« LE CANADA : UNE FÉDÉRATION ÉQUITABLE »
NOTES POUR UNE
ALLOCUTION DEVANT
LA CHAMBRE DE COMMERCE DE CALGARY
CALGARY (ALBERTA)
LE 4 AVRIL 1997
L'Alberta est le pays de l'esprit pionnier au Canada. Cet esprit allie la
détermination de vaincre les obstacles et le courage de reculer les frontières.
Mais il est contrebalancé par un côté plus modéré. Les vaillants colons qui
ont édifié la province savaient qu'il fallait s'entraider pour survivre aux
conditions rigoureuses de cette région alors non colonisée du pays. Il fallait
partager et faire en sorte que chacun soit traité avec équité. Cet aspect de
l'esprit pionnier guide toujours les actions des Albertains : 39,6 % font du
bénévolat, ce qui est plus que dans toute autre province canadienne.
En janvier dernier, un article du Calgary Herald
a retenu mon attention. Il avait pour titre «Calgarians united by their
gentleness» (Les Calgariens unis par leur bonté). Son auteur, Peter Menzies,
parlait du sens de l'équité et du partage des Canadiens -- qui a incité des
milliers de Calgariens à manifester leur sympathie et à donner des sous à la
famille de Grayson Wolfe. Comme vous vous le rappellerez, les parents de Grayson
faisaient face à des frais médicaux énormes qu'ils ne pouvaient régler. «D'instinct,
les Calgariens savent que cela n'a pas de sens.» écrivait Menzies. «Dans
notre coin de pays, il n'est pas nécessaire de se ruiner pour sauver la vie de
son enfant».
Il en va de même de notre fédération, qui est
fondée sur l'équité -- laquelle consiste à trouver un juste milieu entre
notre foi dans l'initiative personnelle et le sens du partage. S'entraider aux
heures difficiles, soutenir les entreprises des uns et des autres : c'est ce
sens du partage qui fait que le Canada est plus que la somme de ses parties.
À vrai dire, une grande majorité de Canadiens
estiment avoir accompli quelque chose d'exceptionnel ensemble. Avec nos valeurs
personnelles comme l'équité et le partage, nous avons édifié un pays qui
incarne ces valeurs à l'extrême. C'est essentiel dans un pays aussi grand, qui
a le bonheur de posséder de vastes ressources humaines et naturelles, mais qui
doit néanmoins composer avec les difficultés que présentent la distance, la
disparité et la diversité. Il est important que nous nous efforcions toujours
de trouver le juste milieu entre l'autonomie personnelle -- et celle de chacune
des provinces -- d'une part, et la nécessité de partager et de faire preuve
d'équité, d'autre part.
Les débats sur l'équité au Canada sont aussi
vieux que notre fédération. Ils sont peut-être inévitables dans un pays qui
est aussi profondément attaché à l'idéal du partage. Ainsi, la politique
nationale imposant le tarif douanier en 1879, qui visait à développer le
secteur manufacturier canadien dans son ensemble, à produire les recettes
nécessaires à la construction des réseaux de transport nationaux et à
favoriser le commerce est-ouest, était néanmoins largement perçue dans
l'Ouest comme étant uniquement destinée à aider les fabricants de l'Ontario
et du Québec. Le tarif du Nid-de-Corbeau, prisé des producteurs de blé des
Prairies, était considéré, quant à lui, par les producteurs de boeuf du sud
de l'Alberta, comme un frein au développement de l'industrie du bétail.
Et puis il existe certaines politiques qui sont
carrément mauvaises. Les politiciens libéraux, en commençant par ma collègue
Anne McLellan, ministre des Ressources naturelles, seront toujours conscients
des conséquences du Programme énergétique national. Ce programme est aussi un
exemple de ce qui peut arriver lorsqu'un gouvernement n'a pas de représentants
de toutes les régions du pays.
Ces débats ont toujours cours aujourd'hui. Selon
un sondage d'opinion réalisé en octobre dernier, seulement 30 % des Canadiens
pensent que le gouvernement fédéral traite toutes les provinces sur un pied
d'égalité. Les sondages démontrent que les Canadiens vivant à l'extérieur
du Québec pensent que «la belle province» est mieux traitée que les autres,
alors que les Québécois croient que l'Ontario est la province la mieux
traitée. Cette situation est fort préoccupante, et je crois qu'il est de mon
devoir de l'aborder en tant que ministre des Affaires intergouvernementales
ayant une responsabilité particulière dans le dossier de l'unité nationale.
