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Salle de presse

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« Que retenir de l'affaire Michaud?
 
L'incompatibilité entre le nationalisme civique et la sécession »

Notes pour une allocution
de l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales

Discours devant la faculté de droit de
l'Université de Sherbrooke

Sherbrooke (Québec)

 

le 5 avril 2001

L'allocution prononcée fait foi


          Ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Michaud nous oblige à nous pencher, une fois de plus, sur les fondements du mouvement séparatiste au Québec.

          L'effet le plus immédiat de cette affaire a été d'avoir peut-être précipité le retrait de la vie politique de l'un des premiers ministres les plus populaires de l'histoire du Québec. Bien que M. Bouchard ait affirmé dans son discours d'adieu que cette affaire n'a pas été une cause de son départ, il a ajouté du même souffle : « Je n'ai pas le goût de poursuivre quelque discussion que ce soit sur l'holocauste et sur le vote des communautés ethniques et culturelles. »

          On comprend M. Bouchard. On voudrait pouvoir se dire que cette histoire désagréable est maintenant derrière nous et qu'il vaut mieux l'oublier. Mais c'est ce même M. Bouchard qui déplorait que cette affaire et ses suites « [aient] fait du tort à la réputation du Québec à l'étranger ». Ici même au Québec, l'onde de choc continue de se faire sentir avec, par exemple, le différend idéologique sur l'identité québécoise qui oppose M. Duceppe à l'un de ses députés, M. Lebel, et à d'ex-membres de l'aile jeunesse de son parti.

          Nous faisons face à un problème récurrent qui ressurgit toujours quand on croit pouvoir l'éviter. Aujourd'hui, il prend la forme de lancinants débats sur le caractère inclusif ou exclusif, ethnique ou civique, de notre nationalisme.

          Je vais vous donner mon opinion là-dessus. Je sais que, depuis cinq ans maintenant, je suis tout sauf un observateur neutre dans cette histoire. Cependant, les arguments que je vais vous soumettre sont exactement les mêmes que ceux que j'ai défendus, à titre d'universitaire, le 18 janvier 1995, devant le groupe de Cité libre.

          Devant cette assemblée trudeauiste, j'ai fait valoir que rien n'indiquait que les Québécois d'aujourd'hui étaient en général plus xénophobes que les autres Canadiens. Le problème auquel nous faisons face, ai-je ajouté, n'est pas que la société québécoise aurait des prédispositions particulières à la xénophobie. Il tient plutôt au fait qu'il est impossible de justifier la sortie du Québec du Canada d'une façon qui rejoigne de la même manière les Québécois de souche française et les autres Québécois.

          Le problème dont l'affaire Michaud est un symptôme provient donc moins de la société québécoise que du projet de sécession lui-même. Voilà ce que j'entends vous démontrer aujourd'hui.

1. L'intolérance de la thèse du « vote ethnique »

          Vous vous en rappelez, lors d'une entrevue radiophonique avec le journaliste Paul Arcand, le 5 décembre 2000, M. Yves Michaud a reproché aux Juifs de croire que « vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l'histoire de l'humanité ». Il s'agit bien sûr d'un propos injustifiable et je ne crois pas nécessaire d'élaborer davantage là-dessus. Je ne veux pas non plus m'étendre trop longtemps sur le fait que l'opinion de M. Michaud ne reflète pas le Québec d'aujourd'hui.

          Le B'nai Brith - cet organisme juif que M. Michaud accuse d'être « des extrémistes anti-Québécois » - produit un répertoire annuel qui montre que les incidents de nature antisémite sont beaucoup moins fréquents à Montréal qu'à Toronto ou à Ottawa.

          On peut certes trouver des sondages qui suggèrent une plus grande méfiance envers la diversité ethnique au Québec qu'ailleurs au Canada, mais il en est d'autres qui montrent le contraire. Par exemple, des sondages récents menés par la firme Ekos indiquent que les Québécois ont moins tendance que les autres Canadiens à trouver qu'il y a trop d'immigrants ou trop de minorités visibles au Canada.

          L'affaire Michaud, c'est aussi la réprobation unanime de l'Assemblée nationale, c'est également le fait que cet indépendantiste en vue a dû renoncer à l'investiture péquiste dans Mercier.

