«Les
enjeux financiers à court et
à long terme de notre fédération»
Notes pour une allocution
de l'honorable Stéphane
Dion
Président du Conseil
privé et
ministre des Affaires
intergouvernementales
Chambre de commerce de Saint-Laurent
Saint-Laurent (Québec)
le 13 avril 2000
L'allocution prononcée
fait foi
Le Canada entre dans une
nouvelle ère économique : celle des surplus budgétaires. Il est de toute première
importance que ces surplus soient utilisés de façon optimale étant donné l'ampleur des
défis auxquels nous avons à faire face.
Ayant repris le contrôle de
leurs finances, nos gouvernements se trouvent dans la situation enviable de pouvoir
choisir comment utiliser cette marge de manoeuvre budgétaire accrue. Le Canada étant une
fédération, de surcroît particulièrement décentralisée, il est à prévoir que les
stratégies de ses gouvernements différeront dans une certaine mesure. Certains miseront
surtout sur les baisses d'impôts, d'autres sur les réinvestissements de programmes,
d'autres mettront un accent particulier sur le remboursement de la dette.
Le gouvernement du Canada, pour
sa part, a opté pour une approche équilibrée : 50 % des surplus iront aux
réinvestissements, l'autre 50 % étant affecté au remboursement de la dette et aux
baisses d'impôts.
C'est une bonne chose que nos
gouvernements puissent expérimenter différentes solutions. Ainsi, par une saine
émulation, nous pouvons voir ce qui fonctionne le mieux. Mais il est tout aussi important
qu'au-delà de cette concurrence naturelle, les gouvernements de notre fédération
sachent renforcer leur collaboration là où elle est nécessaire, compte tenu des défis
communs qu'ils ont à relever.
Après avoir démontré à quel
point l'économie canadienne a actuellement le vent dans les voiles, je décrirai la
stratégie équilibrée qui se dégage du dernier budget Martin. Je ferai valoir, en
conclusion, que la véritable condition gagnante pour tout le monde, c'est l'unité
canadienne.
1. Le Canada a maintenant le vent dans les voiles
Le Canada revient de loin. La
situation de ses finances publiques paraissait presque désespérée lors de l'élection
de notre gouvernement en 1993. Nous avions, en 1992, le pire déficit des pays du G-7,
après l'Italie. Le redressement a été spectaculaire au point que nous disposons
maintenant des plus importants surplus du G-7. Le plus récent World Competitiveness
Yearbook, celui de 1999, classe d'ailleurs le Canada au troisième rang pour
l'amélioration de la gestion de ses finances publiques.
Ce redressement a été fait non
seulement par le gouvernement fédéral mais aussi par les provinces.
Elles affichaient toutes des déficits en 1993-1994. Cette année, parmi
les huit provinces qui ont déjà présenté leur budget, cinq ont soit présenté un
budget équilibré, soit annoncé un surplus. Les perspectives sont du reste excellentes.
Selon une étude de la Banque Royale du Canada publiée en septembre 1999, huit provinces,
dont le Québec, devraient, d'ici 2004-2005, enregistrer des surplus financiers
semblables, en pourcentage du PIB, à ceux prévus pour le gouvernement fédéral.
On pourrait discuter longtemps
des causes de nos difficultés passées. La tentation est forte de chercher un
coupable : ainsi, pour certains, il s'agit des gouvernements antérieurs, pour
d'autres de la Banque du Canada. Je pense qu'il y a une cause plus profonde.
Nous, les Canadiens, avons de
grandes ambitions pour nous-mêmes. L'idéal que nous poursuivons est celui d'un pays qui
combine d'une part la compassion et le sens de la solidarité sociale des Européens, et
d'autre part, le dynamisme et le sens de la compétition des Américains. Nous ne
voulons rien de moins que le meilleur de ces deux mondes. C'est là un idéal exigeant qui
commande de la discipline et du réalisme. Autrement, nous nous exposons à des dérapages
qui peuvent coûter très cher en termes économiques et sociaux.
La grande contribution du
Premier ministre Jean Chrétien et de son gouvernement, dont j'ai l'honneur de
faire partie, a été de restaurer ce sens de la discipline et du réalisme. Les Canadiens
ont appuyé ce leadership et en récoltent maintenant les fruits. Notre économie a le
vent dans les voiles : croissance des investissements, croissance de 1'emploi. Vous
le voyez bien, vous, gens d'affaires de Saint-Laurent, dont la ville est en pleine
explosion économique.
Quant on y pense, l'économie a
créé 454 000 emplois depuis un an, dont 109 000 au Québec, ce qui équivaut,
pour 1'ensemble du Canada, à une augmentation de 3,2 % du nombre d'emplois.
