« Les langues : une fenêtre sur le monde
»
Notes pour une allocution
de l’honorable Pierre S. Pettigrew
ministre de la Santé,
ministre des Affaires intergouvernementales et
ministre responsable des langues officielles
dans le cadre
du Symposium sur les langues officielles
Vision et défis au 21e siècle
Novotel Toronto Centre
Toronto (Ontario)
le 3 mars 2004
L’allocution prononcée fait foi
Madame la Commissaire,
Chers amis,
Le Canada a la chance et
le privilège d’avoir hérité, par son histoire, de deux langues officielles,
l’anglais et le français, qui incidemment sont deux langues d’envergure
internationale. Je me considère très privilégié d’avoir été investi par
le Premier ministre du Canada des fonctions de ministre responsable des langues
officielles à une période charnière pour l’avenir de nos deux langues
officielles.
Vous me permettrez
d’abord de souligner d’une façon particulière le rôle joué par la
Commissaire aux langues officielles, Mme Dyane Adam, dans
l’organisation de cette importante rencontre, au cours de laquelle nous
pourrons discuter des enjeux qui nous préoccupent. Je suis certain que cet échange
d’idées et, je l’espère, de solutions aux défis qui nous sont posés nous
permettra d’y faire face avec confiance.
Vous avez intitulé, et
avec raison, cette rencontre d’envergure Vision et défis au 21e siècle.
J’aimerais donc, au cours des quelques minutes qui me sont allouées, vous
faire part de mes vues à ce sujet et des facteurs qui m’incitent à envisager
avec optimisme l’avenir du pays sur le plan linguistique.
Je viens aujourd’hui vous livrer trois messages essentiels.
Le premier est que le
gouvernement du Canada est résolument engagé à mettre en œuvre le Plan
d’action pour les langues officielles, annoncé le 12 mars dernier, dans son
intégralité et à réaliser les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés
dans le plan. Ce plan d’action, c’est le prochain acte de la fascinante
aventure de notre dualité linguistique.
Le deuxième est que,
pour atteindre les objectifs ambitieux de ce plan, tel que celui de faire en
sorte qu’un plus grand nombre de jeunes Canadiens et Canadiennes soient
bilingues, il sera nécessaire que toutes les forces de la société civile y
soient engagées. Il y a en effet des limites à ce que le gouvernement du
Canada peut faire; il nous faut donc mobiliser les gens qui ont à cœur cet
objectif. C’est ce que nous entreprenons aujourd’hui même.
Enfin, j’espère vous démontrer
à quel point les langues officielles de notre pays sont une force pour notre
avenir collectif. Mais permettez-moi d’abord de vous parler de l’engagement
du gouvernement canadien envers les langues officielles.
Un engagement réaffirmé
Depuis le 12 décembre
2003, le gouvernement du Canada a donné des signes clairs que son engagement à
l’égard des valeurs et des principes sous-jacents à la politique sur les
langues officielles et de la mise en œuvre du Plan d’action était toujours
aussi ferme.
Premièrement, le Premier
ministre, le très honorable Paul Martin, a nommé officiellement un ministre
responsable des langues officielles. C’est la première fois dans l’histoire
du Canada qu’un ministre est officiellement assermenté ministre responsable
des langues officielles.
Deuxièmement, dans le
cadre du discours du Trône, le gouvernement s’est engagé à travailler en
vue de bâtir un Canada où nos langues officielles sont célébrées d’un océan
à l’autre. Le discours du Trône l’indique clairement en affirmant que
« la dualité linguistique est au cœur de l’identité du pays. Elle
nous caractérise aux yeux du monde. Elle nous ouvre des portes. Le gouvernement
veillera à valoriser cet atout dont bénéficie l’ensemble des Canadiens. »1
Troisièmement, j’ai réitéré
à la Chambre des communes, le 18 février dernier, que le gouvernement
garderait intactes les sommes consacrées au Plan d’action pour les langues
officielles, malgré l’Examen des programmes annoncé par le Premier ministre
en décembre 2003.
Des partenaires engagés dans la réalisation du Plan d’action
La mise en œuvre d’un
plan d’action, aussi essentielle soit-elle, ne peut être uniquement
l’affaire d’un gouvernement. Par définition, elle nécessite le concours
d’intervenants issus de tous les milieux. Vous tous, qui êtes ici rassemblés,
en êtes une éloquente illustration. Ces partenaires, notre gouvernement a déjà
fait appel à leurs éclairages dans le cadre des consultations qui ont mené à
l’élaboration de notre plan d’action. L’instauration des mesures prévues
dans le plan rend leur contribution tout aussi nécessaire aujourd’hui.
