« LE DÉFICIT ZÉRO : NOTRE OBJECTIF À TOUS »

NOTES POUR UNE ALLOCUTION DEVANT
LA CHAMBRE DE COMMERCE DE
THÉRESE-DE BLAINVILLE

SAINTE -THÉRESE (QUÉBEC)

LE 20 MAI 1998


Les finances publiques : tel est mon sujet d'aujourd'hui. Oui, vous avez bien compris, je n'ai pas dit : la Constitution, tel est mon sujet d'aujourd'hui. Remarquez que vous n'y gagnez pas forcément au change, car les deux sujets peuvent rivaliser d'aridité. Mais à l'époque pas si lointaine où j'enseignais les finances publiques à l'université, mes étudiants trouvaient que je savais rendre cette matière intéressante. Alors voyons si j'aurai le même succès auprès d'un auditoire de gens d'affaires qui en connaissent long sur le sujet.

Je ne suis pas que le ministre de la Constitution. En fait, en tant que ministre des Affaires intergouvernementales, j'épaule mes collègues du gouvernement pour tout ce qui touche le fonctionnement de la fédération, y compris le fédéralisme fiscal. J'ai aussi reçu du Premier ministre Jean Chrétien le mandat de conseiller le gouvernement en matière d'unité canadienne. Or, justement, je crois qu'on n'a pas souligné suffisamment le lien entre les finances publiques et l'unité canadienne.

Après vous avoir expliqué comment je vois ce lien, j'en examinerai plus à fond un aspect précis, le moins agréable, soit celui des coûts de l'incertitude politique. Mais auparavant, je vais planter le décor en dressant l'état des finances publiques au Canada.

J'espère qu'à la suite de cet exposé il apparaîtra clairement que le déficit zéro, ou du moins l'assainissement des finances publiques, est notre objectif à tous au Canada et que nous y parviendrons mieux si nous décidons résolument de rester ensemble.

1. Le redressement des finances publiques

Nous, Canadiens, voulons à la fois la liberté et la douceur, allier l'initiative individuelle et la solidarité sociale, combiner ce qu'il y a de meilleur des États-Unis et de l'Europe. Mais nous ne sommes pas en Europe, nous sommes en Amérique du Nord, voisins d'un géant qui nous soumet à une formidable concurrence culturelle, économique, fiscale et monétaire. Dans ce contexte, et étant donné nos ambitions tant en termes de qualité de vie que de justice sociale, une grande rigueur est de mise dans la gestion de nos finances publiques. Sans cette discipline, nous n'aurons pas les moyens de nos ambitions, et la pauvreté et la détresse sociale continueront de faire des ravages.

Nous avons manqué de rigueur budgétaire lors de notre histoire récente et nous en avons payé le prix. Nous avons dû procéder à un difficile redressement financier. Bien qu'il soit trop tôt pour crier victoire, le chemin déjà parcouru est impressionnant.

En 1993-1994, le déficit combiné des gouvernements fédéral et provinciaux, tel qu'il a été calculé par le ministère des Finances, représentait 62 milliards de dollars canadiens, soit 8,6 % de notre Produit intérieur brut (PIB). Selon l'OCDE, nous occupions le 7e rang pour ce qui est du déficit le plus élevé parmi 22 pays industrialisés. Telle était la situation il y a à peine quelques années. En comparaison, en 1998, le Canada est le seul pays à avoir atteint l'équilibre budgétaire selon les projections de l'OCDE. On constate le progrès réalisé.

La réduction du déficit a été le fait des deux ordres de gouvernement. Le déficit du gouvernement fédéral a complètement fondu, tandis que cinq provinces sont parvenues à équilibrer leur budget ou à dégager des surplus, trois ne sont que légèrement en déficit, l'Ontario se permet des baisses d'impôt et le Québec poursuit son avancée vers le déficit zéro. Toutes les dix étaient dans le rouge en 1993-1994.

