« LA VRAIE GRANDEUR DU CANADA »
NOTES POUR UNE
ALLOCUTION DEVANT
LA CHAMBRE DE COMMERCE DE LA RIVE-SUD
LÉVIS (QUÉBEC)
LE 26 FÉVRIER 1997
«Les ressources naturelles du Canada les plus précieuses ne sont pas enfouies
dans les profondeurs de la terre, (...) elles sont présentes parmi nous, à
travers les compétences et le talent des gens qui vivent dans ce pays.»
Paul Martin, discours du budget, le 18
février 1997
Petit gars de Québec, et plus précisément de
Sillery, j'ai le plaisir de rencontrer aujourd'hui ceux qui ont été, pour la
plus longue partie de ma vie, mes voisins d'en face.
Je suis fier de parler devant vous, gens
d'affaires, qui avez contribué à bâtir la rive sud. Car vous êtes des
bâtisseurs. Vous voulez construire du solide sur du solide, pour vous-mêmes et
vos familles, pour les travailleurs et leur famille, pour toute la communauté
à laquelle vous appartenez.
Nous tenons là, j'en suis sûr, l'une des
raisons pour lesquelles nos gens d'affaires, sans bien sûr être tous
fédéralistes, sont en général plus favorables à l'unité canadienne que la
moyenne des Québécois. Ce n'est pas seulement que leur métier les amène à
réaliser davantage les atouts économiques du Canada. C'est aussi qu'il leur
apparaît absurde de penser construire un nouvel étage en démolissant les
fondements de la maison.
La maison canadienne est si solide que le monde
entier nous l'envie. Nous l'avons construite ensemble, Québécois et autres
Canadiens, et nous ne devons pas y renoncer. La principale force de notre
fédération est sa capacité de faire agir ensemble, dans un même élan de
solidarité, des populations variées. Ceux qui voudraient fondre tous les
Canadiens dans un moule unique, tout comme ceux qui voudraient que le Québec se
retire d'un Canada qu'ils perçoivent comme trop différent, se trompent. C'est
le contraire qui est vrai : des populations différentes peuvent accomplir de
grandes choses quand elles décident d'être ensemble. La vraie grandeur du
Canada est son potentiel humain. Voilà mon sujet d'aujourd'hui.
1. Le succès du Canada
«Le Canada est un succès», lit-on à la page
63 du rapport du Parti libéral du Québec intitulé L'identité québécoise et
le fédéralisme canadien : reconnaissance et interdépendance. Pourquoi un
succès? En quoi la Confédération des débuts, cette vaste contrée de
défricheurs, ces villages et petites villes lancés en chapelet sur la moitié
d'un continent, est-elle devenue l'une des plus belles réalisations humaines de
notre siècle? Vous, les gens d'affaires, vous connaissez comme moi les
indicateurs de l'ONU et de la Banque mondiale, qui nous placent en tête du
palmarès de 174 pays dans différentes dimensions de l'activité socio-économique
: premier pour l'indicateur de développement humain, cinquième pour le revenu
par habitant, huitième pour l'espérance de vie et huitième aussi pour la
compétitivité selon le Forum économique mondial.
Le Canada se situe parmi les pays les mieux
placés pour franchir le cap du XXIème siècle en bonne santé économique,
selon l'OCDE. «Les experts n'hésitent plus à parler du ‘miracle canadien'»
pouvait-on lire récemment dans le quotidien français Libération : inflation
contenue, croissance prévue entre 3 et 4 %, dollar stable, taux d'intérêt les
plus bas depuis 35 ans, finances publiques assainies, forte création d'emplois,
excédent record de la balance commerciale. Voilà ce que peuvent faire les
Canadiens quand ils sont tous ensemble. Comme l'a annoncé le ministre des
Finances, M. Paul Martin, dans son discours du budget du 18 février dernier :
«L'époque des coupures touche à sa fin. Les finances du pays sont enfin
reprises en mains. Nous retrouvons la capacité de forger notre propre destin.»
