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« LA DIVERSITÉ CULTURELLE ET
LE DÉFI  DE L'UNITÉ CANADIENNE »

NOTES POUR UNE ALLOCUTION AU
COLLÈGE UNIVERSITAIRE DE ST-BONIFACE

ST-BONIFACE (MANITOBA)

LE 13 MARS 1997


Je tiens tout d'abord à remercier les représentants des Premières nations ainsi que des communautés métisse, franco-manitobaine, ukrainienne et juive d'avoir exposé leurs opinions sur la diversité culturelle et la réconciliation nationale.

En écoutant tous les panelistes, je constate que, malgré les problèmes que notre pays a connus au cours de son histoire et les défis auxquels il fait encore face aujourd'hui, beaucoup de choses vont bien au Canada, choses que nous devons célébrer.

Nombreux sont les pays où il serait impossible d'avoir un dialogue comme celui-ci entre différents groupes ethniques.

Vous tous qui êtes assis autour de cette table pourriez citer des exemples de périodes de l'histoire du Canada où le groupe auquel vous appartenez n'a pas été bien traité, qu'il s'agisse des Métis aux prises avec des colons hostiles dans la colonie de la rivière Rouge, des Franco-Manitobains privés de leurs droits à l'éducation, des Ukrainiens internés pendant la Première Guerre mondiale, ou des Juifs exclus du Canada durant la Deuxième Guerre mondiale.

La réconciliation nationale que nous cherchons à réaliser dépend des enseignements que nous tirerons de l'histoire. Mais nous devons également nous rappeler ce que nous avons fait de bon au cours de notre histoire aussi bien que les événements que nous avons regrettés par la suite.

Le Canada offre un exemple de réussite unique au monde. Nous sommes loin d'être parfaits, mais nous sommes peut-être allés plus loin que n'importe quel autre pays en ce qui touche la réalisation des idéaux universels d'ouverture, de tolérance et de respect de la diversité.

Si nous nous comparons à nos voisins du sud, nous constatons au Canada un nombre beaucoup moins élevé de crimes violents impliquant des armes ou de la drogue. Et notre histoire compte beaucoup moins d'exemples flagrants de racisme.

Les attitudes des Canadiens reflètent leur esprit de tolérance. C'est ainsi, par exemple, que 13 % des Canadiens, comparativement à 32 % chez les Américains, affirment qu'ils s'objecteraient à ce que leurs enfants se choisissent un conjoint dans un autre groupe racial. Un sondage mené dans 19 pays indique aussi qu'immédiatement après la Suisse, le Canada est le pays où l'on s'oppose le moins à ce que les voisins soient d'une race différente -- 5 %, alors que la moyenne était de 10 % dans les autres pays.

J'ai déjà souligné qu'il n'y a peut-être aucun pays au monde où un être humain a une meilleure chance d'être respecté du fait même de sa condition d'être humain, quelle que soit sa race, sa religion ou sa culture.

Lorsqu'il disait de lui-même : «je suis nécessairement un homme, et [...] je ne suis Français que par hasard», le grand écrivain le baron de Montesquieu exprimait un point de vue on ne peut plus canadien.

Même les chapitres les plus sombres de notre histoire montrent que ce que nous avons réalisé en tant que Canadiens a exigé de nombreuses décennies de lutte difficile, et que ce que nous avons bâti ensemble vaut la peine que nous nous battions pour le conserver.

Vos communautés ont toutes joué un rôle essentiel dans l'édification de cette province, de ce pays, et tous autant que vous êtes pouvez contribuer à faire en sorte que le Canada demeure pour le reste du monde un exemple positif de reconnaissance de cette dignité inhérente à tous les humains.

Comme l'a expliqué M. Jedwab, la rencontre d'aujourd'hui a pris exemple sur l'heureuse initiative prise par les communautés juive, italienne et grecque de Montréal et de Toronto pour souligner l'importance des diverses communautés culturelles du Canada dans l'édification de notre unité nationale.

Il est particulièrement opportun de poursuivre et de développer cette initiative ici, à Winnipeg.

Nous voici, presque au centre géographique du Canada, dans une ville qui est, à de nombreux égards, le carrefour de notre pays.

L'histoire de Winnipeg, comme celle du Manitoba, a été façonnée par les Premières Nations et par les Métis, par des colons français et anglais, et par des vagues successives d'immigrants venus d'Europe de l'Est, plus récemment, du Moyen-Orient, de l'Afrique et de l'Amérique latine. Chacun de ces groupes a apporté à la ville et à la province une contribution qui en a fait un tout beaucoup plus considérable que la somme de ses parties.