Les Canadiens ont dû faire des sacrifices pour atteindre ce résultat. Le plus formidable est que nous y sommes parvenus en préservant l'essentiel de nos programmes sociaux, en contenant l'inflation, en relançant l'emploi et la croissance et en gardant le poids du fardeau fiscal dans l'économie sous la moyenne des pays de l'OCDE. L'efficacité de la lutte au déficit a favorisé la baisse des taux d'intérêt sans laquelle la croissance n'aurait pas été au rendez-vous.

De 1994 à 1997, le Canada a connu une croissance annuelle moyenne de son PIB de 2,9 %, la plus forte du G-7 et au 14e rang des 29 pays de l'OCDE. La croissance annuelle moyenne de l'emploi a été de 1,8 %, la meilleure performance (ex aequo avec les États-Unis) des pays du G-7 et au 9e rang des pays de l'OCDE. Le taux de chômage est passé de 11,4 % en septembre 1993 à 8,4 % en avril 1998, soit le taux le plus bas au Canada depuis août 1990. Depuis le début de 1997, 543 000 emplois ont été créés. Dans l'ensemble, c'est là une performance remarquable pour un pays qui, durant les mêmes années, a éliminé l'un des pires déficits des pays industrialisés. Maintenant que les finances sont assainies, les perspectives sont très encourageantes : l'OCDE nous prédit la plus forte croissance économique des pays du G-7 pour 1998 et 1999.

Par ce redressement financier, le Canada s'est placé en meilleure position pour faire face aux grands défis économiques et sociaux de cette fin de siècle. Et ces défis sont pressants, qu'il s'agisse de la création d'emplois, de la lutte contre la pauvreté, de l'amélioration de notre système de santé ou du renforcement de notre compétitivité. Le dernier budget Martin témoigne du souci d'accroître nos efforts dans ces secteurs, mais sans céder à la fringale dépensière.

Il nous faut maintenir notre discipline. Les baisses d'impôt et les nouvelles mesures de dépenses doivent être bien ciblées. N'oublions pas que l'endettement de l'ensemble du secteur public canadien se chiffre à 806 milliards de dollars, dont 583 incombent au gouvernement fédéral et 223 aux provinces. Cet endettement public total équivaut à 97 % de notre PIB pour l'exercice 1997-1998. Il s'agit d'un ratio dette totale-PIB parmi les plus élevés des pays de l'OCDE. Seules l'Italie, la Belgique et la Grèce sont plus endettées que nous.

Cette année, sur un dollar d'impôt que vous avez envoyé à Ottawa, 29 cents vont être consacrés au service de la dette. Pour un dollar à Québec, c'est 18 cents. Si nous ne jugulons pas notre endettement, ces ratios vont demeurer trop élevés et limiteront pendant trop longtemps la marge de manoeuvre dont nous pourrions disposer pour financer nos programmes et alléger le fardeau fiscal des citoyens.

Les surplus budgétaires qui se dégagent dans certaines provinces et au gouvernement fédéral sont trop précieux pour qu'on les dilapide selon une perspective à courte vue. Les perturbations économiques en Asie nous rappellent qu'un ralentissement économique est toujours possible, les catastrophes naturelles qui semblent plus fréquentes nous coûtent cher, le Vérificateur général nous demande de mieux planifier nos finances en fonction du vieillissement de la population. Nous aurons besoin de finances publiques saines pour faire face à tous ces phénomènes de longue portée et à bien d'autres encore. Et plus que jamais, nous aurons besoin d'un Canada uni.

2. Les finances publiques et l'unité canadienne

Je suis persuadé que l'idée que les Québécois se font de l'économie canadienne influence leur opinion sur l'unité canadienne. Ce n'est pas le seul facteur qui influence leur jugement, mais c'en est un assurément.

