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Rapport du conseiller indépendant concernant les allégations au sujet des transactions financières entre M. Karlheinz Schreiber et le très honorable Brian Mulroney


Table des matières


1. Introduction

Karlheinz Schreiber, un homme d’affaires possédant la double citoyenneté canadienne et allemande, fait l’objet d’une enquête de la part des autorités allemandes et est en voie d’être extradé du Canada. Il a déposé un affidavit signé le 7 novembre 2007, dans le cadre d’une poursuite civile qu’il a intentée contre l’ancien Premier ministre Brian Mulroney. Cet affidavit figure à l’annexe 1 [ PDF 1.05 Mo ]. Dans sa déclaration, M. Schreiber allègue que M. Mulroney a reçu une rémunération de 300 000 $, mais qu’il n’a exécuté aucun service en contrepartie. Dans son affidavit, il a déclaré sous serment avoir rencontré le Premier ministre le 23 juin 1993 à la résidence officielle d’été de ce dernier au lac Mousseau (Harrington Lake) et avoir conclu un accord avec lui.

M. Schreiber a également déclaré sous serment que M. Mulroney avait accepté d’exécuter pour lui certains services, en particulier, de soutenir ses efforts en vue de faire approuver l’établissement d’une usine de construction de véhicules blindés légers en Nouvelle-Écosse ou au Québec.

M. Schreiber a déclaré sous serment qu’à trois occasions différentes, soit le 27 août 1993, le 18 décembre 1993 et le 8 décembre 1994, il a remis à M. Mulroney une enveloppe contenant 100 000 $ en argent comptant.

Dans son affidavit, M. Schreiber révèle qu’il a adressé au Premier ministre Harper le 29 mars 2007 une lettre à laquelle il a annexé une copie d’une lettre qu’il avait envoyée à M. Mulroney le 29 janvier 2007 et qui faisait état de l’accord conclu au lac Mousseau à l’époque où M. Mulroney était encore Premier ministre.

Au Parlement et dans les médias, on s’est interrogé sur l’argent versé et sur la réaction du gouvernement face aux allégations contenues dans la lettre du 29 mars 2007. Le Comité de la Chambre des communes sur l’accès à l’information, la protection des renseignements personnels et l’éthique (le Comité de l’éthique) examine actuellement la question des relations entre MM. Mulroney et Schreiber et celle des paiements en espèces. Des audiences ont eu lieu le 29 novembre ainsi que les 4, 6, 11 et 13 décembre 2007; elles ont été ajournées pour la période des Fêtes et doivent reprendre à la fin de janvier ou au début de février 2008.

Le 14 novembre 2007, avant que le Comité de l’éthique ne fasse part de son intention de tenir des audiences, le Premier ministre Harper a annoncé ma nomination à titre de conseiller indépendant chargé de mener un examen impartial concernant les allégations au sujet des transactions financières entre MM. Schreiber et Mulroney, puis de formuler des recommandations sur les paramètres d’une éventuelle enquête publique. Le texte de mon mandat figure à l’annexe 2 [ PDF 188 Ko].

Mes conseillers juridiques et moi-même avons examiné une abondante documentation et reçu des breffages détaillés de la GRC, et nous nous sommes entretenus avec des représentants du gouvernement et d’autres personnes intéressées qui possèdent sur les questions à l’étude de l’information pouvant éclairer mes recommandations.

Depuis ma nomination, MM. Schreiber et Mulroney ont tous les deux comparu devant le Comité de l’éthique. M. Schreiber a témoigné sous serment. Quant à lui, M. Mulroney a déclaré se conformer au principe généralement reconnu du caractère nécessairement véridique et exhaustif des témoignages faits devant les comités. 

En remplissant le mandat qui m’a été confié, je suis arrivé à la conclusion que les préoccupations exprimées par de nombreux Canadiens et Canadiennes tiennent au fait qu’un ancien Premier ministre a accepté des sommes considérables en argent comptant d’une personne qui se trouve maintenant impliquée dans des transactions douteuses, et dont l’extradition a été demandée et obtenue par le gouvernement de l’Allemagne afin qu’il réponde des divers chefs d’accusation retenus contre lui. Les soupçons soulevés par ces paiements en espèces ont été aggravés par le silence de M. Mulroney sur le sujet. Comme ce dernier l’a reconnu devant le Comité de l’éthique, accepter ces paiements en espèces a [Traduction] « créé une impression d’irrégularité ». Plus l’histoire des paiements en argent a été  médiatisée sans que M. Mulroney ne fournisse lui-même d’explication, plus les soupçons se sont intensifiés au sein de la population. M. Mulroney a déclaré au Comité de l’éthique que les circonstances ayant conduit à cette « impression d’irrégularité » résultent d’une grave erreur de jugement de sa part. Il a également reconnu avoir pris une [Traduction] « mauvaise décision » en gardant le silence sur ces questions.

Mon analyse des paramètres de l’enquête publique que le gouvernement a annoncé avoir l’intention de créer m’a amené à conclure qu’un élément important de cette enquête – le plus important peut-être – était de permettre aux Canadiens et Canadiennes d’entendre ce que leur ancien Premier ministre a à dire au sujet de ces transactions louches avec M. Schreiber. Comme l’a indiqué M. Mulroney dans son témoignage devant le Comité de l’éthique 1 , les transactions où les paiements en espèces ont créé une impression d’irrégularité pourraient jeter le discrédit sur la haute charge de Premier ministre. Depuis que M. Mulroney a fait sa déclaration et répondu aux premières questions des membres du Comité de l’éthique, le paysage a changé. À la lumière de cette évolution, il est maintenant permis de se demander si le gouvernement prendrait aujourd’hui la décision de procéder à une enquête et si les Canadiens en verraient l’urgente nécessité. Je n’ai pas reçu le mandat d’exprimer une opinion définitive sur l’une ou l’autre de ces questions, mais j’y reviendrai plus loin dans le présent rapport.

Conformément au mandat que j'ai reçu, je me suis penché sur les aspects suivants :

  1. la nature d'une enquête publique;
  2. les faits connus;
  3. les questions d'intérêt public.

2. La nature d'une enquête publique

Il est bien établi qu’une enquête publique n’est ni un procès criminel ni une action civile pour déterminer la responsabilité. C’est plutôt un processus permettant de constater des faits, d’informer le public ainsi que d’étudier et de recommander des mesures correctives.

