« VERS UN CANADA ENCORE MEILLEUR »
NOTES POUR UNE
ALLOCUTION
À L'UNIVERSITÉ DALHOUSIE
HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)
LE 30 JANVIER 1997
Le Canada est un pays hors de l'ordinaire, qui vit une situation hors de
l'ordinaire. Le Canada est une grande fédération menacée d'effritement. Nous
ne pouvons pas nous permettre de pratiquer la politique de l'autruche, de nous
enfouir la tête dans le sable, de faire fi des événements qui se sont
déroulés et qui se déroulent toujours au Québec. C'est pourquoi je vais vous
parler franchement et ouvertement de l'état de notre fédération et de la
nécessité d'une réconciliation nationale. Les Canadiens et Canadiennes ont
édifié un pays extraordinaire, un pays où l'équité fait loi, un pays où,
tous ensemble, nous pouvons nous bâtir un avenir encore meilleur.
Pour un universitaire maintenant engagé dans la
politique, c'est un grand plaisir pour moi de me retrouver dans l'une des plus
prestigieuses facultés de droit au Canada. Au fil des ans, votre faculté a
formé de nombreuses personnalités politiques de notre pays, depuis le premier
ministre fédéral R. B. Bennett jusqu'aux premiers ministres provinciaux Allan
Blakeney et les regrettés Angus L. Macdonald, Richard Hatfield et Joe Ghiz.
Cette institution a également accueilli plus de la moitié de la députation
libérale fédérale de la Nouvelle-Écosse, notamment l'honorable David
Dingwall, ministre de la Santé, Mary Clancy, députée d'Halifax, et Geoff
Regan, député d'Halifax-Ouest. Mon équipe qui s'occupe du dossier de l'unité
nationale au Bureau du Conseil privé compte également des collaborateurs
précieux, diplômés de la Faculté de droit de l'Université Dalhousie. Et je
ne fais pas de la politique partisane depuis suffisamment longtemps pour oublier
les anciens premiers ministres conservateurs Brian Mulroney et Joe Clark, qui
ont aussi étudié ici.
Comme certains d'entre vous le savent, je
projetais à l'origine de venir vous parler en septembre dernier; j'ai dû
annuler mon engagement parce que le gouvernement annonçait sa décision de
soumettre certaines questions clés sur la légalité d'une déclaration
unilatérale d'indépendance (DUI) à la Cour suprême.
Je suis entré en politique pour combattre la
sécession, et s'il y a une province qui connaît un peu les sécessionnistes,
c'est bien la Nouvelle-Écosse. Comme vous le savez, Joseph Howe a présenté à
Londres, en 1868, une requête exprimant le désir de la Nouvelle-Écosse de
quitter la Confédération; mais le Parlement britannique a refusé de
l'accepter parce qu'elle n'émanait pas du Parlement du Canada. Heureusement,
votre province est demeurée au sein du Canada où elle est devenue un
partenaire fier et dynamique de notre fédération. Quant à M. Howe, ses
sentiments ont changé, et il est devenu l'un de mes prédécesseurs au poste de
président du Conseil privé. M. Bouchard devrait peut-être en prendre acte.
Bien que je compte donner une saveur
néo-écossaise à mon allocution d'aujourd'hui, j'évoquerai certaines idées
que j'ai exprimées d'un océan à l'autre -- que ce soit à Lethbridge, le 18
octobre, à Québec, le 19 du même mois, ou à Toronto, le 27 janvier. Le
Canada est un pays vaste et très diversifié, mais, en tant que Canadiens, nous
devons faire face à des défis communs.
Nous avons nos problèmes, bien sûr, vouloir
prétendre le contraire serait idiot. Il y a beaucoup trop de chômage et trop
de pauvreté, surtout chez les enfants. Mais, malgré les défis qui nous
interpellent, la fédération canadienne fonctionne bien et nous pouvons en
être fiers. Nous nous comparons fort bien à d'autres pays industrialisés.
Nous n'avons pas besoin des données des Nations Unies pour savoir combien nous
sommes privilégiés d'avoir la qualité de vie que nous avons et combien il
serait difficile de trouver la même chose ailleurs. Lorsque des amis de
l'étranger nous rendent visite, ils sont toujours impressionnés par la vie
paisible que nous menons, le soin que nous mettons à protéger nos immenses et
magnifiques espaces naturels, notre ouverture d'esprit, notre respect de la
diversité et le dynamisme de nos villes. Nous avons une fédération
remarquable, même s'il est toujours permis de l'améliorer.