Les débats constitutionnels difficiles de l'après-Lac Meech ont coïncidé avec la récession économique qui a frappé l'est du continent nord-américain au début des années 1990. De nombreux Québécois se sont mis à douter non seulement de leur place dans le Canada, mais du Canada lui-même. Avec la montée du chômage, avec des finances publiques qui s'enfonçaient de plus en plus dans le rouge, et tandis que le Wall Street Journal nous déclarait candidats au tiers monde, plusieurs Québécois en ont déduit que le Canada était un échec économique. «Le Canada ne marche plus», entendait-on répéter.

On évoquait des «études» selon lesquelles la fédération nous coûtait des «milliards de dollars» en dédoublements inutiles entre ordres de gouvernement. Ces fameuses études étaient bien sûr mythiques, mais nombreux étaient ceux de nos concitoyens qui y croyaient dur comme fer. «Sortez-les, ces études», avait lancé Jacques Parizeau à Daniel Johnson lors du débat télévisé de la campagne électorale de 1994. Une fois au pouvoir, M. Parizeau n'a trouvé qu'une pile de documents qui ne prouvaient rien.

Aujourd'hui que notre redressement économique et financier nous vaut l'admiration des autres pays, maintenant qu'on le décrit comme une sorte de miracle -- «the maple leaf miracle» selon l'expression du Business Week, ou le «top dog» du G-7 selon le Financial Times -- les Québécois, comme les autres Canadiens d'ailleurs, reprennent confiance dans le Canada.

Il convient de relativiser les choses : le Canada du début des années 1990 n'était pas en «faillite». Mais il prenait la pente d'un dangereux déclin. Comme plusieurs autres pays, nous nous étions mis en difficulté et il nous fallait trouver en nous-mêmes la capacité d'en sortir. Nous avons su nous donner une nouvelle discipline et faire jouer les atouts enviables que nous procure notre union.

Vous en connaissez beaucoup, vous, des pays qui ont autant de potentiel que le Canada? Regardez notre ouverture sur le monde, avec nos deux langues officielles qui sont des langues internationales, avec notre population multiculturelle qui nous donne prise sur tous les continents, avec notre position géographique qui nous place entre l'Europe, les États-Unis et l'Asie. Comme gens d'affaires, vous savez à quel point votre appartenance au Canada vous ouvre des portes.

Mais saviez-vous que le Forum économique mondial place maintenant le Canada au 4e rang pour sa compétitivité sur 53 pays, qu'il occupe le 3e rang sur 92 pays pour l'abondance de ses ressources naturelles selon la Banque mondiale, que l'Institute for Management Development nous classe 2e sur 46 pays pour la qualité de nos ressources humaines et 6e pour la qualité de notre infrastructure?

Un Québec indépendant n'aurait pas le même potentiel. Il serait «viable», bien sûr. Mais nous, les Québécois, comme les autres Canadiens, avons de grandes ambitions pour notre qualité de vie. Nous aussi aspirons à rien de moins qu'au meilleur de l'Europe et au meilleur des États-Unis. Pour nous rapprocher de cette aspiration, et faire reculer le chômage et la pauvreté, il faut nous appuyer sur le potentiel de capacités et de talents que le Canada réunit.

Ce pays nous appartient en entier comme à tous les Canadiens. Nous y avons suffisamment contribué : il est le nôtre. Il faut accepter l'aide des autres Canadiens et continuer de leur accorder la nôtre. Eux non plus ne pourraient se passer de nous sans perdre beaucoup. Ainsi, par exemple, le redressement financier des dernières années est l'oeuvre de tous les Canadiens, mais s'il fallait nommer ses trois principaux artisans, ce seraient trois Québécois : Jean Chrétien, Paul Martin et Marcel Massé.

Ce n'est aucunement déprécier le génie québécois, la culture québécoise, l'identité québécoise que de soutenir que nous nous en sortirions moins bien sans un Canada uni. J'avancerais la même chose à propos de toutes les provinces canadiennes, y compris les plus riches. Le professeur Roger Gibbins, président de la Canada West Foundation, a publié récemment une étude qui montre à quel point l'Alberta serait affectée négativement par la séparation du Québec. En fait, nous serions tous perdants.