Au-delà des indicateurs économiques, c'est bien
d'une qualité de vie enviable dont nous bénéficions au Canada. Une
comparaison internationale menée par l'organisme suisse Corporate Resources
Group, qui classe 118 villes du monde sur la base de 42 indices économiques,
sociaux et environnementaux, range dans le peloton de tête Vancouver au 2e
rang, Toronto au 4e, Montréal au 7e rang et Calgary au 12e rang. Quand je vois
que la ville américaine la mieux classée, Boston, ne figure qu'au trentième
rang, eh bien, savez-vous que je me sens fier d'être Canadien. Je me dis que
Vancouver et Montréal, malgré les différences de langue et la distance
géographique, partagent le même idéal, appartiennent bel et bien à une même
grande fédération généreuse.
Le succès du Canada, c'est aussi le Québec
d'aujourd'hui, notre société majoritairement francophone qui tranche dans un
continent majoritairement anglophone. Avez-vous déjà songé au fait que si le
Canada était resté sous le régime français, Napoléon aurait bien pu nous
vendre aux États-Unis en même temps que la Louisiane? Nous nous serions
dissous dans le "melting pot". Bien sûr, on ne fait pas l'histoire
avec des «si», mais il reste que c'est dans le Canada, dans l'entraide de tous
les Canadiens, que la société québécoise s'est développée avec son
caractère propre, sa langue et son régime juridique. Le fédéralisme canadien
est devenu au fil du temps l'un des plus décentralisés qui soient. Sa
souplesse a fait en sorte que le gouvernement du Québec a pu exercer nombre de
pouvoirs que les autres provinces ont préféré laisser au gouvernement
fédéral, dans des domaines aussi variés que l'immigration, la fiscalité, le
régime contributif de retraite et les relations internationales. En retour,
nous les Québécois avons aidé nos concitoyens des autres provinces à trouver
notre personnalité commune. Dès le départ, c'est bien grâce à nous, à
Georges-Étienne Cartier, si le Canada a eu la bonne fortune de devenir une
fédération. Un pays si grand, si diversifié, n'aurait jamais survécu sans la
forme fédérative. Le succès du Canada est celui du Québec, et vice-versa.
Bien sûr, nous avons des difficultés, trop de
travailleurs sans emploi, trop de pauvreté chez les enfants. Il faut rassembler
nos forces pour mieux y faire face. Mais quand nous nous comparons aux autres
pays de la planète, même les plus riches, nous nous rendons compte à quel
point la situation canadienne est enviable. En même temps, on voit bien que
rien n'est acquis et que notre avenir et celui de nos enfants dépendent des
choix que nous faisons maintenant.
L'une de nos forces, c'est bien sûr l'abondance
des richesses naturelles que nous tirons de notre immense territoire. Les mines,
l'énergie, la foresterie, l'agriculture et les pêches comptent pour 15,9 % de
notre richesse collective en plus de nous procurer des avantages concurrentiels
incalculables. Notre niveau de vie enviable vient en bonne partie de la richesse
de notre sol, de notre sous-sol et de nos océans. Songeons que moins de 0,03 %
de notre masse continentale a été utilisée jusqu'à présent par l'industrie
minière. Notre avenir repose en partie dans les incroyables réserves encore
inexploitées réparties sur tout le territoire canadien.
Regardez Terre-Neuve, la plus pauvre des
provinces canadiennes actuellement. Voilà peut-être une petite Alberta de
l'est en gestation, avec l'un des plus riches gisements jamais découverts, à
Voisey's Bay. Terre-Neuve a été aidée par les autres provinces, elle pourrait
bientôt être en mesure de leur prêter main-forte à son tour.
Mais au-delà de nos ressources naturelles, notre
principale richesse réside dans notre population. Nous avons l'immense bonheur
d'être une fédération décentralisée et solidaire de ses populations
diverses qui savent se compléter et s'entraider.
Dans la nouvelle économie, il faut savoir
combiner la force des grands ensembles et la souplesse des petites unités. Il
nous faut à la fois la solidarité nationale et l'autonomie régionale. Or,
c'est justement cette combinaison qu'offre le fédéralisme. Il donne la force
des grands ensembles et les moyens de l'autonomie régionale. Ce n'est sûrement
pas un hasard si quatre des cinq pays les plus riches au monde sont des
fédérations : le Canada, les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse.