La jalousie interrégionale est inhérente aux fédérations. Mais la situation
que nous vivons, nous au Canada, est unique. Nous formons une fédération
menacée d'éclatement et confrontée à une idéologie séparatiste qui
favorise la méfiance, les divisions et l'envie entre citoyens. Quand un groupe
de députés arrive à Ottawa avec le seul mandat de servir les intérêts de
leur propre région, cela incite d'autres régions à élire des députés qui,
à leur tour, défendent uniquement leurs intérêts. Nous perdons alors tout le
sens d'une Opposition nationale vouée à la défense des intérêts du Canada
dans son ensemble. Il est important que les partis politiques fédéraux soient
capables de mettre en équilibre les différents intérêts régionaux. Sinon,
les jalousies interrégionales continueront de s'intensifier. Et il est
essentiel pour l'unité de notre pays que notre esprit de générosité triomphe
de ces jalousies.
Le Canada ne devrait pas être considéré comme
une espèce de jeu à somme nulle parce qu'au sein du Canada, nous sommes tous
gagnants. Si notre pays se démembrait en dix républiques repliées sur
elles-mêmes, les Canadiens ne jouiraient plus des avantages énormes dont nous
bénéficions ensemble aujourd'hui. Dans bien des provinces, le filet de
sécurité sociale se relâcherait considérablement. Sans oublier que, sur la
scène internationale, un Canada uni représente un atout important. Notre
économie est assez florissante pour que nous puissions faire partie du G-7.
Dans le cadre des grandes négociations commerciales, nous sommes suffisamment
de taille pour être invités à la table aux côtés de l'Union européenne, du
Japon et des États-Unis. Nous sommes le plus important partenaire commercial
des États-Unis. Le Canada joue de plus un rôle clé au sein de l'Organisation
mondiale du commerce et dans d'autres forums internationaux. Ensemble, nous
avons le privilège de faire partie de l'APEC, du Commonwealth et de la
Francophonie.
Le Canada n'est pas un jeu à somme nulle. Chaque
province a ses propres forces et sa propre identité qui ensemble forment un
pays fort et diversifié. Aujourd'hui, l'Alberta est une province nantie, mais
s'il arrivait un jour que le marché mondial ne joue plus en faveur de vos
forces particulières, vous savez que vous pourriez alors compter sur l'aide
d'autres provinces, tout comme vous leur venez en aide en ce moment. En
réalité, il n'y a pas si longtemps, en 1986-1987, l'Alberta recevait 419
millions de dollars dans le cadre du Programme de stabilisation fiscale parce
que ses revenus avaient diminué par rapport à l'année précédente --
c'était la deuxième province à profiter de ce programme, la première étant
la Colombie-Britannique. C'est cela le Canada. Et ce «régime d'assurance» qui
caractérise notre pays stimule également la confiance des investisseurs.
L'entraide favorise notre économie.
Peut-être notre générosité est-elle plus
manifeste aux moments tragiques lorsque, à l'instar de n'importe quelle famille,
nous nous serrons les coudes instinctivement. Les gestes de solidarité posés
à l'échelle du pays à la suite de la tornade qui a eu lieu à Edmonton en
1987 et, plus récemment encore, lors des inondations au Saguenay au Québec, en
sont de bons exemples.
Cet esprit de générosité et d'équité qui
caractérise les Canadiens se retrouve dans le quatrième budget de Paul Martin.
Ce budget se penche plus spécialement sur la nécessité de faire preuve
d'équité envers les jeunes. Pour qu'il y ait équité entre les générations,
nous devons rester fidèles à notre politique de responsabilité financière,
mais investir de manière responsable et ciblée dans les générations à venir.