M. Lucien Bouchard, c'est son droit, pense différemment. Il affirme que le fédéralisme canadien nuit à l'économie québécoise. En quoi au juste? Il a livré, ces dernières années, trois réponses difficilement conciliables.

D'abord, lors de la campagne électorale fédérale de 1993, ce fut la thèse du Canada au bord de la «faillite». Les Québécois devaient sortir du train canadien avant le déraillement. «S'ils (les Canadiens hors-Québec) ont l'intention de faire faillite, tant pis pour eux. Mais nous allons sauver notre peau», affirmait-il le 14 août 1993.

Puis, premier virage : lors du référendum de 1995, c'est l'effort d'assainissement des finances publiques qui est devenu la cible des critiques de M. Bouchard. Voter «Oui», expliquait-il, c'était se protéger contre le «vent froid» des compressions qui soufflait en provenance du Canada anglais.

Devenu premier ministre, M. Bouchard ne pouvait plus dénoncer les compressions, puisqu'il était dans l'obligation d'en faire. Il lui a donc fallu effectuer un autre virage : après le pays en faillite, après le vent froid, voilà le déficit zéro. M. Bouchard s'est mis à répéter que l'atteinte du déficit zéro, pour le gouvernement du Québec, serait le signal que le Québec peut devenir souverain, la preuve qu'il nous faut la souveraineté. Parmi une série de déclarations du genre, notons celle-ci, rapportée dans Le Droit du 20 décembre 1996 : «Je suis assuré que si l'objectif du déficit zéro est atteint et qu'on déclenche un référendum, nous allons l'emporter».

En clair, selon M. Bouchard, il ne faut plus faire la souveraineté pour échapper aux compressions, mais faire les compressions pour parvenir à la souveraineté. Et on atteindra cette cible exigeante, le déficit zéro, dans un pays qui aurait dû logiquement faire faillite. M. Bouchard est vraiment le maître des virages. Mais il n'y a aucune logique à son raisonnement. Si vraiment la fédération nous nuit, si elle est injuste et inefficace, alors il faut en sortir au plus tôt pour mieux atteindre le déficit zéro. Voilà ce que devrait dire M. Bouchard s'il était logique avec lui-même. Mais il sait qu'à peu près personne ne le suivrait. Voilà pourquoi il s'appuie aujourd'hui sur le Canada pour nous convaincre, demain, d'en sortir. Belle contradiction.

Entre-temps, M. Bouchard tape sur le gouvernement fédéral à tout propos. Quand les choses vont mal, c'est «la faute au fédéral». Quand elles vont mieux, c'est malgré le fédéral. Sa principale accusation est celle du pelletage : le gouvernement fédéral aurait pelleté son déficit dans la cour des provinces. En toute justice, il faut admettre que ce reproche est aussi lancé, avec plus ou moins d'insistance, par les autres premiers ministres provinciaux. Permettez que je résume la réponse du gouvernement fédéral à ces reproches qui lui sont faits :

° Le premier budget Martin a concentré les compressions au niveau des dépenses fédérales directes et a même majoré les transferts aux provinces. Mais, en même temps, M. Martin faisait connaître aux provinces la baisse des transferts à laquelle elles devaient s'attendre pour les années à venir. Il leur donnait le temps de s'ajuster et leur garantissait une base de financement prévisible. Le gouvernement du Québec, lui, a non seulement été prévenu à l'avance de la baisse des transferts fédéraux, il en a même exagéré l'ampleur dans ses prévisions budgétaires. Le premier budget Landry a comptabilisé des transferts fédéraux de 1,7 milliard de dollars plus élevés au cours des exercices 1995-1996 à 1997-1998 que ceux qui avaient été prévus dans le budget Campeau, à la veille du référendum.