Le budget que le ministre des Finances du Canada
a présenté la semaine dernière est une nouvelle illustration des avantages de
notre fédération et de sa capacité de se renouveler constamment. S'il s'agit
bien du budget du gouvernement fédéral, il n'en demeure pas moins que toutes
les mesures importantes qui y ont été annoncées se feront en collaboration
étroite avec les gouvernements des provinces. Prenons par exemple la nouvelle
prestation pour enfants. Le gouvernement fédéral fera ce que lui seul peut
réaliser, soit la redistribution à l'échelle du pays d'une aide égale à
toutes les familles à faible revenu, une assise sur laquelle les provinces
pourront établir leurs propres programmes. Chaque province aura tout le loisir
de mettre en place ses propres services pour aider les familles, et de
l'inventivité des unes et des autres naîtra une saine émulation. Cette
initiative est conforme à la Constitution et nous a d'ailleurs été demandée
par les provinces avant d'être négociée de main de maître par Pierre
Pettigrew. Voilà l'essence du fédéralisme qui allie à la fois la
redistribution à grande échelle et la prestation des services par des
instances plus près des citoyens.
Si j'avais le temps, je vous décrirais toutes
les autres grandes initiatives du budget pour vous montrer à quel point
l'esprit fédératif les imprègne, comme par exemple : le renouvellement du
programme d'infrastructure où nous travaillons de concert avec les provinces et
les municipalités; la réforme de nos régimes de pension, négociée avec les
provinces, qui nous placera à l'avant-garde des pays industrialisés sur ce
plan; le fonds d'innovation pour la recherche et développement, où tous sont
invités à travailler en collaboration : les universités, les provinces, le
secteur privé; le fonds de transition par lequel nous aiderons les provinces à
financer des projets pilotes en matière de santé... C'est là un sujet que je
me réserve pour lundi prochain, dans un discours intitulé «Le quatrième
budget Martin et le renouveau de la fédération» qui sera prononcé devant la
Chambre de commerce de Joliette.
Mais laissez-moi répondre brièvement à M.
Bernard Landry, qui a critiqué notre budget en disant y voir une nouvelle
preuve du caractère soi-disant centralisé de notre fédération. En fait, que
M. Landry me trouve d'autres fédérations où les dépenses propres au
gouvernement fédéral ne représentent que 38 % de l'ensemble des dépenses
publiques (26 % si on exclut le service de la dette). Quand le gouvernement
fédéral aide les provinces à lancer des projets pilotes en matière de
santé, il ne se mêle pas de gérer les hôpitaux. Quand il offre une aide
fiscale aux étudiants, il ne se mêle pas de la vie académique. Que M. Landry
me montre une seule ligne dans la Constitution qui ne nous donne pas le droit de
lancer de telles initiatives bonnes pour les gens. Qu'il me trouve une seule
fédération où le gouvernement fédéral ne se mêle ni de santé, ni de
politiques sociales, ni de recherche et développement.
Le Canada n'est pas seulement une fédération
décentralisée, la plus décentralisée, en fait, avec la Suisse, il forme
aussi une fédération solidaire misant sur l'entraide. Parce qu'ils sont
ensemble, le Québec et les autres membres de la confédération se renforcent
sur la scène internationale, dans un monde où les accords internationaux
exercent une influence de plus en plus forte sur nos vies. C'est parce que le
Canada était uni et respecté que l'ALENA a pu être négocié d'une façon si
avantageuse pour nous. C'est parce que les francophones et les anglophones du
Canada sont ensemble que les uns et les autres sont représentés au
Commonwealth et dans la Francophonie, et qu'ils font partie du G7. Nous les
Québécois avons autant accès à l'Organisation de coopération économique
Asie-Pacifique que les gens de l'Ouest ont accès à l'Organisation des pêches
de l'Atlantique nord-ouest. Une synergie extraordinaire s'est créée entre gens
d'affaires de partout au pays lorsqu'Équipe Canada est allée ouvrir de
nouveaux marchés en Asie. Prenez le Groupe Sani-Mobile Inc, d'ici même à
Lévis qui a participé à la mission d'Équipe Canada en Asie du Sud et en Asie
du Sud-Est en janvier 1996. De l'avis du président de l'entreprise et ancien
président de votre Chambre de commerce, M. Louis Larivière, «Le voyage (...)
a fait découvrir les possibilités d'affaires là-bas».
