Notes
pour une allocution
de l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales
lors du débat en troisième lecture
du projet de loi C-20
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)
le 15 mars 2000
Monsieur le Président,
Au moment où la Chambre des
communes entreprend la dernière étape de ses travaux sur le projet de loi C-20, je
saisis l'occasion pour souligner le travail important des membres du Comité législatif
et des témoins qui ont apporté leur contribution à l'examen de ce projet de loi
fondamental pour les droits des Canadiens. Je salue aussi la vision du Premier ministre du
Canada dont le sens du devoir aura donné aux Canadiens cette garantie essentielle de
leurs droits.
Chaque citoyen de ce pays se
verra garantir deux droits fondamentaux si, comme cela est souhaitable, la Chambre des
communes et le Sénat approuvent le projet de loi C-20 sur la clarté.
Premièrement, chaque Canadien
aura la garantie que jamais le gouvernement du Canada n'entreprendra de négocier la
séparation d'une province à moins que 1a population de cette province n'ait clairement
exprimé sa volonté de cesser de faire partie du Canada.
Deuxièmement, la loi sur la
clarté garantira à tous les Canadiens que de telles négociations sur
la sécession, si elles devaient avoir lieu, se tiendraient dans le cadre constitutionnel
canadien, dans le respect des principes identifiés par la Cour suprême : la démocratie,
le fédéralisme, le constitutionnalisme et la primauté du droit et le respect des
minorités.
La loi sur la clarté protégera
les droits et les intérêts de tous les Canadiens, mais en particulier des Québécois,
puisque c'est au Québec que le gouvernement provincial envisage une tentative de
sécession dans la confusion et hors du cadre juridique. Les Québécois
ne veulent pas de cette perspective inquiétante. Le projet de loi sur la clarté est
pro-Québécois, pro-démocratie.
1. La conformité avec l'avis de la Cour suprême
Le gouvernement du Canada a la
conviction que C-20 est en tous points conforme à l'avis de la Cour suprême. Des
juristes de grande réputation sont venus témoigner en ce sens devant le comité, tels le
doyen Yves-Marie Morissette, l'ancien ministre de la Justice du Québec,
M. Gil Rémillard et le doyen Peter Hogg, lequel a déclaré : «Le
projet de loi C-20 respecte intégralement l'avis de la Cour suprême. Je crois donc qu'il
serait difficile dans un même souffle d'appuyer l'avis de la Cour et de rejeter le projet
de loi.» [Traduction]
Le gouvernement a aussi la
conviction que C-20 fait en sorte que la Chambre des communes et le gouvernement du Canada
assument leurs obligations sans empiéter aucunement sur celles de provinces.
Il est à noter qu'aucun
premier ministre provincial en exercice, à l'exception de celui du Québec, n'a
critiqué le projet de loi sur la clarté. Devant le comité législatif, en plus de
M. Rémillard, pour qui «ce projet de loi respecte la juridiction du Québec», un
autre ancien ministre du gouvernement du Québec, M. Claude Castonguay, a
déclaré : «Je n'ai rien vu dans ce projet (C-20) qui limite les compétences de
l'Assemblée nationale du Québec, ni le droit des Québécois de disposer de leur
avenir.»
L'ancien premier ministre de
l'Ontario Bob Rae a déclaré : «Pour moi, il n'y a pas l'ombre d'un doute que
le niveau de consultation prévu dans la loi sur la clarté est sûrement convenable, et
rien dans la Loi n'empiète sur les compétences d'aucune province.» [Traduction] Et nous
avons tous pu lire aujourd'hui, dans le Calgary Herald, le même appui sans
équivoque donné à C-20 par un autre ancien premier ministre provincial, d'une autre
province et d'une autre allégeance politique : M. Peter Lougheed.
Cependant, on se rappelle que
des témoins, dont M. Claude Ryan, ont soutenu devant le comité que, même si le
fédéral a le droit, sinon le devoir, d'évaluer la clarté de l'appui à la sécession
et de régler sa conduite en conséquence, la Chambre des communes n'aurait pas le droit
de se prononcer sur la clarté de la question avant que le résultat du référendum ne
soit connu. Le député bloquiste de Beauharnois-Salaberry, porte-parole pour les Affaires
intergouvernementales, est aussi de cette opinion.