Aujourd'hui, je souhaite vous parler du défi que
nous devons relever pour sauvegarder l'unité de notre pays. Pour ce faire, nous
devons améliorer notre fédération et dissiper le regrettable malentendu qui
existe quant à la reconnaissance de la place du Québec au sein du Canada.
MAINTENIR ET AMÉLIORER LES SERVICES À
LA POPULATION CANADIENNE
Trop souvent, nos débats entourant les relations
fédérales-provinciales sont centrés sur des abstractions symboliques, plutôt
que sur les réalités quotidiennes que vivent les Canadiennes et les Canadiens,
de Victoria au cap Spear. L'enjeu réel doit être de déterminer la meilleure
façon de fournir les services à des citoyens en chair et en os. Une des
mesures importantes qui contribuent à promouvoir l'unité nationale, c'est
d'informer les Canadiens -- y compris les Québécois -- de la façon dont notre
fédération évolue pour mieux répondre aux besoins et aux aspirations de ses
citoyens.
Notre vision de la fédération ne doit pas
s'arrêter à une lutte de pouvoirs entre différents gouvernements; elle doit
aller beaucoup plus loin. Je suis sûr que vous avez lu, tout comme moi, de
nombreux articles qui traitent avec éloquence du partage des responsabilités
entre le gouvernement fédéral et les provinces en termes de qui a quoi, sans
jamais consacrer ni un paragraphe, ni une phrase, ni même une ligne, au service
au public. Et pourtant, ce sont la santé, la sécurité et le bien-être des
Canadiennes et des Canadiens qui sont en jeu.
Il nous faut des provinces fortes, un
gouvernement fédéral fort et des liens forts entre tous. En décidant de notre
avenir, nous n'avons pas à choisir entre la création de dix républiques
égocentriques et un gouvernement fédéral tout-puissant. Cet avenir, nous
devons plutôt le bâtir ensemble en nous appuyant sur les bases solides que
nous offre une fédération saine et unie.
Il nous faut trouver un juste équilibre entre la
solidarité, qui se définit par notre engagement à nous aider mutuellement, et
la subsidiarité, qui consiste à rapprocher le gouvernement des citoyens.
Prenons le cas de la Nouvelle-Écosse. À l'instar du Québec, ma province, la
Nouvelle-Écosse est une province moins bien nantie en ce moment. L'une et
l'autre peuvent profiter à bon droit du partage de la richesse, un principe qui
fait partie de la tradition canadienne depuis des décennies. Dans les années
1930, par exemple, l'Alberta a bénéficié des transferts d'autres provinces.
Aujourd'hui, sa situation économique enviable lui permet d'aider les provinces
qui traversent des moments plus difficiles, comme la vôtre et la mienne. Voilà
comment fonctionne la famille canadienne : chacun s'entraide. C'est ça notre
esprit de solidarité.
En même temps, la fédération canadienne permet
à la Nouvelle-Écosse et aux autres provinces de considérer les choses dans
leur perspective propre et d'aborder à leur manière les défis qu'elles ont à
relever. Il y a quelques années, les dix provinces du Canada enregistraient un
déficit budgétaire; aujourd'hui, chacune d'elles a trouvé comment régler la
situation à sa façon, et sept d'entre elles équilibrent leur budget ou
affichent un excédent. Grâce à la performance du gouvernement libéral du
premier ministre Savage pour l'exercice financier 1996-1997, pour la première
fois en vingt-cinq ans, votre province aura un budget entièrement équilibré.
Les méthodes retenues par la Nouvelle-Écosse ne sont pas les mêmes que celles
de l'Alberta, et l'Alberta a suivi une route très différente de celle que le
Québec est en train de suivre. Toutes les provinces peuvent tirer profit de
leurs propres forces, et ces forces peuvent aussi servir l'intérêt commun. Le
Canada aide les provinces à atteindre un juste équilibre entre l'autonomie,
qui stimule l'innovation, et la solidarité, qui encourage l'assistance
mutuelle.