Ainsi, à la suite des travaux du conseil ministériel fédéral-provincial-territorial
sur la refonte de la politique sociale, nous avons annoncé une collaboration
fédérale-provinciale portant sur la création d'une nouvelle prestation
fiscale pour enfants de 6 milliards de dollars, d'ici juillet 1998. Nous avons
augmenté l'aide fédérale à l'éducation supérieure et à la formation
professionnelle de 275 millions de dollars et doublé le plafond des cotisations
annuelles aux régimes enregistrés d'épargne-études. Nous investissons aussi
plus de deux milliards de dollars dans une stratégie emploi-jeunesse pour aider
les jeunes Canadiens à échapper au cercle vicieux qu'est le «pas de travail,
pas d'expérience -- pas d'expérience, pas de travail». Autre exemple parmi
tant d'autres, nous avons convenu avec nos partenaires provinciaux, dont votre
premier ministre, de relever peu à peu le taux de cotisation au Régime de
pension du Canada (RPC) pour qu'il atteigne 9,9 % en 2003, de façon à assurer
sa viabilité et à ne pas imposer un fardeau supplémentaire aux jeunes
générations.
En fait, nos quatre budgets étaient guidés par
une recherche d'équité pour les Canadiens d'aujourd'hui -- ainsi que ceux de
demain. Notre politique budgétaire rigoureuse s'accompagne d'un souci
d'équité fiscale. Mon collègue Paul Martin a établi à cette fin un comité
technique sur la fiscalité des entreprises. Ce comité examine des moyens
d'accroître l'équité du régime fiscal, de simplifier la fiscalité des
entreprises et de réduire ainsi les coûts et les tracasseries, et d'encourager
la création d'emplois et la croissance économique. Nous avons un souci
d'équité pour toutes les catégories de citoyens -- les gens d'affaires, les
minorités linguistiques, les Autochtones et les jeunes Canadiens. Mais, bien
sûr, équité ne veut pas dire uniformité, et c'est pourquoi il est aussi
équitable de reconnaître la spécificité du Québec. Après tout, si
l'Amérique du Nord était un continent francophone, et l'Alberta sa seule
composante majoritairement anglophone, il nous faudrait reconnaître également
cette spécificité.
Mais mon allocution d'aujourd'hui porte sur
l'équité entre les différentes provinces et régions de notre pays. Je crois
que notre fédération est équitable. Cela dit, elle est en constante
évolution, et nous devrions toujours rechercher des moyens de l'améliorer et
de la renforcer. Les jalousies interrégionales ne doivent pas nous empêcher de
voir ce que le Canada a à offrir.
Équité interprovinciale
Comment les Canadiens pensent-ils que leurs
idéaux de partage et d'équité devraient agir sur le fonctionnement de notre
fédération? Eh bien, d'après une étude des Réseaux canadiens de recherche
en politiques publiques menée en 1995, seulement 10 % des Canadiens sont d'avis
que l'on devrait réduire ou éliminer les dépenses gouvernementales dans les
régions plus pauvres, alors que 60 % estiment que les Canadiens sont en droit
de s'attendre à un niveau de service minimal quel que soit l'endroit où ils
habitent. 66 % des Albertains pensent ainsi. De plus, un sondage CROP et Insight
effectué en octobre 1996 révèle que 70 à 80 % des citoyens du pays sont
d'accord avec le fait que le régime fédéral permet un partage de la richesse
entre les provinces pauvres et les provinces riches.
Nos valeurs de générosité et de partage
sous-tendent notre fédération depuis sa fondation. Comme le disait
George-Étienne Cartier, l'un des pères de la Confédération, notre
fédération est fondée sur la parenté des intérêts et des sympathies de nos
diverses collectivités. Et comme le souligne le professeur Thomas Courchene, de
l'Université Queen's, la notion de péréquation remonte à l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique. Il donne comme exemple les subventions
spéciales alors accordées à la Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick en
raison de leurs besoins financiers précis.
En 1937, un grand changement était proposé en
matière d'équité interrégionale. Cette année-là, la Commission
Rowell-Sirois recommandait que les arrangements de transferts fédéraux soient
officialisés dans un régime de «subventions nationales de rajustement»
destinées aux provinces les plus pauvres. En 1957, le Canada adoptait un
programme de péréquation officiel axé sur ce principe. Bien que cela soit
difficile à imaginer dans le contexte de l'économie florissante de l'Alberta
d'aujourd'hui, votre province a été l'une des bénéficiaires durant les huit
premières années d'existence du programme. En 1982, on jugeait le principe de
la péréquation assez important pour l'intégrer à l'article 36 de la
Constitution afin de «donner aux gouvernements provinciaux des revenus
suffisants pour les mettre en mesure d'assurer les services publics à un niveau
de qualité et de fiscalité sensiblement comparables».