Winnipeg est sans aucun doute une des villes les plus cosmopolites et les plus intéressantes du Canada. Mais pour bien comprendre cette diversité, nous devons d'abord connaître notre propre histoire.

La diversité des cultures ou mosaïque culturelle que nous célébrons n'est pas simplement le fruit du hasard. Cette diversité n'est pas non plus un fait nouveau pour le Canada. Il n'est pas juste de voir dans le Canada, ou le Manitoba, une société monolithique d'Anglo-Saxons blancs qui ne s'est diversifiée que récemment. Non, notre diversité est à la base même de l'histoire du Canada et du Manitoba.

Les réseaux de relations établis par les premiers habitants de ces terres, les Premières Nations, puis par les Français et les Anglais ont jeté les bases de notre cosmopolitisme d'aujourd'hui.

Cette histoire a de nombreuses leçons à nous enseigner : des leçons de coopération, mais aussi de conflits. Si nous voulons garantir l'avenir du Canada en tant que pays uni, nous devrons à la fois redécouvrir les meilleures caractéristiques de notre passé et tirer des enseignements des erreurs commises par nos ancêtres.

Le cas de Louis Riel, fondateur de cette province, nous fournit des exemples de ce qu'il y a de meilleur et de pire dans l'histoire du Canada. Comme Riel lui-même l'avait dit lors de l'adoption de la Loi sur le Manitoba en 1870 : «Espérons que les leçons du passé nous serviront de guide à l'avenir.»

Le regroupement des Métis sous la direction de Riel a mené à l'adoption de la Loi sur le Manitoba, qui était un modèle de libéralisme et d'accommodement culturel pour l'époque. Cette loi renfermait des garanties pour les Métis, y compris des droits en matière d'éducation et de religion, et reconnaissait les droits linguistiques des francophones et des anglophones.

Malgré leurs différences de langue, de religion et de culture, les Métis et les autres colons du Nord-Ouest ont appris à vivre ensemble dans un cadre bilingue. Cela aurait pu constituer un modèle pour tout le Canada.

Malheureusement, comme nous le savons, ces nobles précédents n'ont pas toujours été imités. La rébellion de Riel nous montre les conséquences possibles du déni des droits des minorités. La controverse relative aux écoles du Manitoba nous montre que les majorités peuvent oublier les promesses faites par le passé aux minorités linguistiques et culturelles, en l'occurrence les Franco-Manitobains.

Certaines tristes leçons de l'histoire du Manitoba auraient pu être évitées si seulement l'entente d'origine de 1870 avait été respectée. Comme l'a dit Sire Wildrid Laurier en parlant des mesures prises par le gouvernement à l'égard des Métis en 1886 : «S'il avait pris le même soin pour faire le bien qu'il a pris pour punir le mal, jamais il n'eût eu besoin de prouver à ce peuple que la loi ne saurait être violée impunément, parce que jamais la loi n'aurait été violée en rien.»

Même aujourd'hui, il importe d'être sensible à ces échos de notre passé. C'est pourquoi, lorsque le chef des Métis de la Colombie-Britannique, Jody Pierce, m'a signalé que la corde présumément utilisée pour pendre Louis Riel était encore exposée au musée de la GRC, à Regina, j'ai soulevé la question auprès de mon collègue Herb Gray. Il s'est dit d'accord avec moi que cela était sans doute inapproprié et il a fait en sorte qu'elle soit retirée. Les autorités du musée ont convenu de consulter les Métis quant à la façon dont il convient de rappeler cet épisode de l'histoire de notre pays.

À mes concitoyens francophones du Manitoba qui nous rappellent, et à juste titre, les injustices causées par la suppression des droits des francophones à la fin du XIXe siècle, je voudrais dire ici, particulièrement dans ce milieu historique de St-Boniface, que nous devons juger ces sombres pages de notre histoire à la lumière des attitudes qui prévalaient ailleurs dans le monde.

Au XIXe siècle, la plupart des pays ont pratiqué une politique d'assimilation, de centralisation et d'autoritarisme. Selon le linguiste Jacques Leclerc, cette politique a consisté à : « ... imposer unilatéralement une seule langue partout sur le territoire en ignorant le pluralisme linguistique... ». Plusieurs pays, y compris la France et les États-Unis, ont adopté une politique active d'assimilation culturelle, notamment dans leurs systèmes d'éducation publics.

