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« LA VRAIE GRANDEUR DU CANADA »

NOTES POUR UNE ALLOCUTION  DEVANT
LA CHAMBRE DE COMMERCE DE LA RIVE-SUD

LÉVIS (QUÉBEC)

LE 26 FÉVRIER 1997


«Les ressources naturelles du Canada les plus précieuses ne sont pas enfouies dans les profondeurs de la terre, (...) elles sont présentes parmi nous, à travers les compétences et le talent des gens qui vivent dans ce pays.»

Paul Martin, discours du budget, le 18 février 1997

Petit gars de Québec, et plus précisément de Sillery, j'ai le plaisir de rencontrer aujourd'hui ceux qui ont été, pour la plus longue partie de ma vie, mes voisins d'en face.

Je suis fier de parler devant vous, gens d'affaires, qui avez contribué à bâtir la rive sud. Car vous êtes des bâtisseurs. Vous voulez construire du solide sur du solide, pour vous-mêmes et vos familles, pour les travailleurs et leur famille, pour toute la communauté à laquelle vous appartenez.

Nous tenons là, j'en suis sûr, l'une des raisons pour lesquelles nos gens d'affaires, sans bien sûr être tous fédéralistes, sont en général plus favorables à l'unité canadienne que la moyenne des Québécois. Ce n'est pas seulement que leur métier les amène à réaliser davantage les atouts économiques du Canada. C'est aussi qu'il leur apparaît absurde de penser construire un nouvel étage en démolissant les fondements de la maison.

La maison canadienne est si solide que le monde entier nous l'envie. Nous l'avons construite ensemble, Québécois et autres Canadiens, et nous ne devons pas y renoncer. La principale force de notre fédération est sa capacité de faire agir ensemble, dans un même élan de solidarité, des populations variées. Ceux qui voudraient fondre tous les Canadiens dans un moule unique, tout comme ceux qui voudraient que le Québec se retire d'un Canada qu'ils perçoivent comme trop différent, se trompent. C'est le contraire qui est vrai : des populations différentes peuvent accomplir de grandes choses quand elles décident d'être ensemble. La vraie grandeur du Canada est son potentiel humain. Voilà mon sujet d'aujourd'hui.

1. Le succès du Canada

«Le Canada est un succès», lit-on à la page 63 du rapport du Parti libéral du Québec intitulé L'identité québécoise et le fédéralisme canadien : reconnaissance et interdépendance. Pourquoi un succès? En quoi la Confédération des débuts, cette vaste contrée de défricheurs, ces villages et petites villes lancés en chapelet sur la moitié d'un continent, est-elle devenue l'une des plus belles réalisations humaines de notre siècle? Vous, les gens d'affaires, vous connaissez comme moi les indicateurs de l'ONU et de la Banque mondiale, qui nous placent en tête du palmarès de 174 pays dans différentes dimensions de l'activité socio-économique : premier pour l'indicateur de développement humain, cinquième pour le revenu par habitant, huitième pour l'espérance de vie et huitième aussi pour la compétitivité selon le Forum économique mondial.

Le Canada se situe parmi les pays les mieux placés pour franchir le cap du XXIème siècle en bonne santé économique, selon l'OCDE. «Les experts n'hésitent plus à parler du ‘miracle canadien'» pouvait-on lire récemment dans le quotidien français Libération : inflation contenue, croissance prévue entre 3 et 4 %, dollar stable, taux d'intérêt les plus bas depuis 35 ans, finances publiques assainies, forte création d'emplois, excédent record de la balance commerciale. Voilà ce que peuvent faire les Canadiens quand ils sont tous ensemble. Comme l'a annoncé le ministre des Finances, M. Paul Martin, dans son discours du budget du 18 février dernier : «L'époque des coupures touche à sa fin. Les finances du pays sont enfin reprises en mains. Nous retrouvons la capacité de forger notre propre destin.»