En fait, comme l'a dit le
professeur Patrick Monahan, s'il est légal et légitime que la Chambre des communes se
prononce sur la clarté après le référendum, on ne voit pas pourquoi elle ne pourrait
pas le faire avant celui-ci.
De plus, d'un point de vue
purement pratique, on ne voit pas comment la Chambre des communes et le gouvernement du
Canada pourraient passer toute la campagne référendaire sans répondre à cette
interrogation simple : trouvez-vous la question claire? Les électeurs les
presseraient de répondre et ils auraient bien raison. Ils auraient droit à cette
information.
2. La clarté de la question
«On n'a pas besoin d'emballer
ça dans le fla-fla du partenariat.» «Ces institutions-là c'est carrément aberrant,
c'est la tarte aux pommes qu'on met pour vendre au monde. Je pense qu'il faut être franc
pour vendre notre option.» Ces appels à la franchise, M. le Président, ont
été lancés par de jeunes péquistes lors de leur rassemblement au début du mois.
Que la question de 1995 ait
manqué de clarté, et que telle que formulée elle ne puisse mener à aucune
négociation, voilà qui devrait être admis par tout le monde. Ceux qui en douteraient
encore gagneraient à consulter le document remis au comité législatif par le professeur
Maurice Pinard. Ils y trouveront une avalanche de preuves démontrant que la question
de 1995 a semé beaucoup de confusion. Un seul chiffre : «En 1995, seulement environ
50 % des électeurs savaient que c'était divisible (la souveraineté-partenariat).
Les autres pensaient qu'il n'y aurait pas de souveraineté s'il n'y avait pas de
partenariat en même temps», a déclaré le professeur Pinard au comité.
Les chefs indépendantistes
feraient mieux de viser la plus grande clarté. Pourquoi donc est-il si difficile de
convenir que seule une question sur la sécession peut conduire à une négociation sur la
sécession? Avec la clarté, tout le monde gagne.
3. La clarté de la majorité
En droit fédéral canadien
comme en droit québécois, un référendum est une consultation dont les résultats
doivent être évalués par les autorités politiques. Il n'y a pas de seuil de majorité
légal au-delà duquel le référendum perdrait son caractère consultatif pour devenir un
référendum décisionnel liant les gouvernements.
Les dirigeants indépendantistes
acceptent cette règle de droit pour les référendums municipaux, par
exemple, ou pour les référendums tenus par les peuples autochtones, mais ils ne
l'acceptent pas pour un référendum sur la sécession du Québec. Ils affirment qu'il est
antidémocratique de remettre en cause le seuil de 50 % + 1 quand il s'agit
de déterminer si une majorité est suffisamment claire pour rendre obligatoire la
négociation d'une sécession.
Personne, je pense, ne peut
mettre en doute l'engagement profond de M. Ed Broadbent envers la
démocratie. Il y consacre sa vie. Or, voici ce qu'il a déclaré devant le comité
législatif : «Il serait faux, à mon avis, de décrire la démocratie comme étant
simplement un régime dans lequel toutes les décisions sont prises sur la base d'une
majorité de 50 % + 1. En réalité, j'avancerais plutôt que (...)
les décisions les plus graves exigent beaucoup plus que 50 % + 1, et
certaines requièrent même l'unanimité.» [Traduction]
Les dirigeants indépendantistes
vont-ils qualifier M. Broadbent d'antidémocrate?
M. Claude Ryan a réitéré
devant le comité sa préférence pour un seuil minimal de 50 % + 1 de tous
les électeurs inscrits. Vont-ils le déclarer antidémocrate lui aussi?
En plus de M. Ryan, trois des
experts qui se sont présentés devant le comité se sont dits d'avis qu'aucune
négociation sur la sécession ne pourrait être entamée à moins qu'un minimum de
50 % + 1 de tous les électeurs inscrits aient exprimé leur volonté de
faire sécession : Brian Crowley, Patrick Monahan et
Yves-Marie Morissette, auxquels on peut ajouter le professeur Patrice Garant,
qui s'est prononcé en ce sens dans un article publié dans Le Devoir. Quant au
professeur Michel Lebel, il suggère plutôt comme seuil minimal les deux tiers des
voix exprimées. Les représentants du Groupe des cent ont pour leur part affirmé qu'«en
l'absence d'un large consensus, c'est notre prétention que le projet (de sécession) est
voué à l'échec».
