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« LE CANADA VA Y ARRIVER, MALGRÉ TOUT! »

NOTES POUR UNE ALLOCUTION À LA
CONFÉRENCE BIENNALE DE L'ASSOCIATION
AMÉRICAINE DES ÉTUDES CANADIENNES

MINNEAPOLIS (MINNESOTA)

LE 21 NOVEMBRE 1997


Étant donné que vous tous, ici présents aujourd'hui, êtes des étudiants passionnés des affaires canadiennes, je sais que vous vous intéressez beaucoup à l'avenir de mon pays. Au lendemain du référendum tenu au Québec en 1995, on a publié dans les médias américains un certain nombre d'articles donnant à penser que le Canada ne franchirait pas le cap du prochain siècle sans brisure. Je veux vous faire une prédiction ici, à Minneapolis, la ville de l'émission de Mary Tyler Moore : «Le Canada va y arriver, malgré tout»!

Vous avez bien raison d'étudier les affaires canadiennes! Mon pays est un bon sujet d'études, car il réalise de grandes choses, aussi bien à l'étranger que chez lui.

Le Canada et le monde

Le Canada est un bon citoyen du monde; il projette au-delà de ses frontières ses valeurs de générosité et de tolérance, de même qu'un engagement inébranlable envers la paix et la démocratie. Permettez-moi de vous donner juste quelques exemples de ce que je veux dire.

Les Canadiennes et Canadiens peuvent s'enorgueillir du fait que chaque fois que nous avons envoyé des troupes à l'étranger au XXe siècle, nous l'avons fait pour défendre la démocratie ou pour nous joindre à d'autres pays dans le cadre de missions de maintien de la paix. Nous pouvons être fiers, aussi, de ce que notre pays a inventé l'insuline plutôt que la bombe atomique. C'est un Canadien -- l'ancien Premier ministre Lester B. Pearson -- qui a eu l'idée d'une force internationale de maintien de la paix, ce qui lui a valu le prix Nobel de la paix. Depuis, des milliers de Canadiens ont fait partie de missions internationales de maintien de la paix et plus d'une centaine ont donné leur vie non seulement pour leur pays, mais aussi pour l'ensemble de l'humanité. J'aimerais citer un de ces modèles de bravoure, le caporal-chef Mark Isfeld, qui est mort au moment où il procédait à l'enlèvement de mines terrestres en Croatie, le 21 juin 1994. À mes yeux, ses propos résument le sens même du concept de maintien de la paix. Dans une lettre à un ami où il évoquait les dangers des armes antipersonnel, il a écrit ceci :

«Je sais ce que ces trucs peuvent faire. Les civils, les petits enfants, ils ne le savent pas. Mes compétences me permettent de les protéger. [Nous] pensons au nombre de vies [que nous avons] sauvées, et non à [celle que nous exposons à] des risques».  

Aujourd'hui, le Canada est à la tête d'une «action» mondiale qui a pour but l'interdiction des mines antipersonnel, qui ont tué et handicapé des dizaines de milliers de personnes. 90 % de ces victimes étaient des civils, dont un bon nombre, des enfants. Environ 500 nouvelles victimes viennent alourdir ce bilan toutes les semaines. Notre gouvernement est très encouragé du fait que plus de 100 pays se sont ralliés au processus d'Ottawa, qui arrivera à son point culminant en décembre, lorsque sera signé dans la capitale du Canada un traité interdisant l'utilisation, la production, le transfert et le stockage de mines antipersonnel. Votre concitoyenne américaine, Jody Williams, lauréate du prix Nobel, a récemment fait l'éloge du Canada, parce qu'il a fait prendre une nouvelle orientation au monde :

[«si le ministre des Affaires étrangères Axworthy n'avait pas pris cette initiative l'an dernier, en agissant en grande partie de son propre chef, provoquant un choc dans les milieux diplomatiques[. . .], nous n'en serions pas là aujourd'hui»], a-t-elle déclaré. 