Nous avons réalisé beaucoup de choses ensemble.
Toutefois, comme je l'ai dit plus tôt, nos réalisations ont toujours été
accompagnées de débats sur l'équité, débats qui, à mon avis, se polarisent
et se durcissent aujourd'hui en raison de l'absence d'un véritable parti
national fédéral d'opposition.
Les jalousies interrégionales des
années 1990
Transportons-nous maintenant à la Chambre des
communes, l'automne dernier. Notre gouvernement se trouve alors dans une
étrange situation. Caricaturons : jour après jour, le Bloc Québécois se
plaint du fait que lorsque les Lignes aériennes Canadien, dont le siège est à
Calgary, ont des difficultés, tout le monde se lance au secours de la
compagnie. Par contre, d'après le Bloc, personne ne s'occupe d'Air Canada, dont
le siège est à Montréal, parce que, comme d'habitude, le Québec est victime
de la fédération. Le Bloc veut une seule ligne aérienne pour deux pays,
tandis que nous voulons deux lignes aériennes pour un seul pays. Le Parti
réformiste, lui, soutient que lorsqu'Air Canada est dans une mauvaise
situation, nous nous lançons tous à son secours parce que le Québec est
l'enfant gâté de la fédération. D'après les réformistes, nous ne sommes
pas pressés d'aider les Lignes aériennes Canadien parce qu'il s'agit d'une
société de l'Ouest et que l'Ouest y perd toujours au change.
Imaginons que je suis Gilles Duceppe...
Imaginons pour un moment que je suis Gilles
Duceppe, le chef du Bloc Québécois. Dans le document de travail du congrès du
Bloc de 1997, intitulé Ensemble le défi, ça nous réussit, je vous dirai que,
au cours des trois dernières décennies, le gouvernement fédéral a pris de
nombreuses décisions qui ont eu une incidence négative sur l'économie du
Québec. Que la ligne Borden a favorisé le développement des raffineries de
pétrole en Ontario, au détriment du Québec. Que la décision du gouvernement
fédéral de cesser d'obliger les transporteurs étrangers à assurer des
liaisons avec l'aéroport international de Montréal à Mirabel pour leur
permettre d'avoir accès à l'aéroport Pearson de Toronto a fait perdre au
premier sa situation de plaque tournante internationale. Que le Pacte de
l'automobile conclu avec les États-Unis en 1965 a permis de concentrer la
fabrication de voitures en Ontario, au détriment du Québec. Et que le
gouvernement fédéral s'est efforcé de favoriser le transport ferroviaire dans
l'Ouest canadien tout en laissant les chemins de fer du Québec à l'abandon.
Toujours dans la peau de Gilles Duceppe, je
regarde le bilan du gouvernement Chrétien et je vous affirme que le projet de
commission des valeurs mobilières nuira au rôle de Montréal en tant que
centre financier. Que les frais imposés par la Garde côtière canadienne
auront des effets négatifs sur la compétitivité des ports du Québec. Que la
décision d'EACL de déplacer 26 postes de Montréal à Mississauga nuira à la
position qu'occupe Montréal en tant que centre d'expertise nucléaire.
Il est difficile de jouer le rôle de Gilles
Duceppe. Il faut une imagination très fertile pour être chef du Bloc
Québécois. Je vais donc maintenant revenir dans mon rôle de Stéphane Dion.
Vous savez sans doute que la ligne Borden a été
tracée afin d'établir une industrie pétrolière nationale offrant un
débouché au pétrole brut de l'Ouest canadien. A-t-elle eu des effets
négatifs sur le secteur de la pétrochimie québécoise? Pas du tout. Alors
qu'à l'ouest de la vallée de l'Outaouais il fallait obligatoirement acheter le
brut canadien à un prix plus élevé que sur les marchés internationaux, le
Québec et l'est du Canada pouvaient continuer d'importer leur brut de
l'étranger à prix moindre, ce qui leur donnait en réalité un avantage
concurrentiel. Il est vrai que certaines raffineries montréalaises ont fermé
leurs portes dans les années 1970 et 1980, mais cela s'est aussi produit
ailleurs, en raison de facteurs économiques découlant de la crise du pétrole,
et non pas à cause de la ligne Borden.
