« Comment
améliorer le recrutement et la rétention des élèves
dans les écoles francophones? »
Notes pour une allocution
de l’honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales
Discours prononcé devant les
membres de l’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF)
Toronto (Ontario)
le 4 octobre 2003
L’allocution prononcée fait foi
Vous me faites un grand plaisir, membres de l’Association
canadienne d’éducation de langue française, en m’invitant à discuter avec vous de deux sujets qui me tiennent
à coeur : l’éducation et la langue française.
Après
que le Premier ministre du Canada, le très
honorable Jean Chrétien, m’ait demandé, le 25 avril 2001, d’élaborer un
plan d’action pour relancer la politique fédérale sur les langues
officielles, j’ai très
vite déclaré que ma priorité serait l’éducation. J’ai insisté au point
que certains se sont mis à craindre que le Plan d’action ne porte que sur l’éducation.
Comme vous le savez, le Plan d’action de 751 millions de dollars sur cinq
ans, annoncé par le Premier ministre le 12 mars 2003, bâtit sur l’éducation
mais s’étend au-delà.
Intitulé Le prochain Acte : un nouvel élan
pour la dualité linguistique canadienne,
il prévoit toute une série de mesures qui aideront les communautés de langue
officielle dans leur développement et qui leur donneront un meilleur accès à des services publics dans leur langue, notamment dans les domaines de la santé,
de la petite enfance et de la justice. Le Plan d’action vise aussi à rendre la fonction publique fédérale exemplaire du triple point de vue de la
prestation de services fédéraux aux Canadiens dans les deux langues
officielles, de la participation des Canadiens d’expression française et d’expression
anglaise à l’administration fédérale, et de l’emploi des deux langues officielles au
travail. Enfin, le Plan comprend un cadre d’imputabilité et de coordination
qui rappellera de façon constante aux ministres et à leurs fonctionnaires la priorité accordée
à la dualité linguistique. Ce cadre d’imputabilité vise notamment à rendre le gouvernement du Canada plus
à l’écoute d’organismes comme le vôtre.
Bien sûr,
aujourd’hui, vous me demandez de parler du volet éducation du Plan. Mais
rappelons-nous que tout cela s’inscrit dans un plan, justement, et que chacune
de mesures qu’il contient, que ce soit pour les services de santé, la
fonction publique ou tout autre domaine, aidera à atteindre nos objectifs en éducation. Le français n’a pas d’avenir s’il
n’est parlé que dans les salles de classe. Il nous faut accroître la
vitalité de la vie communautaire, culturelle et économique francophone. Plus
les enfants joueront avec leurs amis en français, se feront soigner en
français, verront leurs parents travailler en français, plus ils seront
motivés à étudier en français. Tout se tient.
Dans sa lettre d’invitation, votre président, M. Gérald Boudreau, m’a
suggéré de faire porter ma présentation sur un objectif précis du Plan d’action,
celui concernant la rétention des élèves
dans les écoles françaises. Selon le recensement de 2001, la proportion des
étudiants admissibles inscrits dans les écoles francophones est de 68 %. L’objectif
fixé dans notre Plan est de porter ce pourcentage à 80 % d’ici dix ans. Je vais vous dire comment, selon moi, nous pouvons
atteindre cet objectif, étant entendu, bien sûr,
que la première condition du succès
est le plein engagement de gens comme vous, éducateurs, parents, directeurs d’école
qui savez mieux que quiconque ce qu’il faut faire pour attirer nos jeunes vers
l’école française.
1. Les défis qui se posent à nous
En 1986, la proportion des étudiants admissibles dans les écoles
francophones était de 56 %. En 2001, elle était de 68 %. On a donc obtenu
une augmentation de 12 points de pourcentage en quinze ans. Notre objectif est d’augmenter
ce pourcentage d’une douzaine de points additionnels en dix ans pour atteindre
le seuil recherché de 80 %.
C’est là
un objectif réaliste, mais difficile à atteindre, qui exigera la collaboration de tous. Permettez que je mentionne d’emblée
la principale difficulté qui se présente à nous : la faible connaissance du français de ces enfants. La grande
majorité d’entre eux viennent de familles exogames, dont l’un des deux
parents n’a pas le français comme langue maternelle et, souvent, ne parle pas
cette langue.
