Au Canada, tous les gouvernements sont en voie de revoir en profondeur leur rôle et leurs fonctions. Si certains facteurs de changement sont propres au Canada, d'autres se manifestent partout en Occident. Une des caractéristiques les plus frappantes des États démocratiques occidentaux, ces dernières années, a été qu'ils se sont tous appliqués à repenser le rôle de l'État et l'organisation de leur fonction publique. Plusieurs redéfinissent la nature même du gouvernement.
Ce phénomène ne se limite pas aux gouvernements qui se réclament d'une même idéologie. Indépendamment de l'idéologie, les résultats se rejoignent. Ainsi, les réformes effectuées récemment en Grande-Bretagne et en Nouvelle- Zélande présentent plus de similarités que de différences, bien qu'elles aient été entreprises, dans le premier cas, par un gouvernement conservateur et, dans le second, par un gouvernement travailliste.
En fait, par la redéfinition du rôle de l'État et la réforme de leur fonction publique, les pays occidentaux mettent à l'essai différentes formules et, ce faisant, apprennent les uns des autres. Comme les défis qu'ils doivent relever et les contraintes auxquelles ils sont soumis sont semblables, la démarche de l'un influence celle des autres.
De grandes tendances forcent l'État à redéfinir son rôle |
Soumis à plusieurs grandes tendances mondialisation, nouvelle technologie de l'information, contraintes financières, évolution de la société , les États sont confrontés à une transformation continue du contexte politique, social et économique. L'envergure, les conséquences et la nature des changements associés à ces tendances forcent les gouvernements à redéfinir leur mode d'interaction avec les citoyens et l'organisation même des systèmes politiques.
Face à ces tendances, les gouvernements doivent à la fois canaliser le changement et catalyser les mesures qu'il nécessite. On examinera brièvement dans ce chapitre les effets des grandes tendances internationales sur le rôle et les activités de l'État et leur incidence sur la réforme de la fonction publique.
Cette section examine les effets de quatre tendances internationales sur le rôle et les activités de l'État. On traitera plus loin de leur incidence sur le Canada.
De nombreux auteurs ont examiné comment la mondialisation influe sur la capacité des États de promouvoir les intérêts propres à leur pays. Par le passé, le programme politique d'un gouvernement national, à l'exception de quelques éléments comme la politique commerciale et les conflits internationaux, était déterminé principalement en fonction des préoccupations et intérêts intérieurs. Dans la plupart des domaines touchant les politiques publiques, les gouvernements répondaient aux besoins de leurs citoyens en tenant compte des réalités intérieures, et non extérieures.
La mondialisation a modifié cette approche. Les frontières nationales ne peuvent plus désormais constituer le seul point de repère pour déterminer comment répondre aux besoins et aux intérêts des citoyens dans un grand nombre de domaines. La mondialisation a porté sur la scène internationale de nombreuses questions de politique nationale et ce, non seulement en matière économique, mais dans beaucoup d'autres domaines tels que la protection de l'environnement, la législation du travail et les droits de la personne.
En s'intégrant davantage, les économies nationales se sont trouvées plus influencées par les institutions internationales et moins assujetties aux politiques nationales. Les pays doivent savoir utiliser les institutions et les processus décisionnels internationaux pour gérer leur interdépendance. Des organismes internationaux comme le Fonds monétaire international et les alliances commerciales régionales jouent un rôle clé dans le traitement de certaines questions. En un mot, la mondialisation a instauré un cadre international pluraliste de prise de décisions et d'élaboration de politiques. La promotion des intérêts de chaque pays dépend non seulement des rapports entre États, mais encore des relations entretenues au sein d'un réseau complexe de tribunes internationales.
L'État doit faire le lien entre l'évolution mondiale et la vie quotidienne des citoyens |
L'État a un rôle crucial à jouer en faisant le lien entre l'évolution en cours au niveau mondial et la vie quotidienne des citoyens. Il doit savoir traiter les aspects locaux et régionaux des grandes questions nationales et internationales. Inversement, il doit interpréter les incidences de la mondialisation sur les décisions d'intérêt public et les communiquer aux citoyens. L'État doit concilier les impératifs mondiaux et les besoins locaux.