Comme l’a dit le juge Cory dans Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray) :

L’une des principales fonctions des commissions d’enquête est d’établir les faits. Elles sont souvent formées pour découvrir la « vérité », en réaction au choc, au sentiment d’horreur, à la désillusion ou au scepticisme ressentis par la population. Comme les cours de justice, elles sont indépendantes; mais au contraire de celles‑ci, elles sont souvent dotées de vastes pouvoirs d’enquête. Dans l’accomplissement de leur mandat, les commissions d’enquête sont, idéalement, dépourvues d’esprit partisan et mieux à même que le Parlement ou les législatures d’étudier un problème dans la perspective du long terme. Les cyniques dénigrent les commissions d’enquête, parce qu’elles seraient un moyen utilisé par le gouvernement pour faire traîner les choses dans des situations qui commanderaient une prompte intervention. Pourtant, elles peuvent remplir, et remplissent de fait, une fonction importante dans la société canadienne. […] Elles constituent un excellent moyen d’informer et d’éduquer les citoyens inquiets 2.

En l’espèce, nous ne nous trouvons pas devant un cataclysme récent tel que l’effondrement d’une mine, l’écrasement d’un avion ou le déraillement d’un train. Les questions relatives à MM. Schreiber et Mulroney ont été évoquées en public à différentes reprises depuis de nombreuses années, et dans divers contextes, que ce soit dans des reportages, dans le cadre de procès, ou tout au long des enquêtes menées par la GRC. Nous n’avons pas à faire face à la nécessité de procéder à une enquête « en réaction au choc [ou] au sentiment d’horreur » causé par un événement tragique et saisissant survenu récemment. L’élément déclencheur semble avoir été la révélation, rendue publique pour la première fois dans l’affidavit souscrit le 7 novembre 2007 par M. Schreiber, que certaines des transactions entre les deux hommes sont survenues à l’occasion d’une rencontre à la résidence du lac Mousseau, à l’époque où M. Mulroney était encore Premier ministre. De plus, M. Schreiber a communiqué au Premier ministre Harper, en mars 2007, des échanges de lettres en faisant état. À mon avis, ces « faits nouveaux » ne justifient pas la tenue d’une vaste enquête sur l’ensemble des questions auxquelles les noms de MM. Schreiber et Mulroney ont été associés pendant toutes ces années dans les différents contextes que nous venons d’évoquer.

Comme je l’ai souligné, les relations entre MM. Schreiber et Mulroney ont suscité une foule d’allégations, de litiges et d’enquêtes au cours des 10 dernières années, et fait couler beaucoup d’encre. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle M. Mulroney aurait été soudoyé pour la transaction entre Air Canada et Airbus Industrie, M. Mulroney aussi bien que M. Schreiber l’ont fermement niée. La GRC a enquêté sur cette affaire pendant huit ans avant de clore le dossier faute de preuves. Cette allégation a fait l’objet d’une poursuite en diffamation que le gouvernement du Canada a réglée, et celui-ci a présenté des excuses sans réserves à M. Mulroney pour avoir formulé une telle allégation dans la lettre rogatoire adressée aux autorités suisses. Je ne recommanderais pas qu’un commissaire soit mandaté pour explorer de nouveau un terrain aussi amplement défriché. L’enquête publique ne devrait pas servir à répéter le travail accompli dans le cadre de l’enquête approfondie conduite par la GRC, et d’autres litiges et enquêtes qui se sont poursuivis pendant de longues années sans déboucher sur quelque accusation que ce soit. Je serais d’un autre avis si des preuves importantes venaient d’être mises au jour, mais mon enquête ne m’a pas permis de constater l’existence de telles preuves. D’après moi, il faut soumettre des questions bien précises au commissaire – des questions qui mettent véritablement en cause l’intérêt public à l’heure actuelle.

Conformément à la mise en garde exprimée par divers tribunaux et commentateurs, une enquête doit faire l’objet de précautions visant à éviter les coûts excessifs, les longs délais et, comme le souligne le juge Cory « la trop grande rigidité du fonctionnement ou l’éparpillement des efforts ». Elle ne doit pas être illimitée ni viser à couvrir le même terrain que d’autres enquêtes exhaustives. Elle doit servir à établir des faits qui n’ont pas encore été examinés et dont l’intérêt public est légitime, et ce, en vue de dégager les leçons à tirer de ces faits. Comme le fait remarquer le juge Cory, de telles enquêtes remplissent une fonction importante dans la société canadienne. Il ne faut pas les laisser devenir des examens longs, coûteux et éparpillés sur de vagues allégations ou sur des questions motivées par la politique partisane plutôt que par l’intérêt public. Elles nécessitent des ressources considérables. Elles peuvent accaparer le débat public, monopoliser la couverture médiatique et détourner l’attention d’autres enjeux importants. Il est donc impératif que l’enquête soit structurée de manière à répondre à des questions importantes dont l’intérêt public est réel, qu’elle ne s’embourbe pas dans une histoire qui a été scrutée à la loupe pendant des années, et qu’on ne permette pas à divers groupes ou factions de l’utiliser à leurs propres fins, par opposition aux fins publiques légitimes.

Ainsi que l’a souligné un autre conseiller indépendant du gouvernement, la population souhaite vivement qu’une éventuelle enquête ne tourne pas en « débats interminables entre avocats, mais plutôt qu’elle soit réalisée dans les délais impartis et qu’elle produise des résultats 3 ». À cette fin, les questions doivent être bien définies, et le commissaire doit posséder la fermeté nécessaire pour ne pas laisser dévier le processus.

3. Les faits connus

Les relations entre MM. Mulroney et Schreiber s’étendent sur une période de 25 ans. À la suite des récentes affirmations de M. Schreiber, les détails de leurs transactions suscitent une attention publique renouvelée. Bon nombre de ces détails ont déjà été rendus publics. La GRC a effectué une enquête approfondie de 1995 à 2003 sur les relations commerciales de M. Schreiber, une enquête qui lui a permis d’amasser jusqu’à 100 000 documents, et n’a conclu, à première vue, à aucune conduite illégale de la part de M. Mulroney. Des accusations de fraude ont été portées contre Eurocopter Canada Limited par suite de l’enquête de la GRC, mais le tribunal a décidé de ne pas renvoyer la société à son procès. Ces affaires ont également donné lieu à des poursuites civiles : M. Mulroney a intenté une poursuite en diffamation contre le gouvernement fédéral le 20 novembre 1995, puis, le 20 avril 2007, M. Schreiber a intenté des poursuites contre M. Mulroney pour obtenir le remboursement des 300 000 $. En outre, les faits ont été abondamment médiatisés, et quatre livres y ont été entièrement consacrés 4.

Voici les faits connus :

A. Entreprises et accords pertinents

  1. International Aircraft Leasing (IAL)

    IAL, du Liechtenstein, était une société contrôlée par M. Schreiber. Le 7 mars 1985, IAL a conclu un marché avec Airbus Industrie, en vertu duquel IAL recevrait une commission sur les avions vendus au Canada.

