«Qui a peur de la clarté?»
Mémoire présenté par
lhonorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales
au Comité législatif
chargé détudier le Projet de loi C-20
Édifice du centre
Ottawa (Ontario)
le 16 février 2000
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
PARTIE 1 : UN PROJET DE LOI RAISONNABLE
1.1 De lavis de la Cour au projet de loi sur la clarté
1.2 La clarté de la question
1.3 La clarté de la majorité
1.4 Le cadre juridique des négociations
PARTIE 2 : LE CARACTÈRE DÉRAISONNABLE DES AUTRES
POSITIONS
2.1 Le refus de négocier en cas de clarté
2.2 Lacceptation de négocier en cas de confusion
2.3 La menace dune sécession unilatérale : bluff ou
inconscience?
CONCLUSION : LA CLARTÉ MAXIMALE
Chers collègues, si javais à résumer en deux
mots le court projet de loi sur lequel vous aurez à vous pencher, le
premier serait bien sûr «clarté». Mais le second serait «raisonnable».
Il est raisonnable que le gouvernement du Canada ne puisse pas envisager
de négocier une sécession à moins quau préalable une question claire
sur la sécession ait été posée, raisonnable quil nentreprenne pas
de négocier la brisure du pays sur la base dune majorité précaire et
raisonnable aussi que le gouvernement du Canada ne puisse pas négocier une
sécession autrement que dans le cadre juridique, en loccurrence en
respectant lavis de la Cour suprême du Canada dans son entièreté.
Cest le contenu raisonnable de ce projet de loi qui explique que les
leaders indépendantistes aient échoué à enflammer les passions à son
propos. Ils nont pourtant pas ménagé les moyens de propagande. Mais
dans lensemble, les Québécois ont refusé de voir dans le contenu de ce
projet de loi une «attaque» ou un «assaut» contre le Québec et la démocratie.
Les Québécois nont pas peur de la clarté; au contraire, ils la
souhaitent.
Le projet de loi sur la clarté est pro-québécois, pro-démocratie et
dans lintérêt de lensemble des Canadiens. À titre de Québécois,
je suis fier den être le parrain. Une tentative de sécession créerait
des problèmes graves entre le Québec et le reste du Canada, mais elle
diviserait dabord les Québécois entre eux. Le plus sûr moyen de nous
diviser a toujours été de nous demander de choisir entre le Québec et le
Canada plutôt que de nous laisser assumer ces deux identités qui font
partie de nous.
La perspective de ces divisions est déjà suffisamment inquiétante sans
quon envisage de les créer dans la confusion, en dehors du cadre
juridique, plutôt que dans la clarté et le respect du droit tel que
confirmé par la Cour suprême du Canada.
Aujourdhui, après avoir souligné le caractère raisonnable de ce
projet de loi, je ferai valoir que sont au contraire déraisonnables les
autres propositions qui ont été avancées. En conclusion, jajouterai
que ce projet de loi pousse la clarté aussi loin que nous pouvons le faire
en labsence du contexte dun référendum.
1. Un projet de loi raisonnable
Le caractère raisonnable du projet de loi sur la clarté vient dabord
de son lien étroit avec lavis de la Cour suprême. Il transparaît aussi
à travers ses trois articles : la clarté de la question, la clarté
de la majorité et le cadre juridique des négociations.
1.1 De lavis de la Cour au projet de loi sur
la clarté
Dans son avis du 20 août 1998 sur le Renvoi sur la sécession du Québec,
la Cour suprême a confirmé les droits des citoyens face à toute
tentative de sécession unilatérale. Elle a établi quil nexiste
aucune obligation de négocier la sécession dune province en labsence
dune volonté claire de la population de cette province de faire sécession,
exprimée par une majorité claire en réponse à une question claire sur la
sécession. En cas dappui clair à la sécession, la Cour a ajouté que
les négociations devraient se faire dans le cadre constitutionnel.
Cet avis de la Cour protège les droits de tous les Canadiens, et en
loccurrence des Québécois tout particulièrement. Notre séparation
davec le Canada serait lune des décisions les plus graves que nous
puissions prendre pour nous-mêmes, nos enfants et les générations
futures. Dans le respect de nos droits, elle ne peut être prise que dans la
légalité et la clarté. Lavis de la Cour suprême garantit nos droits
contre un gouvernement du Québec qui voudrait unilatéralement nous enlever
le Canada sans respecter nos droits.
Un tel avis ayant à toute fin pratique la même portée quun jugement,
comme cela a été confirmé par la Cour elle-même (Renvoi relatif aux
juges de la Cour provinciale,1998) et de nombreux juristes (Hogg, Constitutional
Law of Canada, 4e édition, 1997, p. 8.6(d); Brun et Tremblay, Droit
constitutionnel, 3e édition, 1997, p. 780; Chevrette et Marx, Droit
constitutionnel, 1982, p. 181; Strayer, The Canadian
Constitution and the Courts, 3e édition, 1988, p. 332), on sest
interrogé sur le bien-fondé de reprendre sous forme de loi ce qui est déjà
formellement établi en droit.
Le gouvernement du Canada aurait bien préféré ne jamais avoir à déposer
ce projet de loi. Sil a estimé que cétait son devoir de le faire,
cest en raison du refus répété du Premier ministre du Québec
daccepter la proposition du Premier ministre du Canada de sengager à
ne pas tenir de troisième référendum sur la sécession durant son présent
mandat, conformément au voeu exprimé par tant de Québécois.
Le projet de loi sur la clarté est nécessaire aussi pour une autre
raison : le refus du Premier ministre du Québec de sengager à
respecter dans son entièreté lavis de la Cour suprême sur la sécession.