Encore parce que nous sommes ensemble, avec les
autres Canadiens, nous bénéficions des avantages d'une union économique plus
imbriquée et étroite qu'on ne le croit en cette ère du libre-échange
international. L'économiste en chef de la Banque royale, John McCallum, estime
que les provinces canadiennes font quatorze fois plus de commerce entre elles
qu'avec les États américains de taille semblable situés à des distances
comparables. Croyez-vous vraiment que les entreprises québécoises pourraient
se passer sans mal d'un Canada uni? Non, bien sûr. Même les chefs
indépendantistes ne le croient pas, eux qui veulent le beurre et l'argent du
beurre, l'union économique canadienne sans le Canada. Mais l'union économique
canadienne ne vient pas du ciel : elle est indissociable de l'union politique
canadienne. Elle repose sur nos institutions communes : le gouvernement
fédéral, la Banque du Canada, le dollar canadien, un système judiciaire
unifié, des services de santé publique transférables, un régime
d'assurance-emploi, un régime de péréquation et cette chose qu'on appelle la
solidarité nationale. Dans la turbulence de l'économie mondiale, nous avons
plus que jamais besoin de la réduction des risques pour nos entreprises, de la
plus grade stabilité de notre devise et de la plus grande fluidité de
l'épargne que cette union nous procure. En se basant sur les études de
l'Institut Fraser, on peut conclure que le Canada est l'un des meilleurs
endroits au monde pour faire des affaires. Eh bien, ce meilleur endroit au monde
nous appartient, en entier.
De même, notre bilinguisme et notre
multiculturalisme représenteront plus que jamais des forces pour l'avenir. Le
français et l'anglais sont des langues reconnues aux Nations-Unies et à
l'OTAN. Le français est la langue officielle de pas moins de 33 pays et
l'anglais de 56. Dans le monde, 800 millions de personnes parlent l'anglais et
180 millions, le français. En cette ère de mondialisation des marchés, le
caractère bilingue du Canada facilite les liens commerciaux avec tous ces pays.
Notre multiculturalisme nous donne des concitoyens qui comprennent la culture
des pays avec lesquels nous échangeons de plus en plus. Nous avons appris, nous
les Canadiens, à tirer profit de la synergie des cultures. Nous ne voulons pas
assimiler les gens, les fondre dans un moule unique. Mais nous ne voulons pas
non plus transformer notre pays en une série de ghettos fermés sur eux-mêmes.
L'idéal canadien est celui de la cohabitation et de la synergie des cultures.
Les Canadiens savent que la quête de ce qui est vrai, juste et bon doit être
plurielle. Ils savent que c'est en puisant dans chaque culture, dans chaque
expérience individuelle, régionale ou historique, que l'on se rapproche de ce
qu'il y a de meilleur dans la civilisation. Les Canadiens savent que l'égalité
n'est pas à confondre avec l'uniformité.
Le Canada est perçu à travers le monde comme un
modèle universel de tolérance, d'ouverture et de respect des différences.
J'avoue que je ne sais pas si le Canada est le meilleur pays au monde. Mais il
me semblerait difficile de trouver un pays autre que le Canada où l'être
humain a de meilleures chances d'être considéré en être humain, quelles que
soient ses origines ou sa religion. M. Bouchard peut bien dire que le Canada
n'est pas un vrai pays. Pour moi, c'est le pays le plus humain qui soit.
Je dis que cet esprit d'ouverture est non
seulement une belle chose en soi, mais aussi une force économique, en cette
ère de mondialisation où les populations se mêlent de plus en plus. Dans le
prochain siècle, les pays les plus heureux et les plus prospères seront ceux
dont les populations variées vivront dans l'harmonie et l'entraide, plutôt que
dans la méfiance ou la haine. L'assimilation des cultures, tout comme la
séparation des cultures, apparaîtront moins que jamais comme des solutions
praticables ou moralement acceptables. La synergie des cultures au sein d'un
même État sera source de bonheur et de richesse. Or, la synergie des cultures
a un nom. Son nom c'est le Canada.