Au-delà des indicateurs économiques, c'est bien d'une qualité de vie enviable dont nous bénéficions au Canada. Une comparaison internationale menée par l'organisme suisse Corporate Resources Group, qui classe 118 villes du monde sur la base de 42 indices économiques, sociaux et environnementaux, range dans le peloton de tête Vancouver au 2e rang, Toronto au 4e, Montréal au 7e rang et Calgary au 12e rang. Quand je vois que la ville américaine la mieux classée, Boston, ne figure qu'au trentième rang, eh bien, savez-vous que je me sens fier d'être Canadien. Je me dis que Vancouver et Montréal, malgré les différences de langue et la distance géographique, partagent le même idéal, appartiennent bel et bien à une même grande fédération généreuse.

Le succès du Canada, c'est aussi le Québec d'aujourd'hui, notre société majoritairement francophone qui tranche dans un continent majoritairement anglophone. Avez-vous déjà songé au fait que si le Canada était resté sous le régime français, Napoléon aurait bien pu nous vendre aux États-Unis en même temps que la Louisiane? Nous nous serions dissous dans le "melting pot". Bien sûr, on ne fait pas l'histoire avec des «si», mais il reste que c'est dans le Canada, dans l'entraide de tous les Canadiens, que la société québécoise s'est développée avec son caractère propre, sa langue et son régime juridique. Le fédéralisme canadien est devenu au fil du temps l'un des plus décentralisés qui soient. Sa souplesse a fait en sorte que le gouvernement du Québec a pu exercer nombre de pouvoirs que les autres provinces ont préféré laisser au gouvernement fédéral, dans des domaines aussi variés que l'immigration, la fiscalité, le régime contributif de retraite et les relations internationales. En retour, nous les Québécois avons aidé nos concitoyens des autres provinces à trouver notre personnalité commune. Dès le départ, c'est bien grâce à nous, à Georges-Étienne Cartier, si le Canada a eu la bonne fortune de devenir une fédération. Un pays si grand, si diversifié, n'aurait jamais survécu sans la forme fédérative. Le succès du Canada est celui du Québec, et vice-versa.

Bien sûr, nous avons des difficultés, trop de travailleurs sans emploi, trop de pauvreté chez les enfants. Il faut rassembler nos forces pour mieux y faire face. Mais quand nous nous comparons aux autres pays de la planète, même les plus riches, nous nous rendons compte à quel point la situation canadienne est enviable. En même temps, on voit bien que rien n'est acquis et que notre avenir et celui de nos enfants dépendent des choix que nous faisons maintenant.

L'une de nos forces, c'est bien sûr l'abondance des richesses naturelles que nous tirons de notre immense territoire. Les mines, l'énergie, la foresterie, l'agriculture et les pêches comptent pour 15,9 % de notre richesse collective en plus de nous procurer des avantages concurrentiels incalculables. Notre niveau de vie enviable vient en bonne partie de la richesse de notre sol, de notre sous-sol et de nos océans. Songeons que moins de 0,03 % de notre masse continentale a été utilisée jusqu'à présent par l'industrie minière. Notre avenir repose en partie dans les incroyables réserves encore inexploitées réparties sur tout le territoire canadien.

Regardez Terre-Neuve, la plus pauvre des provinces canadiennes actuellement. Voilà peut-être une petite Alberta de l'est en gestation, avec l'un des plus riches gisements jamais découverts, à Voisey's Bay. Terre-Neuve a été aidée par les autres provinces, elle pourrait bientôt être en mesure de leur prêter main-forte à son tour.

Mais au-delà de nos ressources naturelles, notre principale richesse réside dans notre population. Nous avons l'immense bonheur d'être une fédération décentralisée et solidaire de ses populations diverses qui savent se compléter et s'entraider.

Dans la nouvelle économie, il faut savoir combiner la force des grands ensembles et la souplesse des petites unités. Il nous faut à la fois la solidarité nationale et l'autonomie régionale. Or, c'est justement cette combinaison qu'offre le fédéralisme. Il donne la force des grands ensembles et les moyens de l'autonomie régionale. Ce n'est sûrement pas un hasard si quatre des cinq pays les plus riches au monde sont des fédérations : le Canada, les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse.