  2. Messerschmitt-Bolkow-Blohm GmbH (MBB) et Eurocopter Canada Limited (Eurocopter)

    Le 19 février 1985, MBB, un constructeur d'hélicoptères ouest-allemand, a convenu de verser des commissions à IAL pour la vente d'hélicoptères MBB au gouvernement canadien. Cette vente a eu lieu le 3 mai 1985. La Garde côtière canadienne a signé un contrat pour l'achat d'hélicoptères et d'équipement d'Eurocopter Canada Limited, filiale canadienne de MBB, anciennement Messerschmidt Canada Limited (la transaction MBB). Le contrat contenait une clause interdisant à la société Eurocopter de payer des pots-de-vin, commissions ou autres récompenses pour aider à conclure la vente.

  3. Government Consultants International Incorporated (GCI)

    GCI, une firme de lobbying canadienne, a travaillé avec M. Schreiber au profit de MBB, d'Airbus Industrie et de Thyssen Industrie AG. Frank Moores 5 contrôlait GCI. En mars 1985, le gouverneur en conseil a nommé M. Moores au conseil d'administration d'Air Canada. Il a démissionné de ce poste en septembre 1985 quand la rumeur d'un conflit d'intérêts a commencé à circuler.

  4. Thyssen Industrie AG (Thyssen) et Bear Head Manufacturing Industries Inc. (BMI)

    En novembre 1985, Thyssen, une société d'Allemagne de l'Ouest, a formé une entreprise canadienne, BMI, afin d'établir une installation de véhicules blindés légers au Cap Breton, en Nouvelle-Écosse (le projet Bear Head). On s'attendait à ce que le gouvernement canadien parraine ce projet. M. Schreiber, seul administrateur de BMI, contrôlait aussi Bear Head Industries, une entreprise canadienne formée pour faire du lobbying à Ottawa en faveur du projet Bear Head de Thyssen.

    Le 27 septembre 1988, le gouvernement fédéral a signé avec Thyssen une entente de principe dans laquelle il s'engageait à appuyer le projet. Au début des années 1990, l'opposition publique au projet et un examen interne effectué par le gouvernement ont entraîné son annulation par le gouvernement Mulroney. Dans une lettre datée de mai 1992, M. Schreiber tentait de convaincre M. Mulroney de déplacer le projet au Québec, mais cette idée ne s'est jamais concrétisée.

  5. Airbus Industrie

    À l'issue d'un processus d'évaluation approfondi, le 30 mars 1988, le conseil d'administration d'Air Canada a approuvé l'achat de 34 avions A320 d'Airbus Industrie, un constructeur d'avions établi en Europe, au prix d'environ 1,8 milliard de dollars (la transaction Airbus). Comme Air Canada était alors une société d'État, la transaction devait être approuvée par le Conseil du Trésor du Canada, dont les membres étaient de hauts responsables gouvernementaux nommés par M. Mulroney. Le 26 septembre 1988, après avoir reçu l'approbation du Conseil du Trésor, Air Canada a signé un contrat avec Airbus Industrie. Celle-ci a versé une commission considérable à IAL pour cette transaction, soit environ 20 millions de dollars selon les informations obtenues par la GRC.

B. Les enquêtes de la GRC

Entre janvier et mai 1995, plusieurs reportages diffusés en Allemagne et au Canada ont fait état du versement de commissions illégales pour assurer la conclusion d'un contrat entre Air Canada et Airbus Industrie, ainsi que de l'existence de rapports illicites entre les bénéficiaires des commissions et certains responsables gouvernementaux.

Au début de janvier 1995, la GRC a entrepris de recueillir des renseignements sur la transaction Airbus en vue de déterminer s'il y avait lieu d'ouvrir une enquête criminelle en règle. Dans le courant de l'année, ces investigations préliminaires ont conduit à l'ouverture d'une enquête criminelle approfondie sur la transaction Airbus, puis à une enquête sur la transaction MBB et le projet Bear Head sur la foi des renseignements obtenus par la GRC.

Le 29 septembre 1995, le ministère de la Justice du Canada a envoyé aux autorités suisses une lettre rogatoire visant à obtenir leur aide dans le cadre de l'enquête de la GRC. Cette lettre demandait aux Suisses de communiquer des documents et de bloquer des comptes bancaires prétendument liés aux transactions Airbus et MBB et au projet Bear Head. La lettre nommait MM. Schreiber, Moores et Mulroney, et sollicitait des renseignements au sujet d'activités que les trois hommes auraient menées pendant que M. Mulroney était Premier ministre. En novembre 1995, le ministère de la Justice a adressé aux autorités suisses une lettre de suivi soulignant que la lettre rogatoire contenait uniquement des allégations non prouvées et que l'affaire devait demeurer confidentielle.

Par suite de contestations judiciaires de la lettre rogatoire, en août 1996, le ministère de la Justice a demandé aux autorités suisses de suspendre la demande d'entraide. En mai 1998, la Cour suprême du Canada a finalement statué que les autorités fédérales n'étaient pas tenues d'obtenir une autorisation judiciaire préalable avant d'envoyer la lettre rogatoire, et que la lettre adressée aux autorités suisses n'avait aucunement porté atteinte aux droits de M. Schreiber 6.

Le 27 août 1999, un mandat d'arrestation émis par les autorités allemandes contre M. Schreiber a été communiqué au Canada. Le 31 août 1999, M. Schreiber a été arrêté à Toronto en vertu de ce mandat. Son arrestation et son extradition vers l'Allemagne (actuellement en instance) en vue de faire face aux accusations portées contre lui ont donné lieu à huit années de litiges prolongés et de contestations de l'extradition, lesquels se poursuivent à ce jour.

Pendant les enquêtes sur les transactions Airbus et MBB et le projet Bear Head au Canada, la GRC a obtenu le 8 décembre 1999 un mandat de perquisition au siège social d’Eurocopter à Fort Erie, en Ontario. La GRC cherchait des renseignements sur des activités illégales relatives à l’achat d’hélicoptères MBB pour la Garde côtière canadienne. La plus importante descente a eu lieu le 13 décembre 1999.

Le 26 avril 2001, la GRC a reçu les derniers documents et dossiers bancaires demandés au moyen de la lettre rogatoire de 1995.

En octobre 2002, à l’issue de l’enquête de la GRC sur la transaction MBB, Eurocopter et deux cadres allemands de la société MBB, Kurt Pfleiderer et Heinz Pluckthun, ont été inculpés de fraude aux termes de l’article 380 du Code criminel du Canada. Les poursuites ont par la suite été rejetées.