° Une autre mesure qui a aidé les provinces fut la réunion en une seule enveloppe des principaux transferts fédéraux en matière de santé, d'aide sociale et d'éducation postsecondaire. Elles obtenaient ainsi une marge de manoeuvre budgétaire additionnelle.

° Le gouvernement fédéral a pris soin de ne pas soumettre la péréquation à ce plan de compressions, ce qui a grandement aidé les provinces moins riches dont le Québec, qui reçoit actuellement 47 % de ces paiements de péréquation -- soit 4 milliards de dollars pour l'exercice 1998-1999.

° En définitive, de 1993-1994 à 1998-1999, les coupures auront été moins importantes dans les transferts aux provinces (7,4 %) que dans les dépenses de programmes directes du gouvernement fédéral (10,8 %). Les coupures les plus importantes ont été effectuées notamment dans les domaines de la défense (30,2 %), de l'aide internationale (20,0 %) et des transports (60,9 %). La fonction publique fédérale a subi une diminution de 51 000 postes et les salaires des fonctionnaires fédéraux ont été gelés pendant six ans, de 1991 à 1997.

° Les finances des provinces ont par ailleurs profité de la baisse des taux d'intérêt qui a été favorisée par le redressement des finances fédérales. Le gouvernement du Québec, à lui seul, a pu économiser un total d'un milliard cinquante millions de dollars au cours des trois derniers exercices financiers, selon l'estimation du ministère des Finances rendue publique dans le dernier budget Martin.

° Et maintenant que sa situation financière s'améliore, le gouvernement fédéral se fait une priorité d'aider les provinces : elles se voient directement attribuer 38 % des nouvelles initiatives de dépenses (i.e. dépenses additionnelles ou compressions abandonnées) prévues dans le dernier budget Martin.

° Le plan de compressions fédéral a été équitable pour toutes les provinces, compte tenu de leur richesse respective. Ainsi, le gouvernement du Québec continuera de recevoir, d'année en année, environ 30 % des principaux transferts fédéraux aux provinces. Si le Québec n'avait reçu que l'équivalent de sa part de la population en transferts fédéraux, ceux-ci auraient été de 1,8 milliard de dollars moins élevés en 1998-1999. Ces transferts se chiffrent à 10,4 milliards de dollars pour l'exercice 1998-1999, soit plus que ceux de toute autre province au Canada. Ils représentent près de 3 360 $ par ménage québécois (1 400 $ par personne). C'est 14 % de plus que la moyenne canadienne de 2 950 $ par ménage.

° Certaines provinces ont réduit leurs propres transferts plus rapidement et plus fortement que le gouvernement fédéral. Par exemple, la baisse des transferts fédéraux entre les années financières 1993-1994 et 1998-1999 représente 3,0 % de l'ensemble des dépenses de programmes du gouvernement du Québec (soit une baisse de 1,1 milliard $ sur des dépenses compressibles de 35,4 milliards $), alors que ce dernier exige de ses municipalités, dans un délai beaucoup plus court, un effort qui correspond à environ 5,8 % de leurs dépenses de programmes (pourcentage dont la source est un communiqué du ministre des Affaires municipales du Québec, émis le 20 octobre 1997). Tel est le point de vue du gouvernement fédéral sur l'histoire récente de notre fédéralisme fiscal. Cela n'épuise pas le sujet, je l'admets. Les provinces affirment, par exemple, que la comptabilité fédérale est fautive puisqu'elle prend en compte la croissance de la valeur des points d'impôt et non les seuls transferts de fonds. Elles ont oublié que ce sont elles qui, en 1977, ont suggéré ce type de comptabilité. (Les Arrangements fiscaux fédéraux-provinciaux - Proposition des provinces, réunion des ministres des Finances et trésoriers des provinces, les 6 et 7 décembre 1976.)