Le Premier ministre du Québec résume lavis de la Cour suprême en une
phrase, mais sans jamais la compléter : «Ils» seront obligés de négocier
(...), dit-il sans enchaîner : (...) dans le cadre constitutionnel,
avec tout sur la table sans que rien ne soit déterminé à lavance, après
quune majorité claire se soit dégagée pour la sécession, en réponse
à une question claire.
Cette phrase, le projet de loi sur la clarté la dit au complet. Elle
vous concerne, puisque le «Ils» en question vous inclut, en tant que députés
de la Chambre des communes.
Comme vous le savez, la Cour a laissé aux «acteurs politiques» (par. 100)
le soin dévaluer, dans le contexte dun référendum sur la sécession,
la clarté de la question et la clarté de la majorité. Il incomberait aux
«représentants élus» (par. 101) de sacquitter de leurs
obligations constitutionnelles dune façon concrète en cas de négociation
dune sécession. Il va de soi que les députés de la Chambre des
communes et les membres du gouvernement du Canada font partie de ces «acteurs
politiques» et de ces «représentants élus».
Il saute aux yeux que la Chambre des communes, dont vous faites partie,
se devrait dévaluer la clarté dun appui à une sécession avant que
le gouvernement du Canada nentreprenne de négocier un changement aussi
grave et lourd de conséquences. Car la négociation viserait à effacer
toutes les responsabilités, tant de cette Chambre que du gouvernement du
Canada, envers une partie de la population canadienne.
Même le porte-parole bloquiste en matière daffaires
intergouvernementales et député de Beauharnois-Salaberry, en a convenu. En
effet, le 8 décembre dernier, mon collègue déclarait : «Sil
y a un rôle où le gouvernement fédéral peut être fondé dagir en
lisant lopinion de la Cour, (...) cest après le référendum quil
pourra évaluer la clarté de la question et de la majorité requises afin
de déterminer sil y a une obligation de négocier.» Nous ne sommes donc
pas loin dêtre daccord.
Je crains cependant que le député de Beauharnois-Salaberry soit isolé
dans son mouvement politique. Le gouvernement péquiste et le Bloc affirment
que la Chambre des communes ne doit pas se prononcer sur la clarté de la
question ou de la majorité car les élus du Québec y sont en minorité.
Pourtant, cest bien le député de Beauharnois-Salaberry qui a raison.
Nous les Québécois sommes aussi des Canadiens. Le Parlement du Canada est
aussi le nôtre. Nous avons droit à ce que ce parlement nenvisage jamais
de mettre fin à ses responsabilités envers nous à moins que nous
layons voulu clairement.
Quant aux autres Canadiens, ils sont nos concitoyens et non des étrangers
pour nous. Cest la brisure du pays que nous partageons avec eux qui
serait négociée en cas dappui clair de notre part à la sécession.
Tant sur le plan moral que sur le plan légal, ils auraient le droit de
sassurer, par lentremise de leurs représentants élus, de la clarté
dune éventuelle volonté de sécession. Le Québec fait partie de leur
pays et sa perte aurait des conséquences graves pour eux, tout comme la
perte du Canada aurait des conséquences graves pour nous.
En donnant effet à lavis de la Cour, le projet de loi sur la clarté
dit comment, concrètement, vous, députés de la Chambre des communes,
assumeriez vos responsabilités en ce qui a trait à la fois à lévaluation
de la question, à lévaluation de la majorité et à la conduite des négociations
sur la sécession.
Comme il se doit, le projet de loi confirme que le gouvernement serait
imputable devant la Chambre : ce serait à elle de déterminer si les
circonstances de clarté existent de sorte que le gouvernement serait tenu
dengager des négociations sur la sécession. Il est certainement préférable
que la Chambre délibère ouvertement de ces enjeux graves plutôt que le
gouvernement agisse de son propre chef. En cas de négociations sur la sécession,
le gouvernement y participerait mais la Chambre aurait à en évaluer les résultats
dans le cadre constitutionnel.
Le projet de loi établit les responsabilités incontournables qui
reviennent en propre à la Chambre des communes et au gouvernement du
Canada, sans empiéter aucunement sur les responsabilités et prérogatives
des autres acteurs politiques.
En effet, le projet de loi reconnaît que le gouvernement et lAssemblée
nationale du Québec, tout comme chacun des gouvernements et chacune des
assemblées législatives de ce pays, ont tout à fait le droit de poser à
leurs électeurs les questions référendaires qui leur semblent pertinentes.
Le projet de loi sur la clarté ne leur conteste en aucune façon cette prérogative.
Cest le gouvernement du Canada quil encadre et non un référendum
provincial. Pour que le gouvernement du Canada entreprenne de négocier la
fin de ses responsabilités et devoirs envers la population dune province
canadienne, il faudrait au préalable que la Chambre des communes ait conclu
que cest ce que cette population veut clairement.
Le projet de loi ne fait pas que respecter les prérogatives des
gouvernements provinciaux et des autres acteurs politiques, il oblige la
Chambre des communes à prendre en compte leurs points de vue, tant à létape
de lévaluation de la question quà celle de lévaluation de la
majorité. Cette prise en compte inclut le point de vue de tous les partis
représentés à lAssemblée législative de la province dont le
gouvernement propose un référendum sur la sécession. Cest là un élément
important, car en 1980 comme en 1995, lOpposition officielle à
lAssemblée nationale navait pas accordé son appui à un libellé
imposé par le gouvernement.
Le projet de loi rappelle aussi, conformément à lavis de la Cour,
quà déventuelles négociations sur la sécession participeraient
notamment les gouvernements de lensemble des provinces. Le projet de loi
reconnaît ainsi pleinement le rôle qui revient aux autres acteurs
politiques sans dicter en rien leur conduite.
1.2 La clarté de la question
Ni lavis de la Cour suprême, ni le projet de loi C-20 nont inventé
le problème de la détermination de la clarté de la question ou de la
clarté de la majorité requise pour négocier une sécession. Ce débat a
eu lieu en 1980 comme en 1995 et on ne peut parler dun changement de règles
puisquon ne sest jamais entendu sur ces règles.
