Notes pour une allocution
à la chambre des communes
Journée d'opposition
Ottawa
le 16 mai 1996
Monsieur le Président,
Avoir l'honneur d'être l'élu des citoyens de St-Laurent/Cartierville est on
ne peut plus approprié pour ce que je vais dire dans mon premier discours
prononcé à la Chambre des communes. Je ne remercierai jamais assez les
électeurs de St-Laurent/Cartierville de m'avoir choisi comme député. Cette
communauté plurielle et harmonieuse rassemblant plus de 50 nationalités tout
à fait intégrées à la société québécoise entend demeurer de plein droit
dans le Canada.
Ce que je vais dire, je le dédie à tous ces jeunes que j'ai rencontrés
lors de ma campagne électorale de mars dernier. S'exprimant à la fois en
français, en anglais et souvent dans une ou deux autres langues,
merveilleusement outillés pour le siècle à venir, c'est avec tristesse que
ces jeunes me disaient douter que leur avenir soit à St-Laurent et à Montréal.
Ces jeunes appartiennent à Montréal et à sa région, c'est là leur chez-eux,
et plutôt que de le quitter, il leur appartient de convaincre leurs concitoyens
québécois que les appartenances plurielles sont une richesse et non une
contradiction. Il leur appartient de convaincre leurs concitoyens des autres
provinces que reconnaître le Québec dans sa spécificité n'est pas une menace
à l'unité canadienne mais au contraire une très belle façon de célébrer
une caractéristique fondamentale du Canada.
Mon premier discours aura pour thème la démocratie. L'Opposition officielle
nous y invite en ce 16 mai 1996 par le dépôt de la motion suivante :
« Que la Chambre fasse sienne la déclaration du Premier ministre du
Canada qui affirmait en 1985, dans La fosse aux lions "si nous
perdons, nous respecterons le voeu des Québécois et nous accepterons la
séparation" ».
Monsieur le Président, cette citation est mal datée par l'Opposition
officielle. Elle remonte à 1970 et a été reprise dans le livre de monsieur
Chrétien en 1985. Dans le même passage, l'actuel Premier ministre a aussi dit :
« Nous parions sur la démocratie, nous convaincrons les gens qu'ils
doivent rester dans le Canada. Et nous gagnerons ».
« Parier sur la démocratie » nous invite à réfléchir sur elle
et à méditer sur l'enseignement des classiques. Commençons par le grand
prophète de la démocratie, Alexis de Tocqueville :
« Je considère comme injuste et impie cette maxime, qui veut qu'en
matière de gouvernement, la majorité d'un peuple a le droit de tout
faire ».
Monsieur le Président, le principe que Tocqueville énonce veut que la
démocratie ne saurait se limiter à la règle de la majorité car elle inclut
aussi les droits des minorités et de la plus minoritaire d'entre elles,
l'individu, le citoyen en chair et en os.
Le deuxième classique que j'appelle à la barre est Jean-Jacques Rousseau.
« [...] plus les délibérations sont importantes et graves, plus
l'avis qui l'emporte doit approcher de l'unanimité ».
Ce que Rousseau énonce ici n'est bien sûr pas la règle d'unanimité qui
évidemment est impraticable. Ce que Rousseau nous enseigne c'est que plus une
décision met en cause les droits des citoyens, plus elle est irréversible et
engage les générations futures, plus la démocratie doit être exigeante quant
à la procédure requise pour l'adoption de cette décision.
J'en arrive maintenant à cette belle citation de Montesquieu, qui rattache
intimement la démocratie à la solidarité universelle :
« Si je savais une chose utile à ma nation qui fût ruineuse à une
autre, je ne la proposerais pas à mon prince, parce que je suis nécessairement
homme, et que je ne suis Français que par hasard ».
Tocqueville, Rousseau, Montesquieu, avec ces trois auteurs français on ne
m'accusera pas de m'éloigner de la tradition francophone. Mais en fait, les
principes qu'ils énoncent tous les trois sont universels et ont guidé les
démocraties constitutionnelles dans l'établissement de leurs règles de droit.