Compte tenu de
l’ampleur des objectifs du Plan d’action liés à l’apprentissage de la
langue seconde, il sera essentiel de mobiliser les partenaires clés de la société
canadienne. Nous savons bien que nous n’y arriverons pas tout seuls.
À titre de ministre des
Affaires intergouvernementales, je suis très conscient de l’importance des
relations intergouvernementales pour le succès du Plan d’action. L’éducation
est du ressort des provinces. Il sera donc primordial d’établir des
partenariats solides qui respectent les responsabilités provinciales et qui ont
la souplesse voulue pour répondre aux besoins locaux.
C’est pourquoi nous
allons investir, au cours des cinq prochaines années, 346 millions de dollars
dans des fonds ciblés en éducation qui seront versés aux gouvernements
provinciaux et territoriaux et qui permettront d’affecter les ressources là où
nous pourrons obtenir des résultats probants. Nous mettrons également en place
des mesures d’évaluation et de rendement qui nous permettront d’évaluer
les progrès réalisés et de vérifier l’atteinte de nos objectifs.
Ces ressources
additionnelles nous permettront de relever les nombreux défis auxquels nous
sommes confrontés. Ce n’est pas tout de stimuler les jeunes anglophones et
leurs parents à apprendre le français. Il faut leur en fournir les moyens.
Nous devons surmonter
deux obstacles majeurs à un engouement réel des Canadiens pour
l’apprentissage du français. Le premier obstacle est que nous n’avons pas
été en mesure d’étendre le succès de nos écoles d’immersion aux
institutions postsecondaires. Encore trop peu d’universités et de collèges
dans notre pays permettent aux jeunes de poursuivre leurs études dans les deux
langues officielles. La conséquence directe de ce phénomène est que trop de
jeunes de niveau secondaire ayant vécu une immersion perdent peu à peu leur
capacité d’interagir en français une fois à l’université ou au collège.
Autrement dit, on ne
fournit pas aux jeunes assez d’occasions de pouvoir continuer à utiliser le
français à l’âge adulte. Imaginez les retombées sur le taux de bilinguisme
des Canadiens si les 325 000 élèves qui sont actuellement inscrits dans des écoles
d’immersion avaient la chance de poursuivre leurs études postsecondaires dans
des programmes bilingues!
Le second problème qui
se pose, à mon avis, est celui du nombre d’heures consacrées à
l’apprentissage du français dans les écoles. Bien que nous puissions
observer des variations entre les provinces, peu de gens nient que pour
apprendre une langue seconde, il faut du temps!
Nous travaillerons donc
de près avec nos partenaires provinciaux et territoriaux afin de pouvoir
financer les projets les plus susceptibles de donner un nouvel élan à
l’apprentissage du français partout au pays.
La notion de partenariat,
telle que je la conçois, n’est pas limitée aux rapports qui existent entre
les gouvernements. Elle ramène l’action d’un gouvernement au cœur même
d’une communauté en reflétant, par le biais de politiques pertinentes, ses
besoins et ses aspirations. À ce titre, je crois en la valeur d’une approche
souple qui nous permette, dans le plein respect des champs de compétence
provinciale, de répondre aux besoins des communautés locales.
Pour pouvoir atteindre
les objectifs que nous nous sommes fixés, il importe également d’être à
l’écoute des régions. Ce processus, déjà entamé lors de l’étape qui a
précédé la création du Plan d’action, se poursuit aujourd’hui et le
rassemblement auquel nous sommes conviés aujourd’hui sert bien cet objectif.
D’ailleurs, j’ai le
plaisir d’annoncer que des consultations nationales auprès des intervenants
en français langue seconde sont prévues de concert avec Canadian Parents for
French. Ce processus comprendra des consultations provinciales-territoriales
auprès des groupes d’intervenants du secteur de l’enseignement du français
langue seconde, afin de définir les besoins et d’émettre des recommandations
adaptées à chaque province et territoire. Par la suite, des représentants des
gouvernements, des conseils scolaires et des associations professionnelles et éducatives
nationales ainsi que des chercheurs se rassembleront lors d’un forum de
consultation dans le but de formuler des stratégies nationales fondées sur ces
recommandations.
Souvent, nous pensons au
bilinguisme dans une optique strictement canadienne : bâtir une
collectivité et un Canada unis. Mais il faut voir plus grand. Nous devons
construire une société sûre d’elle-même et apte à faire face à la
concurrence mondiale.