Des désaccords, il y en a eus en 1980 quant à la portée du référendum,
entre MM. Trudeau et Lévesque, le premier écartant à lavance
toute négociation : «Si vous frappez à la porte de la souveraineté-association,
il ny a pas de négociation possible» (14-05-80). Même chose en 1995,
alors que M. Bouchard, au lendemain du référendum, sest indigné que M. Chrétien
se soit réservé le droit «de ne pas respecter un verdict favorable à la
souveraineté en cas dune majorité serrée pour le oui» (31-10-95).
Commençons par la clarté de la question. Nous savons tous à quoi
ressemblerait une question claire sur la sécession. La Cour suprême parle
de la «volonté de ne plus faire partie du Canada» (par. 151). Plus
la question se rapprocherait de ce libellé, plus elle serait claire. Mais
on peut en imaginer dautres : voulez-vous que votre province se sépare
du Canada? Voulez-vous que votre province cesse de faire partie du Canada et
devienne un pays indépendant?
La Cour suprême parle de la «volonté de ne plus faire partie du Canada»
et non de la «volonté de confier un mandat de négocier». Cest parce
quon veut la sécession quon entreprend de la négocier. On ne la négocie
pas pour découvrir si par hasard on la veut.
La clarté ne peut évidemment pas naître dune question qui traite
dautre chose que de la sécession ou qui y mêle dautres considérations.
Il suffit de consulter nimporte quel manuel de méthodologie pour se
convaincre quil faut éviter «les questions à deux volets».
("Avoid double-barreled questions", Earl Babbie, dans Survey
Research Methods, Wadsworth Publishing Company, 1973, p. 140). Comme
lont écrit les professeurs André Blais et Claire Durand : «Une
question est ambiguë si elle porte sur plus dune dimension. Il convient
donc de nintroduire quune seule idée à la fois.» (Recherche
sociale, Presses de lUniversité du Québec, 1997, p. 385). Pour
cette raison, la notion de partenariat ne doit pas être incluse dans une
question sur la sécession.
De plus, la notion de partenariat nest pas claire en elle-même. Le
Premier ministre du Québec la lui-même qualifiée de «squelette» le
19 juin 1997. Et malgré les colloques qui se sont succédés depuis, tous
aussi peu concluants les uns que les autres, il na toujours pas été
possible de mettre de la chair sur ce squelette. Et pour cause :
comment veut-on que 25 % de la population dun pays puisse sortir de
ce pays pour y revenir en force en comptant pour 50 % dans les
institutions communes?
Bien sûr, un Québec indépendant aurait des relations avec ses États
voisins, faites de coopération et de compétition, chacun défendant ses
propres intérêts nationaux. Mais une relation entre États, si civilisée
puisse-t-elle être, nest pas à confondre avec la relation dentraide
qui unit les Canadiens au sein du Canada. Pour bénéficier du partenariat
canadien, il faut évidemment faire partie du Canada.
Tous les Canadiens ont le droit de ne jamais voir remise en cause leur
appartenance au pays sur une question confuse. Lenjeu est trop important
pour tolérer la moindre ambiguïté. Cest pourquoi, advenant que le
gouvernement dune province rende officiel le libellé dune question
dans le cadre dun référendum sur la sécession, le projet de loi prévoit
que la Chambre des communes en délibérerait et, dans les trente jours, déterminerait,
par résolution, si la question est claire.
Mon collègue, le critique bloquiste en matière de relations
intergouvernementales, préférerait que lexamen de la clarté de la
question et que celui de la majorité aient lieu en même temps, après le référendum.
Le projet de loi C-20 prévoit plutôt que la Chambre procéderait à
lexamen de la clarté de la question avant la campagne référendaire et
ce, pour une raison évidente et logique : très tôt et, nous lespérons,
avant même que débute la campagne, les électeurs sauraient si leurs deux
parlements, provincial et fédéral, saccordent pour trouver la question
claire. Cest pourquoi le projet de loi fixe un maximum de trente jours
aux délibérations de la Chambre sur la clarté de la question. Ce serait là
une information importante à laquelle les électeurs auraient droit.
Certains ont suggéré quune majorité claire pourrait compenser pour
une question confuse et que donc il faudrait sabstenir de se prononcer
sur la clarté de la question avant de connaître le résultat du référendum.
Voilà un raisonnement bien étrange. Il est évident quune majorité ne
peut pas être claire si la question est confuse, car alors il est
impossible de savoir si les électeurs qui forment cette majorité veulent
vraiment que leur province cesse de faire partie du Canada.
En définitive, il appartiendrait au gouvernement ou à lAssemblée législative
de la province de déterminer le libellé dune question référendaire
dans le cadre dun référendum provincial. Mais le projet de loi sur la
clarté établit clairement quaucune négociation ne serait possible si
la question nétait pas claire. Si le gouvernement de la province est
confiant davoir lappui de sa population, il serait dans son intérêt,
comme dans lintérêt de tous, de formuler une question claire, hors de
tout doute.
La formulation de la question ne doit pas faire partie de larsenal des
conditions gagnantes sécessionnistes. Plutôt que «gagnante», la question
doit être claire : permettre sans ambiguïté à la population de dire
si elle veut ou non cesser de faire partie du Canada pour faire de sa
province un pays indépendant.
1.3 La clarté de la majorité
La Cour suprême demande aux acteurs politiques dévaluer la clarté
dune éventuelle majorité en faveur de la sécession. Ce nest pas
moins de treize fois quelle a mentionné dans son avis lexpression «majorité
claire» ou «claire majorité». Elle nous invite cependant à ne pas
chercher à établir cette majorité claire à lavance : «il
reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste «une
majorité claire en réponse à une question claire», suivant les
circonstances dans lesquelles un futur référendum pourrait être tenu»
(par. 153).