Ce sont là des questions que j'aimerais examiner avec vous plus à fond si j'en avais le temps. Mais je me limiterai pour cette fois-ci à souligner que de telles difficultés entre gouvernements se posent inévitablement en période de réduction du déficit, que des difficultés semblables se sont produites entre les États australiens et Canberra, pour prendre comme exemple une autre fédération qui a accompli un redressement financier, et que personne là-bas n'a vu la solution dans l'éclatement du pays.

J'ajouterai que le gouvernement du Canada n'a pas dû être aussi dur qu'on le prétend envers les provinces puisque cinq d'entre elles ont atteint l'équilibre budgétaire avant lui. Seules les deux grandes provinces prévoient toujours des déficits substantiels dans leurs budgets. Mais le gouvernement de l'Ontario a choisi de baisser ses impôts de 4,6 milliards de dollars et de retarder l'atteinte du déficit zéro. Il reste le cas du gouvernement du Québec. Comment expliquer que son redressement financier soit à la traîne de celui des autres provinces?

3. L'hypothèque référendaire

Je viens de reprocher à M. Bouchard de faire du fédéral le grand fautif, l'explication commode de toutes les difficultés du Québec. Je ne vais pas tomber dans le manichéisme inverse et voir la source de nos problèmes dans la seule incertitude politique engendrée par le projet sécessionniste. Je ne nie pas que des causes structurelles expliquent en bonne partie que le Québec présente l'un des pires bilans économiques et financiers au Canada. En effet, selon les données les plus récentes, le Québec est la province :

° qui, en général, impose le plus grand fardeau d'impôts personnels sur ses habitants - et qui, après la Saskatchewan, impose le plus important fardeau fiscal pour l'ensemble des impôts;

° dont le déficit par rapport à son Produit provincial brut est le plus élevé après l'Ontario;

° qui, après trois provinces de l'Atlantique, a accumulé la dette la plus lourde par rapport à son Produit provincial brut;

° qui consacre la plus grande part de ses revenus au service de la dette après la Nouvelle-Écosse;

° qui paye les intérêts les plus élevés sur ses emprunts : depuis le début de 1997, il doit notamment payer environ 50 points de base de plus que le gouvernement fédéral sur des obligations de 30 ans en dollars canadiens; même Terre-Neuve (avec des primes d'environ 40 points) paye moins cher;

° qui enregistre le taux de chômage le plus élevé après les provinces de l'Atlantique (avril 1998);

° dont le revenu par habitant est le cinquième plus faible de toutes les provinces -- de 13 % inférieur à la moyenne canadienne;

° qui obtient la troisième plus mauvaise note du point de vue de sa part des investissements canadiens (18,7 %) par rapport à son poids démographique (24,7 %);

° qui a enregistré, tout comme Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique, une croissance économique inférieure à la moyenne canadienne durant chacune des trois dernières années;

° qui a le taux de pauvreté -- ou plus précisément de faible revenu -- le plus élevé de toutes les provinces : 21,6 % comparativement à une moyenne canadienne de 17,6 %.

Tout en admettant que d'autres causes de la sous-performance de l'économie québécoise entrent en jeu -- telles le vieillissement d'une partie de la structure industrielle et le déplacement de l'activité économique vers l'ouest -- il m'apparaît clair que l'incertitude politique est une entrave importante. Je ne vois pas comment l'incertitude politique pourrait avoir des effets négatifs partout où elle se produit dans le monde, sauf au Québec.

Les Québécois, eux, le perçoivent ce coût; dans une proportion de huit sur dix (83 %), ils estiment que l'incertitude politique nuit à l'économie (EKOS, avril 1998).

«Montréal est la seule grande ville du Canada et des États-Unis qui doit composer avec l'incertitude politique, ce qui a un impact important sur sa compétitivité», notait en octobre 1996 un comité de dirigeants d'entreprise présidé par Brian Levitt.