C'est également un Canadien, John Humphrey, qui a été un chef de file dans la rédaction de la version initiale de la Déclaration universelle des droits de l'homme, laquelle, comme l'avait prédit Eleanor Roosevelt, est devenue la «Grande Charte internationale de toute l'humanité». Aujourd'hui, grâce à notre politique d'aide au développement international, le Canada figure parmi les pays qui investissent le plus d'efforts en vue de faire progresser les causes que sont la démocratie, les droits de la personne et le statut des femmes. Notre tradition démocratique, notre engagement envers la primauté du droit ainsi que notre société bilingue et multiculturelle, nous ont bien préparés à aider les pays d'Europe de l'Est ainsi que l'ex-Union soviétique à faire la transition vers la démocratie. La réputation du Canada en tant que société ouverte et tolérante nous habilite à fournir des conseils en matière de gestion des affaires publiques, de réforme institutionnelle et de lois sur les droits des minorités.

L'édification de nos valeurs

Si le Canada est devenu une société aussi ouverte et aussi tolérante, cela tient notamment au fait qu'il a été marqué dès le départ par sa diversité : anglophones, francophones et peuples autochtones. De nos jours, le Canada -- tout comme les États-Unis --est l'un des pays les plus diversifiés au monde sur le plan culturel.

Les Anglais et les Français, ennemis traditionnels sur le Vieux continent, ont eu à apprendre à vivre ensemble dans le nouveau monde. Bien sûr, cette expérience n'a pas été sans heurts. Bien que les francophones aient traversé des périodes difficiles et aient subi des injustices, la communauté française au Canada, enracinée en grande partie au Québec, a résisté à la pression presque écrasante de la langue anglaise en Amérique du Nord; elle a non seulement survécu, mais elle a prospéré.

Le Canada n'est absolument pas le seul exemple d'une société qui a connu des tensions de ce type. Aucune société diversifiée n'est à l'abri de ces problèmes, qu'ils trouvent leurs racines dans la langue, le caractère ethnique ou la culture. Les États-Unis en ont eu leur juste part, aussi bien au cours de leur histoire que récemment. De nos jours, la Californie, Hawaï et New York en constituent tous des exemples. Cela dit, vous vous efforcez de remédier à ces tensions par la voie du dialogue.

Dans le même ordre d'idées, les colons britanniques et français ont appris à se respecter et à s'accepter. Cet apprentissage nous a préparés à accueillir de nouveaux arrivants venus de tous les coins du monde qui, plus récemment, sont devenus des citoyens canadiens. On a souvent dit du Canada qu'il forme une mosaïque. Il n'y a aucun doute que tout comme chaque morceau d'une mosaïque, chacune des différentes communautés au Canada contribue à l'identité globale de notre pays. Au fil des ans, nous avons appris à transcender nos différences de langue et d'origine et à acquérir des valeurs et des convictions qui nous unissent, comme l'ouverture, la civilité, la générosité et l'engagement envers la paix.

Les Canadiennes et les Canadiens d'un océan à l'autre, indépendamment de la province où ils vivent, ont en commun un profond sentiment de solidarité et de communauté. Les Canadiens de toutes les régions croient au partage et à l'entraide. Ils croient à l'effort collectif en vue de réaliser le bien commun. Vous savez, lorsqu'un de vos anciens présidents a fait campagne en prenant pour slogan son désir de faire des États-Unis une société «plus soucieuse de l'autre, plus compatissante», beaucoup de gens ont pensé qu'il parlait du Canada! La conviction qu'ont les Canadiens qu'il faut se serrer les coudes apparaît peut-être de façon plus évidente lorsque se produisent des événements tragiques, comme les inondations qui ont dévasté la région du Saguenay, au Québec, l'an dernier, et la catastrophe de la rivière Rouge de cet été, qui a submergé une bonne partie du sud du Manitoba. Dans ces deux cas, des milliers de personnes de toutes les régions du pays ont donné de l'argent et des biens; ils ont partagé le désarroi de ceux qui étaient directement touchés. Le fait que les administrateurs du fonds de secours du Saguenay ont envoyé 1,5 million de dollars au Manitoba a démontré, peut-être de manière plus claire et plus poignante que tout autre geste, l'importance que mes concitoyens canadiens accordent à l'entraide.

Ce sentiment d'appartenance à une communauté nationale n'en permet pas moins à chaque province et à chaque groupe culturel au Canada de vivre son identité canadienne à sa propre manière. La diversité culturelle est à la fois une réalité de la vie pour les Canadiens et une valeur fondamentale de notre société. D'ailleurs, le nationalisme canadien a peut-être un caractère unique dans le monde en ce sens qu'en plus d'être très discret, il repose sur la mise en valeur de la diversité et de la différence.