En somme, la mondialisation rend plus difficile et plus complexe la tâche des gouvernements. Pour y faire face, ceux-ci doivent assumer des rôles supplémentaires :
Pour bien s'acquitter de ces rôles, l'État doit se concentrer sur les questions fondamentales et éviter de disperser ses efforts.
L'explosion récente du recours et de l'accès aux technologies de l'information et des communications réduit l'importance des frontières nationales et des fuseaux horaires et accroît l'interdépendance des pays. Sur les réseaux informatiques internationaux, les gens s'échangent sans restriction de frontières des biens, des services, des capitaux... ou les nouvelles du jour, partout dans le monde.
La technologie influence l'élaboration des politiques et la prestation des programmes et services gouvernementaux |
La révolution dans le domaine de l'information se poursuivra, et il serait prématuré de prédire si, en définitive, elle constituera un bienfait ou un fardeau pour les citoyens et leurs gouvernements. Il est cependant clair qu'elle influence la façon pour les gouvernements de répondre aux besoins des citoyens. Elle modifie le processus décisionnel et elle ouvre de nouvelles avenues de prestation des programmes et des services.
Les gouvernements élaborent leurs politiques dans un contexte caractérisé par une prolifération d'informations transmises plus rapidement et plus largement que jamais. Les citoyens savent instantanément ce qui se passe partout dans leur pays et dans le monde. Le volume de l'information est tel qu'il dépasse la capacité d'assimilation et de traitement des gouvernements.
Les citoyens et les groupes d'intérêt disposent de plus de moyens qu'auparavant pour influencer leurs gouvernements et leurs dirigeants politiques. Par exemple, les députés fédéraux peuvent échanger instantanément leurs vues avec leurs commettants grâce au courrier électronique. Des questions qui étaient jadis de caractère local prennent une envergure nationale par le simple jeu d'un clavier d'ordinateur.
Le secteur public doit apprendre à se servir de tout ce volume d'informations |
Les gouvernements et les citoyens cherchent encore comment utiliser cette quantité croissante d'informations. Grâce à la nouvelle technologie, les citoyens ont plus de moyens de participer à l'élaboration des politiques, de sorte qu'ils exercent un pouvoir accru sur les décisions gouvernementales qui les touchent directement. Le secteur public doit continuer de s'adapter à la « société de l'information »; il est en train d'apprendre à structurer et intégrer un riche univers d'informations dans l'élaboration des politiques et la prise de décisions.
La révolution de l'information a aussi une incidence fondamentale sur la prestation des programmes et des services. La nouvelle technologie de l'information ouvre de nouvelles voies.
Une vaste infrastructure d'exécution des programmes composée d'un réseau de points de service et de bureaux disséminés dans les localités et villes du pays a longtemps caractérisé le secteur public. Cette infrastructure constituait le moyen le plus efficace de fournir directement aux citoyens les biens et les services publics. Cette présence matérielle contribuait également à rapprocher l'État des citoyens qu'il servait et favorisait l'échange de l'information.
Les gouvernements explorent de nouvelles structures |
La révolution de l'information remet en question cette structure traditionnelle de prestation de services. La nouvelle technologie de l'information permet aux gouvernements d'explorer d'autres façons de s'organiser. Les citoyens et les clients peuvent désormais avoir accès, d'un point de service unique, à une gamme de services gouvernementaux provenant de plusieurs ministères. Les services peuvent également être fournis à domicile. La nouvelle technologie de l'information permet d'améliorer le service en l'accélérant, en réduisant la paperasserie et en adaptant les programmes à des groupes de clients précis.
Si la révolution de l'information réduit le besoin d'une vaste infrastructure pour l'exécution des programmes, l'État ne doit pas pour autant perdre contact avec les citoyens. L'amélioration du service peut en fait accroître la légitimité et la pertinence des gouvernements. La nouvelle technologie offre la possibilité d'une interaction étroite et permanente entre l'État et les citoyens. Par conséquent, son utilisation n'est pas seulement une manifestation de la mondialisation; elle peut également en contrebalancer certains des effets perturbateurs.