Le projet sur la clarté, comme
chacun sait, ne fixe pas de seuil. Il prévoit que la majorité ferait
l'objet d'une évaluation qualitative après un référendum. Il est en effet bien
difficile de déterminer à l'avance un seuil minimal qui garantirait une majorité claire
en toutes circonstances. En fait, fixer un seuil à l'avance irait à l'encontre de
l'esprit de l'avis de la Cour suprême. Comme l'a dit au comité le doyen Hogg : «Je
ne crois tout simplement pas qu'il y ait un fondement constitutionnel pour fixer un seuil
et c'est pourquoi, pour respecter l'avis de la Cour, nous devons maintenant attendre
jusqu'après la tenue du référendum.» [Traduction]
Ne pas fixer de seuil à
l'avance est conforme à notre droit et à la tradition canadienne en matière
référendaire. Comme l'a reconnu le professeur Guy Lachapelle devant le comité
législatif, «historiquement, le gouvernement fédéral n'a jamais, jamais dans aucun
référendum, reconnu le 50 % + 1 comme règle avant un référendum.» Le
professeur Wayne Norman a lui aussi relevé ce fait. Loin de marquer un changement de
règle, C-20 est conforme à la pratique canadienne.
Par exemple, le gouvernement du
Canada ne s'est jamais engagé à l'avance à intégrer Terre-Neuve comme province
canadienne sur la base d'une majorité de 50 % + 1 lors du référendum de
1948. Le gouvernement du Canada a plutôt procédé exactement comme le
prévoit le projet de loi C-20 : il a attendu de connaître le résultat du
référendum avant de se prononcer.
Mais qu'en est-il de la pratique
internationale, notamment de celle de l'ONU, demandent les chefs indépendantistes. Il me
faut donc encore répéter que l'ONU supervise généralement des référendums de
décolonisation, cas où elle reconnaît un droit à l'indépendance et a même une forte
préférence pour cette solution politique. Comme l'a bien rappelé le professeur
Jean-Pierre Derriennic devant le comité législatif : «La pratique des États
civilisés dans la deuxième moitié du 20e siècle a été que le
principe d'autodétermination donne le droit de fonder un nouvel État dans les cas de
peuples vivant sous un pouvoir politique qui leur refuse une véritable citoyenneté,
situation qui était celle des habitants des colonies.»
À l'exception
des cas de décolonisation, l'ONU n'a manifesté aucune sympathie pour les sécessions,
quand elle ne s'y est pas carrément opposée comme dans le cas du
Katanga. Elle ne fait pas de la sécession un droit, et certainement pas un droit qui
puisse être revendiqué sur une base aussi fragile que 50 % + 1 des voix
exprimées dans le cadre d'un référendum tenu sur le seul territoire visé par la
sécession. Ce n'est pas connaître la pratique des États que de croire qu'en de telles
circonstances le gouvernement du Québec pourrait obtenir la reconnaissance
internationale.
Ainsi, le projet de loi sur la
clarté ne fait rien d'antidémocratique en prévoyant, conformément à l'avis de la Cour
suprême, que la clarté d'une éventuelle majorité référendaire en faveur de la
sécession devrait faire l'objet d'une évaluation. Au contraire, C-20 montre une
ouverture inhabituelle en démocratie pour ce phénomène si souvent abhorré à travers
le monde qu'est la sécession, comme l'a expliqué au comité le professeur
Robert Young, auteur d'un ouvrage important sur les sécessions.
4. Deux amendements pour les peuples autochtones
Bien que la négociation d'une
sécession soulève de multiples questions, c'est celle des Autochtones qui a dominé une
bonne partie des débats du comité législatif.
Devant le comité, le ministre
québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes, M. Joseph Facal, a
prétendu une chose et son contraire. D'une part, il s'est appuyé sur «les textes
juridiques de droit international» pour rappeler que, bien que les Autochtones forment
des nations, «l'exercice des droits des Autochtones doit se faire à l'intérieur même
des États souverains.» D'autre part, il a affirmé que les accessions à l'indépendance
de nations comme le Québec étaient «des questions de pur fait», politiques et non
juridiques - allégation du reste contredite par la Cour suprême qui affirme, au
paragraphe 83 de son avis, que : «La sécession est autant un acte juridique
qu'un acte politique.» Autrement dit, lui et son gouvernement s'estiment libres d'agir
hors du droit, mais les populations autochtones, elles, devront se soumettre au droit.