Le Québec à l'intérieur du Canada

Le fait que le Canada soit un grand pays s'explique en partie par la présence du Québec. Je prends la parole devant vous aujourd'hui, fier d'être Québécois et fier d'être Canadien. Pour moi, ces deux composantes de mon identité se renforcent mutuellement et je suis très attaché à chacune d'elles. Je suis fier d'être partie prenante de ce que les Québécois ont réalisé ensemble -- la société dynamique, à prédominance francophone que nous avons édifiée, contre vents et marées, sur un continent où l'anglais domine. Je suis extrêmement fier, aussi, d'être associé à ce que notre famille élargie, le Canada, a réalisé. Les sondages révèlent que je suis loin d'être le seul qui éprouve ces sentiments : la grande majorité de mes concitoyens du Québec se définissent à la fois comme Québécois et comme Canadiens, en dépit de tous les efforts des dirigeants sécessionnistes.

Les Québécois ont contribué de façon décisive à faire du Canada ce qu'il est aujourd'hui. D'ailleurs, pendant 26 des 28 dernières années, le Premier ministre du Canada a été un Québécois. Au sein du Québec, nous avons édifié une société qui, comme le Canada dans son ensemble, a le souci de l'autre, est respectueuse de la diversité, est tolérante et démocratique. Les entrepreneurs québécois, forts de l'appui à la fois des gouvernements fédéral et provincial, en ont fait un centre mondial pour les industries de technologie de pointe, notamment l'industrie pharmaceutique, l'énergie hydroélectrique, l'aérospatiale et la biotechnologie. Notre volet culturel est un des plus dynamiques, des plus créateurs et des plus fascinants parmi les sociétés francophones. De nos jours, nos artistes éblouissent le monde : Céline Dion, Robert Lepage, le Cirque du Soleil et l'Orchestre symphonique de Montréal, pour n'en nommer que quelques-uns. Et, à titre d'amateur de sports, je ne peux résister à la tentation de faire remarquer que le premier champion mondial canadien de la Formule 1, Jacques Villeneuve, est Québécois, sans parler d'un nombre incalculable de vedettes de la Ligue nationale de hockey, celles d'hier et d'aujourd'hui!

Tout cela prouve, comme je l'ai dit il y a quelques instants, que les Québécois ont réussi non seulement à préserver sur notre continent une société où prédomine la langue française, mais à faire en sorte qu'elle soit florissante. Vous conviendrez, j'en suis certain, que ce n'est pas là une réalisation négligeable. Depuis le début de la Confédération, le Québec n'a jamais été aussi francophone qu'il ne l'est aujourd'hui. En 1997, pas moins de 94 % des Québécois peuvent s'exprimer en français. Cela est attribuable en partie aux lois linguistiques canadiennes et québécoises adoptées dans les années 1960 et 1970 afin de reconnaître et de protéger le statut de la langue française. Même si au départ elles ont suscité une certaine controverse, il n'en reste pas moins que les lois linguistiques du Québec sont plus libérales que celles qui ont été adoptées dans d'autres démocraties comme la Belgique et la Suisse.

Pourquoi la sécession est une erreur

Lorsqu'ils observent les succès du Québec au sein du Canada, d'aucuns font l'erreur de penser que certains Québécois veulent se séparer parce que le Québec est moins tolérant que le reste du Canada. Ce n'est pas le cas. Le Québec est une société formidable. Le problème ne vient pas de la société québécoise; le problème, c'est la sécession elle-même. La sécession fait partie de ces questions qui peuvent engendrer l'intolérance et la division et ce, même dans les sociétés les plus tolérantes et les plus démocratiques.

Le Québec, tout comme le Canada dans son ensemble, est une société dont les valeurs démocratiques libérales sont profondément ancrées. Les Québécois, à l'instar des autres Canadiens, sont très ouverts aux autres cultures. Pas moins de 82 % des Québécois, selon un sondage effectué en 1996, croient que les immigrants représentent un enrichissement culturel pour notre société. Les chiffres les plus récents qui sont disponibles montrent qu'au cours d'une période d'un an, des familles québécoises ont adopté 881 enfants de l'étranger, dans des pays comme la Chine, Haïti et le Vietnam.