La conciliation des principes de subsidiarité et
de solidarité doit guider notre conception de la prestation des services au
public; c'est ce qui nous permet de garantir l'égalité dans le respect de la
diversité. Prenons l'exemple suivant. Le gouvernement fédéral verse des
montants de péréquation à certaines provinces et pas à d'autres; cela ne
rend pas les provinces inégales pour autant. Ces argents visent plutôt à
s'assurer que tous les citoyens reçoivent des services comparables, quel que
soit l'endroit où ils vivent au Canada. Même si tous les citoyens sont égaux,
les gouvernements doivent répondre à une diversité de besoins et tenir compte
des circonstances particulières.
Confondre traitement égal et traitement
uniforme, c'est plonger le service au public dans la médiocrité. Un personnage
de la mythologie grecque, Procruste, forçait ses victimes à s'allonger sur un
de ses deux lits -- sur le grand, il les étirait pour les mettre aux dimensions
du lit, et sur le petit, il leur coupait les jambes. Nous ne voudrions pas que
Procruste conçoive nos lits d'hôpital! Et pourtant, c'est exactement ce que
nous demandons lorsque nous insistons pour qu'égalité signifie uniformité.
La confusion s'installe souvent lorsqu'il est
question de reconnaître la différence linguistique et culturelle du Québec
comme caractéristique fondamentale du Canada. Certains craignent que les
provinces ne seraient plus égales si elles n'étaient pas perçues comme étant
uniformes -- bref, si elles ne sont pas toutes mises aux dimensions d'un des
lits de Procruste. La reconnaissance de la spécificité du Québec ne
compromettrait en rien l'égalité des provinces, et encore moins celle des
citoyens.
En fait, une telle reconnaissance serait fidèle
au principe que nous appliquons dans d'autres domaines, comme la formation de la
main-d'oeuvre. Nous sommes en train d'établir dans ce secteur un nouveau
partenariat par lequel le gouvernement fédéral continuera à verser les
prestations d'assurance-emploi et s'occupera de divers aspects nationaux du
système, alors que les provinces auront la possibilité de gérer quelque 2
milliards de dollars au titre des mesures actives d'aide à l'emploi. Ainsi,
quel que soit l'endroit où ils vivent au Canada, les citoyens continueront de
bénéficier de services comparables, mais adaptés par leur gouvernement
provincial aux besoins régionaux. Donc, l'égalité des services ne veut pas
dire l'uniformité des services.
Pour assurer les meilleurs services possibles à
la population canadienne, il faut aussi que les provinces collaborent entre
elles. Les provinces de l'Atlantique nous offrent des exemples utiles à cet
égard. La Fondation d'éducation des provinces Atlantiques travaille à la mise
sur pied d'un programme d'études commun dans les deux langues officielles ainsi
qu'à des stratégies d'évaluation communes dont les Indicateurs en Éducation
pour le Canada Atlantique, le tout premier rapport sur les indicateurs
régionaux au Canada. Entre-temps, le réseau Canada Atlantique en Direct,
commencé en 1996, rendra les données gouvernementales plus accessibles,
facilitant ainsi les interactions des citoyens avec leurs gouvernements. Ces
initiatives démontrent à quel point la coopération et la coordination dans le
domaine des politiques publiques peuvent améliorer la qualité des services
offerts aux Canadiens.
Ce n'est pas en critiquant les fondements mêmes
du Canada que nous améliorerons nos services au public. C'est plutôt en misant
sur ses forces, notamment nos programmes sociaux, et c'est ce dont je voudrais
vous parler plus en détail.
Aucune province n'aurait pu, avec ses seules
ressources et à l'intérieur de ses propres frontières, développer tous les
aspects du régime canadien de soins de santé et des programmes sociaux. Parce
que si nous sommes arrivés à créer un réseau de programmes qui nous procure
une qualité de vie presque inégalée dans le monde, c'est parce que nous
l'avons fait tous ensemble.
Dans un discours qu'il prononçait au mois
d'octobre dernier, le premier ministre Savage a fait ressortir le fait que les
Canadiens croient que nous devons maintenir les liens sociaux, comme le régime
d'assurance-santé par exemple, dans lesquels les Canadiens se reconnaissent des
traits de famille; ces liens font partie intégrante de notre citoyenneté et de
notre unité canadiennes. Le Premier ministre Chrétien, le ministre de la
Santé, David Dingwall, tout le gouvernement libéral à Ottawa, entendent
maintenir ces liens sociaux et les cinq principes qui régissent notre régime
d'assurance-santé, soit l'universalité, l'accessibilité, l'intégralité, la
transférabilité et la gestion publique. Reflets de notre solidarité
nationale, ces principes occupent une place importante dans la prestation de
services comparables et équitables à tous les Canadiens, partout au pays.
