« La qualité du service public dans le Canada
d'aujourd'hui et de demain »
Notes pour une allocution devant
l'Institut d'administration publique du Canada
(Congrès national - IAPC 96)
Victoria (Colombie-Britannique)
le 28 août 1996
Membre de votre association depuis mes études de maîtrise, j'ai eu l'honneur
de publier quatre articles dans le journal Administration publique du Canada.
J'ai préparé les présentations pour vos congrès nationaux, mais sans avoir
jamais eu le plaisir d'y assister en personne. C'est que je n'ai jamais pu
trouver les fonds nécessaires. Les présentations ont donc été faites par mes
collègues James Iain Gow, de l'Université de Montréal, et Jacques Bourgault,
de l'Université du Québec à Montréal.
Qui sait, peut-être qu'une de mes motivations inconscientes pour me lancer
en politique était de venir ici en tant que votre invité et d'avoir ainsi le
plaisir de discuter directement avec mes collègues du monde de l'administration
publique.
C'est pourquoi je me réjouis de pouvoir enfin vous rencontrer, d'autant plus
que cela se passe ici, dans la pittoresque capitale de la Colombie-Britannique.
Je suis particulièrement heureux de m'adresser à un parterre
d'administrateurs publics et de spécialistes de l'administration publique,
parce que je crois fortement que les institutions publiques jouent un rôle
important dans la bonne marche des sociétés; c'est vrai aujourd'hui, et ça
sera tout aussi vrai pour le prochain siècle.
On a tendance à croire que les institutions publiques comptent de moins en
moins, que les marchés sont tout-puissants. Je suis convaincu que c'est faux
et, pour vous donner un exemple concret, je vous dirai que les frontières
nationales ont encore une grande importance, en dépit des forces du marché
international. Le fait d'appartenir à un même pays facilite de beaucoup les
échanges commerciaux et le fonctionnement des marchés. Cela était vrai hier
et ça le restera demain, malgré la tendance à la globalisation des marchés.
Je citerai à cet effet l'étude de John Helliwell, de l'Université de
Colombie-Britannique. Il a posé la question suivante à des Canadiens :
« Si on neutralise les effets liés à la distance et à la taille,
pensez-vous que les provinces canadiennes commercent plus entre elles qu'avec
les États américains? » Moins? Et de combien? Un grand nombre semblaient
croire que le volume d'échanges était à peu près le même dans les deux cas.
Beaucoup croyaient que les provinces commerçaient davantage avec les États
américains qu'avec les autres provinces canadiennes.
Eh bien, l'étude en question démontre que si on neutralisait les effets de
la taille et de la distance, on constatait en 1990 - dernières données
disponibles - qu'il y avait 20 fois plus d'échanges commerciaux entre les
provinces canadiennes qu'entre le Canada et les États américains. Les effets
du libre-échange et de l'ALENA ont peut-être réduit quelque peu la marge
aujourd hui, mais l'union politique canadienne augmente de façon significative
le degré d'intégration économique canadienne.
Pourquoi les frontières sont-elles encore importantes dans un marché
global? Parce qu'au sein d'un pays, nous partageons des institutions publiques
communes : un système bancaire intégré, une seule monnaie, un cadre
juridique commun et des relations bien établies entre les provinces, les
entreprises et les gens. Et nous avons quelque chose qui s'appelle la
solidarité nationale. Le marché commun canadien fonctionne en grande partie
grâce à notre union politique et sociale commune.
Personnellement, j'ai voulu étudier l'administration publique comme
professeur de science politique parce que la compréhension de la théorie
politique et les questions plus globales passent par la compréhension de
l'État. Et l'État n'est pas une idée abstraite, c'est un ensemble
d'institutions, des gens en chair et en os qui pensent, qui travaillent; il faut
les comprendre et il faut les connaître. Mon modèle est Alexis de Tocqueville,
ce grand penseur libéral qui a été, aussi, un grand serviteur de l'État.
