Édifier une solide capacité dans le domaine des politiques publiques

Notes pour une allocution de
Jocelyne Bourgon
Greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet

 La recherche sur les politiques : créer des liens
Ottawa (Ontario)
le 1er octobre 1998

 L’allocution prononcée fait foi


INTRODUCTION

Je voudrais tout d’abord souhaiter très chaleureusement la bienvenue à toutes les personnes présentes et remercier tout particulièrement ceux et celles d’entre vous qui sont venus de très loin pour participer à cette conférence.

« Créer des liens » est le thème tout indiqué pour la conférence d'aujourd'hui, qui a pour objet, justement, de créer des liens entre les ministères; de créer des liens entre collègues, qu’ils soient au gouvernement ou qu’ils appartiennent au monde universitaire, aux instituts de recherche en politiques, au secteur privé ou au secteur bénévole. Cette conférence vise aussi à tisser un réseau de liens entre les diverses disciplines et à créer des liens à toutes les étapes du processus d’élaboration des politiques, entre les statisticiens, les chercheurs, les analystes et les communicateurs.

Cette conférence nous offre la possibilité d'enrichir nos connaissances. C'est une occasion d’apprendre, d’échanger des idées et de réfléchir aux questions appelées à orienter les politiques publiques au Canada dans les années à venir.

Après avoir examiné le programme et discuté de ma contribution avec les organisateurs de la conférence, j'en suis venue à me poser trois questions :

I. Une recherche judicieuse sur les politiques publiques revêt-elle encore une quelconque importance au sein du gouvernement?

II. Quels sont les défis auxquels font face les chercheurs en politiques dans la fonction publique?

III. Où en sont les efforts déployés au sein de la fonction publique du Canada pour constituer une solide équipe de chercheurs en politiques?

C'est à ces trois questions que je vais maintenant tenter de répondre.

UNE RECHERCHE JUDICIEUSE SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES REVÊT-ELLE ENCORE UNE QUELCONQUE IMPORTANCE AU SEIN DU GOUVERNEMENT?

Prenons la première de ces questions : Une recherche judicieuse sur les politiques publiques revêt-elle encore une quelconque importance au sein du gouvernement?

L’élaboration des politiques a pour objet de définir les mesures concrètes qu'il convient de prendre pour obtenir les résultats souhaités, de modifier les réalités d’aujourd’hui et de façonner celles de demain. Dans un régime démocratique, la formulation des orientations constitue le centre vital du processus politique, l'axe autour duquel évolue le gouvernement dans l'exercice du rôle qui lui a été confié.

Des politiques judicieuses résultent nécessairement de deux évaluations fort complexes : celle du politicien, qui voit s’il pourra compter sur l’appui du public, et celle du spécialiste en politiques, qui s’interroge sur la meilleure façon de parvenir à un résultat.

Les contributions au processus peuvent varier selon qu'on a été élu ou nommé. Cela dit, les divers intervenants partagent tous et toutes une même responsabilité dans la mise en oeuvre du programme politique du gouvernement.

Les politiciens, du fait qu’ils ont été élus, confèrent au processus cette légitimité que procure le soutien du peuple et sans laquelle il est impossible de faire des choix et d'établir des priorités. Quant aux fonctionnaires, leur connaissance des programmes et des instruments stratégiques du gouvernement est essentielle à une démarche éclairée. Aucun de ces rôles n’est facile, et chacun devient, en fait, de plus en plus complexe.

Les dix dernières années ont été riches en événements de toutes sortes. Ceux qui voyaient dans la disparition des États-nations une conséquence inévitable de la mondialisation ont bien dû se rendre compte qu'ils étaient dans l'erreur. Et ceux qui, naguère encore, affirmaient que les gouvernements n’ont plus leur place dans la société moderne ont bien été forcés de se raviser.

Cette décennie aura servi à nous prouver combien les gouvernements ont un rôle important à jouer dans une société et une économie performantes, et combien des politiques publiques judicieuses peuvent faire toute la différence.

