Le défi à relever
La gouvernance au Canada mérite toute notre attention, dans la mesure où nous accordons quelque importance à ce qui nous assure notre identité. Cest avec un mélange doptimisme et dinquiétude que les Canadiens entrevoient ce que le nouveau millénaire réserve au Canada. Tout change autour de nous, et vite; la mondialisation de linformation et des marchés est maintenant une réalité. Nous marchons en terrain inconnu et un nombre croissant de problèmes nouveaux se posent à nous, mais les choix qui nous sont offerts ne sont guère satisfaisants. De plus en plus, lincertitude sinstalle. Bon nombre de Canadiens se sentent en marge des autres, débranchés du reste du monde; dautres sinquiètent de leur avenir et comptent sur laide que peuvent leur procurer leurs gouvernements, lesquels se disent parfois impuissants à le faire.
Un enjeu important : pourquoi?
La gouvernance, cest la façon dont nous menons notre barque en tant que société. Linsatisfaction que suscite le gouvernement prive celui-ci dune partie de ses moyens à un moment où, justement, il en aurait bien besoin. De plus en plus, nous ne faisons que contourner la difficulté, convaincus que nous sommes de limmuabilité de nos systèmes de gouvernance et de notre incapacité dy changer quoi que ce soit. Résultat, cest toute notre démocratie qui se trouve menacée. Si nous ne mettons pas toutes les chances de notre côté, si nous ne prenons pas dès maintenant les mesures qui simposent, le gouvernail risque de nous échapper. La place pourrait alors très bien être occupée par un cercle restreint dindividus (lesquels, malgré toutes leurs bonnes intentions, ne seront pas nécessairement au fait des aspirations et des besoins de lensemble de la société canadienne) ou par des intervenants de lextérieur du pays (dont les préoccupations nauront rien à voir avec les nôtres), ou même demeurer vacante, auquel cas notre société prendra différentes directions qui seront le résultat dune série de décisions et dinterventions dune portée moins grande. Par contre, une saine gouvernance nous permettrait de faire des choix publics ainsi que dexaminer ensemble, voire dinfluencer, les conséquences que certaines démarches entreprises dans le secteur privé peuvent avoir sur la société et sur le secteur public, y compris celles qui nous touchent en tant quêtres humains.
Un thème tout à fait dactualité
Nous ne sommes pas les seuls au monde que les questions de gouvernance préoccupent. Dautres voix se sont fait entendre aussi et ont contribué à les mettre au programme des discussions sur les moyens dont nos sociétés disposent pour relever les défis que leur réserve le nouveau millénaire. Des spécialistes comme Steve Rosell, du Meridian Institute, et Yehezkel Dror, conseiller auprès du Club de Rome, y ont consacré des livres. La gouvernance figure également en bonne place parmi les préoccupations dorganismes tels que lOCDE, lUniversité dOttawa (qui a mis sur pied le Centre de la gouvernance) et le Secrétariat de la recherche sur les politiques.
Nécessité dune démarche originale : la réforme réinventée
Les changements que permet lévolution du statu quo sont encore insuffisants et trop lents. Les Canadiens sont reconnus pour leur grand esprit dinnovation, ce que vient contredire quelque peu le double emploi que lon note au niveau de leurs institutions. Pour améliorer leur régime de gouvernance, ce quils doivent sappliquer à faire dès maintenant, ils doivent sortir des sentiers battus, changer leur schème de pensée. Cest vers ces nouveaux horizons que peut nous guider cette « réforme réinventée » (en anglais reformcraft, pour reprendre le mot inventé par M. Dror) que je vous propose, un tout nouveau cadre assorti de trois leviers dintervention immédiate qui permet un renforcement à trois niveaux valeurs, consentement et apprentissage. Sans aller jusquà rejeter notre régime de gouvernance dans sa totalité, il nous incite à trouver, au delà de la démocratie directe et du gouvernement par une élite, une troisième voie mieux adaptée aux problèmes daujourdhui, difficiles et complexes. Il encourage nos leaders il les exhorte même à tout mettre en oeuvre pour nous aider à mieux saisir et à mieux comprendre les compromis nécessaires à un véritable consensus autour des choix des Canadiens, et il leur offre toute laide dont ils ont besoin. Ces leaders sont, bien sûr, des hommes et des femmes qui viennent de toutes les couches de la société plutôt que dappartenir simplement à une élite, les politiciens étant des leaders appelés à jouer un rôle de premier plan.
Pour la première fois dans notre histoire, nous sommes en mesure de détruire notre planète et toutes les espèces qui y vivent. Outil de renforcement des valeurs, le cadre proposé peut aider le Canada à façonner lavenir, et pour ce faire, à adopter une philosophie politique de type pluraliste et fondée sur nos valeurs, cest-à-dire sur tout ce qui nous relie aux autres humains et nous définit en tant que Canadiens. Tous nos choix doivent être parfaitement clairs, quel que soit le problème en cause, témoigner de préoccupations globales et pouvoir sadapter aux exigences du moment.
Un renforcement du consentement sopère dès que nos leaders sont amenés à repenser les moyens utilisés pour sensibiliser, investir des pouvoirs nécessaires et mobiliser les citoyens, à susciter une participation active et éclairée, à rendre les processus en place plus inclusifs et plus transparents, ainsi quà consulter les bonnes personnes et à obtenir leur consentement.
La réforme réinventée agit également au niveau de lapprentissage, seul avantage durable dans le monde daujourdhui. Ce qui importe dabord et avant tout pour réussir à lheure actuelle, ce nest pas tant de connaître, mais bien de comprendre. Et comprendre signifie poser les bonnes questions, interpréter les réponses et prendre les mesures qui simposent. Cest ainsi que nos dirigeants pourront palier à lincertitude par la créativité et linnovation, viser une meilleure adaptabilité, et réagir prestement à chaque situation.
Trois leviers dintervention peuvent dores et déjà nous mettre sur la voie dune saine gouvernance : une compréhension accrue des enjeux grâce aux politiciens (pourvu que ceux-ci définissent clairement les enjeux et quils posent les bonnes questions); des institutions novatrices fonctionnant en réseaux (afin de renforcer la collaboration au sein dune fédération aussi complexe que la nôtre); lidentification des grandes tendances par des groupes devant servir dintermédiaires entre les citoyens et les décideurs.
Conclusion
La réforme réinventée suppose une pensée originale, non conformiste, mise au service dune bonne gouvernance. Suivre cette voie permettrait au Canada dexercer un meilleur contrôle sur sa destinée, de se doter des institutions, des mécanismes et des leaders dont il a vraiment besoin, ainsi que de susciter davantage la confiance et lappui du public. Nous pouvons faire changer les choses, mais nous devons pour cela aspirer à une gestion plus saine des affaires publiques, et nous devons croire que, tous et toutes, nous pouvons y contribuer.