Le discours du grand courant nationaliste québécois, qu'il soit fédéraliste ou non, ne tombe pas dans l'idôlatrie de la race qui a dominé le discours nationaliste dans de nombreuses régions du monde au début du XXe siècle. Le nationalisme québécois est à caractère civique plutôt qu'ethnique et, lorsqu'il s'exprime avec ouverture et est canalisé pour le bien de tous les Canadiens, il peut se révéler une force positive pour notre pays.

Certains Québécois pensent que pour protéger leur identité québécoise, ils doivent se séparer. Ils se trompent. Les Québécois ont accompli beaucoup de choses au sein du Canada, aussi bien dans leur propre province qu'en travaillant avec d'autres Canadiens pour le mieux-être de l'ensemble du pays. Pourquoi mes concitoyens québécois devraient-ils avoir à abandonner une dimension de leur identité, une dimension de leurs réalisations? Depuis le tout début du Canada, les Québécois se sont employés à enrichir et à faire grandir notre pays. Nous avons toujours vu grand. Pourquoi devrions-nous maintenant rétrécir notre champ de vision?

La sécession est une question dangereuse qui est source de division. Il s'agit d'un acte politique par lequel un groupe de personnes tourne le dos au reste de ses concitoyens. Les dirigeants séparatistes québécois disent : «Pourquoi devrions-nous continuer d'entretenir des liens de solidarité et de citoyenneté avec les autres Canadiens? Contentons-nous de préserver les seuls liens liés à nos intérêts économiques». Or, dans une démocratie, nous ne devrions pas parler d'abandonner nos concitoyens. La démocratie nous oblige à maintenir et à renforcer nos liens de communauté et de solidarité. D'ailleurs, il est très difficile de concilier sécession et démocratie. Ce n'est pas un hasard si le droit international ne reconnaît un droit de sécession que dans des situations coloniales ou dans des cas d'oppression violente, c'est-à-dire dans des situations où tous ne se voient pas accorder tous les droits liés à la citoyenneté.

Dans un article paru récemment dans le Boston Globe, Lester C. Thurow, du Massachusetts Institute of Technology, a écrit que dans la nouvelle économie mondiale, les États plus petits peuvent survivre plus facilement qu'avant, de sorte que «chacun se sent beaucoup plus libre de se retirer de grands pays et de créer de petits pays plus homogènes», y compris le Québec, qui «n'a pas besoin du reste du Canada du point de vue économique» [Traduction libre]. En réalité, John McCallum, de la Banque royale du Canada, estime que les échanges commerciaux entre deux provinces canadiennes sont, en moyenne, 14 fois plus élevés que le commerce entre une province canadienne et un État américain, après ajustement des chiffres en fonction de la dimension du marché et des distances. De plus, les provinces, au Canada, bénéficient de la stabilisation assurée par la péréquation et par d'autres paiements de transfert. Les frontières comptent. De toute évidence, une sécession ne saurait se résumer à sa seule dimension économique. La sécession serait économiquement mauvaise pour le Québec, mais elle constituerait également une faute sur le plan moral et, d'un point de vue pratique, elle créerait un gâchis.

La sécession représente une solution extrême, un des actes semant le plus la discorde dans une société. La sécession du Québec n'aurait pas uniquement pour effet de faire éclater le Canada. Elle dresserait les Québécois les uns contre les autres et générerait l'intolérance dans une société aujourd'hui très tolérante et très ouverte. Dans un pays aussi démocratique, aussi riche, qui a autant de succès et qui est aussi respectueux de la diversité que l'est le Canada, rien ne saurait justifier la sécession.

De plus, elle enverrait au monde un signal erroné. Le Canada est un modèle pour le monde de par sa capacité de faire place à la diversité et de la mettre en valeur. La sécession, toutefois, établirait un précédent fâcheux. Selon Daniel Elazar, de l'Université Temple à Philadelphie, on compte actuellement environ 3 000 groupes d'êtres humains qui se reconnaissent une identité collective. Pourtant, les Nations Unies ne reconnaissent que 185 États. La conviction selon laquelle chaque société possédant son propre caractère distinct devrait devenir un État provoquerait manifestement le chaos sur notre planète. En tant qu'Américains, vous avez de nombreuses responsabilités dans le monde et à ce titre, vous avez un intérêt particulier à ce que le Canada reste uni.