Le 22 avril 2003, à l’issue d’une enquête qui avait duré plus de huit ans et au cours de laquelle elle avait examiné à fond l’ensemble de la preuve et procédé à une foule d’entrevues, la GRC a annoncé qu’elle avait terminé son travail concernant les transactions Airbus et MBB et le projet Bear Head, qu’il n’était pas possible de prouver les allégations de pots-de-vin, et qu’aucune accusation ne serait portée à part les accusations de fraude contre Eurocopter. 

C. Autres procédures judiciaires

  1. Affaire Eurocopter

    Le juge Bélanger, de la Cour de justice de l'Ontario, a présidé une enquête préliminaire sur la présumée fraude impliquant Eurocopter. Après avoir entendu des dépositions et observations pendant plus de 50 jours, il a rejeté la poursuite le 25 novembre 2005.

    Selon la théorie de la Couronne, Eurocopter aurait fraudé le gouvernement fédéral dans la transaction MBB. La Couronne alléguait que pour aider à conclure la transaction avec la Garde côtière canadienne, la société MBB aurait versé des commissions secrètes à GCI, par l'entremise d'IAL, et que certaines de ces sommes auraient également été versées à des responsables gouvernementaux. Le contrat relatif à la transaction MBB, qui liait Eurocopter et la Garde côtière, interdisait strictement le recours à un lobbyiste. La Couronne a pu démontrer que la société MBB a payé IAL pour faire du lobbying auprès du gouvernement canadien pour son compte. La défense a soutenu que la société MBB n'agissait pas en tant qu'agent d'Eurocopter quand elle a retenu les services d'IAL, de sorte qu'Eurocopter n'a pas violé son contrat avec la Garde côtière.

    Le juge Bélanger a donné raison à la défense et rejeté la poursuite, estimant qu'il n'y avait aucune preuve que des commissions secrètes avaient été versées à des responsables gouvernementaux pour conclure la transaction MBB, ainsi que l'alléguait la Couronne. Il a conclu qu'Eurocopter et la société MBB ont peut-être [TRADUCTION] « agi de manière peu scrupuleuse ou pas tout à fait éthique » en omettant de révéler l'existence de l'accord de la société MBB avec IAL, mais qu'il n'y avait pas eu de violation du contrat et qu'aucun crime n'avait été commis.

    En décembre 2005, la Couronne a demandé une révision judiciaire de la décision du juge Bélanger. Sa demande a été rejetée par la juge Ratushny, de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, dans une décision rendue le 9 août 2006. La juge Ratushny a conclu que la Couronne n'avait pas établi que le gouvernement fédéral avait subi un préjudice financier par suite de la violation alléguée du contrat, alors qu'il s'agit là d'un élément essentiel pour qu'il y ait fraude. La Couronne a renoncé à interjeter appel de cette décision.

  2. La poursuite en diffamation de Mulroney contre le gouvernement canadien
  3. Le 20 novembre 1995, M. Mulroney a déposé contre le gouvernement fédéral une déclaration en vertu de laquelle il réclamait des dommages-intérêts de 50 millions de dollars pour libelle diffamatoire. Sa requête visait la lettre rogatoire précitée, qui contenait des allégations graves, sans preuves à l'appui, selon lesquelles M. Mulroney aurait touché des pots-de-vin liés aux transactions Airbus et MBB et au projet Bear Head. En raison d'une fuite, le contenu de la lettre rogatoire avait été rapporté par les médias plus tôt dans l'année. La poursuite a finalement été réglée en janvier 1997. Le gouvernement fédéral a accepté d'acquitter les frais d'avocat de M. Mulroney et d'autres honoraires professionnels, dont le montant a été évalué à 2,1 millions de dollars par un arbitre.

    Pendant son interrogatoire préalable en avril 1996, M. Mulroney a déclaré qu'il avait pris un café avec M. Schreiber à une ou deux occasions après avoir quitté son poste de Premier ministre, mais on ne lui a posé aucune question directe au sujet de ses transactions financières avec M. Schreiber après son retrait de la vie publique et il n'a pas mentionné les paiements en liquide.

  4. La poursuite de Schreiber contre Mulroney

    Le 23 mars 2007, M. Schreiber a signifié à M. Mulroney une déclaration par laquelle il lui réclamait 300 000 $ plus intérêts. Il alléguait que M. Mulroney avait omis d'exécuter des services liés au projet Bear Head en contrepartie d'une somme de 300 000 $. M. Mulroney a publiquement rejeté la poursuite de M. Schreiber comme étant sans fondement. L'affidavit signé le 7 novembre 2007 par M. Schreiber expose les circonstances dans lesquelles il affirme avoir versé l'argent à M. Mulroney et décrit sa récente correspondance avec des responsables gouvernementaux.

    Dans une décision rendue publique le 20 décembre 2007, le juge Cullity, de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, a rejeté la poursuite au motif que l'affaire ne relevait pas de la juridiction du tribunal.

D. Les paiements en espèces versés à Mulroney

Au 13 décembre 2007, MM. Schreiber et Mulroney ont tous les deux témoigné devant le Comité de l’éthique. Bien que le Comité n’ait pas terminé ses travaux et qu’il pourrait entendre d’autres témoignages, les deux hommes ont eu l’occasion d’expliquer les circonstances entourant les paiements en espèces. Un bref résumé de la preuve présentée figure à l’annexe 3. Comme le révèle l’annexe 3, les comptes déclarés jusqu’à présent comportent un certain nombre de contradictions et d’incohérences.

Par contre, MM. Mulroney et Schreiber s’entendent sur certains points.

Tous les deux ont reconnu s’être rencontrés à la résidence du lac Mousseau le 23 juin 1993, à l’époque où M. Mulroney était encore Premier ministre. 

M. Mulroney s’est engagé à exécuter certains services pour M. Schreiber, quoiqu’ils ne s’entendent pas sur les modalités de l’accord ni sur le moment où il a été conclu 7. Quelque temps après la conclusion de cet accord, le mandat de M. Mulroney a été étendu au soutien à l’appui de la nouvelle entreprise commerciale de M. Schreiber au Canada dans le domaine des pâtes alimentaires.

M. Schreiber a versé une avance à M. Mulroney pour des services que ce dernier devait exécuter après avoir quitté son poste de Premier ministre. Cette avance a pris la forme de trois versements en argent comptant qui ont été effectués dans des hôtels où les deux hommes s’étaient donné rendez-vous. Le premier versement a été effectué le 27 août 1993 dans un hôtel à Mirabel, au Québec, pendant que M. Mulroney était encore député fédéral de la circonscription québécoise de Charlevoix. M. Schreiber a versé deux autres paiements en liquide à M. Mulroney après son retrait de la vie publique : l’un au Reine Elizabeth, à Montréal, en décembre 1993; l’autre à l’hôtel Pierre, à New York, en décembre 1994. À chacune de ces rencontres, M. Mulroney a accepté de M. Schreiber une enveloppe contenant de l’argent comptant.

