ÉNONCÉ DU MINISTRE DION SUR LA MODIFICATION
DE L'ARTICLE 93 (ÉDUCATION) DE LA
LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1867
À LA CHAMBRE DES
COMMUNES
OTTAWA (ONTARIO)
LE 22 AVRIL 1997
Monsieur le Président, j'ai l'honneur d'informer la Chambre que plus
tard au cours de la journée je prendrai les dispositions pour que cette
résolution de modification constitutionnelle soit déposée devant la Chambre
et qu'elle soit renvoyée à un comité mixte spécial qui fera rapport au
Parlement.
Il y a une semaine, le 15 avril 1997,
l'Assemblée nationale du Québec a voté à l'unanimité en faveur d'une
résolution de modification constitutionnelle qui mettrait fin à l'application
au Québec des paragraphes (1) à (4) de l'article 93 (éducation) de la Loi
constitutionnelle de 1867.
Lorsqu'un tel projet de modification leur est
soumis, députés et sénateurs doivent se poser trois questions fondamentales.
Premièrement : quelle est la formule de modification qui pourrait s'appliquer
à ce cas précis? Deuxièmement : la modification envisagée est-elle une bonne
chose pour les citoyens touchés? Et troisièmement : cette modification
reçoit-elle un appui raisonnable auprès des citoyens touchés? Je vais donner
les réponses du gouvernement à chacune de ces trois questions dans le cas de
la modification qui nous provient de l'Assemblée nationale du Québec.
1. La formule de modification
Le gouvernement du Canada est d'avis que
l'article 93 peut être modifié en vertu de l'article 43 de la Loi
constitutionnelle de 1982. L'article 43 traite des dispositions applicables à
une seule ou à plus d'une province mais pas à toutes. La modification peut se
faire avec l'approbation de la Chambre des communes et de «chaque province
concernée», selon la version française, ou «of each province to which the
amendment applies», selon la version anglaise qui est ici plus précise. Cela
veut dire que la modification touchera seulement le Québec mais ne modifiera en
rien les dispositions constitutionnelles qui s'appliquent aux autres provinces.
Avant la modification constitutionnelle de 1982,
l'article 93 n'aurait pu être modifié sans emprunter les voies traditionnelles
prévues par la Loi constitutionnelle de 1867. Il aurait fallu demander
au Parlement de Westminster d'entériner la modification.
La modification constitutionnelle votée par
l'Assemblée nationale entre clairement dans la catégorie des modifications
bilatérales prévues en vertu de l'article 43 de la Loi constitutionnelle
de 1982. Nos avis juridiques sont catégoriques à cet effet. C'est
l'information que j'ai communiquée à mon homologue M. Jacques Brassard,
ministre des Affaires intergouvernementales du Québec, lors de notre première
rencontre à ce sujet le 7 février dernier.
Puisqu'il s'agit d'une modification bilatérale,
chacun des deux parlements doit la débattre. Mais il importe que le débat
n'ait pas lieu en même temps dans les deux parlements. Il faut éviter la
confusion qu'un débat simultané pourrait créer. Pour chacune des quatre
modifications bilatérales qui se sont produites jusqu'ici, le débat a d'abord
eu lieu à l'assemblée législative de la province puisque l'initiative venait
d'elle. Encore cette fois, comme l'initiative venait de la province, et d'autant
qu'il s'agissait de l'un de ses champs de compétence -- l'éducation -- le
débat devait d'abord avoir lieu à l'Assemblée nationale. Celui-ci vient de se
terminer par un vote unanime en faveur de la modification envisagée.
Le Parlement canadien peut maintenant entrer en
scène. Comme la Constitution requiert son accord, il lui faut prendre sa propre
décision quant à la valeur de la modification envisagée. C'est même là son
devoir, car il représente les citoyens touchés par la modification au même
titre que le parlement de cette province. Le Parlement du Canada est aussi celui
des Québécois. Les institutions fédérales sont aussi celles des Québécois.
Le Canada entier appartient aussi aux Québécois.
2. La valeur de la modification
constitutionnelle
Le gouvernement du Canada croit que la
modification constitutionnelle proposée est une bonne chose et je vais
maintenant expliquer pourquoi. Les origines de l'article 93 de la Loi
constitutionnelle de 1867 précèdent la Confédération. Cet article fut
inclus dans la Constitution canadienne pour octroyer aux gouvernements
provinciaux la responsabilité dans le domaine de l'éducation et pour rassurer
les minorités confessionnelles quant à leurs droits au moment où la Province
unie du Canada allait être divisée pour créer les provinces du Québec et de
l'Ontario. L'article visait à protéger les minorités confessionnelles
catholiques et protestantes. Ces garanties furent ensuite étendues à d'autres
provinces canadiennes.