La décision prise par le gouvernement fédéral
en 1986 concernant les lignes aériennes internationales a-t-elle nui à
l'aéroport de Mirabel? Une chose est sûre, les mesures coercitives
qu'exerçait le gouvernement éloignaient les transporteurs visés non seulement
de Montréal, mais du Canada dans son ensemble. Le meilleur moyen que peut
prendre le gouvernement et les dirigeants locaux pour attirer les transporteurs
internationaux est de leur faire valoir l'attrait et les éventuels avantages
financiers d'un aéroport.
Le Pacte de l'automobile ne précise pas où les
constructeurs doivent installer leurs usines. Il s'agit plutôt d'un cadre
visant à encourager la production au Canada. Le gouvernement fédéral a-t-il
négocié un pacte afin de favoriser l'Ontario? Non, mais il n'exerce aucun
contrôle sur la géographie économique américaine ni sur les décisions du
secteur privé de s'installer à tel ou tel endroit, et le fait est que
Détroit, la ville de l'automobile, est située tout près de la frontière sud
de l'Ontario. De plus, le secteur québécois des pièces automobiles est
florissant aujourd'hui -- on n'a qu'à penser à l'usine de la General Motors à
Sainte-Thérèse -- alors que, sans le Pacte, le secteur canadien de
l'automobile se serait beaucoup moins développé.
Le gouvernement fédéral a-t-il favorisé le
transport ferroviaire de l'Ouest au détriment de celui du Québec? Au cours de
l'histoire, le gouvernement fédéral a investi des milliards de dollars dans la
construction de divers types d'infrastructure des transports partout au Canada.
Il a contribué ainsi de façon substantielle à l'expansion de l'économie
canadienne et, traditionnellement, à l'essor du secteur manufacturier du
Québec, par exemple. De nos jours, il n'est plus possible d'investir des
milliards de dollars dans de nouvelles infrastructures des transports. L'heure
est à la restructuration et à la modernisation dans ce secteur. La
privatisation met aujourd'hui le CN et le CP sur un pied d'égalité, et le CN
se positionne actuellement dans une perspective de croissance à long terme, ce
qui fera d'elle une importante société de transport montréalaise.
La Commission canadienne des valeurs mobilières
est un organisme à participation volontaire et le Québec ne sera donc pas
pénalisé s'il décide de ne pas y adhérer. Les entreprises ayant leur siège
social au Québec et souhaitant réunir des capitaux ailleurs au Canada
bénéficieraient en réalité du guichet unique que constituerait une
commission canadienne des valeurs mobilières. De plus, cet organisme national
collaborerait avec les commissions provinciales afin d'améliorer la
coordination des règles régissant les valeurs mobilières et d'en promouvoir
l'harmonisation. L'argument voulant que Montréal y perdrait une large part de
son secteur financier ne tient tout simplement pas.
La politique de recouvrement des coûts de la
Garde côtière nuira-t-elle aux ports du Québec? D'après une étude d'impact
économique approfondie effectuée pour le compte du gouvernement fédéral, son
incidence moyenne au cours des deux prochains exercices financiers serait
minimale, soit un faible 0,09 % de la valeur des marchandises expédiées. De
plus, le ministre des Pêches et des Océans collaborera étroitement avec les
intervenants de ce secteur afin d'établir les principes qui régiront les
structures régionales de frais et les niveaux de service. En outre,
l'imposition des frais relatifs à l'ouverture des voies par les brise-glace a
été reportée jusqu'en 1998-1999, ce qui atténuera les répercussions sur les
régions qui, comme le Québec, dépendent de ce service. Et il ne faut pas
oublier que le principe du recouvrement des coûts vise à réduire le fardeau
fiscal des contribuables canadiens tout en continuant d'assurer le
fonctionnement sécuritaire et efficace des voies maritimes du pays.