Heureusement, le Canada a rejeté ce système. Il est vrai que le Canada n'a pas été aussi ouvert au pluralisme en éducation et dans les services gouvernementaux que nous le désirerions aujourd'hui, mais par rapport au reste du monde, le Canada a appris à devenir un modèle de diversité et de pluralisme. Tout n'est pas parfait, même de nos jours, mais nous avons fait des pas de géant dans ce domaine.

Ces allusions à la rébellion de Riel et à la question des écoles du Manitoba peuvent paraître comme un retour sur le passé. On me demande souvent pourquoi, dans une société multiculturelle, dans une ville comme Winnipeg où l'on trouve vingt ou trente groupes culturels originaires de toutes les régions du monde, pourquoi il est encore à propos de parler du statut des Premières Nations ou des Métis, ou des droits linguistiques des francophones.

C'est justement parce que c'est ce même esprit de tolérance et de reconnaissance mutuelle que les Canadiens francophones et anglophones ou les Autochtones et les non-Autochtones ont gagné de haute lutte qui a permis au Canada d'ouvrir ses frontières et d'accueillir d'autres groupes.

Là encore, dans cette ville, considérons la contribution des Canadiens d'origine ukrainienne. Les Ukrainiens ont été les premiers à relever le défi lancé par Laurier d'aller s'établir sur les riches terres agricoles des Prairies canadiennes, et leur présence n'est pas passée inaperçue.

Comme d'autres groupes, ils ont dû faire face à la discrimination, à certains moments, mais ils ont pu aussi conserver un sens profond de leur identité grâce à l'esprit de tolérance canadien.

Les Canadiens d'origine ukrainienne ont contribué à faire reconnaître la nature multiculturelle de la société canadienne à l'occasion des travaux de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, dans les années 1960.

Aux États-Unis, et même ici au Canada, on accuse souvent le multiculturalisme d'être un instrument de marginalisation, de division de la société.

L'expérience prouve, au contraire, que le multiculturalisme enrichit la société de façon très pratique. Par exemple, personne n'aurait pu prévoir il y a dix ans que la ténacité des Canadiens d'origine ukrainienne, que ce soit au Manitoba ou dans d'autres régions du pays, à préserver leur culture et à maintenir des liens avec leur terre d'origine donnerait lieu à d'aussi intéressantes possibilités d'échanges commerciaux et culturels avec l'Ukraine nouvellement indépendante et démocratique.

La semaine dernière, le ministre des Affaires étrangères de l'Ukraine, M. Hennadii Oudovenko, était en visite ici avec M. Lloyd Axworthy. Grâce aux efforts des Canadiens d'origine ukrainienne, les entreprises canadiennes ont maintenant une occasion unique de développer les exportations et l'investissement vers cette économie de libre marché naissante.

Notre multiculturalisme ne représente donc pas seulement un idéal humanitaire; il peut constituer un avantage économique concurrentiel dans le contexte de la mondialisation du commerce.

Cet avantage, le Canada l'a obtenu en tirant des enseignements de son passé, en développant et en adaptant son expérience première d'acceptation de la dualité des Canadiens d'origine française et anglaise, autochtone et non autochtone à la diversité multiculturelle que nous voyons aujourd'hui dans des villes comme Winnipeg, Toronto, Vancouver et Montréal.

Je suis convaincu que notre multiculturalisme peut représenter un élément positif pour l'unité canadienne.

Les dirigeants du mouvement séparatiste au Québec disent que les Québécois se trouvent devant une dichotomie : ils peuvent être Québécois ou Canadiens, mais non les deux.

Les groupes représentés autour de cette table prouvent cependant que la multiplicité des identités n'est pas une contradiction. On n'est pas moins Canadien parce qu'on est aussi Métis, ou d'origine ukrainienne, ou Franco-manitobain.

Prenons, par exemple, mon ami Jack Jedwab, l'un des organisateurs de cette rencontre. Par sa religion, par ses origines, c'est un Juif, qui parle couramment le français et l'anglais, un Montréalais, un Québécois et un Canadien. En tant que Québécois, il est fier d'appartenir à une société dont la majorité est francophone. Mais il est fier aussi d'être Canadien et de tout ce que ce pays a accompli. Comme la plupart des Québécois, il refuse de se trouver forcé de choisir entre ces identités différentes qui sont importantes et qui lui tiennent à coeur.