La croissance est là; nous
avons une occasion unique de consolider notre économie. Les Canadiens sentent bien qu'il
ne faut pas rater cette chance. Ils veulent enfin profiter des fruits de la
croissance, mais en même temps, ils veulent s'assurer un avenir prospère. Il ne faut pas
se tromper de stratégies.
2. La stratégie équilibrée du gouvernement du Canada
Les gens d'affaires, d'ordinaire,
insistent beaucoup sur les baisses d'impôts. C'est normal : vous vous battez tous les
jours pour vos entreprises, aux premières lignes de la concurrence mondiale. Vous savez
à quel point une fiscalité trop lourde nuit à notre économie.
Mais en même temps, justement
parce que vous êtes sensibles aux impératifs de compétitivité économique, vous
trouvez important que les gouvernements investissent avec vous dans la recherche et le
développement. Vous êtes conscients qu'il nous faut des universités de
première classe pouvant former suffisamment de diplômés en mesure
d'occuper les emplois que vous offrez.
De plus, vous n'ignorez pas
qu'une économie prospère repose sur de solides infrastructures routières, municipales
et touristiques, pour n'en nommer que quelques-unes. Vous savez bien aussi que les
programmes sociaux ne représentent pas qu'un coût : ils contribuent à la justice
et à la paix sociale qui aident à la stabilité économique.
Enfin, vous n'ignorez pas que
1'élimination des déficits ne marque pas la fin de notre endettement. Nous avons une
énorme dette accumulée. Il importe de la réduire en période de croissance.
Allégements fiscaux,
investissements ciblés, diminution de 1'endettement, c'est parce qu'il prend en compte
toutes ces considérations que le gouvernement du Canada insiste tant sur une approche
équilibrée.
Dans son budget de l'an 2000, le
gouvernement du Canada a mis fortement l'accent sur les allégements fiscaux : une
baisse de l'impôt des particuliers de 16,1 milliards $ sur trois ans, une
baisse des cotisations d'assurance-emploi de 6,9 milliards $ sur quatre ans et
un allégement de 730 millions $ sur trois ans de l'impôt des sociétés.
Ces allégements fiscaux visent,
entre autres, à encourager les investissements et l'innovation dont nous aurons besoin
pour renforcer la compétitivité de notre économie et relever les défis du 21e
siècle. Mais en outre, pour aider le Canada à devenir plus novateur, le budget de
1'an 2000 comprend 4,1 milliards $ de nouveaux investissements ciblés.
Le gouvernement consacrera
notamment 1,9 milliard $ d'ici 2004 aux investissements dans la recherche de
pointe et l'innovation dans les universités, les hôpitaux de recherche et le secteur
privé dont :
-
900 millions $ de plus à
la Fondation canadienne pour l'innovation;
-
360 millions $ pour
établir et maintenir 2 000 Chaires de recherche du
Canada afin de garder ou d'attirer les meilleurs chercheurs dans nos
universités;
-
270 millions $ pour
appuyer la science génomique, l'intelligence artificielle et
la robotique de pointe et pour assurer un cadre réglementaire prudent pour
les produits de la biotechnologie.
I1 s'agit, bien sûr,
d'investissements qui seront particulièrement importants pour l'avenir des industries qui
prospèrent aujourd'hui à Saint-Laurent. Vous le voyez, le gouvernement
du Canada continuera à aider puissamment Saint-Laurent et toute la région de Montréal
par ses investissements en aéronautique, en télécommunications, en industrie
pharmaceutique, pour ne nommer que celles-ci.
En plus de ces investissements
dans la recherche et l'innovation, le gouvernement accorde 700 millions $ sur
trois ans pour 1'élaboration de nouvelles technologies environnementales et
l'amélioration des méthodes d'assainissement de l'environnement et
1,6 milliard $ sur trois ans pour nos infrastructures routières, portuaires et
municipales.
Le gouvernement en profite aussi
pour renforcer nos programmes sociaux, avec notamment 2,8 milliards $ d'ici 2004
consacrés à l'amélioration de la prestation fiscale pour enfants et
1,5 milliard $ d'ici 2004 aux congés parentaux.
De plus, le gouvemement verse
2,5 milliards $ dans le transfert social canadien dans le cadre duquel il
contribue au financement de la santé, de 1'éducation supérieure et de l'aide sociale,
une somme qui s'ajoute aux 11,5 milliards $ sur cinq ans annoncés l'an dernier.
