« AU-DELÀ DU PLAN A ET DU PLAN B :
LES DEUX DÉBATS SUR L'UNITÉ CANADIENNE »
NOTES POUR UNE
ALLOCUTION DEVANT
LE CERCLE DES JOURNALISTES DE MONTRÉAL
MONTRÉAL (QUÉBEC)
LE 3 DÉCEMBRE 1997
Mesdames et Messieurs des médias, je vous remercie de cette occasion qui m'est
donnée de vous résumer la façon dont le gouvernement du Canada envisage la
question de l'unité canadienne. Ce soir, il m'apparaît important que nous
touchions ensemble la substance du débat, au-delà des notions de plan A et de
plan B. Avec M. Bouchard, ces deux notions sont devenues des notions
préfabriquées, des crans d'arrêt à la pensée. Vous savez combien
l'expression «plan B» est synonyme «d'attaques» contre le Québec dans les
discours incantatoires du chef péquiste.
Et comme lui et ses ministres sont à court
d'arguments, ils préfèrent dénigrer l'interlocuteur. C'est la réponse qu'ils
ont faite à mes lettres.
Allons ensemble au-delà du plan A et du plan B.
Ce qui est vrai, c'est qu'on peut ranger en deux débats les nombreuses
questions soulevées par l'unité canadienne et l'avenir du Québec. Le premier
porte sur les avantages comparés d'un Canada uni par rapport à un Québec
indépendant. Le second porte sur la procédure par laquelle le Québec pourrait
être changé en un État indépendant. Donc 1) pourquoi l'unité canadienne; 2)
comment cette unité pourrait cesser d'être. Il s'agit de deux débats
différents mais qui ne sont pas sans lien, car la façon dont la sécession
serait tentée aurait des effets sur les conséquences de cette sécession.
Ainsi, ce serait une erreur que d'envisager ces
deux débats comme étant contradictoires, opposés l'un à l'autre, le plan A
et le plan B. Les deux sont nécessaires et ils doivent être menés de front,
dans un même élan de clarification.
1. Pourquoi le Québec doit
rester au sein du Canada
Les Québécois doivent choisir de rester dans le
Canada parce que le pays qu'ils ont bâti avec les autres Canadiens est
incontestablement une réussite sur cette planète. Et cette réussite, les
Québécois et les autres Canadiens la doivent au fait d'être ensemble. Telle
est, sous sa forme la plus simple, l'argumentation que le gouvernement du Canada
fait valoir auprès des Québécois et de l'ensemble des Canadiens.
Nous sommes conscients toutefois que l'argument
du succès canadien, si vrai soit-il, ne suffit pas. Il faut aussi gagner la
bataille de l'identité. La plupart des partisans du OUI sont prêts à admettre
que le Canada est un succès. Mais ils voient dans le souverainisme une façon
d'affirmer leur identité québécoise. Les convaincre qu'ils n'ont pas à
choisir entre le Québec et le Canada est sans doute l'enjeu le plus important.
Commençons par les réalisations concrètes du
Québec dans un Canada uni. De ce point de vue, il y a une erreur de perspective
à ne plus commettre : celle qui fait apparaître l'existence du mouvement
séparatiste comme la preuve que le Canada est un échec. Cette fausse
perspective amène certains à en déduire que le Québec doit sortir du Canada
tandis que d'autres en concluent plutôt que le Canada doit avoir une «dernière
chance» de se réformer en profondeur de façon à ce qu'il devienne enfin
acceptable aux Québécois.
La vérité m'apparaît tout autre. Il me semble
que le Canada que les Québécois ont bâti avec les autres Canadiens est un
succès qui sera encore plus éclatant quand l'idéologie séparatiste ne nuira
plus à notre cohésion. Les changements que nous opérons ne visent pas à
rendre le Canada acceptable : il l'est déjà. Ils visent à améliorer un pays
qui est une réussite globale mais qui est loin d'être parfait. Quand les
gouvernements redressent les finances publiques, renforcent l'économie, lancent
de nouvelles initiatives contre la pauvreté des enfants, harmonisent les lois
fédérales avec le Code civil ou modifient la Constitution dans le domaine
scolaire, ils ne rendent pas acceptable un pays qui l'est déjà, ils
l'améliorent.
Ce n'est pas là un plaidoyer pour le statu quo.
Cette notion de statu quo n'a pas de sens. Une fédération évolue constamment
et il faut s'assurer que c'est dans le meilleur intérêt des citoyens. Des
progrès ont été faits depuis deux ans et les premiers ministres continueront
sur cette lancée lors de leur rencontre des 11 et 12 décembre qui portera sur
l'union sociale.
