces valeurs universelles qui nous tiennent à coeur.

Bien des raisons expliquent pourquoi le Canada a atteint pareil degré de tolérance et d'ouverture aux diverses cultures. Mais il en est une que je veux faire ressortir parce qu'elle nous a grandement aidés : notre dualité linguistique.

Les arrangements institutionnels et législatifs que ce fait a nécessités, à commencer par l'Acte de Québec de 1774, a fait du Canada un pays plus ouvert à la diversité sous toutes ses formes. À son tour, cette diversité nous a aidés à évoluer et à grandir et nous rend plus aptes à relever les défis de la modernité et à être des citoyens du monde.

Nous savons tous que les relations entre francophones et anglophones n'ont pas toujours été faciles chez nous.

Mais nous avons appris depuis à nous respecter mutuellement et à travailler ensemble.

La communauté franco-manitobaine est un parfait exemple de la diversité canadienne.

Gabrielle Roy est née à quelques kilomètres d'ici, à Saint-Boniface. C'est elle, une Franco-Manitobaine, qui a contribué à faire connaître les littératures canadienne-française et québécoise modernes en Europe.

Je suis convaincu que nous trouverons dans notre histoire et en nous-mêmes la volonté qui nous permettra d'accomplir notre tâche.

Notre histoire nous enseigne que la réconciliation n'est possible qu'en acceptant de faire des compromis. Nous avons eu le courage de faire certains compromis par le passé. Nous continuerons, j'en suis convaincu, à en faire d'autres pour le bien du Canada entier.

Le Canada est une réussite humaine unique. Que nous soyons Manitobains ou Québécois, que nous soyons détenteurs de quotas de lait ou d'obligations d'épargne, nous sommes des êtres humains avant tout, et nous n'avons pas le droit d'imposer au reste du monde la fin de ce rêve canadien.

La prochaine étape

Je répondrai maintenant à la deuxième question que j'ai posée il y a un moment : que devons-nous faire pour garder le Canada uni et le renforcer?

Si nous voulons que notre pays survive, nous devons faire deux choses importantes.

La première est de célébrer le Canada et ce qui fait de nous des Canadiens, comme je viens tout juste d'essayer de le faire à ma façon. Les citoyens ordinaires, tout comme les gouvernements, ont le devoir de le faire. Il est essentiel de faire connaître les diverses raisons qui nous motivent tous, citoyens comme politiciens.

La deuxième est de parvenir à un juste équilibre entre le leadership politique et la participation publique.

Nous avons besoin de leadership - d'un leadership prêt à écouter, à entendre l'opinion des gens. Les Canadiens veulent sentir qu'on sait où l'on va, mais ils veulent aussi être entendus.

Les politiciens surtout doivent agir en Canadiens d'abord et être prêts à courir des risques au nom du Canada. Je crois qu'ils doivent voir plus loin que leurs frontières provinciales, plus loin que leurs problèmes particuliers et travailler pour leurs concitoyens.

Entendez-moi bien : à eux seuls, les politiciens ne régleront pas les problèmes du Canada. Les politiciens ne sauveront pas le Canada. Mais ensemble, les Canadiens et leurs politiciens y parviendront.

De nombreux Canadiens ont entendu l'appel. Des groupes populaires qui cherchent à promouvoir l'unité se multiplient dans toutes les régions du pays. Des Canadiens de tous les milieux m'ont écrit pour me suggérer des moyens de faire progresser davantage notre pays. Je les encourage à continuer et à faire participer les autres.

Cette discussion à l'échelle nationale sera d'autant plus facilitée que je puis vous annoncer maintenant que le ministère des Affaires intergouvernementales aura son propre site Internet dès lundi prochain. Son adresse sera la suivante : http://www.aia.gc.ca. Si vous aviez des problèmes à nous contacter, demandez à vos enfants!

Le gouvernement a le devoir d'établir l'orientation du débat, et il s'est acquitté de ce devoir. Le discours du Trône énonce deux objectifs dont je veux vous parler aujourd'hui.