Cest là, encore une fois, un avis très sage de la Cour. Lexamen
de la clarté dune majorité a une dimension qualitative qui demande une
évaluation politique dans la pleine connaissance des circonstances concrètes.
Aussi, est-il impossible de déterminer cette majorité claire aujourdhui,
car les circonstances dans lesquelles cette évaluation politique devrait être
faite nous sont inconnues.
Le projet de loi prévoit quen cas de majorité pour la sécession, en
réponse à une question claire, le premier acteur qui devrait procéder à
lexamen de la clarté de cette majorité serait le gouvernement indépendantiste
lui-même. En effet, il faudrait dabord que ce gouvernement cherche à
engager des négociations sur la sécession pour que la Chambre des communes
procède à son propre examen de la clarté de cette majorité. On peut
penser que devant une majorité qui manquerait de clarté, ce gouvernement
en viendrait de lui-même à la conclusion quil vaut mieux ne pas aller
de lavant avec son projet de sécession. Le bon sens prévaudrait.
Il serait insensé, par exemple, de lier une décision aussi grave aux résultats
dun recomptage judiciaire ou à lexamen des bulletins rejetés.
Lancien conseiller politique des deux derniers premiers ministres péquistes,
M. Jean-François Lisée, soulève dailleurs ce problème dans son
dernier livre (p. 305).
Ce nest quaprès que ce gouvernement ait conclu à lexistence
dune majorité claire et quil ait invité les autres participants de
la fédération à négocier la sécession que la Chambre des communes procéderait
à sa propre évaluation.
Tel est le processus fixé par le projet de loi sur la clarté. Là comme
ailleurs, il donne effet à lavis de la Cour suprême. Personne ne peut
prétendre sérieusement que la Cour a tant insisté sur la notion de
majorité claire pour simplement inviter la Chambre des communes à
accepter, sans autre examen, une majorité de 50 %+1.
Personne? Cest pourtant ce que font le gouvernement du Québec et le
Bloc. Ils affirment que la règle du 50 %+1 est sacrée, quen toute
circonstance la remettre en cause est antidémocratique et contraire à légalité
des électeurs.
Reprenons cela. Si le parti réformiste exige une majorité des 2/3 pour
sa dissolution, si le Code civil québécois prévoit une majorité des 3/4
pour mettre fin à une copropriété, cest quil y a une raison logique
à cela. Il se trouve quune association une fois dissoute ne peut pas être
ressuscitée par un vote. Il en va de même pour un pays.
Nos chefs indépendantistes peuvent bien dire «À très bientôt» ou «À
la prochaine» après chacune de leurs défaites référendaires, mais les
électeurs du Non ne pourraient pas dire la même chose en cas de victoire
du Oui. Seul un Oui peut donner lieu à un changement irréversible, qui
engage les générations futures. Il faut une majorité claire avant
dentreprendre de négocier la possibilité dun tel changement.
Il est donc inexact de prétendre, comme le fait le gouvernement du Québec,
que la démocratie tient toute entière dans la règle du 50 %+1. Ce
gouvernement nobserve pas cette règle pour ses propres référendums
municipaux.
Sa propre Loi sur les consultations populaires ne fait
dailleurs aucunement mention du 50 %+1. Dans le livre blanc de 1977
qui a mené à cette loi, on peut lire : «ce caractère consultatif
des référendums fait quil serait inutile dinclure dans la loi des
dispositions spéciales à légard de la majorité requise ou du taux nécessaire
de participation.»
Jai maintes fois formulé ces arguments sans que jamais le Bloc ou le
gouvernement du Québec naient su les réfuter. Ils ont préféré
traiter le gouvernement du Canada dantidémocratique. Ils laccusent de
ne pas respecter le principe de légalité des électeurs en exigeant,
comme le fait la Cour suprême, une majorité claire pour le Oui.
Légalité des électeurs veut dire que chaque voix vaut une unité
dans le décompte du vote. Mais une fois le résultat connu, il appartient
aux autorités politiques de déterminer les suites à donner à ce vote.
Dans notre tradition démocratique, les référendums sont consultatifs.
Cest ce que prévoit la Loi sur les consultations populaires du Québec.
Serait-elle antidémocratique, elle aussi?
Universelle, la règle du 50 %+1? Des populations autochtones ont
voté en 1995 pour leur maintien dans le Canada à des majorités de plus de
95 %. Les leaders indépendantistes affirment que de tels référendums
peuvent être ignorés. La règle du 50 %+1 serait-elle plus
universelle pour les uns que pour les autres?
Au moins, le parti réformiste est plus cohérent : si 50 %+1
est bon pour ceux qui veulent sortir du Canada, la même règle vaut pour
ceux qui veulent y rester, affirme M. Manning. Mais cette cohérence se
fait au prix de lirresponsabilité. Il est évident que la règle du 50 %+1
ne peut pas sappliquer à ce type de décision.
À la suite de bien dautres, The Economist affirmait dans un récent
éditorial quune sécession «devrait être réalisée uniquement si une
majorité claire (bien au-delà de 50 %+1 des électeurs) la choisie
librement» [traduction] (29/01/2000). Dailleurs, si 50 %+1 devait
constituer une majorité claire, que serait une majorité qui ne serait pas
claire?
Pour limiter les risques de désaccord à propos de la clarté de la
majorité, il suffit que le gouvernement qui propose la sécession ne tienne
pas de référendum tant quil na pas lassurance de le gagner. Cette
assurance viendrait de différents indicateurs : des majorités claires
et stables pour la sécession qui se dégageraient dans les sondages, du
ralliement des différentes forces politiques à cette idée. Cest ce qui
sest produit ailleurs dans le monde : on na pas tenu de référendum
pour savoir si une moitié du peuple voulait se séparer; le référendum a
plutôt été loccasion de confirmer officiellement un appui évident à
la sécession. De fait, hors du contexte colonial, les référendums qui ont
été tenus lors de processus de sécession réussie ont toujours dégagé
des majorités de plus de 75 %.