À propos de cette réunion prochaine des
premiers ministres, M. Bouchard déclarait samedi dernier devant ses militants :
«J'ai vu l'ordre du jour. Ils veulent qu'on
parle d'abord de politique sociale. C'est bizarre, parce que selon la
Constitution, la politique sociale relève de nous».
C'est certainement une lecture abusive de la
Constitution que de dire que le gouvernement du Canada n'a aucun rôle à jouer
dans les domaines social et de la santé. M. Bouchard serait bien incapable de
trouver une seule fédération moderne où le gouvernement fédéral ne se mêle
ni de politique sociale ni de santé. M. Bourassa n'avait pas sur ces questions
les mêmes idées que M. Trudeau, mais il n'a jamais nié que le gouvernement
fédéral avait un rôle à jouer. Ainsi dès 1970, il revendiquait pour les
provinces «une responsabilité prioritaire» en matière de politique sociale
et reconnaissait «le rôle essentiel du gouvernement fédéral visant à
assurer un niveau de vie acceptable à tous les Canadiens».
De même, aujourd'hui, y a-t-il des différences
entre les approches de MM. Chrétien, Romanow, Klein ou Johnson, mais ces
différences sont inévitables et souvent salutaires dans la recherche des
meilleures politiques pour les citoyens.
M. Bouchard et ses ministres nous disent que
cette fédération est paralysée par des conflits incessants entre le
gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec et ceux des autres provinces.
En fait, de telles tensions existent dans toutes les fédérations. Il ne faut
pas que les difficultés fassent oublier les succès. Prenons l'exemple de la
formation professionnelle. Tant que cette question était en litige, plusieurs
voulaient y voir la preuve d'un dysfonctionnement irrémédiable de la
fédération canadienne. Maintenant qu'une solution a été négociée par M.
Pettigrew et madame Harel, on n'en parle plus, sauf pour rappeler l'affirmation
de M. Bouchard selon laquelle il a fallu 31 ans pour faire débloquer les choses.
Cette affirmation est trop souvent acceptée sans examen, y compris dans les
rangs fédéralistes. Le Canada ne s'est évidemment pas croisé les bras
pendant 31 ans avant de s'intéresser à la formation de sa main-d'oeuvre. Des
ententes fédérales-provinciales ont été signées qui n'étaient peut-être
pas parfaites, mais qui ne devaient pas être si mauvaises puisque le Canada se
classe au 2e rang mondial pour la compétitivité de sa main-d'oeuvre selon
l'indice le plus récent du International Institute for Management Development (IMD).
En somme, la société québécoise et le Canada
forment un ensemble qui marche bien et qui a tout intérêt à ne pas se
disloquer. Les arguments abondent pour convaincre de plus en plus de nos
concitoyens de se détourner des partis indépendantistes. Il faut mettre en
lumière ces arguments par nos gestes et nos paroles. Tous mes collègues du
gouvernement Chrétien sont mobilisés dans cet effort, car l'unité canadienne
touche tous les aspects de notre vie collective et ne doit pas être enfermée
dans une discussion sèche sur la Constitution.
Cela dit, il reste l'autre bataille à mener,
celle de l'identité. De nombreux Québécois savent bien que le Canada est un
succès mais ne se sentent pas à l'aise dans un pays où la plupart des
habitants ne parlent pas leur langue et n'ont pas les mêmes références
culturelles qu'eux. Ce malaise identitaire est un phénomène très répandu
dans ce monde global sur lequel s'ouvre le prochain siècle.
On peut déjà leur dire que le français n'est
pas menacé au Québec. En fait, jamais le Québec n'a été aussi français que
maintenant, avec 94 % de sa population en mesure de parler cette langue. Hors du
Québec, il ne faut pas jeter la serviette : les francophones sont plus
scolarisés qu'auparavant et mieux pourvus de droits, de ressources culturelles
et d'institutions propres. La séparation «leur ferait la vie dure», comme l'a
reconnu M. Parizeau le 25 novembre dernier à Edmonton.
Mais l'identité n'est pas qu'affaire
d'insécurité. Elle est surtout affirmation de soi. C'est là l'enjeu principal
à mon avis. Nous, les Québécois, sommes aussi des Canadiens. Et si nous
sommes à la fois Québécois et Canadiens, ce n'est pas seulement par intérêt
bien compris. C'est parce que ces deux identités font partie de nous-mêmes et
que nous en sommes fiers. Alors nous devrions voter en conséquence. Il est
anormal qu'au dernier référendum 49 % des Québécois aient voté OUI alors
qu'un sondage tenu quelques mois plus tôt indiquait que 80 % (dont 61 % de
partisans du OUI) se disaient «fiers d'être à la fois Québécois et
Canadiens». Il est anormal que le OUI demeure au-dessus de la barre des 40 %
quand des sondages récents montrent qu'une proportion beaucoup plus faible de
Québécois se définit comme Québécois plutôt que Québécois et Canadiens
(25 % selon CROP, février 1996, 17 % selon EKOS, mars 1997).