En fait, elle nous aura surtout appris que peu importe ce que nous réserve le XXIe siècle, le gouvernement et le secteur public en général seront assurément appelés à jouer un rôle stratégique clé. Dans un contexte planétaire, chaque pays doit se doter lui-même de certains avantages comparatifs, ceux-ci étant non pas hérités mais bien créés de toutes pièces. Des politiques publiques judicieuses aident le Canada et les Canadiens à se positionner favorablement dans la course aux talents et aux investissements et elles sont essentielles au maintien d'un niveau de vie élevé pour tous les Canadiens.

La recherche en politiques publiques est une manifestation concrète du pouvoir des idées. Mais ces idées, il faut les trouver, les mettre à l’épreuve, en faire des options stratégiques qu’il sera possible de mettre en oeuvre pour atteindre les résultats escomptés. La réalité représente donc le test ultime de toute proposition d’ordre stratégique. Des recherches menées de main de maître, et dans un climat de coopération, par des chercheurs compétents à l'intérieur comme à l’extérieur du gouvernement sont le gage d'une société prête à relever les défis de demain. Pour les décideurs élus, elles représentent aussi les balises indispensables à des décisions judicieuses.

À la première question donc, je réponds par un oui retentissant! Oui, de bonnes recherches en politiques publiques ont effectivement leur importance. Elles sont essentielles à la bonne marche du processus démocratique. Elles sont indispensables au gouvernement qui veut bien jouer son rôle. Certes, nul ne peut prévoir l’avenir, mais l’utilisation des ressources de la connaissance pour comprendre les tendances sociétales et leur évolution influera de façon marquée sur la poursuite de notre succès en tant que nation. Cela dit, la tâche qui nous incombe reste difficile et exigeante.

QUELS SONT LES DÉFIS AUXQUELS FONT FACE LES CHERCHEURS EN POLITIQUES DANS LA FONCTION PUBLIQUE?

Passons maintenant à la deuxième question: Quels sont les défis auxquels font face les chercheurs en politiques dans la fonction publique?

Les questions à l'étude se font de plus en plus complexes, et la formulation des politiques ne cesse de se compliquer. Sans vouloir vraiment aller au fond du sujet, j'aimerais tout de même vous soumettre brièvement ces quelques exemples.

1) Les questions de politique revêtent un caractère de plus en plus global. Pour atteindre les résultats souhaités, il faut mener des actions simultanées et concertées aux niveaux international, national et local. C’est le cas de domaines comme le commerce, l’environnement et les droits de la personne, pour ne nommer que ceux-là.

2) Certaines questions de politique, de par leur caractère horizontal, requièrent une approche dite pangouvernementale. Les politiques sociales et les politiques économiques ne sont plus traitées en vase clos. Toutes sont essentielles à une société performante, toutes contribuent à la création de la richesse et à la redistribution de cette richesse. Des dossiers comme la pauvreté, la santé et l’alphabétisation exigent de la part du gouvernement une intervention à la fois économique, sociale et financière.

3) Bon nombre de question de politique exigent des différents paliers de gouvernement une démarche parfaitement intégrée. Par exemple, préparer les citoyens à une économie axée sur le savoir suppose certains échanges sur des questions comme l’éducation, l’apprentissage continu, la recherche et le développement, et le transfert de technologie.

4) Personne ne réunit toutes les connaissances nécessaires ni ne contrôle tous les leviers pour actionner des politiques complexes. Pour atteindre les objectifs d’une politique nationale, il faut des délais plus longs, une approche multidisciplinaire, une concertation interministérielle et intergouvernementale, de solides alliances avec d’autres partenaires de la société — autrement dit, la mise à contribution de l’ensemble des chercheurs en politiques, et l'instauration d'un réseau complexe d’instances internationales.