2. Pourquoi garder le Canada uni?
Voilà sans doute l'idéal d'ouverture et de
générosité que nous devons offrir à ceux de nos compatriotes québécois qui
se croient obligés de choisir entre le Québec et le Canada. Il ne faut pas
seulement leur faire valoir la solidité des arguments économiques habituels
que vous connaissez bien et leur indiquer les études économiques qui
expliquent en quoi la séparation serait coûteuse. Il faut plus que leur
montrer l'aide fiscale que le Québec reçoit en tant que province moins riche
que la moyenne canadienne, ou leur prouver, chiffres à l'appui, que le Québec
est déjà l'une des provinces les plus endettées et les plus taxées et que
l'effort de compression actuel serait plus pénible encore sans l'unité
canadienne. Cela ne suffit pas d'attirer leur attention sur les coûts de
l'incertitude politique actuelle en terme de perte d'investissements et de
population. Un coût que même M. Bouchard ne peut plus cacher : «Les
financiers qui nous prêtent nous regardent avec un drôle d'air, parce qu'ils
n'ont pas tellement confiance», a-t-il admis le 20 février dernier.
J'ajouterai qu'il ne suffit pas de leur faire
valoir les arguments institutionnels en faveur de l'unité canadienne,
c'est-à-dire que notre fédération est déjà décentralisée, elle l'est
d'ailleurs de plus en plus et bien davantage qu'au moment de sa création en
1867 ou même qu'il y a trente ans; que le Québec a déjà une marge
d'autonomie que lui envieraient les autres entités fédérées du monde; que
les francophones et les Québécois sont très bien représentés dans les
institutions communes de cette fédération; que la notion de statu quo n'a pas
de sens puisque toutes les fédérations changent constamment; que le Canada a
pu, par exemple, depuis le discours du Trône de février 1996, clarifier les
relations fédérales-provinciales dans des domaines aussi variés que les
mines, les forêts, les loisirs, le logement social, le tourisme,
l'environnement, l'utilisation du pouvoir fédéral de dépenser, la
main-d'oeuvre et les mesures actives pour l'emploi; et que tous ces changements
peuvent s'opérer sans qu'il soit nécessaire de changer une virgule à la
Constitution.
Et même s'il est nécessaire de démontrer --
aux concitoyens tentés par le séparatisme -- qu'une déclaration unilatérale
d'indépendance faite par le gouvernement d'une province serait sans appui en
droit international et illégale en droit canadien; qu'une tentative de
sécession faite dans la confusion des règles et sans cadre juridique non
seulement dresserait le Québec contre le Canada mais surtout diviserait
profondément les Québécois entre eux.
Et même s'il faudra encore insister sur le
caractère illusoire du «partenariat» dont nous parlent les chefs
indépendantistes, un partenariat qui pourrait être «écrit, ou non écrit»,
soutient sans rire M. Bouchard (qu'est-ce qu'un partenariat non écrit?). Il
faut expliquer que le reste du Canada ne verra l'intérêt ni n'aura l'envie de
s'engager dans une structure paritaire qui accorderait à un partenaire trois
fois plus petit que lui un droit de veto sur des pans entiers de sa politique
économique. Il faut montrer que les institutions communes prévues par l'offre
de partenariat seraient de toute façon beaucoup trop faibles pour maintenir une
intégration économique canadienne actuellement garantie par un ensemble
d'institutions fortes. Il faut expliquer que sans l'appui de la Banque du
Canada, et en l'absence d'institutions communes qui inspirent confiance aux
agents économiques, le gouvernement sécessionniste perdrait rapidement la
capacité d'utiliser le dollar canadien.
Bref, même s'il faut montrer les avantages
économiques et politiques d'un Canada uni, ainsi que les coûts et les
incertitudes de la sécession, il convient surtout de faire valoir la valeur
universelle de l'idéal canadien, celui d'une fédération forte aux populations
diversifiées et solidaires. Personne ne devrait se sentir obligé de choisir
entre le Québec et le Canada, et encore moins d'obliger les autres à choisir.
Ensemble, l'identité québécoise et l'identité canadienne forment une
formidable complémentarité. C'est une erreur que de les concevoir opposées
l'une à l'autre, surtout à la veille d'un siècle où les identités
plurielles constitueront plus que jamais une force. M. Bouchard, qui nous a dit
récemment que nous n'étions pas Canadiens, nous les Québécois, a condensé
en cette phrase l'essence même du projet péquiste : nous faire renoncer au
Canada. J'affirme au contraire que c'est une chance inouïe que d'être né à
la fois Québécois et Canadien.