À ceux qui en dénoncent les coûts, j'aimerais
signaler qu'un régime d'assurance-santé et des programmes sociaux bien
structurés et efficaces constituent aussi un bon investissement. Un régime de
santé privé, à l'américaine, supposerait pour nos entreprises une
augmentation de leurs frais qui nuirait à leur compétitivité. En fait, aux
États-Unis, le régime d'assurance-santé coûte plus cher aux fabricants
d'automobiles que l'acier dont ils ont besoin. Le régime dont nous nous sommes
dotés nous procure de meilleurs avantages concurrentiels, ce qui explique, en
partie du moins, pourquoi le Canada, qui représente 6,8 % du marché
nord-américain de l'automobile, livre 15,8 % de la production totale sur le
continent.
En passant, les frais d'administration résultant
de l'intervention fédérale dans le secteur des soins de santé sont vraiment
minimes, contrairement à ce que l'on affirme trop souvent. Selon certains,
Santé Canada emploierait 8 000 personnes dont la tâche consisterait
strictement à surveiller ce qui ce passe dans les provinces et à se livrer aux
mêmes activités que leurs correspondants provinciaux. En fait, au cours de
l'exercice financier 1996-1997, ce ministère ne comptait en tout que 6 400
employés. Maintenant, combien d'entre eux, pensez-vous, veillent à ce que soit
correctement appliquée la Loi canadienne sur la santé, pierre angulaire de
notre régime d'assurance-santé?
- Qui dit 6 000? Ou 3 000? 1 000? 500? 100
peut-être? Vous n'y êtes pas du tout! La bonne réponse, Mesdames et
Messieurs, est 23!
Les autres employés de Santé Canada se
consacrent à des fonctions qui, en toute logique, relèvent du gouvernement
fédéral, comme les services offerts aux Autochtones, la réglementation des
médicaments et la prévention des épidémies. Après tout, il serait ridicule
d'exiger des compagnies pharmaceutiques que les résultats de leurs essais
cliniques soient approuvés par dix gouvernements!
Nous sommes déterminés à atteindre un juste
équilibre entre solidarité et subsidiarité. C'est dans cet esprit que nous
sommes tout à fait disposés à chercher, avec les provinces, des mécanismes
plus consensuels et plus efficaces en vue de moderniser notre union sociale et
de veiller à ce que tous les Canadiens, où qu'ils vivent, puissent
bénéficier des services auxquels ils ont droit. Tel est le mandat qui a
été confié au comité mixte fédéral-provincial présidé par le ministre
Pierre Pettigrew et son homologue albertain, M. Stockwell Day. Sur sa liste de
priorités figure l'adoption de nouvelles mesures conjointes qui nous
permettront de venir à bout de cette plaie qu'est la pauvreté chez les
enfants, et de mieux répondre aux besoins des personnes handicapées.
À cet égard, un groupe de travail présidé par
le député de Fredericton-York-Sunbury, M. Andy Scott, a déposé un important
rapport qui s'intitule Donner un sens à notre citoyenneté canadienne. La
volonté d'intégrer les personnes handicapées, et que ses auteurs nous
présentent comme un «guide qui aidera les gouvernements et la collectivité à
aller dans la bonne direction», à donner à ces Canadiens une chance de
participer de façon pleine et entière au mieux-être de notre société.
En travaillant ensemble, dans un esprit de
respect mutuel et d'engagement à répondre aux attentes des Canadiens, le
gouvernement fédéral et les provinces parviendront à assurer la durabilité
de notre régime d'assurance-santé et de nos programmes sociaux. Ensemble, nous
pourrons maintenir une union sociale souple et dynamique, qui nous aidera à
franchir plus facilement le cap du prochain millénaire.
LE QUÉBEC ET LE CANADA
Vous savez, si tous les Canadiens s'arrêtaient
à réfléchir aux avantages et aux services que nous procurent notre
fédération, je suis convaincu que plus personne ne parlerait de séparation.
Cela dit, pour le moment, l'unité nationale est un défi qu'il nous faut
relever.