M. Mulroney a expliqué qu’il avait déposé l’argent que M. Schreiber lui avait remis à l’hôtel Pierre dans un coffre à New York, et qu’il avait placé celui qu’il avait reçu de M. Schreiber à leurs deux premiers rendez-vous dans un coffre-fort chez lui, à Montréal. 

M. Mulroney a également déclaré qu’il n’a fourni aucun document justificatif à M. Schreiber concernant ses services et qu’il ne lui a pas demandé d’où provenait l’argent. Il a néanmoins soutenu que son accord avec M. Schreiber était légal et conforme aux règles d’éthique qu’il observait.

Avant sa comparution devant le Comité de l’éthique, M. Mulroney n’avait jamais personnellement expliqué les circonstances entourant les paiements en espèces. Toutefois, ses porte-parole avaient fait diverses déclarations à ce sujet. Ces déclarations ne concordent pas toutes avec le témoignage de M. Mulroney devant le Comité de l’éthique 8.

E. Absence d'information

L’absence d’information au sujet des transactions soulève un certain nombre de questions. Comme l’a souligné M. Mulroney devant le Comité de l’éthique, la méthode de paiement manquait de transparence. Il n’existe aucun relevé des paiements. Et il n’existe toujours aucun relevé des dépenses. Aucun rapport écrit n’a été produit. Aucune déclaration de revenus n’a été présentée avant 1999.

Lorsqu’il a été entendu par le Comité de l’éthique, M. Mulroney a expliqué qu’il a utilisé une part d’environ 40 000 $ de l’acompte pour des frais de voyage et des dépenses connexes qu’il a engagés en exécutant des services pour le compte de M. Schreiber à l’étranger. En 1999, quand M. Schreiber a été arrêté en vertu d’un mandat d’extradition émis par les autorités allemandes, M. Mulroney a produit une déclaration volontaire tardive aux fins de l’impôt sur le revenu. Il a dit avoir déclaré à titre de revenus aux autorités fiscales québécoises et fédérales la totalité de la somme qu’il a reçue en argent comptant (soit 225 000 $), et avoir choisi de ne pas déduire ses frais de 40 000 $. M. Mulroney a fait la déclaration suivante : [Traduction] « J’ai payé de ma poche mes dépenses légitimes. L’argent provenait de mon propre compte. En d’autres mots, je n’ai pas déduit ces dépenses légitimes. J’ai déclaré et payé des impôts sur le montant total. » Il a ajouté : [Traduction] « je voulais m’assurer qu’il n’y aurait aucune question nulle part – mais Dieu sait qu’il y en a maintenant! – et que tout doute serait résolu en faveur de l’impôt canadien et québécois. C’est pourquoi j’ai déclaré toutes les dépenses comme des revenus et payé la facture. »

D’autres questions ont également été soulevées au sujet de l’absence d’information. M. Schreiber a donné à entendre que diverses tentatives ont été faites pour dissimuler l’existence des paiements en argent comptant. Au paragraphe 27 de son affidavit du 7 novembre 2007, M. Schreiber affirme qu’à la demande de M. Mulroney, les deux hommes se sont rencontrés dans un hôtel de Zurich, en Suisse, le 2 février 1998, et qu’à cette occasion, M. Mulroney s’est dit préoccupé par ce qui pourrait prouver qu’il avait reçu de l’argent de M. Schreiber. M. Mulroney a reconnu que cette rencontre a bien eu lieu, mais on ne lui a pas posé aucune question sur ce qui s’est passé au juste.

M. Schreiber déclare en outre que M. Mulroney a communiqué directement avec l’avocat de M. Schreiber, Me Robert Hladun, le 17 octobre 1999 pour demander que M. Schreiber fournisse sous serment des assurances comme quoi M. Mulroney n’a pas sollicité ni reçu de rémunération de M. Schreiber. M. Mulroney a confirmé avoir appelé Me Hladun à cette date, mais il a affirmé l’avoir fait pour demander que M. Schreiber fournisse une déclaration comme quoi aucun paiement ne lui avait été versé [à M. Mulroney] en lien avec les transactions Airbus ou MBB ou le projet Bear Head, contrairement aux allégations contenues dans la lettre rogatoire. 

M. Mulroney a cité la lettre de Me Hladun datée du 26 janvier 2000, laquelle fait allusion à une implication [Traduction] « au sens des allégations contenues dans la lettre rogatoire ». Il a également cité les affirmations faites par Me Hladun dans une lettre qu’il a adressée le 17 mars 2005 à la CBC par suite de l’émission The Fifth Estate où l’on affirmait détenir la preuve que Me Hladun avait été prié par M. Mulroney de demander à M. Schreiber une déclaration à l’effet que l’ancien Premier ministre n’avait reçu aucun argent de lui. Dans sa lettre à la CBC, Me  Hladun déclarait que, pour lui, il n’y a aucune preuve de cela parce qu’il n’avait jamais parlé de « rémunération » à M. Mulroney. Il déclarait également ceci : [Traduction] « Les seuls entretiens que j’ai eus avec qui que ce soit ont eu lieu dans le contexte exclusif des allégations de paiements qui auraient été faits indûment comme le prétend la lettre rogatoire de septembre 1995 […] Ma provision était associée aux allégations faites dans cette lettre. »

M. Schreiber a déclaré devant le Comité de l’éthique qu’Elmer MacKay, ancien solliciteur général du Canada, a rédigé une lettre que M. Schreiber a envoyée à M. Mulroney après l’avoir modifiée. M. Schreiber y présentait des excuses à M. Mulroney et affirmait que celui-ci était le meilleur advocate dont il aurait pu retenir les services. Il a soutenu qu’il avait accepté d’envoyer cette lettre parce qu’on lui avait dit que M. Mulroney la montrerait au Premier ministre Harper, ce qui l’aiderait à éviter l’extradition vers l’Allemagne. Le 3 décembre 2007, M. MacKay a avoué aux médias qu’il avait rédigé la lettre en question dans le but de réconcilier MM. Mulroney et Schreiber. M. Lavoie, ancien porte-parole de M. Mulroney, a cité la lettre aux journalistes comme preuve que les paiements en espèces que M. Mulroney a reçus de M. Schreiber n’avaient rien de répréhensibles.