Je vais donc vous parler des institutions publiques que nous partageons et
qui forment notre fédéralisme. Le sujet ne peut être plus pertinent au
lendemain de la conférence des premiers ministres provinciaux, à Jasper, où
il a été abondamment question des institutions publiques. Les premiers
ministres provinciaux ont fait un travail remarquable en poursuivant les
initiatives lancées par le Premier ministre Jean Chrétien lors du discours du
Trône de février dernier et lors de la conférence des premiers ministres de
juin dernier.
Les premiers ministres provinciaux ont posé les bonnes questions, notamment
en ce qui concerne le maintien et l'amélioration de la qualité des services
que les gens reçoivent de leurs gouvernements, en particulier dans les domaines
de la santé et des services sociaux. Nous voulons travailler avec les provinces
pour trouver les bonnes réponses.
Et je sais que vous nous aiderez à trouver ces réponses, puisque le service
public est au coeur de votre expertise et de votre expérience. Peu importe que
les solutions que vous proposez soient controversées ou critiquables :
l'important c'est qu'elles nourrissent la réflexion. C'est en ce sens que je
voudrais réitérer ce que le premier ministre Harris a dit du travail du
professeur Tom Courchene, notre collègue de l'université Queens - et je
cite : "I think it is a very sound intellectual piece that will
provoke discussion over the next year" - fin de la citation.
Ce que Courchene, Harris, Klein, Chrétien, Clark, nous tous recherchons,
c'est un meilleur service à la population, et c'est cette valeur qui doit nous
guider. C'est par elle que nous améliorerons notre fédération et en
préserverons l'unité.
Ma présentation, aujourd'hui, se divise en trois parties. En premier lieu,
je me propose de vous expliquer la perspective dans laquelle je crois que l'on
peut mieux comprendre la nature du fédéralisme canadien. En deuxième lieu, et
toujours dans cette même perspective, je poserai un diagnostic sur l'état de
notre fédération. En troisième lieu, je proposerai des moyens possibles pour
améliorer et renforcer notre fédération. Diagnostic
Trop souvent, nos débats constitutionnels fédéraux-provinciaux se
concentrent sur des abstractions symboliques et non sur les réalités
quotidiennes des citoyens. Je prétends que la meilleure perspective dans
laquelle il faut aborder les enjeux de l'unité nationale, c'est de l'envisager
sous l'angle du service au public.
Le service public doit être notre mot d'ordre. Si tous les Canadiens
s'arrêtaient aux avantages des services au public que nous procure cette
fédération, je suis persuadé que personne ne parlerait de briser notre pays.
Pourvoir des services publics efficaces signifie reconnaître certains
principes de base à l'action gouvernementale et requiert souvent une recherche
de l'équilibre entre des valeurs qui se font concurrence. Je voudrais discuter
ici de deux équilibres que le gouvernement doit s'efforcer d'atteindre :
d'une part l'équilibre entre la reconnaissance de l'égalité et de la
diversité, et, d'autre part, l'équilibre entre la solidarité et la
subsidiarité.
Prenons quelques exemples. Le gouvernement fédéral verse des montants de
péréquation à certaines provinces et pas à d'autres. Cela ne veut pas dire
pour autant que l'on crée une inégalité entre les provinces; cela veut dire
que l'on s'assure que tous les citoyens ont accès à des services comparables
peu importe dans quelle partie du Canada ils vivent.
Lorsque le gouvernement fédéral travaille avec celui de
Colombie-Britannique pour soutenir les communautés côtières et les pêcheurs
licenciés à cause de la baisse des stocks de saumons, il ne suit pas
nécessairement le même modèle que celui qu'il utilise pour compenser les
fermiers de la Saskatchewan lorsque les récoltes sont mauvaises; parce que les
contextes sont différents. Les gouvernements doivent reconnaître que tous les
citoyens sont égaux, mais ils doivent aussi répondre à une diversité de
besoins et de circonstances.