J'aimerais que tous ceux et celles de mes
concitoyens du Québec qui songent à voter OUI lors d'un prochain référendum
prennent bien conscience de ce qui reposera sur leurs épaules. En votant OUI,
ils renonceront au Canada. En votant OUI, ils imposeront un choix personnel aux
autres Québécois et à l'ensemble des Canadiens. En votant OUI, ils imposeront
cette volonté à leurs enfants et à leurs petits-enfants. Tout cela doit être
bien clair dans leur esprit.
Malheureusement, si jamais nous devions vivre un
nouveau référendum, il ne fait aucun doute que le gouvernement du Québec se
soucierait davantage de remporter la victoire que de poser une question claire.
Il devrait alors se souvenir du devoir qu'il a, envers les Québécois comme
envers les autres Canadiens, d'éviter toute espèce d'équivoque, tant dans la
formulation de la question que dans ses propos concernant les conséquences
d'une sécession.
De la même façon que nous sommes disposés à
reconnaître que nous ne pouvons retenir les Québécois contre leur gré, on
voudra bien nous reconnaître le droit de nous assurer que les choses sont
claires au moment de la tenue éventuelle d'un vote référendaire. Il est
raisonnable de prétendre que les Canadiens de la Nouvelle-Écosse ne peuvent
retenir les Québécois dans la Confédération contre leur volonté clairement
et démocratiquement exprimée; il est tout aussi raisonnable de prétendre que
les Néo-Écossais, tout comme les autres Canadiens, ont le droit d'être
certains que le processus suivi est clair, mutuellement acceptable et juste pour
tous. Après tout, la sécession du Québec aurait de graves conséquences pour
la Nouvelle-Écosse et pour les autres provinces Atlantiques, car vous vous
trouveriez alors coupés du reste de la fédération. C'est pour toutes ces
raisons que notre gouvernement a décidé de renvoyer à la Cour suprême du
Canada certains aspects fondamentaux de la sécession.
Les ténors sécessionnistes parlent d'une
déclaration unilatérale d'indépendance, ou d'une OUI - comme si c'était un
pas tout à fait normal à franchir. Dans les faits, une déclaration
unilatérale d'indépendance, comme le premier ministre Bouchard l'envisage, ne
serait acceptable dans aucune démocratie dans le monde. Qui plus est, dans bon
nombre de pays, la sécession, sous quelque forme que ce soit, n'est même pas
envisagée dans la constitution. C'est le cas, notamment, en France, en
Norvège, en Afrique du Sud et en Espagne. Le Canada fait preuve d'une ouverture
démocratique exceptionnelle en considérant la possibilité que notre pays
puisse se diviser.
Mais nous pouvons éviter la sécession et les
déchirements qui en découleraient, en travaillant à la réconciliation
nationale. C'est mon travail de montrer aux Québécois qu'ils ont tout avantage
à demeurer au sein de la grande famille canadienne. Mais j'aimerais que vous
tous qui êtes réunis ici aujourd'hui, en tant que membres de l'Université
Dalhousie, en tant qu'habitants de la Nouvelle-Écosse, vous en fassiez autant.
Chacun de vous peut contribuer à faire du Canada
un pays plus fort et plus uni. Un étudiant de votre université, Graham Murray,
a mis toute son énergie à créer sur Internet un site Web qu'il a baptisé
«Unity Link» et qui a pour but de faire mieux comprendre les véritables
avantages qu'offre le Canada. Au nom de tous les Canadiens, je te remercie
Graham.
Les moments que j'ai passés à explorer «Unity
Link» se sont avérés enrichissants. Certes, je n'y ai rien trouvé de
particulièrement flatteur pour le gouvernement fédéral, mais je peux
comprendre les inquiétudes des Canadiens. Comme le soutient «Unity Link», le
jugement de l'Histoire ne portera que sur les gestes que nous aurons posés pour
sauver le Canada. Parce que, dans cinquante ans, personne ne se souviendra de
l'actuelle politique budgétaire du gouvernement fédéral. Ne nous leurrons pas
: l'Histoire nous jugera tous. C'est pourquoi l'unité nationale est un enjeu
qui ne concerne pas seulement les gouvernements; ce n'est pas un problème
qu'ils peuvent résoudre tout seuls : la participation enthousiaste et
spontanée de tous les Canadiens est essentielle.