Le déplacement des 26 postes d'EACL de Montréal
à Mississauga fait partie d'une grande restructuration interne visant à faire
du Canada un chef de file mondial dans le domaine des réacteurs nucléaires.
Cela nuira-t-il au secteur québécois du nucléaire? Pas du tout. En fait, le
secteur québécois bénéficie de retombées de l'ordre de 100 à 150 millions
de dollars à chaque vente d'un réacteur CANDU à l'étranger. C'est pourquoi
il est dans l'intérêt du Québec de voir EACL devenir le plus concurrentiel
possible.
Imaginons que je suis Preston Manning...
Maintenant que j'ai répondu brièvement aux
doléances de M. Duceppe, imaginons que je suis Preston Manning. Je vous dirai
que sept provinces sont à la remorque de l'Alberta et de la
Colombie-Britannique en raison notamment de la péréquation et du Transfert
canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Que les libéraux
fédéraux ne s'intéressent guère à l'Ouest ni ne le comprennent. Que, quand
ça va mal, la Colombie-Britannique et l'Alberta doivent se débrouiller seules
économiquement, mais que, quand ça tourne rondement, elles sont exploitées au
profit de l'Est et du Centre canadiens. Que les programmes de développement
régional du gouvernement exploitent également l'Ouest. Mais je dois vous
préciser que la capacité du Parti réformiste de se faire du capital politique
sur les jalousies interrégionales a été quelque peu amoindrie par l'aveu
même de Preston Manning à un auditoire de Vancouver «que la véritable
progression du Parti dépend de sa capacité à effectuer une percée importante
en Ontario»
Mais, fait assez triste, cela n'a pas empêché
le réformiste Monte Solberg de donner à entendre que l'aide fédérale aux
sinistrés du Saguenay était mue par des visées politiques. En des termes
particulièrement mal choisis, M. Solberg a soutenu en effet que «les vannes
avaient été ouvertes au moment où il était temps de venir à la rescousse du
Québec», mais que l'aide accordée aux sinistrés de sa circonscription avait
été plutôt mince. Signalons, en passant, que l'aide financière fédérale
aux sinistrés est fondée sur une formule préétablie.
Les paiements de péréquation sont-ils justes?
Les provinces moins bien nanties sont-elles un boulet pour l'Alberta et la
Colombie-Britannique, comme Preston Manning l'a soutenu dernièrement à
Winnipeg? Ces paiements sont calculés d'après une formule énoncée dans la
loi. À la base, les recettes qu'une province pourrait tirer à des taux
d'imposition moyens nationaux sont comparées à une norme représentative
(fondée sur les capacités du Québec, de l'Ontario, du Manitoba, de la
Saskatchewan et de la Colombie-Britannique). Si le total des recettes qu'a pu
tirer une province est inférieur à cette norme, les recettes par habitant sont
ramenées au niveau de la norme au moyen des paiements de péréquation
fédéraux.
Pris hors-contexte, les chiffres en cause peuvent
sembler inéquitables. Par exemple, en 1996-1997, les Terre-Neuviens auraient
reçu en moyenne 2 520 $ par personne grâce aux principaux transferts
fédéraux de fonds et de points d'impôt, contre en moyenne 1 469 $ au Québec
et 816 $ en moyenne en Alberta. Mais pris dans leur contexte, ces chiffres
révèlent que, en 1997, l'Alberta viendrait en tête pour ce qui est du PIB par
habitant avec 33 353 $, tandis que le PIB par habitant de Terre-Neuve se
situerait à 17 785 $, soit deux fois moins que celui de l'Alberta.
Permettez-moi d'insister : le PIB par habitant de l'Alberta est deux fois plus
élevé que celui de Terre-Neuve et, pourtant, les Terre-Neuviens ne recevront
que 1 704 $ de plus par habitant en transferts fédéraux.
Cela serait-il équitable pour les
Terre-Neuviens, les Québécois et d'autres prestataires si ces paiements
n'existaient pas? Je ne crois pas et, comme je l'ai indiqué plus tôt, la
grande majorité des Canadiens ne le pense pas non plus.