Le budget que le ministre des Finances du Canada a présenté la semaine dernière est une nouvelle illustration des avantages de notre fédération et de sa capacité de se renouveler constamment. S'il s'agit bien du budget du gouvernement fédéral, il n'en demeure pas moins que toutes les mesures importantes qui y ont été annoncées se feront en collaboration étroite avec les gouvernements des provinces. Prenons par exemple la nouvelle prestation pour enfants. Le gouvernement fédéral fera ce que lui seul peut réaliser, soit la redistribution à l'échelle du pays d'une aide égale à toutes les familles à faible revenu, une assise sur laquelle les provinces pourront établir leurs propres programmes. Chaque province aura tout le loisir de mettre en place ses propres services pour aider les familles, et de l'inventivité des unes et des autres naîtra une saine émulation. Cette initiative est conforme à la Constitution et nous a d'ailleurs été demandée par les provinces avant d'être négociée de main de maître par Pierre Pettigrew. Voilà l'essence du fédéralisme qui allie à la fois la redistribution à grande échelle et la prestation des services par des instances plus près des citoyens.

Si j'avais le temps, je vous décrirais toutes les autres grandes initiatives du budget pour vous montrer à quel point l'esprit fédératif les imprègne, comme par exemple : le renouvellement du programme d'infrastructure où nous travaillons de concert avec les provinces et les municipalités; la réforme de nos régimes de pension, négociée avec les provinces, qui nous placera à l'avant-garde des pays industrialisés sur ce plan; le fonds d'innovation pour la recherche et développement, où tous sont invités à travailler en collaboration : les universités, les provinces, le secteur privé; le fonds de transition par lequel nous aiderons les provinces à financer des projets pilotes en matière de santé... C'est là un sujet que je me réserve pour lundi prochain, dans un discours intitulé «Le quatrième budget Martin et le renouveau de la fédération» qui sera prononcé devant la Chambre de commerce de Joliette.

Mais laissez-moi répondre brièvement à M. Bernard Landry, qui a critiqué notre budget en disant y voir une nouvelle preuve du caractère soi-disant centralisé de notre fédération. En fait, que M. Landry me trouve d'autres fédérations où les dépenses propres au gouvernement fédéral ne représentent que 38 % de l'ensemble des dépenses publiques (26 % si on exclut le service de la dette). Quand le gouvernement fédéral aide les provinces à lancer des projets pilotes en matière de santé, il ne se mêle pas de gérer les hôpitaux. Quand il offre une aide fiscale aux étudiants, il ne se mêle pas de la vie académique. Que M. Landry me montre une seule ligne dans la Constitution qui ne nous donne pas le droit de lancer de telles initiatives bonnes pour les gens. Qu'il me trouve une seule fédération où le gouvernement fédéral ne se mêle ni de santé, ni de politiques sociales, ni de recherche et développement.

Le Canada n'est pas seulement une fédération décentralisée, la plus décentralisée, en fait, avec la Suisse, il forme aussi une fédération solidaire misant sur l'entraide. Parce qu'ils sont ensemble, le Québec et les autres membres de la confédération se renforcent sur la scène internationale, dans un monde où les accords internationaux exercent une influence de plus en plus forte sur nos vies. C'est parce que le Canada était uni et respecté que l'ALENA a pu être négocié d'une façon si avantageuse pour nous. C'est parce que les francophones et les anglophones du Canada sont ensemble que les uns et les autres sont représentés au Commonwealth et dans la Francophonie, et qu'ils font partie du G7. Nous les Québécois avons autant accès à l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique que les gens de l'Ouest ont accès à l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest. Une synergie extraordinaire s'est créée entre gens d'affaires de partout au pays lorsqu'Équipe Canada est allée ouvrir de nouveaux marchés en Asie. Prenez le Groupe Sani-Mobile Inc, d'ici même à Lévis qui a participé à la mission d'Équipe Canada en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est en janvier 1996. De l'avis du président de l'entreprise et ancien président de votre Chambre de commerce, M. Louis Larivière, «Le voyage (...) a fait découvrir les possibilités d'affaires là-bas».