Le Premier ministre du Québec a raison de ne vouloir tenir un référendum
que sil a lassurance de le gagner. Toutefois, de même quil lui
faut convenir que le libellé de la question ne doit pas faire partie de
larsenal de ses conditions gagnantes, il gagnerait à admettre que le
pouvoir qui est le sien de choisir le moment du référendum doit être
exercé dans lintérêt de tous et non à des fins tacticiennes. Il
serait irréaliste et irresponsable de sa part de tenter une entreprise
aussi difficile et hasardeuse que la négociation dune sécession à la
faveur dune majorité conjoncturelle et incertaine plutôt quen présence
dune majorité claire et stable dans le temps.
Cest une faute morale, en démocratie, que de chercher à obtenir une
décision permanente par des effets de circonstance.
1.4 Le cadre juridique des négociations
La Cour suprême a confirmé que les négociations sur la sécession
devraient se dérouler «dans le cadre constitutionnel existant» (par. 149)
et dans le respect des principes quelle a identifiés : «le fédéralisme,
la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, ainsi que
le respect des minorités» (par. 90). Une conséquence pratique de cela est
que le gouvernement du Québec ne pourrait déterminer seul ce qui serait négociable
et ce qui ne le serait pas. Il «ne pourrait prétendre invoquer un droit à
lautodétermination pour dicter aux autres parties les conditions dune
sécession» (par. 91).
Il lui faudrait plutôt négocier de façon à tenir compte des intérêts
«du gouvernement fédéral, du Québec et des autres provinces, dautres
participants, ainsi que des droits de tous les Canadiens à lintérieur
et à lextérieur du Québec» (par. 92) et des Autochtones (par. 139) et
ce, à propos de tous les sujets : du partage de la dette à la
question des frontières. Ici encore, le projet de loi sur la clarté est en
tout point fidèle à lavis de la Cour.
Le gouvernement du Québec et le Bloc ne veulent pas que les frontières
soient incluses dans la liste des enjeux de la négociation. À ce sujet, la
Cour a écrit : «Nul ne peut sérieusement soutenir que notre
existence nationale, si étroitement tissée sous tant daspects, pourrait
être déchirée sans efforts selon les frontières provinciales actuelles
du Québec» (par. 96). Le professeur Alain Pellet a confirmé, dans un avis
juridique commandé par le Bloc, que lavis de la Cour suprême incluait
lenjeu des frontières parmi les questions qui pourraient être négociées
(Avis juridique sommaire sur le projet de loi donnant effet à
lexigence de clarté, 13/12/99).
Je sais quil est difficile pour le gouvernement du Québec
dadmettre la possibilité dune modification des frontières du Québec,
mais encore la semaine dernière des leaders autochtones sont venus lui répéter
quil devait cesser de faire lautruche à ce sujet.
Il se pourrait que la démocratie et la recherche sincère de justice
pour tous ne rendent la sécession possible quau moyen dun accord sur
une modification des frontières. Mais le projet de loi sur la clarté
noffre aucune garantie en ce sens. Le projet de loi ne reprend donc pas
la position soutenue dans le passé par le député de Beauharnois-Salaberry,
critique bloquiste en matière daffaires intergouvernementales, selon
laquelle les peuples autochtones habitant le Québec auraient le droit de «continuer
de faire partie du Canada» en cas de sécession de la province (C.D. Howe,
1992; voir aussi Bélanger-Campeau, 1991). Plutôt, le projet de loi sur la
clarté se conforme à lavis de la Cour qui précise bien, à propos des
négociations sur la sécession, qu«il ny aurait aucune conclusion prédéterminée
en droit sur quelque aspect que ce soit» (par. 151).
La question des frontières retient lattention parce que lon sait
quil existe sur ce sujet un désaccord profond. En 1980 comme en 1995,
des populations autochtones au Québec ont indiqué, par référendums, leur
volonté claire de rester dans le Canada. Mais des pommes de discorde, il
pourrait y en avoir bien dautres. La négociation dune sécession
comporte forcément des risques sérieux et réels de désaccords, aussi
bien entre les gouvernements quau sein des populations.
Le projet de loi sur la clarté ninvente ni ne crée en rien ces
risques de désaccords. Au contraire, il met tout en oeuvre pour les éviter
au maximum en misant sur la légalité, la clarté, la délibération et la
consultation.
2. Le caractère déraisonnable des autres positions
Tout comme lavis de la Cour suprême, le projet de loi sur la clarté
part du principe quil faut négocier la sécession si elle recueille un
appui clair, ne pas la négocier si lappui nest pas clair. À cette
position raisonnable, on en a opposé trois qui, elles, ne le sont pas.
La première est de ne pas négocier même en cas dappui clair. La
seconde est de négocier la sécession même en labsence dappui clair.
La dernière concerne le gouvernement sécessionniste : elle linvite
à couper court à la négociation au moyen dune déclaration unilatérale
dindépendance.
2.1 Le refus de négocier en cas de clarté
Négocier si cest clair, ne pas négocier si ce nest pas clair :
en offrant cette double garantie, le projet de loi C-20 sexposait à être
critiqué des deux côtés, tant par ceux qui y ont vu une carte routière (road
map) ou une voie rapide (fast track) pour la sécession, que par
ceux qui lon dénoncé comme un verrou à toute possibilité de sécession,
une loi-cadenas.
Carte routière pour la sécession? Verrou à la sécession? Le leader
conservateur, M. Joe Clark, a accompli le tour de force de sembler
soutenir ces deux thèses à la fois. En fait, elles sont erronées toutes
les deux.