Prenons comme autre exemple le Transfert canadien
en matière de santé et de programmes sociaux, une enveloppe unique qui
remplace le Régime d'assistance publique du Canada et le Financement des
programmes établis. Ce transfert est-il équitable? Eh bien, en le
restructurant, nous avons tenu compte des suggestions du gouvernement albertain
et d'autres afin qu'il soit plus équitable. La répartition des fonds entre les
provinces sera donc rajustée graduellement afin de mieux tenir compte de la
distribution de la population des provinces. Par exemple, nous nous sommes
donnés jusqu'à l'exercice 2002-2003 pour réduire de moitié les disparités
par habitant.
Notre gouvernement a-t-il négligé les
intérêts de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et des autres provinces des
Prairies? Vous vous rappellerez que, dans les années du gouvernement Mulroney,
M. Manning avait fait campagne avec le slogan «the West wants in» (l'Ouest
veut sa part). Or, il y a longtemps qu'il ne l'a pas utilisé, car avec le
gouvernement du Premier ministre Jean Chrétien, l'Ouest touche sa juste part.
Et je puis vous assurer que la ministre des Ressources naturelles Anne McLellan
et la leader du gouvernement au Sénat Joyce Fairbairn représentent cette
région avec force au Cabinet, à l'instar de leurs collègues David Anderson,
Lloyd Axworthy et Ralph Goodale.
Les mesures prises par les deux ordres de
gouvernement pour modifier le système d'imposition des sables bitumineux ont
aidé les investisseurs actuels et ont dernièrement incité Shell à venir
investir 1 milliard de dollars dans un nouveau projet. Je dois signaler qu'une
étude réalisée en 1995 par l'Institut de recherches en politiques publiques
révèle que, au chapitre des allégements fiscaux fédéraux, l'Alberta sort la
grande gagnante en termes relatifs puisqu'elle jouit de presque 16 % des
allégements fiscaux accordés, alors que son économie représente moins de 11
% du PIB. À l'échelon international, nous avons insisté avec virulence au
cours des négociations commerciales multilatérales de l'Uruguay Round,
conduites maintenant sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce, pour
que soient réduites les subventions agricoles. Et notre gouvernement, fort de
l'intérêt et de la solidarité de tous les Canadiens, appuie votre soumission
pour accueillir l'Expo 2005. Votre ville sera, en retour, une vitrine de
prestige pour l'ensemble du Canada.
Le financement équitable de l'établissement des
immigrants était un dossier particulièrement important pour la
Colombie-Britannique. Le mois dernier, nous avons annoncé l'attribution à
certaines provinces de fonds supplémentaires reflétant le nombre d'immigrants
qu'elles accueillent. La Colombie-Britannique a donc reçu un supplément de
22,4 millions de dollars, l'Alberta 2,9 millions de dollars et le Manitoba 730
000 $. À la suite de l'annonce, le premier ministre de la Colombie-Britannique
Glen Clark a indiqué qu'ils avaient fait part de leurs griefs au gouvernement
fédéral, et que le Premier ministre avait écouté. «Il nous a écoutés», a
répété M. Clark, «et nous avons travaillé fort et nous avons réussi à
régler plusieurs vieux problèmes». [Traduction} Voilà un excellent exemple
de notre approche consistant à régler graduellement les griefs régionaux, et
de ce qui a été, comme l'a fait observer le premier ministre Clark, une
victoire pour la Colombie-Britannique et une victoire pour le Canada.
L'Ouest a longtemps bénéficié de nombreuses
mesures de développement, par exemple de subventions pour le transport du
grain, ainsi que de fonds pour les lignes secondaires et l'achat de
wagons-trémies. Et, comme je l'ai mentionné précédemment, la
Colombie-Britannique et l'Alberta ont été les deux premières provinces à
profiter du Programme de stabilisation fiscale. Le gouvernement fédéral a
aussi consenti des sommes considérables pour la tenue d'événements uniques,
notamment 200 millions de dollars pour les Olympiques à Calgary, 27,8 millions
de dollars pour le Plan d'action du Fraser et des fonds au gouvernement de la
Colombie-Britannique pour la tenue du Sommet de l'APEC de cette année.