Encore parce que nous sommes ensemble, avec les autres Canadiens, nous bénéficions des avantages d'une union économique plus imbriquée et étroite qu'on ne le croit en cette ère du libre-échange international. L'économiste en chef de la Banque royale, John McCallum, estime que les provinces canadiennes font quatorze fois plus de commerce entre elles qu'avec les États américains de taille semblable situés à des distances comparables. Croyez-vous vraiment que les entreprises québécoises pourraient se passer sans mal d'un Canada uni? Non, bien sûr. Même les chefs indépendantistes ne le croient pas, eux qui veulent le beurre et l'argent du beurre, l'union économique canadienne sans le Canada. Mais l'union économique canadienne ne vient pas du ciel : elle est indissociable de l'union politique canadienne. Elle repose sur nos institutions communes : le gouvernement fédéral, la Banque du Canada, le dollar canadien, un système judiciaire unifié, des services de santé publique transférables, un régime d'assurance-emploi, un régime de péréquation et cette chose qu'on appelle la solidarité nationale. Dans la turbulence de l'économie mondiale, nous avons plus que jamais besoin de la réduction des risques pour nos entreprises, de la plus grade stabilité de notre devise et de la plus grande fluidité de l'épargne que cette union nous procure. En se basant sur les études de l'Institut Fraser, on peut conclure que le Canada est l'un des meilleurs endroits au monde pour faire des affaires. Eh bien, ce meilleur endroit au monde nous appartient, en entier.

De même, notre bilinguisme et notre multiculturalisme représenteront plus que jamais des forces pour l'avenir. Le français et l'anglais sont des langues reconnues aux Nations-Unies et à l'OTAN. Le français est la langue officielle de pas moins de 33 pays et l'anglais de 56. Dans le monde, 800 millions de personnes parlent l'anglais et 180 millions, le français. En cette ère de mondialisation des marchés, le caractère bilingue du Canada facilite les liens commerciaux avec tous ces pays. Notre multiculturalisme nous donne des concitoyens qui comprennent la culture des pays avec lesquels nous échangeons de plus en plus. Nous avons appris, nous les Canadiens, à tirer profit de la synergie des cultures. Nous ne voulons pas assimiler les gens, les fondre dans un moule unique. Mais nous ne voulons pas non plus transformer notre pays en une série de ghettos fermés sur eux-mêmes. L'idéal canadien est celui de la cohabitation et de la synergie des cultures. Les Canadiens savent que la quête de ce qui est vrai, juste et bon doit être plurielle. Ils savent que c'est en puisant dans chaque culture, dans chaque expérience individuelle, régionale ou historique, que l'on se rapproche de ce qu'il y a de meilleur dans la civilisation. Les Canadiens savent que l'égalité n'est pas à confondre avec l'uniformité.

Le Canada est perçu à travers le monde comme un modèle universel de tolérance, d'ouverture et de respect des différences. J'avoue que je ne sais pas si le Canada est le meilleur pays au monde. Mais il me semblerait difficile de trouver un pays autre que le Canada où l'être humain a de meilleures chances d'être considéré en être humain, quelles que soient ses origines ou sa religion. M. Bouchard peut bien dire que le Canada n'est pas un vrai pays. Pour moi, c'est le pays le plus humain qui soit.

Je dis que cet esprit d'ouverture est non seulement une belle chose en soi, mais aussi une force économique, en cette ère de mondialisation où les populations se mêlent de plus en plus. Dans le prochain siècle, les pays les plus heureux et les plus prospères seront ceux dont les populations variées vivront dans l'harmonie et l'entraide, plutôt que dans la méfiance ou la haine. L'assimilation des cultures, tout comme la séparation des cultures, apparaîtront moins que jamais comme des solutions praticables ou moralement acceptables. La synergie des cultures au sein d'un même État sera source de bonheur et de richesse. Or, la synergie des cultures a un nom. Son nom c'est le Canada.