Jusqu'à la Révolution tranquille, les
Québécois catholiques et protestants semblaient satisfaits de ce système
hérité des valeurs politiques et sociales du XIXe siècle. Toutefois, depuis
le dépôt du rapport de la Commission provinciale d'enquête sur l'enseignement
en 1966, la société québécoise s'est interrogée à maintes reprises sur le
bien-fondé d'un système érigé sur des bases confessionnelles. C'est que la
société québécoise s'était laïcisée, comme la plupart des autres
sociétés occidentales.
Du côté francophone, la configuration actuelle
des commissions scolaires rend plus difficile l'intégration des nouveaux
arrivants à la communauté francophone, telle que le prévoit la législation
provinciale. La communauté anglophone, elle, a longtemps considéré les
commissions scolaires protestantes comme une institution vitale à son
épanouissement. Toutefois, ces commissions scolaires n'ont jamais regroupé les
anglophones catholiques en leur sein. Par contre, elles ont accueilli une
proportion grandissante d'enfants dont la langue d'instruction est le français.
Par conséquent, la communauté anglophone risque à moyen terme de perdre le
contrôle de commissions qui reflètent de moins en moins sa réalité
sociologique et qui ne peuvent de toute façon répondre aux besoins de sa
composante catholique.
C'est pour cela que, durant les vingt dernières
années, de nombreuses voix se sont fait entendre, tant chez les francophones
que chez les anglophones, chez les catholiques aussi bien que chez les
protestants, pour préconiser un système à caractère linguistique plutôt que
confessionnel. Depuis un certain temps déjà, il existe un consensus
québécois sur la nécessité de réorganiser en ce sens les structures
scolaires.
Toutefois, pour des raisons diverses, toutes les
tentatives précédentes ont échoué, y compris la proposition présentée par
la ministre de l'Éducation du Québec, madame Pauline Marois, en juin dernier.
C'est alors que le gouvernement du Québec a envisagé la modification
constitutionnelle qui permettrait de déconfessionnaliser les structures
scolaires.
Cette modification soulève la question des
droits religieux mais aussi, indirectement, celle des droits linguistiques
étant donné les liens étroits que l'histoire a forgés entre les commissions
scolaires protestantes et la communauté anglophone.
Commençons par la question religieuse. La
modification considérée mettra un terme à l'application des paragraphes 93
(1) à (4) de la Loi constitutionnelle de 1867 au Québec et éliminera
de ce fait les garanties constitutionnelles de nature confessionnelle.
Si les Québécois approuvent une
déconfessionnalisation des structures, un grand nombre tient à l'instruction
religieuse. La ministre de l'Éducation du Québec, madame Pauline Marois, a
déjà indiqué que les écoles qui le désirent pourront conserver leur
orientation confessionnelle. De surcroît, le droit à l'enseignement religieux
demeure garanti par l'article 41 de la Charte des droits et libertés de la
personne du Québec.
Considérons maintenant la question linguistique.
La modification envisagée n'affaiblirait pas les droits constitutionnels de la
minorité anglophone. En effet, la loi qui a modifié la Constitution canadienne
en 1982 garantit pour la première fois les droits à l'instruction dans la
langue de la minorité au moyen de la Charte canadienne des droits et libertés
et de son article 23.
S'il est vrai que l'Assemblée nationale ne
reconnaît pas la Loi constitutionnelle de 1982, la résolution qu'elle
nous envoie est précédée d'un attendu qui «réaffirme les droits consacrés
de la communauté québécoise d'expression anglaise». L'article 23 de la
Charte fut d'ailleurs rédigé à l'époque en tenant compte des politiques
québécoises en matière de langue d'enseignement. Du reste, le gouvernement du
Québec n'en conteste pas l'applicabilité. La résolution que je dépose
aujourd'hui est précédée par un attendu qui réaffirme que la Charte
canadienne des droits et libertés s'applique partout au Canada.
L'article 23 de la Charte offre de fortes
garanties constitutionnelles à la minorité linguistique. L'article 93 ne
garantit que l'existence de structures de gestion confessionnelles à Montréal
et Québec et le droit à la dissidence dans le reste de la province mais ne
protège pas les droits linguistiques. Qui plus est, le contrôle et la gestion
des structures scolaires linguistiques sont en fait garantis par la
jurisprudence découlant de l'article 23 de la Charte et non de l'article 93.
Dans le jugement Mahe (1990), la Cour suprême a
déclaré que l'article 23 «confère un droit qui impose au gouvernement des
obligations positives de changer ou de créer d'importantes structures
institutionnelles». Depuis lors, d'autres jugements sont venus confirmer
l'interprétation de l'arrêt Mahe.