La situation se complique du fait que l’objectif ne consiste pas seulement à
attirer ces enfants dans nos écoles françaises, mais aussi à les y maintenir, eux et les
élèves qui y sont déjà.
Car beaucoup quittent en cours de route. Selon l’étude d’Angéline Martel,
professeur de sociolinguistique à la Télé-université1,
c’est surtout à trois étapes clés que l’élève
risque de quitter l’école française : d’abord entre la 1re
et la 2e année, alors que des parents renoncent après
un essai d’un an ou deux, puis entre la 8e et la 9e
année, donc au moment de la transition vers le secondaire, et enfin entre la 11e
et la 12e année, alors que le jeune ou ses parents voient
venir à grands pas les études supérieures ou l’entrée sur le marché du travail.
Afin d’enrayer l’hémorragie, il nous faut non seulement des écoles
accueillantes pour les élèves qui ont besoin d’une aide particulière
en français, mais aussi des écoles performantes, qui assurent à tous et chacun un enseignement d’une qualité au moins équivalente
à celle de la majorité. Autrement dit, pour accroître la quantité, il nous
faudra accroître aussi la qualité, aider ceux qui ne savent pas marcher tout
autant que ceux qui sont prêts à courir le marathon. Tout un défi, surtout si l’on tient compte du fait que de
récents examens normalisés ont montré que les résultats obtenus par les élèves
des communautés francophones minoritaires pour la lecture et l’écriture sont
plus faibles que la moyenne canadienne.
En effet, l’étude PISA (Programme international pour le suivi des acquis
des élèves) de l’OCDE révèle qu’en matière de lecture, le rendement des élèves
francophones de toutes les provinces hors Québec est généralement inférieur à
la moyenne canadienne, si l’on compare avec les élèves
du Québec et ceux de la majorité anglophone de leur province. Dans le domaine
des sciences, les résultats sont sensiblement plus élevés dans le système
scolaire anglais en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, en Ontario et au
Manitoba.
Augmenter l’attrait et la qualité de nos écoles ne sera pas facile dans
un contexte marqué par la pénurie d’enseignants qualifiés, un manque de
ressources pédagogiques de qualité, ainsi que l’absence d’économies d’échelle
liée au faible nombre d’étudiants, surtout au secondaire, et à leur dispersion géographique. En particulier, la pénurie de plus en plus
grande d’enseignants qualifiés est en voie de poser un sérieux problème
pour l’avenir de l’éducation dans la langue de la minorité. Selon la
Fédération canadienne des enseignants et des enseignantes, les écoles
situées dans les communautés francophones hors Québec seront les plus
susceptibles d’être affectées par le manque d’enseignants au Canada dans les prochaines années :
au moins 44 % des circonscriptions sont déjà
aux prises avec une pénurie de candidats à des postes d’enseignants pour la présente année scolaire.
2. Que faire?
Face à ces difficultés, le Plan d’action déploie des initiatives sur cinq fronts.
Premièrement,
il faut se donner les moyens d’intervenir avant même
l’âge scolaire. En effet, nous avons besoin de mesures qui se traduisent par
une intervention précoce auprès des enfants admissibles d’âge préscolaire et de leurs parents. La recherche
a démontré que les cinq premières années de vie d’un enfant sont cruciales et elle a favorisé l’émergence
de programmes de soutien au développement de la petite enfance. Les
communautés francophones préconisent plus d’aide aux parents au niveau
préscolaire car, dès la naissance de l’enfant, les parents doivent penser au choix de la langue d’instruction.
Comme l’a mentionné la Commission nationale des parents francophones dans son
plan national d’appui à la petite enfance, « il importe que les parents s’intéressent
très tôt au système scolaire francophone, car la naissance d’un enfant, surtout le premier,
est pour les parents le moment de choix déterminants à long terme sur la vie de famille. En milieu minoritaire, c’est le moment
où jamais de leur offrir activement de l’appui et des services en français »2.
Des campagnes d’information, des activités de recrutement local et des
mesures de soutien aux parents seront également nécessaires.
Deuxièmement,
et il s’agit d’un élément essentiel, il faut rendre nos écoles plus
accessibles. Quand l’école anglaise est à proximité de la maison, alors que l’école française nécessite de longs et
épuisants déplacements, beaucoup de parents et d’élèves
choisissent l’école anglaise.