Les langues officielles : un atout considérable pour l’avenir du Canada
L’apprentissage d’une
langue seconde signifie beaucoup plus qu’apprendre à communiquer dans une
autre langue. C’est un processus d’enrichissement personnel qui dépasse
largement le cadre de l’école ou du travail. Il instaure une capacité
d’apprécier une autre culture, un autre mode de vie, une autre gamme de
valeurs et une autre façon de penser. En fait, il nous incite à une ouverture
d’esprit sur le monde qui nous entoure. Comme le disent certains, l’esprit
est comme un parachute... il fonctionne beaucoup mieux lorsqu’il est ouvert.
Ce sont précisément les
qualités que les jeunes Canadiens devront avoir pour se tailler une place sur
le marché mondial. Le Canada est à la fine pointe de l’économie du 21e
siècle et il est très sensible à la valeur des langues.
Dans le contexte mondial
d’aujourd’hui, où l’importance des communications est reconnue de plus en
plus dans tous les domaines, la capacité de communiquer en français et en
anglais est un atout majeur. De nos jours, les jeunes Canadiens qui apprennent
à parler les deux langues officielles augmentent leurs chances de faire
bonne figure sur le marché du travail, tant au Canada qu’ailleurs dans le
monde.
La maîtrise de deux
langues améliore l’accès aux marchés et aux possibilités d’emploi et
facilite la mobilité des Canadiens. Les parents ne savent peut-être pas ce que
l’avenir réserve à leurs enfants, mais ils veulent s’assurer qu’ils
auront tous les outils nécessaires pour relever les défis de demain. Et les
connaissances linguistiques sont un des outils que nous pouvons offrir à nos
enfants.
L’apprentissage des
langues permettra à nos enfants d’avoir les compétences requises pour vivre
et prospérer dans le village planétaire.
Grâce à notre
connaissance des deux langues, nous avons accès aux marchés des pays
anglophones et francophones, sans compter que l’anglais et le français sont
très répandus dans le monde comme langues secondes.
Une récente étude sur
le commerce international a confirmé que « le fait de partager la même
langue a un effet majeur et significatif sur le niveau des échanges »2.
Ainsi, selon cette étude, les échanges seraient de 70 % plus élevés
entre deux pays de langue commune qu’entre deux pays de langues différentes. »3
Le Canada est loin d’être
le seul pays à vouloir renforcer l’apprentissage des langues secondes.
Presque partout dans le monde, un tel apprentissage est perçu comme un élément
essentiel d’une éducation de qualité.
En Europe, on considère
depuis longtemps l’apprentissage de langues secondes comme une priorité.
Comme l’a révélé un sondage effectué dans le cadre de l’Année européenne
des langues, 53 % des Européens sont capables de s’exprimer dans au
moins une langue en plus de leur langue maternelle.
En fait, le
multiculturalisme fait partie intégrante de la transformation économique de
l’Irlande. Ce pays fait même concurrence au Canada dans le domaine de la
traduction vers le français!
De plus en plus, le monde
comprend l’importance des langues secondes. Nos concurrents l’ont
certainement compris. Mais qu’en est-il des Canadiens?
Je sais que certains
Canadiens se disent : d’accord, apprendre une langue est important, mais
pourquoi le français?
Premièrement, quasiment
personne au Canada ne se dit : quel intérêt y a-t-il à apprendre
l’anglais? En tant que francophone du Québec qui a étudié à Oxford et
travaillé à l’OTAN, je pourrais aisément répondre à cette question. Selon
les sondages, tous les parents au Québec, ou à peu de chose près, souhaitent
que leurs enfants apprennent l’anglais. D’ailleurs, presque partout dans le
monde, l’anglais langue seconde est le choix logique de ceux et celles dont
l’anglais n’est pas la langue maternelle.
Mais si vous êtes un
anglophone de Toronto ou d’ailleurs au Canada, vous vous demandez peut-être :
pourquoi devrait-on apprendre le français de préférence à une autre langue?
La plupart des Canadiens
saisissent l’importance de connaître nos deux langues officielles. Un sondage
effectué par Environics en décembre 2003 indique que 77 % des anglophones
de l’extérieur du Québec estiment important que leurs enfants apprennent une
langue autre que l’anglais, et 74 % disent que le français est la langue
seconde la plus importante que leurs enfants puissent apprendre.
D’après ce sondage, 88 %
des Canadiens conviennent que dans le contexte de l’économie mondiale, les
personnes qui parlent plus d’une langue auront davantage de succès, et 82 %
croient que, au Canada, ceux qui parlent le français aussi bien que l’anglais
ont de meilleures chances de se trouver un bon emploi.4
Bien entendu, rien ne
nous empêche d’apprendre plus de deux langues et encore moins de nous limiter
à une seule. Plus souvent qu’autrement, le fait de penser que d’autres
langues sont plus utiles que le français est le motif invoqué pour ne pas
apprendre d’autres langues. Toutes les langues, quelles qu’elles soient,
sont un investissement dans le capital humain et ouvrent des portes qu’il
serait impossible d’ouvrir autrement.