Le manque de transparence résultant des paiements en argent comptant, de l’absence de documentation, du retard mis à produire les déclarations de revenus, et des allégations de tentatives pour dissimuler l’existence des paiements en argent comptant ont contribué aux soupçons et à l’impression d’irrégularité. Tandis que s’amplifiaient les rumeurs et que se multipliaient reportages et allégations concernant les deux hommes et leurs relations, M. Mulroney n’a fait aucun effort concerté pour rétablir les faits ou pour raconter sa propre version des faits à la population canadienne. Il en est résulté des préoccupations de plus en plus vives quant à l’intégrité de ces relations et à leur légitimité. Les audiences du Comité de l’éthique ont maintenant permis aux Canadiens d’entendre les protagonistes directement. Bien que tous les détails n’aient pas été examinés à fond, les Canadiens sont maintenant en mesure de se faire leur propre idée sur ces événements.

4. Faits non entièrement examinés

Bien que M. Schreiber ait dit à la GRC qu’il avait rencontré M. Mulroney à l’époque où celui-ci était encore Premier ministre, il a indiqué qu’aucun paiement n’avait été fait avant qu’il n’ait quitté ces fonctions. L’allégation selon laquelle une telle rencontre avait été organisée n’était pas de notoriété publique, en dépit de la couverture médiatique et de l’enquête entourant la relation entre les deux hommes. Le 13 décembre 2007, M. Mulroney a souligné au Comité de l’éthique que même si cette rencontre a bien eu lieu, elle n’avait abouti à aucune entente. La déclaration de M. Schreiber concernant la conclusion d’une entente avec M. Mulroney tandis que celui-ci était toujours à la tête du gouvernement a été jointe à une lettre adressée au Premier ministre Harper. De même, William Kaplan, dans un ouvrage publié en 2004, parle de sommes substantielles versées en liquide à M. Mulroney, mais il reste silencieux quant à leur provenance, à la raison pour laquelle les paiements avaient été faits en espèces ainsi qu’aux services exécutés en échange. Avant de comparaître devant le Comité de l’éthique le 13 décembre, M. Mulroney n’avait fait aucun commentaire sur cette affaire ni sur les questions soulevées par les sommes versées par M. Schreiber, même si M. Lavoie avait fait diverses déclarations à ce sujet 9.

Au moment de ma nomination, M. Mulroney n’avait encore fourni aucune explication directe quant à sa relation avec M. Schreiber ou au caractère inhabituel des sommes versées. Le Comité de l’éthique a entendu sa version des faits. Même si un simple citoyen ne serait pas tenu d’expliquer des transactions commerciales privées, il est légitime d’attendre d’un ancien Premier ministre qu’il fasse la lumière sur des agissements remis en question par le public et les médias. Au départ, M. Mulroney a accueilli favorablement l’idée d’une enquête publique, indiquant qu’il souhaitait s’expliquer personnellement, et qu’il comptait faire ses déclarations dans le cadre d’une telle enquête. Maintenant qu’il a témoigné et qu’il a été assez longuement interrogé par des parlementaires de tous les partis, les circonstances l’ayant incité à demander une enquête exhaustive ont changé.

A. Correspondance de Schreiber avec des représentants gouvernementaux

  1. Processus d'examen

    Comme nous l'avons vu, M. Schreiber a envoyé au Premier ministre Harper, en mars 2007, une lettre à laquelle était jointe une autre lettre concernant la réunion du lac Mousseau. Le Premier ministre et son cabinet reçoivent annuellement plus d'un million d'écrits administratifs de toutes sortes.

    De juin 2006 à septembre 2007, les Services de la correspondance de la haute direction (SCHD) - unité du Bureau du Conseil privé (BCP) chargée du traitement de la correspondance et composée de 35 employés à temps plein - ont reçu 16 lettres de M. Schreiber en 15 envois distincts. Ces lettres ont été examinées et organisées suivant la procédure établie aux SCHD, puis retracées à l'aide du système d'information sur la gestion de la correspondance. Les SCHD reçoivent une très grande quantité de documents chaque année. Au cours des 12 derniers mois documentés, qui chevauchent 2006 et 2007, ils en ont reçu plus de 1,7 million.

    Sur ces 16 lettres, 10 sont demeurées aux SCHD et ont été classées sans aucune forme de suivi. Les raisons données sont les suivantes : premièrement, vu qu'on y décrivait des affaires dont les tribunaux avaient été saisis, il est pratique courante de ne pas émettre de commentaires sur des litiges en cours; deuxièmement, on y avait joint des copies d'échanges de lettres entre M. Schreiber et d'autres personnes, et il est également pratique courante de ne pas donner suite à des lettres qui sont des copies.

    Les SCHD ont envoyé au BCP la lettre de M. Schreiber datée du 30 novembre 2006 afin d'obtenir des directives concernant les demandes répétées de M. Schreiber. Cette lettre a été examinée et le bureau du greffier a indiqué aux SCHD qu'il était inutile d'y répondre; elle a donc été classée.

    Les SCHD ont bien reçu la lettre de M. Schreiber datée du 16 janvier 2007, et l'ont acheminée au ministère de la Justice à titre informatif.

    Les quatre autres lettres (datées respectivement du 16 juin 2006, du 23 août 2006, du 3 mai 2007 et du 26 septembre 2007) ont été transmises à la Correspondance du Premier ministre - une plus petite unité de traitement de la correspondance rattachée au Cabinet du Premier ministre - aux fins d'examen et de commentaires. Il arrive qu'ils procèdent de cette façon dans les cas où la Correspondance du PM voudrait peut-être donner une réponse et où ils n'ont reçu aucune instruction quant au sujet traité. Selon les SCHD, ces lettres ont tout simplement été choisies parmi toutes les lettres envoyées par M. Schreiber, puis transmises à la Correspondance du PM pour fins de rétroaction quant à la correspondance de M. Schreiber en général et à la marche à suivre. La Correspondance du PM n'a émis aucune directive quant à la façon de gérer les lettres de M. Schreiber.

    Après les avoir étudiées conformément à leurs procédures respectives, le BCP, les SCHD et la Correspondance du PM ont conclu que les lettres de M. Schreiber n'avaient pas à être soumises à l'attention du Premier ministre Harper.

    M. Harper a d'ailleurs confirmé qu'on ne lui avait acheminé aucune des lettres envoyées par M. Schreiber durant cette période. Le 29 novembre 2007, celui-ci a déclaré devant le Comité de l'éthique qu'il n'avait jamais parlé avec le Premier ministre Harper et qu'il ne l'avait jamais rencontré.

  2. Les lettres de M. Schreiber

    Les lettres envoyées par M. Schreiber entre juin 2006 et septembre 2007 portent principalement sur le prétendu « scandale politico-judiciaire » visant M. Mulroney et lui-même, l'« affaire Airbus » et la GRC. Il y avait joint diverses autres lettres envoyées à des représentants gouvernementaux au fil des ans, des articles de journaux ainsi que de brefs exposés dans lesquels il donne sa propre version des événements.