Il faut à tout prix parvenir à clarifier cette
question de l'identité. Le projet indépendantiste ne vise pas seulement à
séparer le Québec du Canada. Il vise aussi à sortir le Canada du Québec, à
sortir l'identité canadienne de nous-mêmes. Nous serions toujours Québécois
mais nous ne serions plus Canadiens.
Nous sommes un peuple, martèle M. Bouchard jour
après jour. On peut facilement convenir que les Québécois forment un peuple.
Il est simplement difficile de nier que les Cris forment un peuple, ou que les
Canadiens forment un peuple. Tout cela est affaire de définitions :
sociologique, ethnique, politique. La véritable question est de savoir si nous
formons un peuple au sens exclusif que les péquistes donnent à ce mot : que
nous serions Québécois mais pas Canadiens.
Bien sûr que nous sommes Canadiens. Nous avons
suffisamment contribué à ce pays pour le garder. Il serait souhaitable que
notre identité propre y soit davantage reconnue, c'est vrai. Mais actuellement,
le Québec est reconnu comme une province canadienne et son gouvernement
provincial occupe de façon plus complète que les gouvernements des autres
provinces les champs de compétence étendus que lui confère la Constitution.
La langue française est reconnue plus que jamais dans ses droits depuis la Loi
constitutionnelle de 1982. La spécificité de la société québécoise est
prise en compte dans le jugement des tribunaux comme l'a reconnu un ancien juge
en Chef de la Cour suprême, Brian Dickson. À mon avis, il n'y a pas un seul
jugement fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés qui soit allé
à l'encontre des intérêts de la société québécoise. Le gouvernement
fédéral a entrepris une harmonisation sans précédent de ses lois avec le
Code civil québécois de sorte que les institutions fédérales en viennent à
parler le langage juridique des Québécois et que notre pays tire un meilleur
parti de son bijuridisme. La Constitution sera probablement bientôt modifiée
de façon à ce que les commissions scolaires puissent être organisées d'une
façon plus conforme à la spécificité du Québec moderne.
Il serait souhaitable qu'en plus, le Québec soit
reconnu comme une société, terme plus inclusif que celui de peuple. Vous savez
que depuis la déclaration de Calgary, une initiative est lancée pour une
reconnaissance du caractère unique de la société québécoise qui irait de
pair avec l'égalité de statut des provinces, selon le principe qui veut que
l'égalité n'est pas synonyme d'uniformité. Ce serait un ajout très valable.
Mais là encore, cet ajout ne rendrait pas le Canada acceptable : il est déjà
une réussite incontestable.
Les raisons de nous priver du Canada n'existent
pas. Et le plan du gouvernement du Canada est de démontrer qu'elles n'existent
pas.
2. Comment la sécession pourrait
s'opérer
«Il revient au peuple québécois de décider de
son avenir et non à neuf juges», tonne M. Bouchard. Qui dit le contraire? Le
gouvernement du Canada n'a évidemment pas demandé à la Cour suprême de se
prononcer sur le bien-fondé de la sécession. Il lui a demandé si M. Bouchard
et son gouvernement, forts de leur majorité à l'Assemblée nationale, auraient
le droit de faire unilatéralement la sécession. Vous comprenez combien il
importe pour le gouvernement du Canada que la description déformée que M.
Bouchard donne du renvoi à la Cour suprême n'en vienne pas à faire partie du
langage journalistique courant.
Ce qui est devant la Cour, ce n'est pas le droit
du Québec à l'autodétermination. C'est la prétention du gouvernement
Bouchard de faire unilatéralement l'indépendance. Cette distinction trop
souvent passée sous silence est cruciale. Permettez que j'explique en quoi.
Nous, Québécois, pourrions vouloir un jour
cesser d'être Canadiens. Ce serait à mon avis une grave erreur, mais je ne nie
pas que cette possibilité existe même si je la juge improbable. En fait,
personne ne peut ni ne devrait nier que cette possibilité existe. Si, au
Canada, nous acceptons la sécession comme une possibilité, ce n'est pas parce
que nous y sommes poussés par le droit international. En réalité, la
sécession n'est pas un droit en démocratie. Elle ne l'est que pour les peuples
en situation coloniale ou de violation extrême des droits de la personne. Du
moins, telle est l'opinion que le gouvernement du Canada partage avec la vaste
majorité des experts. Nous verrons ce que la Cour suprême en pense.