«La levée provisoire de l'hypothèque référendaire a, par ailleurs, permis une détente des taux d'intérêt canadiens à court terme inférieurs aux taux américains», écrivait le ministère de l'Économie de France dans un document publié lors d'une visite de M. Bouchard dans ce pays, en septembre 1997.

Les efforts que M. Bouchard déploie cette semaine aux États-Unis visent à calmer les inquiétudes que suscite son projet indépendantiste, ce qui lui vaut de récolter quelques encouragements diplomatiques. Mais au-delà, les commentaires des gens d'affaires américains montrent à quel point cette inquiétude est persistante.

Par exemple, le président de la firme d'investissement Palmer Partners, M. John A. Shane, a déclaré : «Ce qui refroidit un peu les choses depuis 20 ans, c'est l'action séparatiste.» M. Shane a ajouté que les choses seraient plus faciles si le premier ministre Bouchard mettait de côté ses intentions quant à un autre référendum sur la souveraineté. [Traduction libre]

M. Ken Rossano, président du New England-Canada Business Council a pour sa part indiqué : «Le monde des affaires aime ce qui peut être prédit. Avec ce genre de projet, rien ne garantit la stabilité de votre investissement dans cinq ou 10 ans.» [Traduction libre]

M. Andre Danesh, un banquier investisseur de Brooklyn, a dit : «Il y a beaucoup d'inquiétude parmi les investisseurs américains [...]. Si jamais le Québec venait à se séparer, que se passerait-il ensuite? Que personne ne le sache constitue un désavantage.» [Traduction libre]

Le premier ministre Bouchard lui-même a admis que l'incertitude politique entraînait un coût économique. Il déclarait à l'émission Le Point, le 21 mars 1996 : «Ça se peut, je ne le nie pas, qu'il y a des investisseurs étrangers qui disent, bien attendons que les choses soient réglées à Montréal et au Québec». Il confiait, le 20 février 1997, que «les financiers qui nous prêtent nous regardent avec un drôle d'air, parce qu'ils n'ont pas tellement confiance».

M. Bouchard est cependant contredit par son ministre des Finances, M. Bernard Landry, qui affirmait le 7 avril dernier, en visant plutôt, il est vrai, M. Jean Charest : «Ceux qui commencent leur carrière politique au Québec en disant que l'économie ne va pas bien parce qu'on a des référendums font des affirmations grossièrement erronées et qu'aucun chiffre ne soutient. Les chiffres soutiennent même le contraire». À l'appui, M. Landry a cité notamment les données de Statistique Canada qui annoncent une bonne année pour les investissements au Québec en 1998. Cette bonne nouvelle ne saurait faire oublier que la part du Québec dans les investissements canadiens n'est plus que de 18,7 % alors qu'elle représentait 22,3 % en 1990.

Récemment, Standard and Poor's a annulé son avertissement négatif touchant la cote de crédit du gouvernement du Québec. M. Landry en a attribué le mérite à son gouvernement, mais sans dire que l'un des facteurs positifs mentionnés par Standard and Poor's est, et je cite, «moderating support for the sovereignty option mitigates potential economic and political uncertainty». Ma traduction : «L'appui de plus en plus modéré pour l'option souverainiste a pour effet d'atténuer l'incertitude économique et politique potentielle».

Ce n'est pas la première fois qu'une agence de cotation se dit préoccupée par l'incertitude politique que nous nous infligeons à nous-mêmes. Ainsi, en décembre 1997, Standard and Poor's constatait que l'économie de Montréal était sérieusement ralentie par l'incertitude politique. En juillet 1996, Standard and Poor's révisait à la baisse la cote du Québec et invoquait, là encore, l'incertitude politique. Moody's a également noté récemment (novembre 1997, mai 1997) non seulement qu'il serait nécessaire de revoir la cote du Québec en cas d'éventuels changements fondamentaux de son statut politique au sein du Canada, mais aussi que l'impact de l'incertitude quant au statut du Québec s'étend jusqu'aux autres provinces et au gouvernement fédéral.