    À sa lettre du 29 mars 2007 adressée au Premier ministre Harper, M. Schreiber a annexé la copie d'une autre lettre envoyée à M. Mulroney en date 29 janvier 2007. Il y indique que M. Mulroney et lui avaient conclu une entente le 23 juin 1993 au lac Mousseau concernant certains services liés au projet Bear Head; M. Mulroney était à cette époque toujours Premier ministre. Selon cette lettre, les deux hommes avaient convenu de travailler ensemble en échange de quoi M. Schreiber verserait une certaine somme à M. Mulroney.

    M. Schreiber a écrit de nouveau à M. Harper les 8 et 10 avril 2007 concernant, entre autres, son extradition imminente vers l'Allemagne. Y étaient jointes des copies d'échanges de correspondance entre M. Schreiber et des représentants gouvernementaux, notamment M. Mulroney et Mme Kim Campbell.

5. POINTS À ÉCLAIRCIR

En gros, trois points doivent être éclaircis :

  1. les paiements substantiels versés en espèces;
  2. la nature des relations commerciales et financières entre MM. Schreiber et Mulroney;
  3. les mesures prises par le BCP après avoir reçu la lettre de M. Schreiber datée du 29 mars 2007.

A. De prime abord, aucune preuve d’activités criminelles

Tout en sachant que des paiements en espèces avaient été versés et que M. Schreiber avait déclaré avoir conclu une entente avec M. Mulroney juste avant que ce dernier ne quitte son poste de Premier ministre, la GRC a déterminé que les preuves étaient insuffisantes pour porter des accusations. L’information contenue dans l’affidavit de M. Schreiber daté du 7 novembre 2007 a obligé la GRC à revoir le dossier afin d’établir s’il contenait de nouvelles preuves. Après l’avoir soigneusement examiné, la GRC a conclu qu’il n’y avait aucun fait nouveau. Le dossier demeure donc clos pour le moment. On ne m’a soumis aucune nouvelle preuve et je n’ai découvert aucun fait nouveau à part ceux qui avaient déjà été établis par la GRC. En vertu du mandat qui m’a été confié, je dois établir s’il existe, de prime abord, des preuves d’actes criminels. À la lumière des travaux exhaustifs menés par la GRC, lesquels s’échelonnent sur huit ans, ma réponse est non 10.

B.  Autres points

Même si la GRC a clos le dossier, certaines des préoccupations soulevées par les médias, les parlementaires et les Canadiens concernant l’argent versé à M. Mulroney par M. Schreiber ainsi que par la légitimité des relations entre les deux hommes sont demeurées sans réponse. Ont-ils conclu une entente? De quelle nature était cette entente? Pourquoi a-t-elle été conclue? Quand l’a-t-elle été? Était-elle acceptable? Avant les audiences devant le Comité de l’éthique, les faits se rapportant aux paiements effectués ne suffisaient toujours pas à apaiser les inquiétudes de la population quant à leur intégrité et à leur bien-fondé. Avant sa comparution, l’ancien Premier ministre Mulroney n’avait jamais clairement expliqué la nature et les modalités de ces paiements. De nombreux éléments doivent encore être examinés, et le président du Comité de l’éthique a indiqué que M. Mulroney pourrait être rappelé à témoigner.

J’ai très longuement réfléchi à l’opportunité, du point de vue de l’intérêt général, d’approfondir ces éléments dans le cadre d’une enquête publique, compte tenu des objectifs et des contraintes propres à ce genre d’exercice. Il convient tout d’abord de déterminer quel raison d’intérêt public justifierait vraiment l’étude de ces éléments. À mon avis, cette raison serait l’intégrité du gouvernement, la nécessité d’établir s’il y a eu violation des prescriptions, et dans le cas contraire, l’opportunité d’en imposer de nouvelles aux anciens titulaires de haute charge publique.

C.  Prescriptions actuelles

À l’heure actuelle, un régime est en place pour réglementer les activités des lobbyistes. Les parlementaires sont également assujettis aux règles d’éthique contenues dans la Loi sur les conflits d’intérêts, le Code régissant les conflits d'intérêts des députés et la Loi sur le Parlement du Canada, notamment l’article 41. De plus, en 1993, des règles s’appliquaient en vertu de la Loi sur le Parlement du Canada et le Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat.

En 1993, le paragraphe 41(1) de la Loi sur le Parlement du Canada interdisait à tous les députés à la Chambre des communes de recevoir ou d’accepter de recevoir une compensation pour services rendus ou à rendre à quiconque « relativement à quelque projet de loi, délibération, contrat, réclamation, dispute, accusation, arrestation ou autre affaire devant le Sénat ou devant la Chambre des communes ou devant un comité de l’une ou l’autre chambre ou pour influencer ou tenter d’influencer quelque membre de l’une ou de l’autre chambre ». Tout député qui enfreint cette règle se verra imposer une amende, sera déchu de son mandat de membre de la Chambre des communes et ne pourra occuper de poste dans l’administration publique fédérale pendant cinq ans suivant sa déclaration de culpabilité. En outre, la Loi prévoit que toute personne qui donne, offre ou promet de donner une compensation à un député en l’échange de services mentionnés au paragraphe 41(1) commet une infraction punissable par voie de mise en accusation, par une amende ou par l’emprisonnement.

La Loi sur le Parlement du Canada et le Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat ont été instaurés par le gouvernement Mulroney en 1985. Pour la première fois, un code d’éthique réglementait les activités jugées incorrectes, mais non criminelles, pour les titulaires de charge publique, et établissait des lignes directrices concernant l’après-mandat. Ce code s’appliquait aux ministres de la Couronne et autres fonctionnaires des échelons supérieurs, mais non aux députés. Il a été légèrement modifié en juin 1994 par le gouvernement libéral de M. Chrétien, puis d’une façon plus exhaustive par celui de M.  Martin, avant d’être considérablement renforcé par l’actuel gouvernement conservateur dirigé par M. Harper. Par conséquent, le code de 1985, décrit ci-dessous, s’appliquait à M. Mulroney durant son mandat en tant que Premier ministre, et il est demeuré en vigueur jusqu’en juin 1994, soit un an après qu’il a quitté ses fonctions.