Si nous acceptons la sécession comme une
possibilité, c'est parce que nous savons que notre pays ne serait pas le même
s'il ne reposait sur l'adhésion volontaire de toutes ses composantes. Je ne
connais pas un seul parti politique important au Québec ni ailleurs au Canada
qui veuille nous retenir contre notre gré.
En pratique, la sécession voudrait dire que
nous, Québécois, renoncerions au Canada pour faire du Québec un État
indépendant. Les institutions fédérales ne seraient plus opérantes sur le
territoire québécois.
Or, et c'est là le point essentiel : le
gouvernement du Canada est lui aussi l'un des gouvernements des Québécois.
Après la sécession, il ne le serait plus. Il a donc envers nous le devoir de
ne pas se retirer du territoire québécois sans avoir l'assurance que c'est
très clairement ce que nous voulons : que le Canada se retire du Québec.
Aurait-il eu cette assurance la dernière fois si
30 000 électeurs de plus avaient opté pour le OUI plutôt que pour le NON?
Personne ne saura jamais ce qui se serait produit. Mais il est probable que les
choses auraient mal tourné, justement parce que le gouvernement Parizeau aurait
voulu faire la sécession sans l'appui ferme de la population.
On peut consulter les travaux du professeur
Maurice Pinard pour mesurer à quel point la question choisie par le
gouvernement péquiste a gonflé artificiellement l'appui au OUI. La question
faisait référence à un «partenariat» au sujet duquel le négociateur en
chef, M. Bouchard, nous a avoué le 19 juin dernier qu'il ne s'agissait que d'un
«squelette». M. Bouchard aurait dû nous dire à l'époque du référendum
qu'il nous exhortait à voter pour un «squelette». Il nous a promis, depuis,
que son parti mettrait de la chair sur le squelette. On attendra encore
longtemps, car plus ils voudront préciser leur partenariat, plus ils se
diviseront entre eux, et plus on verra qu'il y a là quelque chose de plus
évanescent qu'un squelette : une chimère. Il faut le dire et le répéter :
jamais le quart d'une population ne pourrait briser un pays pour y revenir en
force et compter pour 50 % dans les institutions communes. C'est là un projet
absurde.
MM. Bouchard et Parizeau ne nous ont pas parlé
du caractère brouillon de leur partenariat lors de la campagne référendaire.
Ils nous ont caché leur plan secret, le plan O (pour obligations), qui visait
à utiliser 19 milliards de dollars de nos épargnes dans l'espoir vain de
calmer les marchés après un OUI. Ils ne nous ont rien dit du «grand jeu» par
lequel M. Parizeau prévoyait bousculer les échéances et faire pression sur la
France, laquelle devait faire pression sur les États-Unis : un plan bidon. M.
Parizeau savait donc que la reconnaissance internationale était quelque chose
de très difficile à obtenir. Il nous avait pourtant toujours dit le contraire.
Trois référendums avaient été tenus dans le
nord du Québec durant les jours qui ont précédé le scrutin du 30 octobre. À
plus de 95 %, ces populations ont demandé de rester canadiennes. M. Parizeau
aurait sans doute déclaré que ces référendums n'accordaient pas de droits
juridiques puisque c'est ce qu'il en a dit depuis (La Presse, p. B-1
1997-05-22). Légalité! Il aurait lui-même lâché le mot. N'y avait-il pas eu
un jugement de la Cour supérieure du Québec qui soulevait différentes
questions liées à la légalité du projet qu'il entendait mettre en oeuvre à
la suite d'un référendum dont le résultat lui aurait été favorable? Il est
difficile de deviner combien de Québécois auraient voulu contester la
procédure illégale par laquelle M. Parizeau aurait cherché à les priver du
Canada, mais les difficultés post-référendaires auraient grossi leurs rangs.
Alors qu'aurait-on fait si l'appui à la «souveraineté-partenariat» avait
glissé bien en-deça des 50 % dans les sondages?
Je crains fort que le gouvernement péquiste eût
réagi comme il le fait aujourd'hui devant le renvoi à la Cour suprême. Il
aurait misé sur les émotions, fabriqué de l'indignation, cherché le
«ressac» et par cela empiré la confusion et l'incertitude.