Commençons par la thèse de la carte routière, de la voie ouverte à la
séparation. Mais que proposent au juste ceux qui dénoncent de la sorte le
projet de loi C-20? De ne pas négocier la sécession même si les électeurs
dune province devaient clairement indiquer leur volonté de cesser de
faire partie du Canada? Mais alors, quils le disent ouvertement.
À ma connaissance, aucun parti politique important ne suggère de
retenir dans le Canada une province contre la volonté clairement exprimée
de sa population. Comme la affirmé lhonorable Allan Rock lorsquil
a exposé devant la Chambre des communes les raisons du renvoi à la Cour
suprême, le 26 septembre 1996 : «Les principales personnalités
politiques de toutes nos provinces et le public canadien ont convenu depuis
longtemps que le pays ne restera pas uni à lencontre de la volonté
clairement exprimée des Québécois.»
Cest là une position qui va de soi au Canada. Je conviens cependant
quelle peut être considérée comme tout à fait exceptionnelle ailleurs
dans le monde. De nombreux autres États démocratiques se déclarent
indivisibles et leur Constitution ou leur jurisprudence font état de cette
intégrité territoriale. Ils estiment que chaque parcelle du territoire
national appartenant à tous les citoyens du pays, ce dernier ne peut être
divisé. Ils offrent à chaque citoyen la garantie que son pays ne lui sera
jamais retiré et quil le transmettra en héritage à sa descendance.
Ce principe dindivisibilité est valable et légitime du point de vue
de ces pays. Pourtant, le Canada en est venu à une conclusion différente.
Mais entendons-nous : si, en tant que Canadiens, nous admettons notre
divisibilité, ce nest pas parce que nous considérons que le Canada
nest pas un vrai pays, dont lintégrité territoriale serait moins
digne de respect que celle des autres pays. Non, cest que nous réalisons
que notre identité canadienne est trop précieuse pour reposer sur autre
chose que ladhésion volontaire.
Mais cest là une franchise que naiment peut-être pas ceux qui
rejettent le projet de loi sur la clarté comme une voie toute tracée vers
la sécession. Plutôt que de dire franchement les choses, ils semblent suggérer
ceci : il est vrai que le Canada négocierait sa scission en cas
dappui clair à la sécession, mais il ne faut surtout pas ladmettre;
il faut laisser entendre le contraire afin deffaroucher les électeurs.
Je trouve ce point de vue tout à fait cynique. Le Canada ne mériterait
pas dêtre lui-même sil devait ainsi reposer sur la peur et la
dissimulation plutôt que sur ladhésion volontaire. Dailleurs, en
plus dêtre cynique, ce raisonnement est faux. Si les Québécois, dans
leur majorité, veulent rester dans le Canada, ce nest pas parce quils
craignent quon les y retienne de force. Cest parce quils sont
attachés à leur pays, tout simplement. Ils ont des idées pour laméliorer,
mais ils veulent le garder. Le Canada, principe de liberté, doit toujours
être décrit comme tel, car cest ce qui fait la meilleure garantie de
son unité.
2.2 Lacceptation de négocier en cas de
confusion
Maintenant, que disent ceux qui, au contraire, dénoncent le projet de
loi sur la clarté comme un verrou législatif? Que le gouvernement du
Canada devrait négocier la sécession même sil nétait pas clair que
les électeurs de la province voudraient cesser de faire partie du Canada?
Mais ce faisant, ils demandent à la Chambre des communes et au
gouvernement du Canada dabdiquer leurs responsabilités. Une telle
abdication serait un manque de respect. Manque de respect envers le Canada,
qui est un vrai pays, autant que les autres États indépendants. Manque de
respect envers tous les Canadiens. Manque de respect, surtout, envers les
citoyens de la province visée qui ont le droit de ne jamais voir leur
pleine appartenance au Canada remise en cause à moins de lavoir voulu
clairement.
Pour respecter nos droits de citoyens, notre droit sur le Canada, la
Chambre des Communes ne devrait demander au gouvernement du Canada de négocier
la sécession que si les électeurs de la province lappuyaient clairement.
Seule cette position est conforme à la fois à notre culture politique et
au droit. Elle seule est dans lintérêt de tous.
Sitôt assermenté ministre, jai déclaré : «Si le Québec
malheureusement votait avec une majorité ferme sur une question claire pour
la sécession, jestime que le reste du Canada a lobligation morale de
négocier le partage du territoire.» (27-01-96). À cette obligation
morale, bien admise au Canada, la Cour suprême a donné une confirmation
juridique dans son avis du
20 août 1998. Il est hautement souhaitable que nous nous
engagions tous à la respecter, que nous soyons pour lunité canadienne
ou pour lindépendance du Québec.
Si les chefs indépendantistes se trouvent dans limpossibilité de
gagner dans la clarté, ce nest pas du fait de la loi ou des juges,
cest du fait de la volonté des Québécois. Mais limpossibilité dans
laquelle les chefs indépendantistes se trouvent de gagner dans la clarté
ne les autorise pas à rechercher la victoire dans la confusion. Pour gagner,
ils doivent convaincre une majorité claire de Québécoises et de Québécois
quils seraient plus heureux sils cessaient dêtre des Canadiens.
Leur tâche est ardue, certes, mais ce nest la faute de personne.
Cest plutôt parce quil doit être bien difficile de renoncer au
Canada, ce pays que M. Bouchard lui-même a qualifié, le 1er
juillet 1988, de «terre promise ... un pays bien connu pour sa générosité».
Le gouvernement du Canada, quant à lui, a la conviction que dans la clarté
des choses, les Québécois choisiront toujours de rester dans le Canada.
Ils le choisiront parce quils aiment ce pays, cette terre de liberté.
2.3 La menace dune sécession unilatérale :
bluff ou inconscience?