Égalité de traitement ne signifie pas uniformité de traitement. Le service
public sombre dans la médiocrité lorsque l'on confond égalité et
uniformité. Nous ne voudrions pas que nos lits soient conçus par Procruste!
C'est le même principe qui est à la base d'une question controversée,
celui de la reconnaissance de la différence linguistique et culturelle du
Québec comme une caractéristique fondamentale du Canada. Il répond à un
besoin et à une circonstance uniques, sans pour autant brimer l'égalité des
provinces ou des citoyens.
Autre équilibre important : celui entre les principes de solidarité et
de subsidiarité. La solidarité, soit le sens du bien commun et de la
compassion à l'égard de nos concitoyennes et de nos concitoyens, nous permet
d'agir ensemble, en commun, d'unir nos forces.
La subsidiarité, soit le principe d'autonomie locale et d'autonomie
gouvernementale, nous permet de nous appuyer sur les forces locales, sur
l'adaptation aux besoins de chaque région, de chaque province du pays.
Les gouvernements doivent trouver l'équilibre entre ces principes qui se
font concurrence -- égalité et diversité, solidarité et subsidiarité -- si
nous voulons être efficaces et offrir les meilleurs services publics possibles
aux citoyens.
Il est trop facile de perdre de vue cet équilibre des principes et cette
perspective de la prestation des services, et de commencer à regarder les
relations fédérales-provinciales comme un jeu à somme nulle. La concentration
ou la dévolution du pouvoir gouvernemental est souvent considérée non pas du
point de vue des bénéfices qu'en retirent les usagers des services,
c'est-à-dire les citoyens, mais selon qu'il s'agit d'un « gain » ou
d'une « perte » pour l'un ou l'autre ordre de gouvernement.
Une erreur à éviter serait de perdre de vue la valeur de service public
pour ne plus considérer la marche de notre fédération que comme une joute de
pouvoirs. Vous avez sans doute lu, comme moi, des sommes d'articles qui ne
dissertent sur la répartition des responsabilités fédérales et provinciales
que sous l'angle de qui reçoit quoi, sans jamais consacrer ne serait-ce qu'un
paragraphe, une phrase, une ligne, à la dimension de service public. Ce sont
pourtant la santé, la sécurité, le bien-être des citoyens qui sont en cause.
Ainsi, au Québec, trop de penseurs et de politiciens prennent fait et cause
pour le gouvernement du Québec et identifient sans précaution le gonflement de
ses pouvoirs aux intérêts des citoyens québécois. Ils laissent la
conformité aux dites « demandes traditionnelles du Québec »
monopoliser leur esprit dès qu'est abordée la question de la répartition des
rôles entre Ottawa et Québec. Ils perdent totalement de vue la valeur de
service public.
Les fameuses « demandes traditionnelles » sont la référence
obligée, un impératif, un réflexe conditionné qui tient lieu de
raisonnement. Tous ceux qui osent déroger aux « demandes
traditionnelles » en suggérant un rôle moins étriqué pour Ottawa sont
trop souvent accusés d'avoir une attitude paternaliste, arrogante et
méprisante envers les Québécois.
J'ai toujours déploré cette façon de penser. La vérité, à mon sens,
c'est que le gouvernement fédéral est aussi le gouvernement des Québécois,
qui y apportent leur culture et leurs talents. Leur gouvernement fédéral ne
peut les servir qu'en exerçant les responsabilités qui sont les siennes.
Dans les autres provinces, on observe aussi un penchant provincialiste; mais
il y a aussi une autre erreur, celle d'une forme déplacée de nationalisme
canadien qui, dans ce cas, n'est qu'un réflexe conditionné en faveur du
pouvoir fédéral. On associe les intérêts du Canada à l'augmentation des
responsabilités du gouvernement fédéral et on lui demande d'être actif dans
tous les domaines. Sans l'omniprésence fédérale, croit-on, l'identité
canadienne serait menacée et le pays se désagrégerait.