Troisièmement,
il faut améliorer la qualité de nos écoles. Nous avons besoin d’activités
parascolaires et de programmes attrayants et au goft
du jour, d’outils et de méthodes d’enseignement adaptés, d’un nombre
suffisant d’enseignants compétents, de services spécialisés pour relever
les défis particuliers que pose l’éducation dans la langue de la minorité
et de solutions novatrices pour résoudre les problèmes
des écoles secondaires. Il sera particulièrement
important d’améliorer le soutien à l’enseignement (orthopédagogie, initiatives de perfectionnement linguistique,
etc.).
Quatrièmement,
il importe que nos établissements scolaires soient non seulement des lieux d’enseignement,
mais aussi des lieux de rassemblement culturel et communautaire. En 2002, il y
avait 19 centres scolaires et communautaires pour servir environ
4 500 étudiants. Les centres scolaires sont un pôle d’attraction
très important dans les communautés, surtout celles qui comptent peu de francophones
et où l’accès aux services en français est limité. De nombreuses études ont fait état de l’efficacité
des stratégies de développement communautaire qui reposent sur le rôle de l’école.
Comme l’a écrit Angéline Martel, « L’école
est au centre de la communauté et lorsqu’elle est ainsi perçue, elle incite
les parents de l’effectif à y recourir. Elle doit se nourrir au sentiment d’appartenance de la communauté
et y contribuer en retour. Les stratégies de développement communautaire de l’avenir
» devront « prendre exemple sur les centres scolaires et communautaires qui ont déjà
revitalisé plusieurs communautés minoritaires au pays. »3
Il va de soi qu’en développant ce caractère
inclusif et communautaire, l’école doit aussi accueillir les anglophones qui
ont le goft du français4. Un environnement scolaire
inclusif doit, au minimum, être accessible aux parents anglophones d’enfants visés à l’article 23 de La Charte canadienne des droits et libertés.
Cinquièmement, nous devons augmenter sensiblement le nombre de jeunes des collectivités
francophones minoritaires qui poursuivent leurs études postsecondaires dans
leur langue maternelle, et cela en développant les établissements
postsecondaires francophones, les programmes et l’éducation à distance, en instituant des sites satellites de formation dans la langue
minoritaire au sein des collèges et universités de langue majoritaire et en adoptant des mesures propres à stimuler la poursuite d’études postsecondaires en français (subventions
à la mobilité, etc.). Les élèves et les parents seront plus enclins à choisir et à demeurer dans le réseau francophone si l’élève
peut poursuivre ses études postsecondaires en français. Ainsi, selon une
étude rendue publique par le Commissariat aux langues officielles en janvier
1999, le nombre de parents de Sudbury qui ont choisi d’inscrire leurs enfants
dans une école de langue française s’est accru depuis l’ouverture du collège
Boréal.
3. Le Plan, c’est aussi de l’argent
Voilà donc ce qu’il nous faut faire : considérer l’éducation comme un continuum
(alphabétisation familiale, garderies, maternelles, écoles primaires et
secondaires et enseignement postsecondaire). Mais pour agir de façon efficace
sur tous ces fronts, il nous faut le nerf de la guerre : de l’argent
supplémentaire. Déjà, avant le Plan d’action, l’éducation dans la langue de la minorité était
le principal engagement financier du Programme des langues officielles du
gouvernement du Canada (152,9 millions de dollars en 2000-2001) et elle
constitue aujourd’hui l’élément du Plan d’action pour lequel les
nouveaux investissements prévus sont les plus importants (209 millions de
dollars sur cinq ans).
Mais le Plan d’action ne fait pas qu’ajouter de l’argent. Il prévoit
une nouvelle façon de l’utiliser en vue de renforcer le partenariat entre le
gouvernement du Canada, les provinces, le milieu de l’enseignement, les
parents, les étudiants et les communautés. En effet, la ministre de Patrimoine
canadien, Mme Sheila Copps, ne fera pas que renouveler le protocole
et les ententes fédérales-provinciales-territoriales concernant le Programme
des langues officielles en enseignement au niveau actuel de financement. Elle
verra à ce que ces ententes soient accompagnées de plans d’action qui préciseront
les objectifs et les résultats attendus. La Ministre va aussi accroître les
budgets de deux programmes qui en découlent, ceux concernant les moniteurs de
langues officielles et les bourses d’été (majoration de 35,5 millions de
dollars en tout d’ici 2007-2008).