Les Québécois doivent d'autant moins se sentir
obligés de renoncer au Canada que l'esprit d'ouverture et de tolérance de ce
grand pays est né précisément de l'obligation dans laquelle les Français et
les Britanniques se sont trouvés d'apprendre à vivre ensemble et à
s'accepter, malgré bien des difficultés et des injustices. Cette expérience
initiale, lancée dès 1760, entre les Britanniques et les Français, les a
disposés à leur tour à faire un meilleur accueil à leurs nouveaux
concitoyens venus de tous les continents. Aujourd'hui, nous projetons nos
valeurs au-delà de nos frontières en nous comportant en pays généreux, en
citoyens du monde, «Votre plus belle réussite», nous a dit l'ancien Premier
ministre de l'Inde, Indira Gandhi, «n'est pas le haut niveau de vie économique
que vous avez atteint, mais le fait que la communauté internationale voit dans
le Canada une nation d'amis, un facteur d'harmonie et de paix internationale.
Les Canadiens ont une vision large et libérale du monde et de la vie. Ils ont
combattu pour la paix et pour la justice envers toutes les races. Ils se sont
efforcés, à titre individuel ou à travers les organismes internationaux,
d'aider ceux qui sont moins favorisés qu'eux-mêmes. Les Canadiens n'ont pas de
passé colonial à déplorer, ni d'obligations de ‘grande puissance' qui les
gênent dans leur action, en tant qu'êtres humains au plein sens du mot».
Nous les Québécois avons trop puissamment
contribué au Canada pour y renoncer. Encore récemment, ce sont surtout trois
élus du Québec qui ont sorti le gouvernement fédéral de son bourbier
financier : Jean Chrétien, Paul Martin et Marcel Massé. Si, parmi les pays du
G7, c'est au Canada que l'OCDE promet non seulement le meilleur équilibre
budgétaire des deux prochaines années, mais aussi la plus forte croissance et
de l'économie et de l'emploi, nous le devons bien sûr à la discipline de tous
les Canadiens, mais en particulier à la détermination de ces trois ministres
fédéraux du Québec. Ils ont fait profiter le Canada entier du savoir-faire
québécois.
Et aujourd'hui c'est Pierre Pettigrew, l'autre
petit gars de Sillery, qui, avec le talent qu'on lui connaît, mène en
première ligne la lutte à la pauvreté des enfants. En retour, je côtoie tous
les jours un ministre de la Justice de l'Ontario, et un ministre de
l'Agriculture de la Saskatchewan pour ne nommer que ces deux-là, qui ont aidé
la société québécoise par des politiques avisées. C'est cela aussi, la
synergie canadienne. C'est dans l'entraide et en tablant chacune sur ses propres
forces que sept provinces sur dix ont rétabli leur équilibre budgétaire ou
sont sur le point d'y arriver. De même, la société québécoise saura trouver
sa voie vers l'équilibre budgétaire, forte de sa propre culture et de
l'entraide canadienne. Elle y parviendrait moins difficilement, d'ailleurs, sans
l'incertitude politique qui nuit tant à son économie.
M. Bouchard, lui, nous dit qu'il lui faut
atteindre le déficit zéro dans le Canada, et qu'après seulement nous aurons
les moyens de nous payer l'aventure indépendantiste. En toute logique, il
devrait donc remercier les Québécois d'avoir voté non la dernière fois! Mais
la logique n'est pas le fort de M. Bouchard, car sinon il nous conseillerait
plutôt de faire la séparation tout de suite afin d'atteindre le déficit
zéro, puisqu'il prétend que la fédération est le problème et la
souveraineté la solution. Mais évidemment, il n'ose proposer une telle
absurdité. Chacun sent bien que c'est dans l'union de tous les Canadiens, et
non dans la tourmente d'une sécession, que nous nous donnons les meilleures
chances de réussir.
«C'est la faute au fédéral», «le Québec ne
reçoit pas sa part», ne cessent de répéter le Bloc et le Parti québécois.