Il est vrai que l'étendue du droit à
l'enseignement dans la langue de la minorité que confère l'article 23 varie
selon le nombre d'élèves concernés. Cependant, la jurisprudence ne fixe pas
la barre très haute pour justifier le droit pour la minorité d'établir et de
contrôler une structure de gestion telle une commission scolaire, ou tout
simplement d'y participer. Même s'il n'y avait que 242 élèves fréquentant
une école francophone à Edmonton au moment où l'arrêt Mahe fut rendu (1990),
la Cour suprême a jugé que cela entraînait un droit de gestion et de
contrôle de l'école par le biais d'un mécanisme de représentation de la
minorité linguistique au sein des commissions scolaires.
C'est en quelque sorte grâce aux modifications
constitutionnelles de 1982 que le gouvernement du Québec peut procéder de la
façon qu'il préconise aujourd'hui. Il peut proposer que les droits
confessionnels ne s'appliquent plus, justement parce que le droit à
l'instruction dans la langue de la minorité et le droit à la gestion des
structures qui en découle sont protégés par la Loi constitutionnelle de
1982.
3. L'appui à la modification envisagée
Il est certainement préférable que le projet
d'une modification constitutionnelle recueille l'appui des populations
concernées, y compris des minorités lorsque celles-ci sont touchées.
Non pas que les minorités aient toujours raison
(avec un tel raisonnement, les aristocrates seraient encore au pouvoir!). Mais
il est du devoir des parlementaires d'avoir un préjugé favorable envers les
minorités. Ce principe vaut particulièrement en matière constitutionnelle,
tant il est vrai que les constitutions démocratiques existent aussi pour
protéger les droits individuels et ceux des minorités. C'est du moins de cette
façon que le gouvernement libéral conçoit le Canada.
Dans le cas présent, le gouvernement du Canada
tient à souligner le vote unanime à l'Assemblée nationale ainsi qu'un
consensus raisonnable qui rejoint des éléments dans toutes les composantes de
la société québécoise.
Certains catholiques s'opposent à la
modification, mais leurs évêques ne s'y objectent pas. Certains groupes issus
de la communauté anglophone auraient souhaité que l'Assemblée nationale
saisisse cette occasion pour renforcer les droits constitutionnels de la
minorité linguistique. C'est là certes un objectif louable. Le gouvernement du
Canada accueillera à bras ouverts toute province qui voudra renforcer les
droits de sa minorité linguistique et ainsi devenir un exemple à suivre pour
les autres provinces. Nous n'avons pas exigé de la province du
Nouveau-Brunswick l'adhésion des autres provinces au bilinguisme officiel avant
de lui permettre de consacrer pour elle-même l'égalité de statut de ses deux
composantes linguistiques en 1993. Notre passion pour l'égalité ne doit jamais
être synonyme de nivellement.
Cependant, le fait qu'une modification
constitutionnelle ne renforce pas une minorité n'est pas une raison suffisante
pour s'objecter à cette modification. L'important est que la modification ne
brime pas cette minorité et recueille en son sein un appui raisonnable.
Plus le consensus est large, plus l'application
de la modification constitutionnelle peut s'opérer dans de bonnes conditions.
Le gouvernement du Canada croit que la commission parlementaire qu'il entend
former pourrait être l'occasion d'élargir le consensus. Les questions
importantes que soulève la modification seront étudiées dans un cadre
parlementaire, comme le veut la culture démocratique que les Québécois
partagent avec les autres Canadiens. On pourra ainsi donner à différents
experts, groupes et citoyens l'occasion d'exprimer leurs points de vue et
d'écouter les réponses de leurs parlementaires.
Afin de concilier la célérité et le respect de
la procédure parlementaire, cette commission sera conjointe de façon à ce que
des députés et des sénateurs puissent mener leurs travaux simultanément.
Conclusion
Le gouvernement croit que le projet de
modification constitutionnelle qui nous arrive de l'Assemblée nationale entre
dans la catégorie des modifications bilatérales autorisées par l'article 43
de la Loi constitutionnelle de 1982. Le gouvernement croit que cette
modification doit se faire rapidement, dans le respect de la procédure
parlementaire, car ses retombées seront bonnes pour la société québécoise,
y compris ses deux composantes linguistiques.
La société québécoise est parvenue à
établir un consensus sur une question constitutionnelle qui touche des aspects
aussi vitaux pour les gens que l'école, la langue et la religion. Cela montre
à quel point cette société est belle et combien elle contribue, à sa façon,
à grandir le Canada.
L'allocution prononcée fait foi.
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