2. Pourquoi garder le Canada uni?

Voilà sans doute l'idéal d'ouverture et de générosité que nous devons offrir à ceux de nos compatriotes québécois qui se croient obligés de choisir entre le Québec et le Canada. Il ne faut pas seulement leur faire valoir la solidité des arguments économiques habituels que vous connaissez bien et leur indiquer les études économiques qui expliquent en quoi la séparation serait coûteuse. Il faut plus que leur montrer l'aide fiscale que le Québec reçoit en tant que province moins riche que la moyenne canadienne, ou leur prouver, chiffres à l'appui, que le Québec est déjà l'une des provinces les plus endettées et les plus taxées et que l'effort de compression actuel serait plus pénible encore sans l'unité canadienne. Cela ne suffit pas d'attirer leur attention sur les coûts de l'incertitude politique actuelle en terme de perte d'investissements et de population. Un coût que même M. Bouchard ne peut plus cacher : «Les financiers qui nous prêtent nous regardent avec un drôle d'air, parce qu'ils n'ont pas tellement confiance», a-t-il admis le 20 février dernier.

J'ajouterai qu'il ne suffit pas de leur faire valoir les arguments institutionnels en faveur de l'unité canadienne, c'est-à-dire que notre fédération est déjà décentralisée, elle l'est d'ailleurs de plus en plus et bien davantage qu'au moment de sa création en 1867 ou même qu'il y a trente ans; que le Québec a déjà une marge d'autonomie que lui envieraient les autres entités fédérées du monde; que les francophones et les Québécois sont très bien représentés dans les institutions communes de cette fédération; que la notion de statu quo n'a pas de sens puisque toutes les fédérations changent constamment; que le Canada a pu, par exemple, depuis le discours du Trône de février 1996, clarifier les relations fédérales-provinciales dans des domaines aussi variés que les mines, les forêts, les loisirs, le logement social, le tourisme, l'environnement, l'utilisation du pouvoir fédéral de dépenser, la main-d'oeuvre et les mesures actives pour l'emploi; et que tous ces changements peuvent s'opérer sans qu'il soit nécessaire de changer une virgule à la Constitution.

Et même s'il est nécessaire de démontrer -- aux concitoyens tentés par le séparatisme -- qu'une déclaration unilatérale d'indépendance faite par le gouvernement d'une province serait sans appui en droit international et illégale en droit canadien; qu'une tentative de sécession faite dans la confusion des règles et sans cadre juridique non seulement dresserait le Québec contre le Canada mais surtout diviserait profondément les Québécois entre eux.

Et même s'il faudra encore insister sur le caractère illusoire du «partenariat» dont nous parlent les chefs indépendantistes, un partenariat qui pourrait être «écrit, ou non écrit», soutient sans rire M. Bouchard (qu'est-ce qu'un partenariat non écrit?). Il faut expliquer que le reste du Canada ne verra l'intérêt ni n'aura l'envie de s'engager dans une structure paritaire qui accorderait à un partenaire trois fois plus petit que lui un droit de veto sur des pans entiers de sa politique économique. Il faut montrer que les institutions communes prévues par l'offre de partenariat seraient de toute façon beaucoup trop faibles pour maintenir une intégration économique canadienne actuellement garantie par un ensemble d'institutions fortes. Il faut expliquer que sans l'appui de la Banque du Canada, et en l'absence d'institutions communes qui inspirent confiance aux agents économiques, le gouvernement sécessionniste perdrait rapidement la capacité d'utiliser le dollar canadien.

Bref, même s'il faut montrer les avantages économiques et politiques d'un Canada uni, ainsi que les coûts et les incertitudes de la sécession, il convient surtout de faire valoir la valeur universelle de l'idéal canadien, celui d'une fédération forte aux populations diversifiées et solidaires. Personne ne devrait se sentir obligé de choisir entre le Québec et le Canada, et encore moins d'obliger les autres à choisir. Ensemble, l'identité québécoise et l'identité canadienne forment une formidable complémentarité. C'est une erreur que de les concevoir opposées l'une à l'autre, surtout à la veille d'un siècle où les identités plurielles constitueront plus que jamais une force. M. Bouchard, qui nous a dit récemment que nous n'étions pas Canadiens, nous les Québécois, a condensé en cette phrase l'essence même du projet péquiste : nous faire renoncer au Canada. J'affirme au contraire que c'est une chance inouïe que d'être né à la fois Québécois et Canadien.