Les gouvernements doivent établir des priorités claires |
Au cours des années 80, la dette publique de la plupart des pays occidentaux s'est accrue rapidement. À mesure que l'endettement et les déficits augmentaient, les investisseurs internationaux sont devenus impatients. La mondialisation des marchés financiers a attiré l'attention internationale sur l'ampleur et la nature des dépenses gouvernementales. Dans les années 80, la taille de la dette publique et la capacité de la supporter sont devenues un problème mondial auquel chaque pays devait faire face.
Dans ce contexte, la capacité financière des gouvernements de maintenir les programmes existants et d'en instituer de nouveaux s'est trouvée réduite. Les gouvernements ont dû établir des priorités claires et faire des choix difficiles.
Plusieurs nations occidentales ont procédé à un réexamen du rôle de l'État en tenant compte des ressources disponibles. Des réformes plus profondes et plus durables ont succédé à l'approche initiale de l'amélioration de l'efficacité et de la réduction des coûts. Les méthodes traditionnelles de « faire plus avec moins » ou de compressions générales se sont avérées inefficaces pour régler le problème de l'endettement. Ces méthodes doivent faire place à des mesures plus énergiques telles que l'élimination des activités secondaires, la rationalisation des organisations ou la commercialisation de services et d'activités auparavant gérés par le secteur public.
En un mot, l'appauvrissement des finances publiques a contribué à modifier en profondeur le rôle de l'État. Les gouvernements de plusieurs pays ont dû trouver réponse aux questions suivantes :
Les réponses varient d'un pays à l'autre, et certaines solutions sont plus efficaces que d'autres, mais plusieurs gouvernements ont constaté qu'ils doivent chercher à dégager un nouveau consensus parmi les citoyens sur le rôle de l'État.
Tous les pays sont aux prises avec une transformation de leur tissu social entraînant ainsi des répercussions profondes sur la société. Le rôle de l'État évolue dans un contexte caractérisé entre autres par le vieillissement des populations, l'accroissement du niveau d'instruction, l'hétérogénéité démographique résultant de l'immigration, la hausse du taux de participation des femmes au marché du travail et la persistance d'un chômage structurel élevé. Les attentes des citoyens à l'égard de l'État changent à mesure que la composition sociodémographique des pays se transforme.
La transformation de la société oblige les gouvernements à redéfinir leur programme politique et à repenser la répartition de ressources restreintes entre des priorités concurrentes. Ainsi, des préoccupations qui étaient auparavant du domaine privé, telles que la protection de l'enfance et la violence familiale, sont devenues des questions d'intérêt public. Le vieillissement des populations accroît les pressions exercées sur les services publics de santé et soulève des questions quant aux systèmes des pensions.
Les citoyens et les groupes d'intérêt veulent avoir voix au chapitre avant que les décisions ne soient prises |
L'hétérogénéité croissante de la société, alliée à une plus grande accessibilité de l'information, a élargi la gamme des opinions sur les questions de politique publique et l'éventail des points de vue rivaux. La « société de l'information » a donné naissance à une culture de participation et de consultation. Les citoyens et les groupes d'intérêt veulent avoir voix au chapitre dans les activités de l'État et ce, avant que les décisions définitives ne soient prises. Leur confiance envers l'État diminue dans la mesure où ces décisions ne tiennent pas compte de leurs vues. Parallèlement, les intérêts des citoyens tendent à être ciblés et à se concentrer sur des dossiers particuliers. Ainsi, les groupes s'intéressant à une cause unique exercent désormais une influence importante.
La transformation de la société a rendu plus complexe l'administration gouvernementale et l'émergence d'un consensus. Dans ce contexte, les gouvernements doivent bien comprendre les divers points de vue; ils doivent aider les tenants de ces vues à comprendre les conséquences de choix différents et ils doivent réaliser un équilibre entre la prise en compte de demandes opposées et la défense des intérêts collectifs. Il faut du temps pour faire naître un consensus. Face à des points de vue opposés, les gouvernements doivent savoir quand il est temps d'écouter ou d'agir.
Sous l'effet des tendances globales qui viennent d'être décrites, un certain nombre de pays occidentaux ont entrepris de repenser le rôle de l'État et l'organisation de la fonction publique. Indépendamment de leur philosophie politique, les gouvernements expérimentent et en tirent des enseignements profitables. Les résultats auxquels ils aboutissent présentent des similitudes frappantes.