Le premier consiste à clarifier les rôles de tous les paliers de gouvernement, afin que la fédération puisse mieux servir ses citoyens.

Le second consiste à reconnaître le caractère différent du Québec au sein du Canada.

a) Rééquilibrer la fédération

Avant de discuter de la façon dont nous pouvons améliorer notre régime fédéral, il serait peut-être bon de se demander d'abord pourquoi ce régime est si avantageux.

Le penseur politique français Alexis de Tocqueville ne pouvait sans doute pas mieux définir le fédéralisme, en 1835, lorsqu'il disait que le régime fédéral a été créé dans « l'intention de combiner les avantages découlant de la grandeur et de la petitesse des nations ». Et cette définition s'applique très bien au Canada.

De Tocqueville faisait remarquer que les grandes nations ont de grands avantages en matière de commerce, et qu'elles jouissent d'une plus grande sécurité en temps de crise, alors que les petites sont susceptibles d'être plus démocratiques, de se doter d'institutions plus libres et de jouir d'une meilleure égalité sociale. Le fédéralisme est la meilleure méthode permettant de combiner les forces des grands et des petits pays dans un seul et même État.

Il existe une autre façon d'exprimer cette idée, à savoir l'équilibre entre deux principes : le principe de la solidarité, qui veut que le gouvernement agisse pour le bien commun de tous les citoyens et de toutes les régions, particulièrement les moins avantagés, et celui de la subsidiarité, c'est-à-dire que le gouvernement doit respecter l'autonomie des citoyens, des institutions et des gouvernements locaux.

Cet équilibre entre la solidarité et la subsidiarité -- ou l'autonomie -- signifie que les citoyens et les régions du Canada sont à la fois indépendants et interdépendants.

Au Canada, notre fédéralisme illustre de façon tangible et concrète ces idéaux de solidarité et d'autonomie.

D'une part, nous avons mis sur pied un réseau de programmes sociaux et un régime de paiements de péréquation pour que tous les citoyens jouissent d'un bien-être comparable. Nous l'avons même inscrit dans l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui oblige le gouvernement à donner la même chance à tous les Canadiens, à assurer la péréquation entre les régions et à fournir des services sociaux comparables partout au Canada. Cet engagement à l'égard de la solidarité sociale n'a son pareil nulle part ailleurs au monde.

D'autre part, la répartition constitutionnelle des pouvoirs, qui confère aux provinces des compétences exclusives dans des domaines aussi vitaux que la santé, l'éducation, les ressources naturelles et le bien-être social, illustre notre engagement à l'égard d'une grande autonomie locale. En fait, tant du point de vue des pouvoirs formels que du pouvoir de taxer et de dépenser, les provinces canadiennes sont de bien des façons plus fortes que les États américains, les Länders allemands ou même les cantons suisses. C'est là le plus haut niveau d'autonomie que l'on puisse retrouver sur terre.

Partout dans le monde, nous voyons des pays et des organismes internationaux comme l'Union européenne tenter d'établir un équilibre entre la solidarité et l'autonomie, entre l'indépendance et l'interdépendance. Le fédéralisme canadien a beaucoup à apprendre au reste du monde sur la façon d'équilibrer ces principes, et il nous aide à nous adapter aux nouveaux défis mondiaux qui exigent plus que jamais cet équilibre.

Aujourd'hui, en cette période où notre unité nationale est mise à l'épreuve, nous pouvons nous tourner vers cette expérience que nous avons de la solidarité et de l'autonomie pour faire fonctionner encore mieux la fédération canadienne en nous fondant sur ces principes.

Nous devons trouver des moyens de rendre la fédération canadienne plus harmonieuse et de réduire le nombre de litiges entre les gouvernements provinciaux et fédéral.

Et c'est exactement ce que le gouvernement propose dans son discours du Trône.