5) Enfin, les citoyens aspirent à des rapports nouveaux et différents avec leurs élus et avec la fonction publique. Ils veulent être traités en partenaires dans l'édification de leur avenir. La participation des citoyens à la formulation des politiques qui les touchent le plus directement contribue à enrichir le processus d’élaboration de ces politiques et à accroître la légitimité des grandes décisions stratégiques.

Les défis sont multiples, mais l’avenir est prometteur. Voyons maintenant les progrès qui ont été réalisés par la fonction publique du Canada pour se doter des meilleurs chercheurs en politiques.

OÙ EN SONT LES EFFORTS DÉPLOYÉS AU SEIN DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA POUR CONSTITUER UNE SOLIDE ÉQUIPE DE CHERCHEURS EN POLITIQUES?

Les chercheurs en politiques de la fonction publique du Canada ne travaillent pas en vase clos. Ils sont là pour répondre aux besoins des élus, des ministres et des hauts fonctionnaires. Une forte capacité stratégique suppose un besoin réel et constant de conseils et de propositions. Examinons donc les progrès accomplis depuis cinq ans en commençant par le sommet; voyons comment les ministres ont relevé les défis que je viens d’exposer.

En 1994, le gouvernement du Canada a innové en créant un cycle annuel de séances de planification stratégique pour les ministres. L’objectif : prendre du recul par rapport aux crises de l’heure; tenter de repérer les dossiers chauds pour les mois et les années à venir; discerner l’urgent de l’important; profiter au maximum des différents points de vue; aborder aussi de façon concertée les grandes initiatives stratégiques.

L’expérience s’est avérée utile, si bien que les ministres continuent de se rencontrer pendant une journée et demie tous les quatre mois. D’autres pays nous ont également imités à cet égard. Cette initiative a démontré sans l'ombre d'un doute à l'ensemble de la fonction publique toute l’importance que nous attachons au travail d’élaboration des politiques, de même que la nécessité d’une démarche parfaitement intégrée en recherche stratégique.

La deuxième initiative que je veux évoquer remonte à 1996. Reconnaissant la complexité croissante et l’interdépendance toujours plus grande des questions de politique, le gouvernement a ramené de neuf qu'ils étaient en 1993 à deux le nombre des comités d’orientation du Cabinet : l'un sur l’union économique et l’autre sur l’union sociale. Ces deux comités tiennent d’ailleurs souvent des réunions mixtes, l’approche pangouvernementale devenant incontournable.

Les ministres prennent donc les mesures qui s'imposent pour s’adapter à la complexité croissante des dossiers qui leur sont confiés, imités en cela dans toute la fonction publique. J’évoquerai ici le groupe de travail qu’a présidé Ivan Fellegi en 1995 sur le renforcement de notre capacité stratégique, et celui qu’a présidé Mel Cappe en 1996 sur la gestion des questions horizontales. Et c'est en 1996 aussi que j’ai demandé à Jim Lahey et à Alan Nymark de devenir les premiers coprésidents du Projet de recherche sur les politiques, lequel visait à créer un réseau efficace de recherche stratégique auquel participeraient 30 ministères et organismes.

Je savais d’expérience que ce ne sont pas les talents qui manquent dans la fonction publique du Canada. Je savais que dans tous les ministères, les chercheurs et les analystes en politiques aspiraient à un décloisonnement qui leur permette de travailler ensemble sur les questions les plus complexes de l'heure. Cette tâche, il faut bien le dire, est l’une des plus gratifiantes que puisse présenter une carrière dans la fonction publique. Tout ce qu’il fallait de mon côté c’était l’idée, cette étincelle et la confiance que le talent de nos gens ferait le reste. C’est exactement ce qui s’est produit.

 Le Comité de la recherche sur les politiques constitue maintenant un élément essentiel de la réforme du secteur public au Canada. Ses conclusions guident tous les ministères et contribuent à mieux définir les grandes orientations du gouvernement. Au sein de la fonction publique, le réseau compte, à tous les niveaux, des centaines d'hommes et de femmes dévoués. Et voilà qu’il s’ouvre aux autres paliers de gouvernement et à l’ensemble des chercheurs dans les universités, les instituts de recherche en politiques, ainsi que les secteurs privé et bénévole. La conférence d'aujourd'hui est un parfait exemple de cet effort.