Car l'idéal de multiculturalisme ne constitue pas une tentative de marginalisation ou de diminution de l'importance de la culture francophone, comme certains Québécois séparatistes le prétendent.

Il témoigne plutôt du raffermissement de notre idéal canadien, qui accueille la diversité, qui affirme que l'égalité n'est pas synonyme d'uniformité, et qui reconnaît que tous peuvent avoir différentes manières d'être Canadiens.

Affirmer que le Canada est multiculturel et que tous les groupes culturels apportent une contribution importante au Canada ne signifie pas que l'on nie l'apport spécial des Premières Nations ou des Canadiens français et anglais aux premières heures de notre pays.

Nous ne saurions utiliser le multiculturalisme moderne et le fait que le Canada se compose maintenant d'une multitude de groupes, et non plus simplement de deux ou trois, comme une excuse pour restreindre l'usage du français ou les droits des Autochtones. Car si nous n'avions pas fait au tout début de notre histoire l'expérience de l'adaptation aux différences, les plus récents groupes d'immigrants auraient sans doute été forcés de s'assimiler et de s'angliciser. Le fait que le Canada ait longtemps été bilingue l'a aidé à devenir également multiculturel.

Il est absurde de s'opposer à la dualité francophone et anglophone au Canada au nom de la diversité, car sans cette dualité, nous n'aurions pas connu cette expérience qui nous a permis d'accepter une diversité plus grande encore.

Dualité de l'anglais et du français et diversité multiculturelle ne se contredisent pas; les deux concepts se complètent merveilleusement.

Nous devons faire savoir que la diversité canadienne est acceptée dans sa totalité. Nous devons accepter qu'il existe diverses manières d'être Canadiens.

La Constitution de 1982 a permis de réaliser un grand progrès à cet égard en reconnaissant l'héritage multiculturel des Canadiens et l'existence des droits des Autochtones, et en protégeant les droits qu'ont les Canadiens de langue française et de langue anglaise de recevoir des services gouvernementaux dans la langue de leur choix.

Aucune de ces reconnaissances n'a nui au Canada ni ne l'a divisé. Elles ont, au contraire, raffermi et enrichi le pays.

Aujourd'hui, nous devons reconnaître aussi dans la Constitution le caractère distinct de la société québécoise en raison de sa majorité francophone, de sa culture et de son droit civil.

Je suis convaincu que tout comme dans le cas de la reconnaissance, en 1982, des droits des Autochtones et de notre héritage multiculturel, cette reconnaissance raffermira aussi le Canada. Elle devrait être acceptée par tous les citoyens, surtout ceux qui comprennent le désir d'avoir plusieurs identités tout en demeurant de fiers Canadiens.

Que nous soyons francophones ou anglophones, que nos parents aient immigré au Canada ou que nos ancêtres aient habité ici depuis toujours, saisissons donc cette occasion qui nous est offerte d'apprendre les uns des autres et de nous réconcilier.

Si une collectivité aussi diverse et aussi variée que celle de Winnipeg peut tirer des leçons de son passé et trouver des façons de vivre en harmonie, le message qui s'en dégage pour tous les Canadiens, les Québécois compris, en est un de réconciliation, une réconciliation qui est une étape essentielle à la réalisation de l'unité nationale.

Enfin, nous devons penser au message que nous, Canadiens, envoyons au reste du monde, à l'impression que nous laisserons aux générations à venir. Si un pays aussi riche que le Canada, un pays où l'on s'est de tout temps efforcé d'être tolérant, en vient à éclater, qu'en pensera le reste du monde?

Que dira-t-on dans des pays comme le Zaïre où quelque 450 groupes tribaux et ethniques se déchirent? Que dira-t-on dans les pays aux prises avec le défi que suppose la reconnaissance des droits des minorités?

Il existe dans le monde quelque 3 000 groupes ethniques et culturels reconnus que l'on pourrait qualifier de «peuples» ou «nations», mais il y a moins de 200 États souverains. Si nous acceptons l'idéologie selon laquelle chaque peuple doit avoir un État bien à lui, cette planète finira par exploser.

C'est Laurier qui disait un jour que le XXe siècle serait le siècle du Canada. Sans vouloir m'avancer sur la justesse de cette affirmation, je dirai quand même ceci : au XXIe siècle, le monde entier devra imiter le Canada d'aujourd'hui.

L'allocution prononcée fait foi.  


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Mise à jour : 1997-03-13  Avis importants