Permettez-moi maintenant d'aborder les quatre plus importantes initiatives annoncées par le gouvernement en matière d'unité.

Tout d'abord, le gouvernement fédéral a limité son pouvoir de dépenser, chose que demandaient la plupart des provinces depuis longtemps. C'est la première fois que le gouvernement fédéral offre de limiter ses pouvoirs de la sorte, hors du contexte de négociations constitutionnelles formelles. Cette mesure rendra la fédération canadienne plus harmonieuse. Nous agirons par consentement mutuel et non pas unilatéralement.

Deuxièmement, pour ce qui est des programmes existants, nous tenterons de trouver, avec l'aide des provinces, de nouveaux mécanismes coopératifs qui nous permettront également de maintenir des normes nationales. Ainsi, nous nous acquitterons de notre obligation de maintenir la solidarité tout en respectant l'autonomie des provinces. Après tout, le Manitoba n'est pas obligé de suivre le même chemin que le Québec ou l'Ontario. Chaque province doit être en mesure de décider de ses propres priorités.

Troisièmement, nous tenons à établir plus clairement les responsabilités des divers niveaux de gouvernement. Il est beaucoup plus facile de construire en fonction de l'avenir lorsqu'on sait plus précisément qui fait quoi. C'est pourquoi nous nous penchons sur les chevauchements et les dédoublements.

C'est aussi pourquoi le gouvernement fédéral se retirera des sphères d'activité qui reviennent davantage aux provinces, comme l'exploitation forestière, l'exploitation minière, les loisirs et surtout la formation de la main-d'oeuvre.

Quatrièmement, le gouvernement fédéral exercera son leadership afin de promouvoir l'union économique du Canada en favorisant une plus grande mobilité de la main-d'oeuvre et le libre-échange entre les provinces. Le Manitoba a pris des engagements fermes à l'égard de la libéralisation des échanges commerciaux entre les provinces, et le ministre Jim Downey a déjà co-présidé avec le ministre fédéral de l'Industrie, John Manley, les négociations sur l'Accord de libre-échange interprovincial.

Grâce à toutes ces initiatives, non seulement pourrons-nous renforcer la solidarité canadienne, mais nous accroîtrons aussi la grande autonomie dont jouissent déjà les provinces.

Cela permettra à nos gouvernements de mieux servir les Canadiens et de leur donner d'autres raisons de rester au Canada.

Outre les mesures visant à accroître l'efficacité et l'harmonie de la fédération pour le bien de tous les Canadiens, nous savons que les Québécois ont des préoccupations particulières que nous devons aborder en matière de langue et de culture, ce qui m'amène à vous parler d'une autre initiative annoncée dans le discours du Trône, soit la reconnaissance du caractère différent du Québec au sein du Canada.

b) La reconnaissance du caractère différent du Québec

Le premier ministre Filmon a déjà fait part de son appui à la reconnaissance officielle du caractère distinct du Québec, le 2 novembre dernier, et je le cite : « Nous avons appuyé l'adoption de la disposition sur le caractère distinct dans le cadre de l'Accord de Charlottetown [...], et je crois que dans ce contexte, le Manitoba l'appuie encore » (traduction, CBC Newsworld, Politique, 17h). Mais nous savons tous que cette notion de société distincte n'a pas la faveur de tous les Canadiens.

D'innombrables sondages nous disent que l'adoption d'une disposition constitutionnelle reconnaissant le caractère distinct du Québec n'obtient pas la faveur populaire à l'extérieur de cette province, particulièrement dans l'Ouest.

De nombreux Québécois voient dans ces résultats un rejet de leur différence par le reste du Canada. Cette impression de rejet incite fortement nombre d'entre eux à appuyer la cause séparatiste.

Mais en vérité, la majorité des Canadiens à l'extérieur du Québec sont disposés à reconnaître et à accepter l'unicité du Québec au sein du Canada.