Je crois au contraire que le fait que nous soyons une fédération, que les
gens de Terre-Neuve et de la Colombie-Britannique puissent être Canadiens
chacun à leur façon est une des forces du Canada. En laissant chaque province
inventer des solutions adaptées à ses besoins, on grandit le Canada. Nous
savons tous comment la Saskatchewan a inspiré tout le Canada en lançant
l'assurance-maladie.
Il ne s'agit pas de créer dix républiques égoïstes, ni de confondre un
Canada fort avec un gouvernement fédéral omniprésent; il s'agit plutôt de
trouver le juste équilibre entre notre égalité et notre diversité, entre la
solidarité et la subsidiarité. Et s'il y a un pays qui a besoin de cet
équilibre, c'est bien le Canada en raison de son territoire gigantesque et
diversifié.
L'état de notre fédération
Selon les principes que je viens d'énoncer, pouvons-nous dire que notre
fédération fonctionne bien du point de vue du service public? J'en ai déjà
parlé longuement dans d'autres discours, donc je vais être assez bref
là-dessus.
Vous connaissez les indicateurs socio-économiques et humains qui montrent
que le Canada est un succès. Bien sûr qu'on a des problèmes, il ne faut pas
se le cacher. Mais, comparativement à d'autres pays industrialisés, on s'en
sort plutôt honorablement. Année après année, l'ONU classe le Canada au tout
premier rang pour sa qualité de vie; nous nous classons aussi au cinquième
rang des pays industrialisés en termes de revenu par habitant; le Canada est
aussi le pays qui, parmi les pays du G-7, a affiché la deuxième plus forte
croissance économique entre 1960 et 1990; et depuis les trois dernières
années, notre taux d'inflation est le deuxième plus bas des pays du G-7.
Le Canada est un pays qui se compare relativement bien à ses pairs du club
des pays riches. Mais nous devons faire encore mieux. On a trop de chômage,
trop de pauvreté, particulièrement chez les enfants. Nous n'avons pas de quoi
être fiers, en tant qu'un des pays les plus riches, de nous classer parmi les
pires des pays de l'OCDE en termes de pauvreté chez les enfants.
Pour améliorer le Canada, nous ne devons pas critiquer ses structures
fondamentales; nous devons plutôt nous appuyer sur ses forces. Et l'une de ces
forces est d'être une fédération, parce que les fédérations se comparent
avantageusement aux pays unitaires. Ce n'est pas un hasard si quatre des cinq
pays les plus riches au monde - le Canada, les États-unis, l'Allemagne et la
Suisse - sont des fédérations. C'est précisément parce que les fédérations
sont bien placées pour atteindre l'équilibre entre la solidarité et la
subsidiarité qu'elles s'en sortent si bien.
Et si on regarde l'équilibre canadien, on constate à la fois une forte
subsidiarité - puisqu'il s'agit de la fédération la plus décentralisée avec
la Suisse - et une forte solidarité : le Canada est une fédération très
généreuse. On ne retrouve pas dans aucun autre pays fédératif un mécanisme
de péréquation aussi développé que le nôtre, ni un enchâssement
constitutionnel qui reconnaît à tous les citoyens du pays, où qu'ils soient,
le droit à des services comparables.
Pour améliorer notre fédération, nous devons nous appuyer sur cet
équilibre. Ce qui m'amène à la troisième partie de mon exposé : nous
savons dans quel état est notre fédération; voyons maintenant comment nous
pouvons l'améliorer.
C'est ici qu'interviennent les initiatives proposées dans le discours du
Trône de février dernier et discutées lors de la conférence
fédérale-provinciale des premiers ministres de juin et à la conférence des
premiers ministres provinciaux des 21 au 23 août à Jasper.