Les Québécois doivent d'autant moins se sentir obligés de renoncer au Canada que l'esprit d'ouverture et de tolérance de ce grand pays est né précisément de l'obligation dans laquelle les Français et les Britanniques se sont trouvés d'apprendre à vivre ensemble et à s'accepter, malgré bien des difficultés et des injustices. Cette expérience initiale, lancée dès 1760, entre les Britanniques et les Français, les a disposés à leur tour à faire un meilleur accueil à leurs nouveaux concitoyens venus de tous les continents. Aujourd'hui, nous projetons nos valeurs au-delà de nos frontières en nous comportant en pays généreux, en citoyens du monde, «Votre plus belle réussite», nous a dit l'ancien Premier ministre de l'Inde, Indira Gandhi, «n'est pas le haut niveau de vie économique que vous avez atteint, mais le fait que la communauté internationale voit dans le Canada une nation d'amis, un facteur d'harmonie et de paix internationale. Les Canadiens ont une vision large et libérale du monde et de la vie. Ils ont combattu pour la paix et pour la justice envers toutes les races. Ils se sont efforcés, à titre individuel ou à travers les organismes internationaux, d'aider ceux qui sont moins favorisés qu'eux-mêmes. Les Canadiens n'ont pas de passé colonial à déplorer, ni d'obligations de ‘grande puissance' qui les gênent dans leur action, en tant qu'êtres humains au plein sens du mot».

Nous les Québécois avons trop puissamment contribué au Canada pour y renoncer. Encore récemment, ce sont surtout trois élus du Québec qui ont sorti le gouvernement fédéral de son bourbier financier : Jean Chrétien, Paul Martin et Marcel Massé. Si, parmi les pays du G7, c'est au Canada que l'OCDE promet non seulement le meilleur équilibre budgétaire des deux prochaines années, mais aussi la plus forte croissance et de l'économie et de l'emploi, nous le devons bien sûr à la discipline de tous les Canadiens, mais en particulier à la détermination de ces trois ministres fédéraux du Québec. Ils ont fait profiter le Canada entier du savoir-faire québécois.

Et aujourd'hui c'est Pierre Pettigrew, l'autre petit gars de Sillery, qui, avec le talent qu'on lui connaît, mène en première ligne la lutte à la pauvreté des enfants. En retour, je côtoie tous les jours un ministre de la Justice de l'Ontario, et un ministre de l'Agriculture de la Saskatchewan pour ne nommer que ces deux-là, qui ont aidé la société québécoise par des politiques avisées. C'est cela aussi, la synergie canadienne. C'est dans l'entraide et en tablant chacune sur ses propres forces que sept provinces sur dix ont rétabli leur équilibre budgétaire ou sont sur le point d'y arriver. De même, la société québécoise saura trouver sa voie vers l'équilibre budgétaire, forte de sa propre culture et de l'entraide canadienne. Elle y parviendrait moins difficilement, d'ailleurs, sans l'incertitude politique qui nuit tant à son économie.

M. Bouchard, lui, nous dit qu'il lui faut atteindre le déficit zéro dans le Canada, et qu'après seulement nous aurons les moyens de nous payer l'aventure indépendantiste. En toute logique, il devrait donc remercier les Québécois d'avoir voté non la dernière fois! Mais la logique n'est pas le fort de M. Bouchard, car sinon il nous conseillerait plutôt de faire la séparation tout de suite afin d'atteindre le déficit zéro, puisqu'il prétend que la fédération est le problème et la souveraineté la solution. Mais évidemment, il n'ose proposer une telle absurdité. Chacun sent bien que c'est dans l'union de tous les Canadiens, et non dans la tourmente d'une sécession, que nous nous donnons les meilleures chances de réussir.