Au cours des 40 premières années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements occidentaux ont étendu leur champ d'intervention et joué un rôle croissant dans la vie des citoyens. Inversement, on assiste, depuis les années 80 et 90, au début d'un nouveau cycle qui se poursuivra probablement pendant un certain temps encore. Par le passé, les États en étaient venus à occuper une portion toujours croissante de l'espace politique et économique du pays. Aujourd'hui, les dossiers étant devenus plus complexes et l'art de gouverner plus difficile, les États tentent d'être plus sélectifs quant aux responsabilités qu'ils assument au nom des citoyens et de partager leur rôle avec les autres paliers de gouvernement ainsi qu'avec les secteurs privé et bénévole.
Cela les amène à réformer leur fonction publique pour en faire une organisation moderne et adaptée au rôle qu'elle doit jouer dans une société contemporaine. Chaque pays a restructuré sa fonction publique à sa manière, mais l'ampleur des réformes effectuées par un si grand nombre d'États en si peu de temps est frappante. Aucun pays occidental ne s'en est tenu au statu quo, et peu se sont contentés d'ajustements administratifs ou institutionnels mineurs.
Cette réforme des fonctions publiques a touché à la fois l'élaboration des politiques et la prestation des programmes et des services gouvernementaux. Voici certaines des caractéristiques communes des réformes engagées dans plusieurs pays :
Au Canada, comme dans d'autres pays occidentaux, la période allant des années 50 au milieu des années 80 a été caractérisée par l'expansion du rôle de l'État ainsi que de la taille de la fonction publique fédérale. À de nombreux égards, cette expansion traduisait l'opinion générale selon laquelle l'État devait prendre en charge un éventail croissant de responsabilités économiques, sociales et culturelles.
La réforme du secteur public s'est faite en deux phases |
Les nouvelles tendances ont entraîné, au Canada comme ailleurs, une réforme du rôle du gouvernement fédéral et de la fonction publique du Canada au cours des 15 dernières années. Le Canada a opté pour une approche graduelle laissant place à la réflexion et à l'ajustement. On peut distinguer deux phases dans la réforme récente de la fonction publique canadienne.
Au cours de la première phase, soit du début des années 80 au début des années 90, le gouvernement s'est appliqué à moderniser la gestion de la fonction publique et ses pratiques en matière de personnel et à réduire le contrôle exercé par les organismes centraux sur les ministères d'exécution. Il s'est également efforcé, malgré les compressions budgétaires, de maintenir la plupart des programmes et des services en « faisant plus avec moins ». Nombre des réalisations de cette période, parmi lesquelles Fonction publique 2000, ont fait l'objet de comptes rendus détaillés dans les premier et deuxième rapports annuels au Premier ministre sur l'état de la fonction publique du Canada.
La réforme de la fonction publique canadienne s'est engagée récemment dans une seconde phase, caractérisée par une remise en question des responsabilités que le gouvernement fédéral doit assumer au sein de la fédération canadienne et de la façon dont la fonction publique doit être organisée pour s'en acquitter. Une importante restructuration effectuée en juin 1993 a fait passer le nombre des ministères de 35 à 23. Le gouvernement actuel a maintenu cette restructuration, qui s'est accompagnée d'une rationalisation des comités du Cabinet, tout en y apportant, toutefois, certaines modifications.
L'Examen des programmes annoncé dans le budget de février 1994 a ouvert la voie à l'étude en profondeur de tous les programmes et services du gouvernement fédéral et à l'examen de ses responsabilités.
La refonte du rôle de l'État et la modernisation de la fonction publique ne peut se faire du jour au lendemain. Le renouveau et la réforme constitueront plutôt un processus permanent. Le changement continuera de s'accélérer, et son importance augmentera. À mesure que nous avançons, les expériences faites à l'étranger de même qu'au Canada nous fournissent d'importants enseignements dont nous pouvons tirer profit.
Le chapitre suivant souligne les initiatives entreprises en 1994- 1995 pour redéfinir le rôle de l'État et moderniser la fonction publique du Canada en fonction des défis de l'avenir.
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