On se demande souvent ce qui se passerait dans le cas où un gouvernement
provincial ignorerait simplement tant lavis de la Cour suprême quune
loi fédérale sur la clarté et déclarerait unilatéralement son indépendance.
La question se pose dautant que le gouvernement du Québec, relayé par
le Bloc, agite ce scénario.
Ils prétendent que le gouvernement du Canada serait alors obligé de négocier
selon les termes du gouvernement du Québec, ne serait-ce que pour que ce
dernier consente à verser sa part de la dette. Pas de négociation, pas de
contribution québécoise à la dette commune, préviennent-ils.
Il est curieux que les dirigeants péquistes ne voient pas quaprès
une déclaration unilatérale dindépendance, personne ne leur
demanderait de contribuer au remboursement de la dette fédérale. Ce serait
plutôt eux qui seraient en demande dune part des impôts fédéraux.
Car leur déclaration unilatérale dindépendance ne serait précisément
que cela : une déclaration. Celle-ci naurait aucune portée
juridique.
En effet, si la Cour suprême, dans son avis, nécarte pas la
possibilité dune tentative de sécession unilatérale, cest que
personne ne peut exclure à priori la possibilité quun gouvernement
choisisse dagir de façon «contraire à la primauté du droit» (par.
108). Mais la Cour a établi clairement quune telle tentative unilatérale
ne serait pas fondée en droit international ou au titre de la Constitution
du Canada. La sécession dune province nécessiterait une modification de
la Constitution, «qui exige forcément une négociation» (par. 84),
des négociations «fondées sur des principes, avec les autres participants
à la Confédération, dans le cadre constitutionnel existant» (par. 149).
Une tentative de sécession unilatérale se ferait sans «le couvert dun
droit juridique» (par. 144) et dans un contexte où le Canada aurait droit
«en vertu du droit international, à la protection de son intégrité
territoriale» (par. 130).
Cela signifie que le gouvernement du Québec négocierait à titre de
gouvernement provincial, dans le cadre de la Constitution canadienne, dont
il tire ses pouvoirs. À aucun moment lors de ces négociations, il
naurait le droit de sautoproclamer gouvernement dun État indépendant.
Il pourrait le faire, mais sans «le couvert dun droit juridique» et
avec tous les risques quun tel geste comporterait.
Aussi faut-il lui demander, à ce gouvernement, comment, en labsence
dun droit juridique, il pourrait enlever la pleine appartenance au Canada
à des millions de Québécois qui voudraient la garder et seraient en droit
de la garder. Comment ferait-il pour obtenir le respect de son autorité si
lui-même sortait droit? Il faut lui poser, à ce gouvernement, des
questions très pratiques sur ce qui se passerait après quil aurait déclaré
unilatéralement son indépendance. Par exemple :
- Comment ce gouvernement qui se dirait indépendant pourrait-il empêcher
les citoyens de la province de continuer à se prévaloir de laide
financière et des services dispensés par les institutions fédérales,
alors quil naurait pas les ressources financières et humaines pour
les offrir lui-même?
- En effet, comment ce gouvernement pourrait-il récupérer unilatéralement
les retenues à la source en matière dimpôt fédéral ou
dassurance-emploi, les taxes daccise et les droits de douane, les
revenus des permis dexploitation, les redevances de toutes sortes et les
divers prélèvements pour lexercice dinnombrables activités économiques
et professionnelles?
- Et comment peut-on songer un instant quil soit possible pour une
administration provinciale dabsorber des milliers et des milliers
demployés de la fonction publique fédérale et des sociétés de la
Couronne sans la collaboration active du gouvernement fédéral? Comment les
intégrer en labsence, par exemple, dune entente sur le transfert des
régimes de pension? Même les députés bloquistes auraient des problèmes
avec ça!
Si le gouvernement du Canada estimait de son devoir de continuer à
exercer paisiblement ses responsabilités constitutionnelles, ce serait
parce que 1) les électeurs nauraient pas clairement indiqué leur volonté
de renoncer au Canada pour faire de leur province un État indépendant, que
2) la sécession naurait pas été dûment négociée et que 3) le
gouvernement du Canada ne saurait entériner un geste illégal et
anticonstitutionnel. En de telles circonstances, un gouvernement provincial
qui proclamerait unilatéralement lindépendance de sa province
pourrait-il obtenir la reconnaissance internationale, comme laffirment
les porte-parole du gouvernement du Québec et du Bloc?
La Cour suprême, quant à elle, a évalué les possibilités de
reconnaissance internationale de façon beaucoup plus prudente et réaliste
(par. 103). En fait, elle sen tient à lévidence : il faudrait
1) que lappui à la sécession soit clair au Québec, 2) que le
gouvernement du Québec ait négocié dans le respect des principes et
valeurs constitutionnels et 3) quil se heurte à lintransigeance
injustifiée des autres participants, pour que, «probablement», il
augmente ses chances dêtre reconnu.
On comprend cette prudence de la Cour quand on connaît la réticence
extrême de la communauté internationale à reconnaître des sécessions
unilatérales. Il ne manque pas, malheureusement, de populations dans le
monde qui veulent leur indépendance de façon quasi unanime, qui sont
victimes dexactions inimaginables de la part des États dont elles font
partie et qui, pourtant, ne parviennent pas à obtenir la reconnaissance
internationale à titre dÉtats indépendants.
Aussi bien, ceux dentre nous qui optent pour la sécession ne
devraient pas compter sur une reconnaissance internationale qui
sexercerait à lencontre de la volonté de lÉtat canadien. Ils
devraient plutôt miser sur lhonnêteté des Canadiens. Ils devraient
miser sur les valeurs de tolérance que nous partageons tous au Canada et
qui nous seraient plus que jamais nécessaires pour la conduite de ces négociations
pénibles et difficiles. Doù une contradiction du projet sécessionniste :
puisque nous Canadiens sommes des gens à ce point ouverts et tolérants,
pourquoi devrait-on se séparer?