C'est en vertu de ces principes que la démocratie a pour composante nécessaire
la primauté du droit.
Appliquons ces principes à l'enjeu qui nous déchire au Canada, celui de la
sécession. La sécession se définit par un bris de solidarité entre
concitoyens. C'est pourquoi le droit international, dans sa grande sagesse,
n'étend le droit à l'autodétermination dans sa forme extrême, c'est-à-dire
à la sécession, qu'aux situations où la rupture de solidarité apparaît de
facto comme une réalité incontestable.
Citons, à cet effet, les 5 experts qui ont témoigné devant la Commission
Bélanger-Campeau :
« au plan juridique, l'accession éventuelle à la souveraineté du
Québec ne peut être fondée sur le principe de l'égalité de droit des
peuples et leur droit à disposer d'eux-mêmes qui n'entraîne vocation à
l'indépendance que pour les peuples coloniaux ou pour ceux dont le territoire
fait l'objet d'une occupation étrangère ».
Les sécessions qui se sont produites à ce jour sont toujours nées de la
décolonisation ou de la période trouble qui suit la dislocation d'empires
autoritaires. Ce n'est pas un hasard si jamais une démocratie bien établie,
ayant expérimenté au moins dix années consécutives de suffrage universel,
n'a connu de sécession. Une telle rupture de solidarité apparaît bien
difficile à justifier en démocratie.
Le droit international et la démocratie invitent les citoyens à rester
ensemble et non pas à rompre. La démocratie suppose qu'on ne peut retenir une
population contre son gré, mais elle a aussi des règles exigeantes, qui, dans
le respect du droit, maximisent les garanties de justice pour tout le monde.
C'est ce que nous enseignent les pays qui ont un régime démocratique stable
et qui ont connu une rupture apparentée à la sécession. On étudiera avec
profit la procédure par laquelle la belle démocratie suisse est parvenue, dans
la justice pour tout le monde, à détacher le Jura du canton de Berne. On
pourra aussi considérer comment les États-Unis d'Amérique envisagent de
consulter les Portoricains sur leur avenir politique. Ou plus près de nous, on
pourra prendre en compte la façon dont le Canada s'y est récemment pris pour
scinder en toute justice le territoire du Nord.
C'est maintenant, dans le calme et non pas à deux semaines d'un
référendum, qu'il nous faut établir, dans le respect du droit, les règles de
sécession mutuellement acceptables. Le gouvernement du Canada ne nie aucunement
le droit des Québécois de ne plus faire partie du Canada si telle devait être
leur décision clairement exprimée. Le gouvernement du Canada récuse la
prétention du gouvernement du Québec qui entend fixer seul et changer à
volonté la procédure par laquelle doit s'exprimer ce droit. Une déclaration
unilatérale d'indépendance serait contraire à la primauté du droit et à la
démocratie.
La grande inconnue est de savoir si les leaders sécessionnistes seront
capables de s'engager dans une discussion calme, pondérée et raisonnée. Les
grossièretés que nous avons entendues récemment de la bouche du Premier
ministre du Québec, qui compare le Canada à une prison, ou du ministre des
Finances du Québec, qui compare le gouvernement canadien aux anciens
gouvernements communistes totalitaires, sont une insulte à la mémoire des
Allemands de l'Est et des Coréens du Nord qui, eux, ont perdu la vie en tentant
de fuir des prisons totalitaires. Les leaders indépendantistes doivent se
ressaisir et tenir un discours responsable. Ou alors, qu'ils se préparent à
qualifier de prisons toutes les démocraties constitutionnelles; qu'ils
qualifient de prison l'entité sécessionniste en laquelle ils entendent
transformer le Québec et dont ils considèrent le territoire comme indivisible
et sacré.