Je suis d'un naturel franc, et c'est une qualité
que j'aime bien retrouver chez ceux et celles qui participent au débat sur
l'unité canadienne. Vous savez, il est mal vu au Québec de dire qu'il faut
clarifier les enjeux de la sécession, et que la sécession ne peut se faire
dans la confusion. Mais cela ne m'arrêtera pas, car je n'ai pas choisi d'entrer
en politique pour gagner à court terme un prix de popularité. À l'extérieur
du Québec, il n'est pas toujours bien vu non plus de parler de la nécessité
de reconnaître le Québec comme une société distincte. Mais je continuerai de
promouvoir cette reconnaissance parce que ce serait une grande chose à faire
pour l'unité canadienne, au nom de la grande solidarité canadienne.
Pour mieux saisir pourquoi les Québécois
tiennent tant à cette reconnaissance, imaginez un instant que la
Nouvelle-Écosse soit la seule province majoritairement anglophone sur un
continent peuplé de 300 millions de francophones; imaginez que partout dans le
monde, le français domine dans les milieux d'affaires, dans les médias
d'information, sur Internet; imaginez que la plupart des députés et des
fonctionnaires fédéraux ne parlent pas votre langue. Vous comprendrez alors ce
que peuvent ressentir bon nombre de Québécois francophones. Si vous étiez à
leur place, n'aimeriez-vous pas que les autres Canadiens reconnaissent et
appuient chaleureusement les efforts que vous déployez pour protéger votre
langue et votre culture?
Les Canadiens savent que l'égalité n'exige pas
l'uniformité. La reconnaissance du caractère distinct de la société
québécoise ne se traduirait pas non plus, pour le gouvernement de cette
province, par des pouvoirs ou des crédits supplémentaires. J'aimerais
souligner que la contribution positive de premiers ministres de l'Atlantique au
débat sur la reconnaissance de la spécificité québécoise me touche
profondément.
Je m'adresse à vous en tant que Québécois et
en tant que Canadien très attaché à mes deux identités. La grande majorité
des Québécois ressent la même chose. Il incombe maintenant à nous, du
gouvernement, de faire comprendre aux Québécois qu'ils n'ont pas à choisir
entre deux identités qui leur sont chères, de leur montrer comment ces deux
identités se complètent. Pour ce faire, nous avons besoin de votre appui.
CONCLUSION
Comme je l'ai signalé dans mon introduction, le
Canada est une fédération qui fonctionne bien et dont nous avons tout lieu
d'être fiers. Nous devons travailler ensemble à préserver l'unité de notre
pays; et nous devons le faire, non pas seulement pour nous-mêmes et pour nos
enfants, mais aussi pour tous ces hommes et toutes ces femmes ailleurs dans le
monde pour qui le Canada est une source d'espoir. Bon nombre d'entre eux ne
peuvent que rêver des avantages dont nous jouissons -- en les tenant peut-être
même pour acquis -- en faisant partie du système fédéral canadien. Un survol
rapide de l'actualité mondiale suffit pour constater qu'une multitude d'États
ou de régions sont présentement déchirés par des conflits ethniques ou
religieux. Un pays aussi généreusement comblé que le Canada devrait continuer
d'offrir au monde un modèle de cohabitation harmonieuse.
Ensemble, nous pouvons faire du Canada un pays
où il fait encore mieux vivre. Forts de nos réalisations sociales et
économiques, nous pouvons bâtir une fédération qui soit encore plus sensible
aux besoins, aux espoirs et aux rêves de ses citoyens. Telle est la vision du
Premier ministre Jean Chrétien, qui s'est exprimé en ces termes à propos du
processus de renouvellement en cours, «[l]e fonctionnement de notre
fédération doit répondre à nos besoins collectifs et correspondre à notre
diversité. Il doit être une expression de respect réciproque et de respect
envers nos institutions. Il doit comprendre un partenariat et un dialogue entre
les pouvoirs publics et les citoyens.»
Je suis heureux de cette occasion qui m'est
donnée aujourd'hui de m'entretenir avec des gens de la Nouvelle-Écosse, avec
les étudiants et les membres du personnel enseignant de la faculté de droit de
l'Université Dalhousie. Ce que vous avez à dire m'intéresse au plus haut
point. Ensemble, nous pouvons relever le défi du renouvellement de la
fédération et du maintien de l'unité canadienne. Ensemble, nous pouvons
travailler à bâtir un Canada encore meilleur.
L'allocution prononcée fait foi.
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