On décrit trop souvent le débat sur la
sécession comme mettant en opposition le Canada et le Québec conçus comme
deux blocs monolithiques. M. Bouchard dit que c'est «le Québec», «la
démocratie québécoise», «le peuple québécois», qui sont attaqués par le
renvoi à la Cour suprême. Nous voilà tous fondus en un seul être (ou en un
bloc...). En fait, sa tentative de sécession unilatérale nous diviserait
d'abord nous-mêmes, Québécois, entre nous. Car le plus sûr moyen de diviser
les Québécois est de leur demander de renoncer au Canada. M. Bouchard
placerait sept millions de personnes dans l'obligation de surmonter un profond
désaccord sans cadre légal précis pour y parvenir. Cela ne se fait pas en
démocratie.
Qui aime le Québec ne veut pas le voir plongé
dans une telle situation. La façon dont nos leaders sécessionnistes veulent
faire la sécession est tout à fait irresponsable.
La démocratie et l'État de droit vont de pair.
M. Bouchard dit que l'accession à la souveraineté est une question purement
politique mais il ne cesse d'inventer des règles de droit pour justifier la
procédure qu'il entend suivre. En fait, il n'est pas de questions «purement
politiques» en démocratie. Le droit est un ingrédient essentiel à la vie
politique d'une démocratie; sinon on verse dans l'anarchie. Le gouvernement
péquiste n'a pas le droit de s'autoproclamer gouvernement d'un État
indépendant à partir d'une procédure qu'il aurait fixée seul et d'une
interprétation de la volonté des Québécois dont il serait le seul juge. Il
ne peut nous enlever de façon unilatérale nos droits constitutionnels à titre
de citoyens canadiens. Il ne peut fixer seul les conditions de la sécession,
pas plus en matière de dette que de territoire.
Il nous faut discuter entre démocrates afin de
trouver une procédure juste et équitable par laquelle la question de la
sécession pourrait être tranchée. Je ne suis pas en mesure de suggérer une
procédure précise aujourd'hui. Mais je me dois de répéter les trois
principes qui doivent nous guider dans la recherche de cette procédure.
Le premier est le pacifisme. Tous, les
gouvernements au premier titre, doivent renoncer à la force ou à la menace
d'utilisation de la force. Je réitère l'invitation que j'ai lancée à M.
Brassard de désavouer sans ambiguïté les propos menaçants qu'il a tenus dans
le passé.
Le second est la clarté. Il serait trop
dangereux de se lancer dans la négociation d'une sécession sans avoir
l'assurance que c'est bien ce que les Québécois veulent.
Le troisième est la légalité. Le cadre légal
doit être clair et reconnu, de sorte que chacun sache quels sont ses droits et
ses obligations et que les gouvernements puissent en toutes circonstances
protéger les citoyens, respecter leurs droits et obtenir leur obéissance.
Si demain, M. Bouchard pouvait convenir de ces
trois principes, nous aurions fait un pas de géant en tant que démocrates dans
ce débat difficile.
Conclusion
Voilà, Mesdames et Messieurs des médias, la
façon dont le gouvernement du Canada pose la question du pourquoi et celle du
comment. Pourquoi l'unité canadienne? Comment pourrait-on y mettre fin? Dans
les deux cas nous partons du principe que les Québécois sont aussi des
Canadiens. Nous constatons que dans leur grande majorité, ils veulent demeurer
Canadiens. Notre gouvernement a le devoir de montrer qu'en cela, ils ont raison.
Nous devons travailler toujours davantage à améliorer cette fédération qui
nous sert déjà si bien. Le gouvernement du Canada a aussi le devoir envers les
Québécois de ne pas leur enlever le Canada tant qu'ils n'en auront pas très
clairement manifesté la volonté.
Nous devons surtout ne pas nous tromper de cible.
Le problème auquel nous faisons face n'est pas la société québécoise :
celle-ci est tout aussi ouverte et tolérante que les autres parties du Canada.
Il n'est pas à confondre non plus avec le nationalisme québécois, qui peut
être une force positive. Il ne tient pas davantage à nos lois linguistiques,
lesquelles renvoient à un débat en soi qui, lorsque l'idéologie séparatiste
ne vient pas semer la méfiance, se déroule plutôt mieux au Québec que dans
la plupart des autres démocraties plurilingues. Le problème réside
précisément dans le projet de sécession lui-même, lequel divise la société
québécoise et la prive de toute la force de cohésion qui serait la sienne
autrement.
Dans la clarté des choses, je crois que jamais
les Québécois ne renonceront au Canada. Mais si cela devait être, il faudrait
négocier cette triste chose qu'est la sécession. Il faudrait la négocier dans
la paix, la clarté et la légalité. Mais le gouvernement du Canada a bon
espoir que ces circonstances difficiles ne se produiront pas. Il a confiance en
l'avenir du Québec dans un Canada uni.
Le discours prononcé fait foi.
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