Pour illustrer la façon dont le gouvernement fédéral envisage le
changement, je m'en tiendrai à quelques dossiers-clés : la main-d'oeuvre,
la santé, les forêts, et les pêches puisque nous avons l'honneur d'être en
Colombie-Britannique.
Et je conclurai, parce que je serai sans doute au bout de mon temps à ce
moment-là; mais je pourrais vous donner bien d'autres exemples.
La formation de la main-d'oeuvre
Je commence par la formation de la main-d'oeuvre. C'est un secteur important
parce que les spécialistes nous disent que les pays comme le Canada ne
maintiendront leur avantage concurrentiel que s'ils peuvent compter sur une
main-d'oeuvre hautement qualifiée. Il y a maintenant tellement de pays qui
offrent de la main-d'oeuvre à bon marché que si l'on veut se donner les moyens
de rester concurrentiels avec les salaires que notre main-d'oeuvre demande, il
faut que cette main-d'oeuvre soit vraiment bien formée.
Historiquement, le gouvernement fédéral s'est impliqué dans ce secteur
pour des raisons bien légitimes. Étant responsable, au plan constitutionnel,
de l'Assurance-chômage, il a mis en place des programmes destinés à aider les
travailleurs à sortir du cycle du chômage. Certains de ces programmes,
cependant, étaient semblables aux programmes de formation sectorielle offerts
par les provinces en vertu de leur responsabilité à l'égard de l'éducation.
Le gouvernement a donc maintenant pris des mesures pour éliminer tout conflit
ou tout chevauchement. Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir ce problème.
La formation de la main-d'oeuvre est un secteur que les gouvernements
délaissaient; et, subitement ils ont tous voulu s'y impliquer, ce qui a donné
une impression de fouillis et de chevauchement. Par exemple, il y a
présentement en France quelque 2 300 mesures différentes d'aide à l'emploi.
Cette pléthore de programmes tiendrait au fait que les villes, les
départements, les régions et le gouvernement central mettent en place leurs
propres mesures en tenant plus ou moins compte de ce que les autres font déjà.
Alors nous, le Canada, plutôt que de ne pas réagir, on va s'appuyer sur nos
forces justement, en donnant aux provinces des responsabilités claires
là-dessus, mais sans briser la solidarité canadienne. Nous voulons avoir de
bons programmes de formation professionnelle partout au pays, qui soient
complémentaires. Il faut une prise en charge par les provinces qui ne limite
pas la circulation des travailleurs, limitation qui nuirait considérablement à
notre union socio-économique et à notre capacité d'agir collectivement.
Ce que mon collègue Doug Young, ministre des Ressources humaines, négocie
avec les provinces, c'est un cadre général qui leur donne la responsabilité
des mesures actives d'emploi et de la formation professionnelle; le gouvernement
fédéral n'agira que lorsque les responsabilités sont clairement de portée
pan-canadienne ou multilatérales.
Prenons un exemple. Si le poisson de fond disparaît dans l'Atlantique et
qu'il y a cinq provinces qui sont touchées, celles-ci ne peuvent agir en vase
clos de façon efficace. La pertinence de l'intervention fédérale est
évidente devant des problèmes multilatéraux de cet ordre.
Le gouvernement fédéral doit veiller aussi à ce que toutes les provinces
aient accès à un financement équitable compte tenu des besoins. Il s'agit de
fonds puisés à même la Caisse d'assurance-emploi, qui est de responsabilité
fédérale.
Le cadre de négociation est souple et permet aux provinces qui le souhaitent
d'utiliser un maximum d'autonomie. Les autres qui opteront pour le maintien du
rôle fédéral dans les mesures actives pourront compter sur son appui. Ici
encore, égalité ne veut pas dire uniformité.
La santé
Examinons maintenant la santé, les services sociaux et les normes
nationales, qui ont été les principaux sujets de discussion les 21 au 23 août
derniers à Jasper.