Le Québec n'est pas un échec, le Canada n'est pas un échec mais la sécession en serait un. Au cours du prochain siècle, lorsque le principal défi qui se posera à de nombreux États consistera à assurer la coexistence de populations différentes, on aura, plus que jamais, besoin du Canada comme modèle de tolérance et d'ouverture. Si nous n'arrivons pas à préserver notre unité, nous enverrons un signal désolant au reste du monde : le signal comme quoi même un pays aussi comblé que le Canada n'arrive pas à faire en sorte que des populations de langues et d'antécédents différents puissent vivre en harmonie les unes avec les autres.

Les perceptions erronées du Québec et du Canada

Un élément qui me mobilise beaucoup dans l'exercice de mes fonctions, en ce moment, c'est de voir à quel point le fait d'avoir un mouvement séparatiste au Québec véhicule à l'étranger une image tordue de ma province et de mon pays. Alors que, par le passé, on nous admirait, de nos jours, on nous cite en exemple de «ce qu'il ne faut pas faire» et même de «ce qu'il faut éviter à tout prix». C'est pourquoi, aujourd'hui, j'aimerais aborder brièvement deux perceptions erronées qui circulent au sujet du Canada et du Québec.

1. Avoir un «Québec» :

Une des raisons qui m'ont incité à me lancer dans l'arène politique réside dans le fait que je ne veux pas que les majorités aient peur de donner des droits à leurs minorités. Dans ma toute première déclaration en qualité de ministre, j'ai affirmé ceci : «Le Canada, s'il se brisait, deviendrait le repoussoir des majorités inquiètes. De cette fédération défunte, il serait dit qu'elle est morte d'une surdose de décentralisation, de tolérance, de démocratie en somme. Sa fin servirait d'alibi à tout ce que le monde compte de partisans de la ligne dure face aux aspirations des minorités[...] Au lieu de répandre ainsi la méfiance entre majorités et minorités, il nous appartient au contraire d'illustrer la concorde de différentes populations au sein d'un même État».

Votre Congrès envisage d'offrir à Porto Rico la possibilité de devenir un État. Toutefois, des critiques (1) affirment que cette situation créerait «le Québec des États-Unis». De plus, nous avons entendu le même type d'argument outre-Atlantique : «ne donnez pas à l'Écosse ou au pays de Galles un Parlement, parce que vous allez créer des Québec en Grande-Bretagne».

Je rêve d'entendre les majorités dire l'inverse : «Regardez, nous pouvons vivre en bonne entente avec nos propres minorités et accepter leur différence. C'est ce qu'ils ont fait au Canada. Regardez à quel point la force de l'identité québécoise a bien servi le Canada». Après tout, le Canada, c'est un succès, et une des raisons de ce succès tient à la contribution faite par les Québécois.

2. Le multiculturalisme et le bilinguisme : une menace?

Si, à mon avis, le bilinguisme et le multiculturalisme du Canada constituent deux des plus formidables forces de mon pays, ce n'est pas toujours la perception qu'en ont des gens dans votre pays. Tout récemment, plusieurs élus à la Chambre des représentants des États-unis en ont critiqué les effets sur le Canada avant d'adopter un projet de loi qui ferait de l'anglais la langue officielle des États-Unis. Le républicain Robert Goodlatte, de la Virginie, a soutenu que le multiculturalisme et le bilinguisme avaient fait naître des «mentalités de ghetto. La déstabilisation du Québec. Une intolérance, à l'inverse, de la part des immigrants à l'égard de la culture et des institutions canadiennes, et la dévalorisation de l'idée même d'une nationalité commune». [Traduction libre] De plus, en 1995, Pat Buchanan, candidat à la présidence du Parti républicain, a émis un communiqué de presse dans lequel il affirmait que les Américains «devraient regarder le Canada» et y trouveraient des preuves que «le bilinguisme et le multiculturalisme sont porteurs de virus profondément dangereux» [Traduction libre].