Autres griefs régionaux
Bien sûr, d'autres régions ont aussi leurs
griefs. J'en mentionnerai brièvement un ou deux. Ainsi, les provinces
Atlantiques disent parfois que la politique fédérale de développement
industriel favorise le Canada central. Or, elles ont obtenu le programme des
frégates, une aide dans le secteur des pêches et, par le truchement de
l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, un appui important pour
les entreprises de la région. Certaines provinces Atlantiques expriment des
doutes concernant la formule utilisée actuellement pour les transferts de
péréquation. Selon cette formule, les provinces moins nanties verront leurs
paiements de péréquation diminuer quand les recettes tirées des ressources
naturelles augmenteront. Pourtant, les transferts de péréquation peuvent
être, et ont été, rajustés pour assurer une certaine marge de manoeuvre
quand une province «moins riche» dépend beaucoup des ressources naturelles et
donc, de recettes cycliques ou temporaires. Enfin, il ne faut évidemment pas
oublier que les paiements de péréquation existent pour fournir un financement
transitoire afin d'assurer des niveaux de service raisonnablement comparables,
quel que soit le revenu provenant de l'économie locale injecté dans les
coffres provinciaux, non pas pour garantir une source de revenu permanente.
Pendant ce temps, l'Ontario s'est plainte comme
la Colombie-Britannique au sujet du financement de l'établissement des
immigrants. Elle recevra toutefois environ 35,3 millions de dollars
supplémentaires cette année. Et, évidemment, il y a aussi les griefs
interrégionaux. Dois-je mentionner la rivalité qui existe entre votre ville et
la capitale de la province?
En clair, l'équité est le grand principe à
suivre. Ainsi, pas une seule province canadienne ne peut se plaindre d'être une
laissée-pour-compte. Le Canada ne doit pas être considéré comme une sorte de
chéquier que l'on peut répartir entre les provinces. Le Canada est une famille
de provinces, de territoires et de populations ayant pour grand principe
l'équité. Comme l'a indiqué le premier ministre Klein, «notre objectif doit
être une Alberta forte dans un Canada fort et uni» [Traduction libre].
Votre ancien et très admiré trésorier
provincial, Jim Dinning, a récolté tous les lauriers à l'échelle du pays
pour avoir aidé votre premier ministre à assainir les finances de l'Alberta.
Avec beaucoup d'éloquence, il a résumé ce que veut dire l'équité en disant
que les Albertains croient en ce principe. Que manifestement on demandera, à
l'occasion, aux mieux nantis de débourser plus que les démunis et que, selon
lui, ce gouvernement ne croit pas en un fédéralisme de chéquier. Rappelant la
situation de l'Alberta dans les années 1920, 1930 et 1940, M. Dinning a conclu
que les Albertains sortent nettement gagnants de cette collaboration
fédérale-provinciale.
Conclusion
En fait, tous les Canadiens, d'un océan à
l'autre, y trouvent plus que leur compte de participer à la fédération. Le
Canada est une fédération équitable. Il répond aux différents besoins de
ses citoyens et des régions qui le composent, mais de façon juste. Le
sentiment général qui se dégage, et dont nous pouvons être fiers, en est
donc un d'équité. Bien sûr, il faut constamment veiller à ce que cette
équité soit maintenue et à régler les griefs justifiés. Dans le dernier
budget, le ministre Paul Martin a pris des mesures importantes pour répondre
aux préoccupations des jeunes Canadiens. Et notre gouvernement continuera à
s'attaquer graduellement à d'autres problèmes d'équité et à bâtir un
avenir meilleur pour nous tous.
Je suis persuadé que, en dépit des défis à
relever, notre fédération abordera le XXIe siècle forte et unie. Pourquoi?
Entre autres parce que je crois à la générosité des Canadiens. Comme je l'ai
déjà dit, les Albertains sont des Canadiens très généreux et ils
contribueront de façon importante au mouvement de réconciliation nationale.
Les Canadiens ne passent pas leur chemin dans l'indifférence totale. Notre
générosité et notre esprit d'équité l'emporteront sur les jalousies
interrégionales, et envers et contre tous ceux qui cherchent à exploiter ces
jalousies pour se faire rapidement du capital politique. Pour le bien de notre
pays, il le faut.
L'allocution prononcée fait foi.
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