En attendant, le gouvernement fédéral aura, entre 1993-1994 et 1998-1999,
réduit ses propres dépenses de 14,0 % comparativement à une réduction de
10,9 % touchant les transferts au gouvernement du Québec. Et notre province,
qui compte pour le quart de la population canadienne, reçoit 31% des dépenses
de transfert fédérales, dont 46% des paiements de péréquation. Pas mal pour
un fédéralisme que M. Landry qualifie de «prédateur»! Mais je vais vous
dire : nous sommes capables, nous les Québécois, de relever notre économie à
un point tel qu'un jour c'est nous qui donnerons de la péréquation aux
provinces moins riches. La Saskatchewan est tout près d'y arriver. Nous en
sommes capables aussi! Et nous donnerons alors avec la même générosité que
les autres Canadiens. Après tout, dans les années trente, nos grands-parents
ont aidé l'Alberta cruellement touchée par la Dépression. Aujourd'hui, c'est
elle qui nous aide, mais qui sait dans trente ans? Pourquoi nous priverions-nous
de son aide maintenant? Trouvez-moi un seul argument moral qui pourrait
justifier une telle absurdité économique!
La sécession ferait plus que nous affaiblir
économiquement. Elle affaiblirait les liens de solidarité forts qui unissent
les Québécois, par-delà nos différences linguistiques et ethniques, ainsi
que ceux, non moins forts, qui rattachent les Québécois à leurs concitoyens
de l'Atlantique, de l'Ontario, de l'Ouest et du Grand Nord canadien. Nos valeurs
nous commandent au contraire de renforcer ces liens de solidarité. Je veux
aider mes concitoyens autochtones, terre-neuviens, ontariens à exprimer leur
propre façon d'être Canadiens, ainsi qu'à bâtir un avenir meilleur pour
leurs enfants. Et je veux que les autres Canadiens nous aident à renforcer la
société québécoise de façon à ce que l'alliage de nos différentes
cultures nous rendent meilleurs et plus forts. Mais pour cela nous devons rester
ensemble. Nous devons bouger les uns vers les autres au lieu d'écouter les voix
de la division et de la rancoeur.
Conclusion
Il y a des erreurs de perspectives qu'il ne
faudrait plus commettre. Il faut cesser de voir dans l'existence du mouvement
séparatiste la preuve que le Canada est un échec. En fait, le Canada est une
réussite et le sera encore davantage lorsque les Québécois et les autres
Canadiens auront résolument décidé de rester ensemble. Il faut cesser de
croire que les citoyens de souche française du Québec ne peuvent trouver la
fierté et la solidarité que par l'édification de frontières qui nous
rendraient majoritaires dans notre État. Le slogan «Nous voulons être
majoritaires» tourne le dos au prochain siècle qui sera celui de l'union et
non de la séparation. Il faut cesser de voir le salut dans un bouleversement
constitutionnel, alors que tant de changements se font ou sont possibles sans
changer un mot à la Constitution. Il ne faut plus mesurer le patriotisme
québécois au nombre de pouvoirs que le gouvernement du Québec réclame
d'Ottawa, comme si notre gouvernement fédéral était une puissance
étrangère, tolérée seulement quand elle nous envoie des camions de sous. Il
ne faut plus voir la sécession comme une opposition entre le Québec et le
Canada, qui formeraient deux blocs monolithiques; la sécession diviserait
surtout notre société, elle opposerait les Québécois aux Québécois.
Le 8 décembre 1996, la députée bloquiste
Suzanne Tremblay a fait cette déclaration suave :«M. Chrétien dit que (le
Canada) c'est le meilleur pays du monde, il faut qu'il reste le meilleur pays du
monde. Eh bien, on sera le deuxième meilleur pays du monde...»
C'est là, vous en conviendrez, un idéal bien
petit qui montre une méconnaissance des véritables forces du Canada et des
effets destructeurs de la sécession. Si je suis contre la sécession, ce n'est
pas parce que je nous crois, nous les Québécois, incapables de gérer notre
propre État indépendant. Je nous vois appelés à un idéal plus grand : celui
de continuer à améliorer cette superbe réussite économique et sociale qu'est
le Canada; celui de lutter, aux côtés de tous nos concitoyens des autres
provinces, contre les fléaux du chômage et de la pauvreté. Les solidarités
québécoise et canadienne se complètent merveilleusement et ce serait non
seulement une absurdité économique, mais surtout une faute morale, que de ne
pas les conserver toutes les deux, pour nous-mêmes et nos enfants. C'est
ensemble qu'il nous faut affronter les formidables défis du XXIe siècle. Telle
est la vraie grandeur du Canada.
L'allocution prononcée fait foi.
|