          Puisqu'ils ont été si clairement répudiés, pourquoi revenir aujourd'hui sur les propos de M. Michaud? C'est qu'ils ont eu pour toile de fond un débat qui, lui, est loin d'être vidé. Ce débat porte sur les causes du faible attrait de l'indépendance auprès des Québécois non francophones.

          « On a perdu [le référendum] à cause de l'argent et des votes ethniques », a affirmé M. Michaud en reprenant la célèbre formule de M. Parizeau. « Il y a donc intolérance zéro [sic] de la part d'immigrants par rapport à nous-mêmes », a-t-il ajouté en trouvant « stupéfiant et horrifiant » qu'aucun vote pour le Oui n'ait été trouvé dans certains bureaux de vote à forte concentration « immigrante ».

          « La démocratie est viciée », s'est-il exclamé. « Nous les Québécois, quand on vote à un référendum, on a 60 % Oui, 40 % Non. On a un équilibre démocratique. »

          Le 13 décembre 2000, devant la Commission des États généraux sur la langue française, M. Michaud a assigné aux immigrants le devoir « de nous accompagner sur le chemin qui mène à la maîtrise de tous les outils de notre développement ».

          Un autre fait pertinent pour notre discussion d'aujourd'hui est que, bien que ces propos de M. Michaud sur le « vote ethnique » aient eux aussi été répudiés, y compris par MM. Landry et Duceppe, ils ont tout de même trouvé des appuis. « Il n'y a pas de quoi fouetter un chat », a déclaré M. Jacques Parizeau (entrevue avec Paul Arcand, CKAC, 12 janvier 2001), ramenant toute l'affaire à un simple constat statistique quant au faible vote des non-francophones pour l'indépendance. « On ne saurait nier la pénible réalité des faits », a-t-il écrit avec plusieurs cosignataires dans une lettre d'appui à M. Michaud (Le Soleil et Le Devoir, le 19 décembre 2000).

          Un simple rappel des faits? On somme toutes les minorités ethniques et culturelles de fournir leur contingent d'électeurs indépendantistes, sous peine d'êtres accusées d'intolérance, d'être contre les Québécois, et il ne s'agirait là que d'un simple rappel des faits? Bien sûr que non. Il s'agit d'une intolérance envers les Québécois non francophones - ou de souche non française - auxquels on reproche de ne pas assez appuyer le projet indépendantiste.

2. Le peu d'appui à l'indépendance n'est pas le signe d'un manque d'intégration

          Il ne faut pas pratiquer l'amalgame : ce ne sont pas tous les porte-parole indépendantistes qui vont jusqu'à blâmer les minorités ethniques et culturelles pour leur façon de voter. Mais ils sont plusieurs à voir dans le faible appui des électeurs non francophones à l'indépendance la preuve d'un manque d'intégration au Québec.

          Le 3 octobre 1995, en pleine campagne référendaire, M. Landry, à l'époque même où il était ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, a fait cette déclaration en conférence de presse à propos du vote des minorités ethniques : « [Il] y a quelque chose qui ne marche pas en terme d'intégration. S'ils sont intégrés, ils font comme nous ». Autrement dit : s'ils s'intègrent, ils votent dans les mêmes proportions que nous (les Québécois francophones) pour l'indépendance du Québec.

          C'est comme si, pour être intégré au Québec, il fallait être indépendantiste. Logiquement, ce raisonnement devrait valoir aussi pour les Québécois dits « de souche » qui appuient l'unité canadienne : eux aussi devraient être considérés comme mal intégrés au Québec.

          Or, ce raisonnement est bien sûr inexact : il n'y a aucun lien entre l'intégration au Québec et l'opinion que l'on peut avoir sur la sécession du Québec du Canada. Une communauté ethnique ou culturelle peut être très bien intégrée au Québec alors que seulement un petit nombre de ses membres appuie l'indépendance. Encore récemment, une étude du Centre d'études ethniques de l'Université de Montréal, intitulée Ils sont maintenant d'ici!, a montré que les immigrants s'intègrent relativement bien à notre société majoritairement francophone. On aurait d'ailleurs du mal à trouver un autre enjeu que celui de la sécession qui divise les Québécois sur une base ethnique.