Nous devons reconnaître à cet égard le leadership exceptionnel dont font preuve les coprésidents du Comité de la recherche sur les politiques, MM. Alan Nymark et Jim Lahey, qui ont contribué à donner vie à l’initiative. Il convient en outre de souligner la prestation de Mme Laura Chapman et de son équipe du Secrétariat de la recherche sur les politiques, qui ont fait montre d’une force remarquable, et celle des stratèges et autres fonctionnaires ministériels qui, par centaines, ont travailler à faire de cette initiative un succès. Je tiens aussi à remercier la grande collectivité des chercheurs à l’intérieur du gouvernement de nous avoir prêté main-forte et de nous avoir communiqué leurs idées avec autant d'enthousiasme.

Au-delà des défis et des possibilités que présente l'établissement d’une capacité stratégique hors pair dans la fonction publique, et dont je tenais à vous donner un aperçu aujourd'hui, je me dois aussi de vous parler des efforts incessants qui sont déployés à ce chapitre dans d'autres organisations qui veulent, elles aussi, s’adapter aux impératifs d'une société moderne. Je pense, entre autres, au projet Tendances, mené conjointement par le Comité de la recherche sur les politiques et le Conseil de recherches en sciences humaines, au sein duquel certains des plus grands universitaires du Canada forment des équipes interdisciplinaires qui se penchent sur les nouvelles questions horizontales. Je pense aussi à des leaders du monde universitaire comme Norman Riddell, de l’Université de l’Alberta, Rick Van Loon, de l'Université Carleton, Bill Leggett, de l’Université Queen’s, et Marc Renaud, du CRSH, qui explorent différents moyens d'élaborer un programme de recherches reflétant le caractère de plus en plus interdisciplinaire des questions étudiées — je tiens à les applaudir pour leur leadership.

La conférence d'aujourd'hui constitue pour nous tous une merveilleuse occasion de célébrer nos efforts et d’explorer les moyens d’aller de l’avant et de travailler en partenariats.

CONCLUSION — LES VOIES DU FUTUR

La collectivité des chercheurs en politiques que nous pouvons créer ensemble pourrait prendre la forme d'un écosystème complexe qui réunirait toute une gamme d’organisations reliées entre elles et représentant les gouvernements, les universités, les instituts de recherche en politiques, le secteur privé et le secteur bénévole, chacune apportant sa précieuse contribution, et chacune s’enrichissant de celle des autres. Elle pourrait prendre la forme aussi d'un système au sein duquel les problématiques seraient abordées sous des angles disciplinaires et sociaux aussi nombreux que différents, et qui intégrerait différentes optiques : les optiques des régions et des peuples autochtones, par exemple, et celles des hommes et des femmes. Il pourrait s'agir d'un système coopératif où les grandes organisations coexistent avec les petites, où l’on utilise les technologies de l’information pour abolir les distances, où il est fréquent que des organisations différentes travaillent ensemble à relever des défis de recherche communs.

Ce pourrait être un système souple où des configurations différentes de la communauté naissent et disparaissent en fonction de l’évolution continue des problématiques, un système tourné vers l’extérieur qui sait tirer parti des meilleures idées exprimées dans le monde entier. Un système transparent et ouvert aussi, dont les membres auraient conscience du devoir qu'ils ont de faire participer les citoyens à la formulation des grandes politiques qui les concernent.

Cette vision est déjà en train de s’esquisser. Regardez autour de vous. Voyez la diversité des participants réunis. Écoutez les débats qui vont s’engager sur maints projets de recherche novateurs.

J’espère que vous profiterez au maximum de ces deux jours pour partager vos idées sur l’avenir, et pour créer des liens.



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