Si les leaders indépendantistes pensent autrement, sils croient que
face à une volonté claire des Québécois de se séparer, les Canadiens
des autres provinces seraient de mauvaise foi, ou que les ministres fédéraux
québécois feraient barrage à toute négociation, comme ils men
accusent dans leur propagande, alors ils envisagent un scénario bien plus
sombre que le mien.
Si la négociation de la scission dun État démocratique moderne
serait une tâche énorme, source «dincertitude et de bouleversements
profonds» comme lécrit la Cour (par. 96), ce nest pas en raison de
la mauvaise foi postulée des uns ou des autres. Cest parce quil
serait bien difficile de trancher des liens si étroitement tissés après
des décennies de vie démocratique commune. Une telle opération nécessiterait
certainement le respect du droit et, avant tout, la clarté.
Les porte-parole du gouvernement du Québec, en brandissant la menace
dune sécession unilatérale, soutiennent une position hautement
irresponsable et irréaliste. Elle relève soit de linconscience, soit du
bluff. Ils seraient bien mieux inspirés de sengager sans ambiguïté à
agir toujours dans la clarté et la légalité, autrement dit, sengager
à ne jamais rechercher la sécession autrement que dans le respect des
droits des Québécois.
Conclusion : la clarté maximale
Le projet de loi sur la clarté est raisonnable. Obliger le gouvernement
du Canada à négocier en cas dappui clair à la sécession, à ne pas négocier
en labsence de cet appui clair, cest raisonnable. Procéder autrement,
consentir à la négociation dans la confusion et en dehors du cadre
juridique, serait trop dangereux et irrespectueux des droits des citoyens.
Ce projet de loi est dans lintérêt de tous car il offre au problème de
la sécession la seule réponse qui soit conforme à notre culture et à
notre droit, la réponse dun pays libre dont lunité repose sur la légalité,
la clarté et le consentement mutuel.
Mais en plus, le projet de loi sur la clarté est complet : il ne
traite pas dautres questions que celle de la sécession; et en ce qui a
trait à la sécession, il couvre ce qui peut être établi en toute
certitude à lavance.
Certains ont demandé que le projet de loi C-20 englobe dautres considérations
que la seule sécession. Il devrait pouvoir aussi servir à effectuer des
changements au sein du Canada, a-t-on avancé. Ce serait là une erreur. Ce
projet de loi ne porte que sur la sécession et il doit en être ainsi. La
condition première de la clarté est la distinction étanche entre les
propositions visant à sortir du Canada et les propositions visant à améliorer
le Canada. Il faut que les électeurs sachent que sils votaient Oui à un
référendum sur la sécession, ils exprimeraient leur volonté de sortir du
Canada.
Aussi ce projet de loi ne touche en rien, ni nentrave en rien, toute
proposition, constitutionnelle ou autre, qui viserait à améliorer la fédération
canadienne. Il ne vaut, comme il se doit, que pour les propositions qui
viseraient à en sortir.
Ce projet de loi ayant pour objet de «donner effet» à lavis de la
Cour suprême sur la sécession, il ne saventure pas à aborder des
aspects dont elle na pas traité. Ainsi, la Cour ne sest pas prononcée
sur la mécanique complexe dune éventuelle négociation de la sécession.
Là encore, il serait bien difficile et certainement mal avisé de tenter de
fixer les choses à lavance, en labsence dun contexte donné. De
plus, la Chambre des communes pourrait difficilement déterminer seule par
voie législative cet aspect sans empiéter sur les responsabilités des
autres participants de la fédération.
De même, la Cour na pas précisé la procédure de modification
constitutionnelle applicable à un cas de sécession car «chaque option
exigerait que nous présumions lexistence de faits qui sont inconnus à
ce stade.» (par. 105). Cette prudente réserve est du reste ce
quavait plaidée devant elle le Procureur général du Canada. Le projet
de loi C-20 sabstient donc daborder cette question.
Alors, quaccomplit le projet de loi sur la clarté? Il projette le
maximum déclairage possible sur les étapes quil faudrait franchir
avant de sengager dans ce qui demeure forcément, à lavance, un «trou
noir», pour reprendre lexpression de M. Jean Charest. Il précise les
circonstances de clarté dans lesquelles le gouvernement se déclarerait
tenu de négocier la sécession et confirme que celui-ci négocierait selon
les principes émis par la Cour suprême. Le déroulement de telles négociations,
les conséquences pour la population, demeurent chargés dincertitude.
Le projet de loi précise les critères qui permettraient à la Chambre
des communes de juger de la clarté de la question. Mais il ne détermine
pas le libellé dune éventuelle question référendaire, car la Chambre
des communes na pas à le faire dans le cadre dun référendum
provincial.
Le projet de loi précise les critères qui permettraient à la Chambre
des communes dévaluer la clarté de la majorité si une invitation à négocier
la sécession était faite par le gouvernement dune province après un référendum
sur une question claire. Mais le projet de loi ne fixe pas à lavance
cette majorité claire qui obligerait le gouvernement du Canada à négocier
la sécession, car elle ne peut être déterminée que dans les
circonstances inconnues dun lendemain référendaire.
Le projet de loi rend le gouvernement imputable devant la Chambre des
communes de la façon dont il assumera ses responsabilités lors de la négociation
dune sécession. Mais le projet de loi ne prédétermine en rien les
termes dune telle sécession.
Cest maintenant, dans le calme, en dehors de toute campagne référendaire,
que le gouvernement du Canada a tenu à apporter ces précisions. Les
citoyens y ont droit.
La sécession demeure un «trou noir». Le projet de loi sur la clarté
nous fournit simplement la meilleure lampe de poche disponible, avec les
meilleures piles.
L'allocution prononcée fait foi
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