«C'est la faute au fédéral», «le Québec ne reçoit pas sa part», ne cessent de répéter le Bloc et le Parti québécois. En attendant, le gouvernement fédéral aura, entre 1993-1994 et 1998-1999, réduit ses propres dépenses de 14,0 % comparativement à une réduction de 10,9 % touchant les transferts au gouvernement du Québec. Et notre province, qui compte pour le quart de la population canadienne, reçoit 31% des dépenses de transfert fédérales, dont 46% des paiements de péréquation. Pas mal pour un fédéralisme que M. Landry qualifie de «prédateur»! Mais je vais vous dire : nous sommes capables, nous les Québécois, de relever notre économie à un point tel qu'un jour c'est nous qui donnerons de la péréquation aux provinces moins riches. La Saskatchewan est tout près d'y arriver. Nous en sommes capables aussi! Et nous donnerons alors avec la même générosité que les autres Canadiens. Après tout, dans les années trente, nos grands-parents ont aidé l'Alberta cruellement touchée par la Dépression. Aujourd'hui, c'est elle qui nous aide, mais qui sait dans trente ans? Pourquoi nous priverions-nous de son aide maintenant? Trouvez-moi un seul argument moral qui pourrait justifier une telle absurdité économique!

La sécession ferait plus que nous affaiblir économiquement. Elle affaiblirait les liens de solidarité forts qui unissent les Québécois, par-delà nos différences linguistiques et ethniques, ainsi que ceux, non moins forts, qui rattachent les Québécois à leurs concitoyens de l'Atlantique, de l'Ontario, de l'Ouest et du Grand Nord canadien. Nos valeurs nous commandent au contraire de renforcer ces liens de solidarité. Je veux aider mes concitoyens autochtones, terre-neuviens, ontariens à exprimer leur propre façon d'être Canadiens, ainsi qu'à bâtir un avenir meilleur pour leurs enfants. Et je veux que les autres Canadiens nous aident à renforcer la société québécoise de façon à ce que l'alliage de nos différentes cultures nous rendent meilleurs et plus forts. Mais pour cela nous devons rester ensemble. Nous devons bouger les uns vers les autres au lieu d'écouter les voix de la division et de la rancoeur.

Conclusion

Il y a des erreurs de perspectives qu'il ne faudrait plus commettre. Il faut cesser de voir dans l'existence du mouvement séparatiste la preuve que le Canada est un échec. En fait, le Canada est une réussite et le sera encore davantage lorsque les Québécois et les autres Canadiens auront résolument décidé de rester ensemble. Il faut cesser de croire que les citoyens de souche française du Québec ne peuvent trouver la fierté et la solidarité que par l'édification de frontières qui nous rendraient majoritaires dans notre État. Le slogan «Nous voulons être majoritaires» tourne le dos au prochain siècle qui sera celui de l'union et non de la séparation. Il faut cesser de voir le salut dans un bouleversement constitutionnel, alors que tant de changements se font ou sont possibles sans changer un mot à la Constitution. Il ne faut plus mesurer le patriotisme québécois au nombre de pouvoirs que le gouvernement du Québec réclame d'Ottawa, comme si notre gouvernement fédéral était une puissance étrangère, tolérée seulement quand elle nous envoie des camions de sous. Il ne faut plus voir la sécession comme une opposition entre le Québec et le Canada, qui formeraient deux blocs monolithiques; la sécession diviserait surtout notre société, elle opposerait les Québécois aux Québécois.

Le 8 décembre 1996, la députée bloquiste Suzanne Tremblay a fait cette déclaration suave :«M. Chrétien dit que (le Canada) c'est le meilleur pays du monde, il faut qu'il reste le meilleur pays du monde. Eh bien, on sera le deuxième meilleur pays du monde...»

C'est là, vous en conviendrez, un idéal bien petit qui montre une méconnaissance des véritables forces du Canada et des effets destructeurs de la sécession. Si je suis contre la sécession, ce n'est pas parce que je nous crois, nous les Québécois, incapables de gérer notre propre État indépendant. Je nous vois appelés à un idéal plus grand : celui de continuer à améliorer cette superbe réussite économique et sociale qu'est le Canada; celui de lutter, aux côtés de tous nos concitoyens des autres provinces, contre les fléaux du chômage et de la pauvreté. Les solidarités québécoise et canadienne se complètent merveilleusement et ce serait non seulement une absurdité économique, mais surtout une faute morale, que de ne pas les conserver toutes les deux, pour nous-mêmes et nos enfants. C'est ensemble qu'il nous faut affronter les formidables défis du XXIe siècle. Telle est la vraie grandeur du Canada.

L'allocution prononcée fait foi.  


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Mise à jour : 1997-02-26  Avis importants