Commençons par nous défaire de certains mythes et exagérations. Je ne
crois pas que la Loi canadienne sur la santé soit l'âme du Canada. Notre
fédération existe depuis 1867 alors que cette loi, telle qu'on la connaît,
n'a été adoptée après tout qu'en 1984.
Je crois, cependant, que le système de santé que les Canadiens se sont
donné contribue à leur procurer un bien-être et une espérance de vie qui a
peu son pareil ailleurs au monde. Les Canadiens peuvent aussi être fiers de
s'être donné un filet de sécurité sociale comparable à ce qu'on retrouve en
Europe, alors qu'ils sont en Amérique du Nord, là où notre gigantesque voisin
du sud a une toute autre perspective sociale.
Le système canadien de santé et de protection sociale repose sur une forte
subsidiarité : les provinces gèrent et donnent les soins et les services.
Il repose aussi sur une forte solidarité de tous les Canadiens. Le gouvernement
fédéral contribue à cette solidarité en transférant des fonds aux provinces
à la condition qu'elles respectent certains principes moraux qui font consensus
au Canada.
Ces principes sont peu nombreux et ne forment pas un carcan rigide. Leur
souplesse a d'ailleurs été accrue par la mise en place récente du Transfert
canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Il s'agit des principes
d'universalité, d'accessibilité, d'intégralité, de transférabilité et de
gestion publique en matière de santé et de non-assignation de résidence en
matière d'aide sociale.
Ces principes correspondent à une exigence sociale : sans les
transferts fédéraux conditionnels à l'observance de ces principes, on
pourrait craindre l'américanisation rampante de notre système de santé et la
mise en cause du droit constitutionnel des Canadiens d'avoir des services
comparables partout au pays.
Mais ces principes renvoient aussi à une rationalité économique. Un
système de santé privé à l'américaine impose aux entreprises des coûts
énormes qui nuisent à leur compétitivité. En effet, aux États-Unis, les
compagnies automobiles dépensent plus en assurance-maladie que pour acheter de
l'acier. Ce n'est pas un hasard si le Canada, qui représente 6,8 pour cent du
marché nord-américain de l'automobile, génère 15,8 pour cent de la
production automobile.
S'il y avait au Canada dix systèmes de santé très inégaux, une protection
sociale morcelée et cloisonnée, cela nuirait à la libre circulation des
travailleurs. L'union sociale et l'union économique se confortent l'une
l'autre. C'est d'ailleurs l'un des mérites du rapport Courchene que d'en avoir
fait une nouvelle démonstration éloquente.
D'ailleurs, l'intervention fédérale en matière de santé mobilise des
coûts administratifs minimes, contrairement à ce que l'on entend dire trop
souvent. Une légende veut qu'il y aurait à Santé Canada 8 000 fonctionnaires
qui n'auraient rien d'autre à faire que de surveiller les provinces et
dédoubler leurs activités. La vérité est que pour l'année financière
1996-1997, Santé Canada compte 6 400 employés. Combien d'entre eux sont
chargés d'administrer la loi canadienne sur la santé :
6 000? 3 000? 1 000? 500? 100? Pas du tout! 23 fonctionnaires, mesdames et
messieurs, 23, pas 8 000!
Les autres fonctionnaires de Santé Canada se consacrent à des
responsabilités qui relèvent en toute logique de la compétence fédérale,
tels les services de santé destinés aux Autochtones, la réglementation des
médicaments et la prévention des épidémies. Cela n'aurait aucun sens, par
exemple, d'imposer aux compagnies pharmaceutiques de soumettre les résultats de
leurs essais cliniques à l'approbation de 10 gouvernements!