Je répondrais que l'acceptation de ce que le philosophe politique canadien Charles Taylor, un Québécois, appelle une «profonde diversité» constitue un élément fondamental de l'identité canadienne. L'ensemble du Canada contredit les thèses de ceux qui soutiennent, comme l'a fait le théoricien allemand Herder, que «l'État le plus naturel est un État où n'existe qu'une nationalité possédant un seul caractère». [Traduction libre] Au contraire, les Canadiennes et les Canadiens sont l'exemple même du fait qu'on peut imbriquer les identités les unes dans les autres, concept qu'ont étudié un certain nombre de politologues canadiens.

La dualité linguistique du Canada nous a aidés à devenir un pays tolérant et ouvert. Le fait de disposer de deux fenêtres sur le monde nous renforce de multiples façons, que ce soit dans les domaines social, culturel ou économique.

L'attachement du Canada au multiculturalisme contribue à faire en sorte que notre pays favorise une meilleure intégration et une meilleure cohésion. Même si les commentateurs que j'ai cités il y a un instant considèrent qu'il affaiblit le Canada, un sondage réalisé en 1996 révèle que seulement 13 % des Canadiennes et Canadiens ne sont pas d'accord avec l'idée que «la diversité culturelle renforce le Canada». Le Canada a été le premier pays au monde qui a adopté une politique en matière de multiculturalisme et nouscontinuons de donner le ton à cet égard. D'ailleurs, selon un rapport récent de la Commission mondiale de la culture et du développement, organisme de l'UNESCO, l'approche qu'adopte le Canada sur le plan du multiculturalisme constitue un modèle pour d'autres pays.

Conclusion

Si je suis très confiant en ce qui concerne l'unité du Canada, c'est que la plupart de mes concitoyens québécois seraient d'accord avec les propos que j'ai tenus devant vous. Ils considèrent que le Canada est un pays qui a réussi. Ils croient que c'est une chance d'être à la fois Québécois et Canadien. Ils ne sont attirés par l'option sécessionniste que lorsque les dirigeants sécessionnistes leur disent qu'ils pourraient continuer de faire partie du Canada, d'une façon ou d'une autre, même s'ils votent pour eux. Lorsque nous les aurons convaincus du fait qu'il n'y a pas de contradiction à être à la fois Québécois et Canadien, l'appui à la sécession va chuter, ce qui se produit d'ailleurs en ce moment.

Le gouvernement du Canada fait valoir cet argument. Neuf provinces l'ont fait aussi par l'intermédiaire de la déclaration de Calgary, qui met l'accent sur les valeurs que nous avons en commun en tant que Canadiens. De plus, nous travaillons tous pour améliorer ce pays en ramenant ensemble le déficit à zéro et en abaissant le taux de chômage. Nous oeuvrons de concert avec les provinces afin de former des partenariats dynamiques. En outre, nous nous assurons que tous les Canadiens comprennent l'ampleur des difficultés que provoquerait l'éclatement de notre pays.

Donc, en guise de conclusion, je tiens à répéter que j'ai bon espoir, en tant que ministre des Affaires intergouvernementales, en tant que Québécois et Canadien, qu'au cours du prochain millénaire, le Canada demeurera un pays uni, tolérant et ouvert. Nous allons y arriver. C'est une bonne nouvelle pour les Québécois et pour tous les Canadiens. C'est aussi une bonne nouvelle pour vous, nos amis américains, qui souhaitez que le Canada préserve son unité, non seulement pour des raisons économiques, mais aussi en tant que voisin et allié fort et confiant.

(1) Par exemple, le représentant Luis V. Gutierrez a fait observer que «Porto Rico ne constitue pas seulement un territoire, c'est une nation. [L'imposition du statut d'État présente des risques]. Il suffit de regarder le Québec» [Traduction libre]. (The Washington Post, 30 septembre 1997); le maire de San Juan, Sila Maria Calderon, s'est posé la question suivante : «le Congrès est-il disposé à accueillir un peuple hispanophone ayant un sentiment de nationalité aussi pleinement développé que celui du Québec et aussi jaloux de la protection de sa langue que l'est le Québec?» [Traduction libre] (The Toronto Star, 26 octobre 1997).

Le discours prononcé fait foi.  


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Mise à jour : 1997-11-21  Avis importants