          Si l'enjeu de la sécession, lui, induit un clivage ethnique, ce n'est ni parce que les francophones sont xénophobes, ni parce que les non-francophones sont mal intégrés. C'est plutôt parce que seuls des Québécois francophones peuvent penser retirer de la sécession un pays dans lequel ils seraient majoritaires.

          La sécession du Québec du Canada rendrait les Québécois francophones majoritaires dans leur pays. Aux autres Québécois, elle n'apporterait rien de tel. Voilà pourquoi ils sont moins susceptibles d'appuyer ce projet. Ils appuient peu l'indépendance non pas parce qu'ils seraient mal intégrés au Québec, mais tout simplement parce qu'on ne leur a jamais présenté une seule raison convaincante pour renoncer au Canada.

3. Il n'y a aucune raison civique de renoncer au Canada

          Posons-nous franchement la question : pourquoi se séparer du Canada? Toutes ces raisons qu'on s'invente - que le Canada serait supposément trop centralisé, ou économiquement dysfonctionnel, ou que le Québec n'y recueillerait pas sa juste part - ne sont-elles pas des faux-fuyants? Soyons francs entre nous. Nous savons bien que l'indépendance du Québec n'est pas précisément un impératif économique, et qu'un Québec indépendant serait bien plus centralisé que cette « fédération extraordinairement décentralisée » qu'est le Canada aux dires de M. Parizeau lui-même (discours prononcé à Québec le 28 février 1999).

          Fondamentalement, avouons-le sans détour, le mouvement indépendantiste québécois tient à l'attrait que la perspective de devenir une majorité dans leur pays exerce auprès des Québécois francophones.

          Cette réalité rattrape toujours nos leaders indépendantistes malgré toutes leurs professions de foi au nationalisme civique. Ils laissent régulièrement échapper un « nous les Québécois » qui n'inclut pas tous les Québécois. Revenons au discours de défaite de M. Parizeau le soir du référendum. Avant de tonner contre le « vote ethnique », rappelez-vous ce qu'il a déclaré : « Si vous voulez cesser de parler des francophones du Québec, voulez-vous, on va parler de nous. À 60 %, on a voté pour... bon! ». Et après que dans la salle on ait scandé « Le Québec aux Québécois! », M. Parizeau a lancé : « N'oubliez jamais : les trois cinquièmes de ce que nous sommes ont voté Oui. »

          « Ce que nous sommes », les ex-dirigeants du forum jeunesse du Bloc l'ont défini comme étant « la communauté nationale française » ou encore « [le] peuple anciennement canadien-français, aujourd'hui franco-québécois », dans un mémoire préparé pour les États généraux sur la situation du français au Québec. Dans un autre texte, intitulé « Le manifeste de la pensée nationale », ils ont interpellé leurs chefs : « Nous déplorons que l'actuel souverainisme refuse d'assumer ce qu'il est. »

          Je suis en désaccord avec la conception de la vie en société que se font ces jeunes et je comprends M. Duceppe d'avoir pris ses distances face à eux. Mais par ailleurs, ils révèlent le sécessionnisme tel qu'il est : un mouvement qui vise à rendre les Québécois francophones majoritaires dans leur pays. Les autres raisons avancées pour renoncer au Canada sont de minces paravents qui masquent mal cette vérité trop gênante.

          C'est Fernand Dumont qui a écrit : « On parle couramment de nation québécoise. Ce qui est une erreur, sinon une mystification. Si nos concitoyens anglais du Québec ne se sentent pas appartenir à notre nation, si beaucoup d'allophones y répugnent, si les autochtones s'y refusent, puis-je les y englober par la magie du vocabulaire? » (Raisons communes, 1995, p.63). À cette question on ne peut plus pertinente de Fernand Dumont, je réponds que bien peu de nos concitoyens répugnent à être Québécois. Ce n'est pas l'appartenance au Québec qui fait problème, c'est le renoncement au Canada.

          Ce n'est pas le nationalisme québécois qui ne peut pas être civique, c'est le sécessionnisme. On trouvera quantités d'arguments pouvant convaincre des êtres humains de toutes origines de devenir Québécois. On sera à court quand il s'agira de les convaincre de cesser d'être, aussi, des Canadiens.