Il est à noter aussi que cette intervention fédérale est tout à fait
constitutionnelle. Le partage des responsabilités dans la Constitution porte
sur le pouvoir de légiférer et non sur le pouvoir de dépenser. Le pouvoir
fédéral de dépenser dans les champs de compétence des entités constituantes
existent dans toutes les fédérations. On le considère comme nécessaire pour
permettre une souplesse d'action. Il n'y a qu'une seule fédération où le
pouvoir de dépenser est assujetti au consentement de la majorité des entités
constituantes et c'est la nôtre, depuis l'engagement pris en ce sens dans le
discours du Trône de février dernier. Le gouvernement du Canada a ainsi posé
un geste important en vue de rendre plus harmonieuses et consensuelles les
relations entre le gouvernement fédéral et les provinces.
Nous réalisons que le secteur de la santé est devenu une source de
confrontation fédérale-provinciale. Comme le gouvernement fédéral a dû,
pour des raisons budgétaires, réduire sa contribution au programme de santé,
il est compréhensible que les provinces sentent le besoin d'avoir une plus
grande flexibilité dans la conception et la mise en oeuvre de notre système
national de santé. Le gouvernement fédéral a utilisé, quoique rarement et à
contrecoeur, la voie des pénalités financières dans le cas des provinces qui
violent les cinq principes fondamentaux. Mais nous reconnaissons qu'un plus
grand consensus est souhaité dans la façon dont les principes de la Loi
canadienne sur la santé sont appliqués.
Le gouvernement fédéral est tout à fait d'accord pour étudier avec les
provinces la mise en place de mécanismes plus consensuels et plus efficaces.
C'est pourquoi un comité conjoint fédéral-provincial sera mis en place à cet
effet, qui sera coprésidé par les ministres Doug Young et un ministre
albertain qui représentera les provinces.
Les forêts
Vous vous rappellerez, mesdames et messieurs, que le gouvernement du Canada
s'est engagé à se retirer de ce qu'on a appelé les « cinq
soeurs » : l'exploitation des forêts et des mines, le tourisme, le
logement social et les loisirs. Une des critiques qui nous ont été adressées
c'est que ce n'était pas des secteurs importants, que c'était des secteurs
mineurs. C'est incroyable que l'on puisse dire une chose pareille. Vous croyez
vraiment que les forêts et les mines, par exemple, ce n'est pas quelque chose
d'important pour l'économie canadienne et pour le bien-être des Canadiens?
Prenons le cas des forêts puisque nous sommes en Colombie-Britannique. Les
forêts canadiennes alimentent une industrie qui représente 44 milliards de
dollars par année, soit 25 pour cent de tous les investissements manufacturiers
et plus de 750 000 emplois directs et indirects.
Les produits forestiers représentent la plus grande partie de la balance
commerciale nette du Canada. S'il y a une province qui est en mesure d'en
témoigner, c'est bien la Colombie-Britannique. Pour cette province, la
foresterie représente 62 pour cent de l'industrie manufacturière et 60 pour
cent de ses exportations totales.
Les forêts sont de juridiction provinciale en vertu de la Constitution. Et
c'est une bonne chose qu'il en soit ainsi parce que les provinces sont plus
près des ressources, donc elles sont mieux placées pour exercer cette
responsabilité.
Contrairement à ce qu'un mythe trop répandu laisse croire, le gouvernement
du Canada ne s'est jamais impliqué dans le domaine de l'exploitation des
forêts en empiétant dans les compétences provinciales. Il s'y est impliqué
dans le cadre de programmes conjoints. Et, après expérience, on s'est rendu
compte que ce n'était pas souhaitable de renouveler ces programmes parce que
ça rendait les choses plus confuses.
Le gouvernement fédéral s'est donc engagé à ne plus intervenir de cette
façon. Il lui faut s'en tenir aux responsabilités qui lui reviennent, en toute
logique, sur le plan du commerce international, sur le plan environnemental.