L'incertitude politique est indéniablement nuisible à l'économie. Partout dans le monde, la perspective d'une sécession entraîne en elle-même un cortège d'incertitudes, une perturbation politique et sociale majeure. Aucune loi sociologique ne nous prémunit contre cette règle universelle.

Du reste, pensons à toute cette énergie gaspillée par ces référendums à répétition. Rappelons-nous que par deux fois, en 1980 et en 1995, le gouvernement péquiste a tenté d'acheter à grands frais, à même nos impôts, le vote des employés du secteur public. S'étant lui-même mis dans une situation financière impossible, il lui a fallu reprendre sa mise après le référendum en affrontant ses alliés d'hier, les chefs syndicaux, ce qui a aggravé les tensions sociales au Québec.

Certains indépendantistes admettent que l'incertitude politique nuit à notre économie, mais ils ajoutent que le moyen d'en faire disparaître les effets négatifs est de voter «Oui». Car après une victoire du «Oui», disent-ils, il n'y aurait plus d'incertitude politique, les Québécois ayant fait leur choix. Je ne comprends pas comment ils peuvent prendre au sérieux leur propre raisonnement. Il est évident que ce n'est pas tant l'indécision comme telle qui inquiète surtout les agents économiques, ce sont les conséquences d'un après-Oui. On doit bien se rendre compte, pour peu qu'on y réfléchisse, qu'elles nous précipiteraient dans un nouvel univers d'incertitudes : fiscales, monétaires, commerciales et autres. Car enfin, si les agents économiques voyaient d'un bon oeil la sécession, ou s'ils la percevaient de façon neutre, il est évident que l'incertitude politique ne nous nuirait pas. Les agents économiques se diraient qu'ils ont le choix entre la situation actuelle et une situation équivalente ou améliorée après un «Oui».

Alors soyons plus précis. Plutôt que d'incertitude politique, parlons de possibilité de sécession et convenons que cette possibilité nuit à notre économie. Sans elle, il y aurait moins de chômage, moins de pauvreté, plus d'investissement, et la lutte au déficit serait plus avancée et moins pénible.

En 1995, M. Parizeau savait très bien que la victoire du «Oui» comportait de grands risques économiques. Il voulait utiliser 17 milliards de dollars de nos épargnes pour tenter, bien en vain, de calmer les marchés. Bien sûr, il nous avait caché l'existence de ce plan «O».

t dire qu'aujourd'hui, M. Bouchard prétend que c'est la déclaration de Calgary qui est dangereuse pour les Québécois. Il en serait drôle s'il ne jouait pas avec leurs sous.

Conclusion

Il est vrai que l'économie québécoise a ses faiblesses structurelles. Mais elle réunit aussi des forces enviables, comme en témoigne la réorientation réussie des industries manufacturières en direction de la haute technologie. Ce n'est pas au député de Saint-Laurent que l'on peut faire douter de l'économie québécoise! Le gouvernement du Canada est fier d'en être un partenaire majeur. D'une certaine façon, que l'économie québécoise ait réussi à en accomplir autant, malgré l'incertitude politique, montre à quel point elle a du ressort.

Incluse dans l'ensemble de l'économie canadienne, elle représente un potentiel extraordinaire. Pensons à la synergie que nous créerions si nous la libérions de la menace de sécession. Pour cela, il nous faut à Québec un premier ministre et un gouvernement qui croient au Canada. Un premier ministre et un gouvernement qui croient à la destinée du Québec au sein d'un Canada uni. Un premier ministre et un gouvernement déterminés à faire jouer à fond le génie québécois et l'entraide canadienne.

Les Québécois, dans leur grande majorité, ne veulent plus de référendum, paraît-il. Ils ont bien raison.

L'allocution prononcée fait foi

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