Conclusion

          C'est bien à tort que les partisans de l'unité canadienne verraient dans les élans xénophobes qui entachent le mouvement indépendantiste la preuve que le Québec serait une société moins tolérante que le reste du pays.

          C'est bien à tort que les partisans de l'indépendance du Québec verraient dans le peu d'appui qu'ils recueillent chez les non-francophones la preuve que ceux-ci seraient mal intégrés au Québec.

          Se blâmer les uns les autres n'avance à rien. Ce qu'il faut, c'est s'interroger sur le fondement même du projet sécessionniste.

          Dans un État démocratique, où l'ensemble des citoyens jouissent des droits civiques, il est impossible de justifier la sécession par des arguments universels. J'entends par là des arguments susceptibles d'être valables pour tous les citoyens sans égard à leur origine ethnique.

          Dans un État colonialiste ou totalitaire, qui dénie les droits civiques à la totalité ou à une partie de ses citoyens, il est possible de fonder une revendication sécessionniste sur des droits universels. Ce n'est jamais la volonté de séparer des populations de langues, de cultures ou de religions différentes qui peut rendre ces sécessions légitimes. La justification vient plutôt du fait que des citoyens sont fondés de vouloir échapper à un État qui ne les traite pas comme des citoyens. Voilà sans doute pourquoi tant le droit international que la pratique éclairée des États ne reconnaissent de droit à l'autodétermination externe, c'est-à-dire de droit à la sécession, qu'aux peuples en situation coloniale ou victimes de violation grave des droits humains.

          De tels arguments universels ne sont pas disponibles pour justifier la sécession dans un État démocratique. Il ne reste que les arguments particularistes liés à un groupe ethnique.

          Dans notre cas, l'argument particulariste est le suivant : nous, les Québécois francophones, deviendrons majoritaires si notre pays s'arrête aux frontières du Québec plutôt que de s'étendre à l'ensemble du Canada.

          C'est de cet argument dont il faut discuter, sans fard ni faux-fuyant : devons-nous, nous, les Québécois francophones, renoncer au Canada, où nous sommes minoritaires, et former une majorité dans notre pays? Comme vous le savez, ma réponse à cette question est non, pour plusieurs raisons, mais la plus fondamentale est la suivante : l'entraide confiante de populations différentes au sein d'un même État démocratique - lequel dans notre cas s'appelle le Canada - m'apparaît un idéal plus grand et plus valable que cette opération de rupture qui consisterait à limiter notre État au territoire où notre groupe ethnique ou linguistique se trouve à être majoritaire.

          Si nous devions briser un pays parce que « les autres » y sont plus nombreux que « nous », alors qui serions-nous pour demander à nos propres minorités de nous faire confiance comme majorité? Nous ne pourrions d'ailleurs pas leur offrir une autonomie aussi étendue que celle que nous aurions jugée insuffisante pour nous-mêmes au sein du Canada, puisque personne ne parle de faire d'un Québec indépendant une fédération décentralisée. Renoncer à la solidarité canadienne, c'est accepter un principe de rupture et une méfiance de l'autre qui sont contraires à la solidarité entre Québécois.

          La sécession est cet exercice par lequel on choisit ses concitoyens : on choisit ceux que l'on veut garder et ceux que l'on veut transformer en étrangers. Il n'y a pas de raison civique de faire cela dans un État démocratique comme le Canada. La démocratie nous invite au contraire à être solidaires de tous nos concitoyens.

          Aussi je ne vous oppose pas un nationalisme à un autre, le canadien au québécois; je maintiens que les deux se complètent très bien. Ce que je dis plutôt, c'est qu'à la quête particulariste d'un statut majoritaire je préfère le principe universel de la solidarité entre tous les citoyens.

          Camus disait : « J'aime trop mon pays pour être nationaliste ». Moi, j'aime le Québec, j'aime le Canada, mais c'est moins un sentiment nationaliste qu'un principe universel qui m'attache à l'unité canadienne : je veux garder tous mes concitoyens.  


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Mise à jour : 2001-04-05  Avis importants