Au plan de la recherche et développement, il met à la disposition des
citoyens et des compagnies de toutes les provinces une banque de données unique
et une expertise reconnue internationalement, ce qui leur permet de réaliser
des économies d'échelle appréciables, tout en évitant des chevauchements et
des dédoublements. Ce sont des responsabilités que personne de bien informé
ne lui conteste, bien au contraire; c'est dans ces domaines qu'un effort
national coordonné s'impose.
Je peux vous donner un exemple du type de recherche que le gouvernement
fédéral mène dans le domaine forestier. Lors de ma visite dans un centre de
foresterie à Québec, un chercheur m'a expliqué le problème de la tordeuse
d'épinette, qui détruit nos forêts, du Manitoba au Nouveau Brunswick. Cette
maladie ne reconnaît pas les frontières interprovinciales et connaît encore
moins la Constitution! J'ai demandé au chercheur combien il y avait, au Canada,
d'experts de la tordeuse de l'épinette qui travaillaient à la question. Il m'a
répondu : « Pas plus d'une vingtaine de chercheurs pour tout le
Canada ».
Ces chercheurs de pointe ont besoin de se parler, de travailler ensemble, de
se concerter sans passer par des structures administratives qui feraient des
blocages. Il est très souhaitable que cette masse critique reste ensemble au
sein d'un même réseau. Donc, le gouvernement fédéral a un rôle que tout le
monde peut apprécier à sa juste valeur. Les pêches
Je ne peux évidemment pas être en Colombie-Britannique et ne pas parler des
pêches. Comme vous le savez, la Constitution donne au gouvernement fédéral la
juridiction sur « les pêcheries des côtes de la mer et de
l'intérieur ». C'est la même chose dans la plupart des fédérations.
Mais en pratique, le gouvernement du Canada a délégué aux provinces la
meilleure partie de la gestion des pêches intérieures, là où il n'y a pas de
facteurs de complication comme les espèces migratoires ou des négociations
internationales en cours. Et même les provinces côtières sont impliquées
dans la gestion des pêches : elles jouent un rôle important en ce qui
concerne les habitats, de par leur réglementation en matière de développement
urbain et de pratiques forestières. Elles participent également, à titre de
conseillères, aux nombreuses commissions consultatives en matière de quotas et
de pêche internationale.
Il est parfaitement logique que les provinces jouent un rôle si actif compte
tenu de l'importance des pêches et de l'industrie de la transformation pour les
économies locales. Cependant, nous avons besoin de clarifier les rôles
aujourd'hui, à cause des changements profonds qui découlent de la
modernisation des pêches, notamment de l'augmentation de la capacité de
pêche, des problèmes environnementaux et des relations internationales de plus
en plus complexes.
C'est pourquoi nous nous sommes mis d'accord avec le gouvernement de la
Colombie-Britannique pour procéder à une révision bilatérale complète des
responsabilités et des rôles fédéraux et provinciaux dans la gestion de la
pêche au saumon du Pacifique, une ressource qui est cruciale pour cette
province. Le ministre Mifflin et son collègue, le ministre Evans, s'activent à
négocier cette nouvelle initiative prometteuse. Je crois comprendre que même
le premier ministre Clark est maintenant souriant; voilà une bonne nouvelle
pour le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales!
Conclusion
Je vous ai exposé comment le gouvernement du Canada envisage le changement
de notre fédération en vue d'améliorer le service aux citoyens et de leur
donner le goût d'affronter ensemble, et au sein d'un Canada uni, les
formidables défis du 21e siècle.
Nous avons besoin de vos conseils, vous les administrateurs publics et
spécialistes de l'administration publique. L'avenir du Canada repose sur un
diagnostic objectif de la réalité; il repose aussi sur des bonnes décisions
visant à améliorer cette réalité.
C'est ainsi que nous pourrons faire en sorte que notre pays continue à être
l'un des plus admirés dans le monde pour les perspectives qu'il offre à ses
citoyens.
L'allocution prononcée fait foi.
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