En effet, un récent sondage CROP/Environics effectué pour le compte de CBC/SRC montre que 84 % des Canadiens de l'extérieur du Québec considèrent cette province comme un élément essentiel de l'identité canadienne (mars 1996).

Les Canadiens reconnaissent que le Québec est différent, mais ils entretiennent des doutes sur les répercussions juridiques de la reconnaissance constitutionnelle.

Il est donc très important d'expliquer ce que la reconnaissance formelle du caractère distinct du Québec au sein du Canada peut avoir et ne pas avoir comme incidence.

Cela voudrait dire que dans les zones grises de la Constitution, dans les domaines où il faut interpréter les règles, la Cour suprême tiendrait compte du fait que le Québec est différent dans des domaines comme la langue, la culture et le droit civil.

Ce serait une clarification utile, mais qui ne modifierait en rien le partage des pouvoirs prévu par la Constitution. Elle ne donnerait pas au Québec de statut spécial ni de privilèges particuliers.

Toutes les provinces canadiennes sont évidemment distinctes les unes des autres. Chacune a son histoire, ses symboles et ses institutions. Mais le Québec se distingue d'une façon si fondamentale qu'il faut lui accorder une attention spécifique, qu'il faudrait reconnaître ce fait.

La reconnaissance du Québec n'est pas un outil destiné à modifier l'équilibre des pouvoirs, ni à changer la nature même du Canada. En fait, je crois qu'elle nous aidera à définir davantage la nature même du Canada.

D'autres démocraties multilingues, comme la Suisse et la Belgique, disposent de ce genre d'arrangements permettant à la minorité linguistique de se sentir plus en sécurité et de contribuer de façon plus positive à la vie du pays.

Il est évident que la langue est un élément capital de l'ensemble d'une société. Il suffit de comparer la mobilité interprovinciale des Québécois francophones à celle des autres Canadiens pour s'en rendre compte. 88 % des Québécois sont nés au Québec. On peut comparer cette situation à celle du Manitoba, dont 73 % de la population est née dans cette province, et de l'Ontario, où le pourcentage tombe à 64 %. D'année en année, le Québec a toujours le taux de migration interprovinciale le plus bas.

Imaginez un instant que vous deviez déménager votre famille à Chicoutimi, qui compte 99 % de francophones. Imaginez ce que cela représenterait pour l'éducation des enfants, ou pour faire connaissance et communiquer avec vos nouveaux voisins, ou encore pour nouer de nouvelles amitiés et vous intégrer à votre nouvelle collectivité.

Cela serait certainement plus exigeant que de déménager à Medicine Hat.

Imaginez aussi comment vous vous sentiriez si le Manitoba était la seule collectivité d'expression anglaise dans une Amérique du Nord francophone et si la langue internationale des affaires et des médias était le français. Ne souhaiteriez-vous pas, à tout le moins, une simple reconnaissance de l'identité anglophone du Manitoba de la part du reste du Canada?

La reconnaissance du caractère distinct du Québec constituerait un bel exemple des valeurs d'ouverture et de tolérance qui nous sont si chères à nous Canadiens. Elle donnera au Québec la confiance dont il a besoin pour faire sa part de façon pleine et entière et avec enthousiasme dans la fédération.

Je suis convaincu que les Canadiens sont prêts à reconnaître dans leur coeur ce que leur dicte déjà leur raison - que le Québec a été et restera au sein du Canada une société francophone vivante.

Conclusion

La réconciliation et la solidarité doivent nous guider dans notre quête d'un Canada fort, moderne et uni. Nous ne devons pas croire que notre pays est une entité qui va de soi.

Nous pouvons apporter les changements nécessaires pour faire du Canada un pays encore meilleur, un pays où tous les Canadiens se sentent chez eux, d'un océan à l'autre, et nous le ferons.

Nous n'avons pas le droit d'échouer. Car si nous échouons, ce sera, pour nos enfants et le reste du monde, la fin du rêve canadien.


L'allocution prononcée fait foi.
 


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Mise à jour : 1996-04-10  Avis importants