L'approche équilibrée du
gouvernement du Canada inclut aussi une préoccupation pour notre endettement. C'est
pourquoi il entend continuer à consacrer 3 milliards $ par année au
remboursement de sa dette accumulée. Le fardeau de la dette fédérale est toujours plus
du double de celui des provinces. Le gouvernement du Canada doit consacrer 25,2 % de
ses recettes au service de la dette. Pour les provinces, ce chiffre est, en moyenne, de
13,2 % et de 16,7 % au Québec.
Faudrait-il en faire plus dans
tous ces domaines? Certainement, si nous en avions les moyens. Des porte-parole des
milieux d'affaires ont trouvé les baisses d'impôt trop timides; les premiers ministres
provinciaux réclament des milliards de dollars additionnels pour faire face aux coûts
croissants de la santé. Le gouvernement du Canada comprend ces points de vue et le
ministre des Finances, M. Paul Martin, est confiant de pouvoir faire davantage
lors du budget de l'an prochain. Mais le gouvernement demande à tous de ne jamais perdre
de vue les impératifs de prudence, de discipline et de réalisme.
Il est évident que nos
gouvemements devront injecter davantage d'argent pour faire face à l'augmentation des
coûts des soins de santé. Mais il est tout aussi évident que ce n'est pas qu'une
question d'argent, c'est aussi une question de gestion, de façon de faire, comme l'a
reconnu récemment le ministre d'État à l'Économie et aux Finances du Québec,
M. Bernard Landry.
Le gouvernement du Canada est
prêt à apporter sa contribution financière à un effort conjoint pour préserver notre
système de santé et l'améliorer. Mais il faut d'abord convenir d'un plan d'ensemble car
simplement injecter de l'argent ne suffira pas.
Il faut que, dans le plein
respect de l'autonomie des provinces et de leurs responsabilités constitutionnelles en
matière de prestation des soins de santé, les gouvernements partagent les meilleures
pratiques et découvrent la façon optimale d'investir les sommes importantes qui devront
être consacrées à la santé.
Conclusion : L`ère des conditions gagnantes pour les citoyens
Les Canadiens ont toutes les
raisons d'être optimistes en cette ère de croissance économique et de surplus
budgétaires. Mais ils sentent qu'il faut garder le cap et agir avec la discipline et le
réalisme qui sont la marque du gouvernement libéral de Jean Chrétien. Ils voient
bien surtout, et je veux conclure là-dessus, que c'est dans l'unité que les Canadiens
doivent relever les défis économiques et sociaux qui se présentent à eux.
Les conditions gagnantes
de notre économie et de notre qualité de vie passent par l'unité canadienne. C'est dans
l'entraide canadienne que, nous les Québécois, comme les autres Canadiens, avons
redressé nos finances publiques et relancé notre économie. C'est en continuant à aider
les autres Canadiens et en acceptant leur aide que nous nous donnons les meilleures
chances d'aller de l'avant.
II est faux de prétendre
que l'assainissement de nos finances publiques est une condition gagnante pour la
séparation. C'est dans le Canada que ce redressement s'est effectué, c'est dans le
Canada que nous avons intérêt à continuer à aller de l'avant.
Ceux qui voient dans
l'assainissement de nos finances un argument en faveur de la séparation sont les mêmes
qui, à l'époque des déficits, nous exhortaient à sortir du Canada pour éviter la
faillite. Au référendum de 1995, ils nous demandaient de voter Oui pour échapper au
«vent froid» des compressions. Après, ils nous ont dit qu'il fallait procéder aux
compressions pour être prêts pour la séparation. Quel qu'ait été l'état de nos
finances publiques, bon ou mauvais, ils nous ont toujours dit qu'il fallait nous séparer.
Aujourd'hui, ils disent que
maintenant que les finances publiques sont assainies, nous, les Québécois, devons avoir
suffisamment confiance en nous-mêmes pour faire la séparation.
Pourquoi ne voient-ils pas que
ce n'est pas par manque de confiance que tant de Québécois adhèrent au Canada, mais au
contraire par fierté ? Fierté à l'égard de ce pays que nous avons bâti avec les
autres Canadiens. Solidarité avec eux, nos concitoyens, qui nous aident et que nous
aidons. Conviction que nos différences de langue ou de références culturelles sont une
force, une formidable complémentarité. Conviction aussi qu'être à la fois Québécois
et Canadien est une chance extraordinaire sur cette planète. Certitude que les
identités, cela s'additionne et ne se soustrait jamais. Confiance au Canada et en son
avenir.
Voilà pourquoi nous les
Québécois sommes de plus en plus nombreux à miser sur l'unité canadienne, sur la
solidarité qui nous unit aux autres Canadiens, sur notre fierté de Québécois et de
Canadiens.
La véritable condition gagnante
pour tout le monde, c'est le Canada.
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