Avec des règles mutuellement consenties, les Québécois pourraient
contempler dans toute sa clarté l'argumentation par laquelle les leaders
sécessionnistes cherchent à les convaincre de rompre leurs liens de
solidarité avec leurs concitoyens des Maritimes, de l'Ontario et de l'Ouest
canadien.
C'est ma conviction que cette argumentation sécessionniste apparaîtra aux
Québécois alors bien pauvre. La sécession ne pourrait être justifiée par un
contexte d'exploitation; en effet, la fédération canadienne est au contraire
l'une des plus généreuses qui soient pour ses régions moins fortunées.
La sécession ne saurait être justifiée par l'absence d'auto-détermination
car on aurait du mal à trouver ailleurs dans le monde une entité fédérale
disposant de plus d'autonomie que le Québec dans la fédération canadienne.
Le seul argument que les leaders sécessionnistes pourraient avancer est que
les Québécois, selon plusieurs critères admis, pourraient être considérés
comme un peuple et que tout peuple doit disposer de son État. Cette croyance
qui veut que toute population ayant des caractéristiques différentes doit
avoir son État est terriblement fausse.
L'équation erronée « un peuple, un pays » ferait exploser la
planète. Les experts évaluent à environ trois mille le nombre de groupes
humains qui se reconnaissent une identité collective. Il n'y a pas deux cents
États dans le monde.
Les Québécois et les autres Canadiens ne sauraient trop méditer sur cette
belle déclaration du Secrétaire général des Nations Unies :
« Il reste que si chacun des groupes ethniques, religieux ou
linguistiques prétendait au statut d'État la fragmentation ne connaîtrait
plus de limite, et la paix, la sécurité et le progrès économique pour tous
deviendraient toujours plus difficiles à assurer ».
Le Canada est le dernier endroit au monde où il faudrait laisser triompher
la fragmentation identitaire. Notre pays symbolise, mieux que tout autre, aux
yeux du monde, l'idéal d'une cohabitation harmonieuse de populations
différentes au sein d'un même État. Écoutons à cet effet le Président
Clinton :
« Dans un monde assombri par les conflits ethniques, qui déchirent
littéralement des pays, le Canada constitue pour nous tous un pays modèle, où
des gens de cultures diverses vivent et travaillent ensemble dans la paix, la
prospérité et la compréhension. Le Canada a montré au monde comment trouver
un juste équilibre entre la liberté et la compassion ».
Bien d'autres que le Président Clinton ont exprimé la même idée sur le
Canada. Je me contenterai d'une autre citation :
« Le Canada est une terre promise et les Canadiens sont un peuple
rempli d'espoir. C'est un pays bien connu pour sa générosité d'esprit et la
tolérance s'y exprime en trait de caractère national. Une société où chaque
citoyen et chaque groupe peut s'affirmer, s'exprimer et réaliser ses
aspirations. »
Ces paroles si vraies qui auraient pu venir de sir Wilfrid Laurier ou de
Pierre Trudeau ont été prononcées le 1er juillet 1988, par le Secrétaire
d'État de l'époque, l'honorable Lucien Bouchard.
La priorité du gouvernement du Canada est d'aider les Québécois et les
autres Canadiens à se réconcilier. Ils doivent se parler, multiplier les
échanges, dissiper les malentendus, améliorer la marche de leur fédération
et célébrer la belle spécificité québécoise au sein du Canada. Ils doivent
se réconcilier ensemble, non seulement parce qu'ils sont concitoyens mais aussi
parce qu'ils sont habitants de cette pauvre planète. Parions sur la
démocratie.
En conséquence, Monsieur le Président, advenant que la modification du
député de Berthier-Montcalm soit jugée irrecevable, je propose, appuyé par
le député de Simcoe-Nord, que les mots « en 1985 » soient
retranchés et remplacés par ce qui suit : « durant les années
1970, et tel que rapporté en 1985 à la page 140 de son livre Dans la fosse aux
lions : "Nous parions sur la démocratie, nous convaincrons les gens
qu'ils doivent rester dans le Canada et nous gagnerons".
L'allocution prononcée fait foi.
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