Deuxièmement, il
s’agit d’un faux choix. De plus en plus, les Canadiens parlent trois ou même
quatre langues. De 1996 à 2001, le pourcentage de Canadiens qui parlent trois
langues ou plus a augmenté de 31 %.
Les sondages d’opinion
publique confirment que les Canadiens qui appuient le multiculturalisme ont
aussi tendance à soutenir notre politique sur les langues officielles, ce qui
indique que les politiques sont perçues comme complémentaires. De fait, plus
de 85 % des personnes qui se disent en faveur du multiculturalisme appuient
également le bilinguisme officiel.
Comme de nombreux
Canadiens, je considère la dualité linguistique comme faisant partie intégrante
de l’engagement du Canada à l’égard de la diversité.5
Comme
je l’affirmais dans mon ouvrage Pour une politique de la confiance6,
notre pays a refusé, dès le début, de se construire sur une seule
langue, une seule religion, une seule culture. Ont découlé de
cette ouverture des valeurs cardinales, telles que le respect de chacun dans ses
particularités, le souci commun de justice et le sens de la mesure dans
l’usage du pouvoir. Ces valeurs ont modelé notre histoire et se situent
toujours au cœur de notre identité nationale, parce qu’elles sont partagées
par toutes les régions du pays.
Le modèle de la mosaïque,
les Canadiens peuvent se féliciter à juste titre de l’avoir épousé.
C’est en bonne partie de leur dualité linguistique que leur est venu un héritage
d’ouverture perpétué au fil des générations. Un héritage qui vaut au
Canada une réputation des plus enviables et un respect largement répandu auprès
des autres nations.
Troisièmement, le français
est une langue très utile. Le Recensement nous donne un bon aperçu de
l’utilité des langues. Pour la première fois, le Recensement de 2001
comprenait une question sur l’utilisation des langues en milieu de travail.
Les résultats ont révélé que, chez les anglophones, le français est la
deuxième langue la plus utilisée au travail, non seulement dans l’ensemble
du Canada, mais aussi dans chaque province. Et il en va de même dans les grands
centres urbains. Par exemple :
- à Toronto, le français est utilisé six fois plus souvent que la deuxième langue
seconde la plus répandue, l’italien;
- à Vancouver, on a recours au français quatre fois plus souvent que la deuxième
langue seconde la plus utilisée, l’espagnol;
- à Winnipeg, le français est utilisé quatorze fois plus souvent que l’allemand,
qui est la deuxième langue seconde la plus parlée à Winnipeg.
Conclusion
Il y a une foule de
bonnes raisons pour apprendre d’autres langues :
- participer à l’économie mondiale;
- améliorer ses possibilités d’emploi;
- s’ouvrir à différentes cultures;
- promouvoir la sensibilité interculturelle;
- accroître la compréhension mutuelle;
- exprimer sa notion de citoyenneté;
- et ainsi de suite.
Les Canadiens ont-ils
compris? Absolument! Ici, les parents savent que les langues ouvrent des portes
et qu’elles créent des possibilités. Ils veulent donner à leurs enfants
toutes les chances de réussir. Notre défi à nous, à vous et à moi, c’est
de veiller à ce que ces bonnes intentions se transposent en résultats positifs.
En travaillant ensemble, nous pouvons mettre en place les conditions favorables
au succès et faire en sorte que chaque enfant canadien ait la possibilité
d’apprendre sa deuxième langue officielle.
Merci.
- Discours du Trône ouvrant la troisième
session de la trente-septième législature du Canada, 2 février2004,
p. 16.
- Canada, Patrimoine canadien,
article de John F. Helliwell, « Langue et commerce », dans Albert
Breton,dir., Nouvelles perspectives canadiennes – Explorer l’économie
linguistique, 1999.
- «
Le rapport du courant d’échange entre deux pays ayant une langue commune au
courant d’échange entredeux autres pays qui n’ont pas de langue
commune dépasse les 1,7. ». (Helliwell, op. cit.)
- Sondage du Centre de recherche et
d’information sur le Canada (CRIC) effectué par Environics ResearchGroup en décembre
2003.
- Centre de recherche et d’information
sur le Canada, « L’opinion publique et le bilinguisme :
Faitssaillants ».
- Pierre S. Pettigrew, Pour une
politique de la confiance, Montréal, Boréal, 1999, p.103
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