De plus, et surtout, le Plan d’action crée un nouveau fonds pour l’enseignement
dans la langue de la minorité. Ce fonds fonctionnera sur la base de projets, c’est-à-dire
qu’avec les ministères de l’Éducation, Patrimoine canadien conviendra de financer des mesures
assorties d’objectifs clairs et prévoyant des résultats précis. Il va de
soi qu’un projet aura d’autant plus de chances d’être
retenu qu’il recueillera un fort appui de la communauté, ou sera fortement
recommandé par les milieux de l’enseignement et de la recherche.
Étant donné que Mme Copps entend conclure la négociation avec
les provinces et les territoires dans les délais les plus raisonnables, je vous
conseille fortement de sélectionner les projets qui vous tiennent le plus à coeur
et de les faire valoir auprès de Patrimoine canadien et de votre ministère
de l’Éducation. Vos gouvernements ne veulent pas se tromper : ils tiennent à
choisir les meilleurs projets. Pour cela, ils ont besoin de votre aide.
Conclusion
Peut-on vraiment faire en sorte que huit étudiants sur dix admissibles aux
écoles francophones y soient inscrits dans dix ans? Je crois que oui, malgré
toutes les difficultés dont je vous ai fait la liste.
Mon optimisme se nourrit des pas de géants que nous avons faits ces dernières
décennies, quand on pense qu’on ne trouvait pas d’écoles françaises dans
la moitié des provinces en 1982, et qu’en 1990 encore, les minorités d’expression
française n’administraient leurs écoles qu’au Nouveau-Brunswick et un peu
en Ontario. Aujourd’hui, on compte 150 000 jeunes dans 674 écoles
francophones ainsi qu’un réseau de 19 collèges et universités francophones à l’extérieur du Québec.
On me permettra aussi, en tant que ministre des Affaires
intergouvernementales, de me réjouir de la collaboration exemplaire qui
caractérise, depuis plus de trente ans, la relation que nous avons avec les
gouvernements provinciaux et territoriaux dans le domaine de l’éducation en
ce qui concerne la langue de la minorité.
Mon optimisme se nourrit aussi de l’expérience que nous avons acquise au
fil des ans. Nous savons mieux ce qui marche et ce qui marche moins. Nous sommes
plus à même d’investir de façon optimale, de choisir les meilleurs projets. Je suis
persuadé que nous pourrons faire les percées requises sur les cinq fronts que
j’ai identifiés : le pré-scolaire, la proximité des écoles, la qualité de
l’enseignement, le caractère rassembleur et inclusif de nos écoles et l’accès à des études postsecondaires en français.
Alors, aidez-nous à vous aider : mobilisez-vous pour choisir les meilleurs projets, pour votre
école, votre quartier, votre province, et pour la cause du français au Canada.
- Angéline Martel, Droits, écoles
et communautés en milieu minoritaire : 1986-2002. Analyse pour un
aménagement du français par l’éducation,
étude spéciale pour le Bureau de la Commissaire aux langues officielles,
2001.
- Commission nationale des parents francophones,
Plan national d’appui à la petite enfance, non publié,
janvier 2002. Voir aussi : Rodrigue Landry, Pour une pédagogie
actualisante et communautarisante en milieu minoritaire francophone,
Actes du colloque pancanadien sur la recherche en éducation en milieu
francophone minoritaire : Bilan et prospectives, CRDE, Université de
Moncton, Moncton, novembre 2000.
- Angéline Martel, op. cit., p. 8. Voir
aussi : Diane Gérin-Lajoie, Les partenariats entre l’école
et la communauté en milieu francophone minoritaire,
Actes du colloque pancanadien sur la recherche en éducation en milieu
francophone minoritaire : Bilan et prospectives, CRDE, Université de
Moncton, Moncton, novembre 2000.
- Société franco-manitobaine : De génération
en génération : Agrandir l’espace francophone du Manitoba,
Octobre 2001, p.2.
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