Deux poids deux mesures.
Il doit être bien gênant de se
donner un droit et de le refuser aux autres. On sait que le député de
Beauharnois-Salaberry et porte-parole bloquiste pour les Affaires intergouvernementales
estimait, avant son entrée en politique, que les peuples autochtones pourraient rester
dans le Canada en cas de sécession du Québec. Eh bien, des témoins de marque invités
par le Bloc à comparaître devant le comité législatif sont restés fidèles à ce
point de vue : les professeurs André Tremblay, Andrée Lajoie et
Guy Lachapelle ainsi que le président de la CSN, M. Marc Laviolette.
En vertu du projet de loi C-20,
le gouvernement du Canada s'engage à traiter, dans le cadre de la négociation d'une
sécession, «des droits, intérêts et revendications territoriales des peuples
autochtones du Canada». L'Assemblée des Premières Nations, le Grand Conseil des Cris et
l'Inuit Tapirisat du Canada ont exigé des garanties plus fortes devant le comité
législatif. Plusieurs autres témoins, dont M. Jack Jedwab, ont fait des
propositions visant à mieux prendre en compte les droits des Autochtones et des
minorités en général. Les membres libéraux et néodémocrates du comité se sont
montrés très favorables à des amendements qui rendraient plus explicites les garanties
pour les Autochtones.
Devant le bien-fondé de ces
suggestions, le gouvernement du Canada a donné son appui à deux amendements proposés
par le NPD et recommandés par les membres libéraux du comité. La portée de ces
amendements est de mentionner de façon explicite les représentants des peuples
autochtones du Canada parmi ceux dont les vues seraient prises en considération par la
Chambre des communes lors de l'évaluation de la clarté de la question et de la
majorité.
Le Chef national de l'Assemblée
des Premières Nations, M. Phil Fontaine, s'est dit satisfait de ces modifications,
mais regrette que le rôle que joueraient les représentants autochtones en cas de
négociation d'une sécession n'ait pas été davantage précisé.
À ce propos, je tiens à dire
avec insistance que si l'article 3(1) du projet de loi sur la clarté ne mentionne,
parmi les participants à une éventuelle négociation sur la sécession, que les
gouvernements de l'ensemble des provinces et du Canada, c'est qu'il s'agit des seuls
acteurs politiques à qui la Cour assigne une obligation de négocier en cas d'appui clair
pour la sécession. Mais la Cour, pas plus que C-20, n'exclut que d'autres acteurs
politiques puissent participer à cette négociation, dont les représentants des peuples
autochtones du Canada. Simplement, il ne fallait pas que C-20 aille au-delà de l'avis de
la Cour en créant une obligation pour d'autres acteurs que ceux auxquels elle a assigné
une telle obligation.
J'ajoute qu'en vertu de la Loi
constitutionnelle de 1982, les gouvernements fédéral et provinciaux sont liés par
l'engagement de principe selon lequel les représentants des peuples autochtones seraient
invités à participer aux discussions pour tout amendement constitutionnel qui
affecterait des dispositions de la Constitution mentionnées à l'article 35.1. Le
projet de loi sur la clarté respecte ce principe en précisant bien que les négociations
sur la sécession incluraient «notamment» les gouvernements des provinces et du Canada.
Conclusion
Conforme en tous points à
l'avis de la Cour suprême, auquel il donne effet, le projet de loi sur la clarté
garantit à tous les Canadiens que leur gouvernement fédéral ne
négociera jamais la sécession d'une province sans que la Chambre des communes n'ait pu
constater la volonté de la population de cette province de cesser de faire partie du
Canada. Il leur garantit aussi que si de telles négociations devaient avoir lieu, elles
se feraient dans le respect du droit et des principes constitutionnels.
Nos collègues bloquistes, qui
se sont opposés avec la plus grande des véhémences au projet de loi C-20, n'ont réussi
qu'à créer l'impression que dans la franchise et la clarté ils se savent incapables de
convaincre les Québécois que la sécession est la meilleure solution.
Le fait est que les Québécois,
comme l'ensemble des autres Canadiens, ont droit à la clarté plutôt qu'à
l'ambiguïté, à la protection du droit plutôt qu'à l'anarchie.
Fini le temps de l'ambiguïté.
J'invite tous les députés de cette Chambre à voter en faveur du projet de loi sur la
clarté.
L'allocution prononcée fait foi
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