Les principes suivants sont inclus dans le code d’éthique de 1985 : « il doit avoir une conduite si irréprochable qu’elle puisse résister à l'examen public le plus minutieux; pour s’acquitter de cette obligation, il ne lui suffit pas simplement d’observer la loi; dès sa nomination, il doit organiser ses affaires personnelles de manière à éviter les conflits d’intérêts réels, potentiels ou apparents; l’intérêt public doit toujours prévaloir dans les cas où les intérêts du titulaire entrent en conflit avec ses fonctions officielles; il lui est interdit d’outrepasser ses fonctions officielles pour venir en aide à des personnes, physiques ou morales, dans leurs rapports avec le gouvernement, lorsque cela peut donner lieu à un traitement de faveur; il lui est interdit d’utiliser à son propre avantage ou bénéfice des renseignements obtenus dans l’exercice de ses fonctions officielles et qui, de façon générale, ne sont pas accessibles au public; à l’expiration de son mandat, il a le devoir de ne pas tirer un avantage indu de la charge publique qu’il a occupée. » 

Au sens de la partie II du code, le ministre de la Couronne devait gérer ses affaires privées de façon à éviter les conflits d’intérêts. Il n’était pas autorisé à offrir des services rémunérés de conseiller à l’extérieur de leurs fonctions officielles, sauf en de rares exceptions, notamment lorsque les services étaient liés à ses fonctions officielles de titulaire de charge publique. Sauf en de rares exceptions, il ne pouvait accepter ni argent ni cadeaux d’intervenants externes pendant la durée de son mandat et devait faire à cet égard des déclarations publiques. Le ministre de la Couronne devait également « éviter de se placer ou de sembler se placer dans des situations où il serait redevable à une personne ou à un organisme, ou encore au représentant d’une personne ou d’un organisme, qui pourrait tirer parti d'un traitement de faveur de sa part », et éviter d’accorder un traitement de faveur à quiconque.

L’objectif de la partie III du code d’éthique de 1985 était de voir à ce que les hauts fonctionnaires qui n’étaient plus en poste ne profitent pas indûment de leurs anciennes fonctions, et, notamment, qu’ils évitent au maximum les possibilités « de se trouver dans des situations de conflits d’intérêts réels, potentiels ou apparents en raison des offres d’emploi qui leur viennent de l’extérieur pendant qu’ils sont au service du gouvernement; d’obtenir un traitement de faveur ou un accès privilégié au gouvernement après qu’ils auront quitté leur charge publique; d’utiliser pour leur profit personnel les renseignements obtenus dans l’exercice de leurs fonctions officielles avant qu’ils ne soient connus du public; de tirer un avantage indu de leur charge pour obtenir des occasions d’emploi à l’extérieur ».

Au sens de la partie III du code d’éthique, avant de quitter son poste, un ministre de la Couronne devait divulguer au Premier ministre toute offre d’emploi extérieure susceptible de le placer dans une situation de conflit d’intérêts. Dans tous les cas, il devait l’informer de sa décision d’accepter une offre d’emploi, et s’il était déterminé que « l’employé entretient des rapports officiels importants avec son futur employeur, […] l’employé sera affecté à d'autres fonctions le plus tôt possible ». La durée de cette nouvelle affectation entre dans le calcul de la période de restriction relative à un emploi, comme il est indiqué ci-après. 

Il était interdit à un ancien ministre de la Couronne « d’agir au nom ou pour le compte d’une personne, d’une société commerciale, d’une association ou d’un syndicat relativement à une procédure, à une transaction, à une négociation ou à une cause à laquelle le gouvernement du Canada est partie, et dans laquelle il a représenté ou conseillé un ministère, et qui donnerait lieu à un avantage particulier ou de nature strictement commerciale ou privée ». D’autres activités après-mandat interdites étaient assujetties à un délai de prescription au sens de l’article 60 du code de 1985, c’est‑à‑dire :

Il est interdit à tout ancien titulaire de charge publique [ce qui, par définition, n’inclut pas les députés] dans l’année qui suit la cessation de ses fonctions; pour les ministres de la Couronne, la période est de deux ans :

a) d’accepter une nomination au conseil d’administration d’une entité avec laquelle il a eu des rapports officiels importants au cours de l’année ayant précédé la fin de son mandat, ou un emploi au sein d’une telle entité;

b) d’intervenir pour le compte ou au nom d’une autre personne ou d’une entité auprès d’un ministère avec lequel il a eu des rapports officiels importants au cours de l’année ayant précédé la fin de son mandat;

c) de donner des conseils touchant les programmes ou les politiques du ministère pour lequel il travaillait ou avec lequel il entretenait d’importants rapports directs durant l’année précédant la fin de son mandat, à une personne qui pourrait se servir de ces conseils à des fins commerciales.

En application de l’article 61 du code, le délai de prescription concernant l’emploi prévu à l’article 60 pourrait être réduit si le titulaire de charge publique le demande à « l’administrateur désigné » qui, dans le cas d’un ministre de la Couronne, était le Premier ministre. 

Les hauts fonctionnaires qui ne respectaient le code d’éthique de 1985 s’exposaient « aux mesures (qu’aura) établies le Premier ministre, y compris, le cas échéant, le renvoi ou la révocation de sa nomination ».

D.  Pertinence des prescriptions

Une fois établis les faits concernant les relations entre MM. Schreiber et Mulroney ainsi que leurs transactions commerciales et financières, notamment la nature et la justification des paiements versés à M. Mulroney, le commissaire pourra déterminer s’il y a eu respect des règles d’éthique en vigueur en 1993 et en 1994. Il pourra également établir s’il y aurait conformité aux règles actuelles, puis si des règles nouvelles devraient régir la conduite de ceux et celles qui ont quitté la vie politique.

Ce qui est en cause ici, c’est l’intégrité des titulaires de haute charge publique au sein du gouvernement. La principale préoccupation touche ce qui, dans les relations entre MM. Mulroney et Schreiber, a bien pu mener au versement de paiements en espèces. L’enquête ne devrait pas prendre la forme d’un examen exhaustif des projets Airbus, Eurocopter et Bear Head, ou de toute autre affaire concernant M. Schreiber. Cela équivaudrait à rouvrir l’enquête de la GRC à la recherche de preuves sur lesquelles fonder des accusations criminelles, ce qu’une enquête publique ne peut faire en aucun cas.

En vue d’établir la portée d’une enquête publique, le gouvernement devra procéder à une « analyse coûts-avantages ». Dans ce cas particulier, j’estime que les problèmes d’intégrité évoqués plus haut n’exigent pas une enquête de grande envergure sur des éléments que la GRC examine depuis 1995. Je suis également d’avis qu’il n’est pas nécessaire que l’on s’attarde sur les faits qui sont d’ores et déjà connus. Il faudra cibler les questions et nommer un commissaire rigoureux pour bien orienter l’enquête et éviter que celle-ci ne devienne une entreprise excessive et onéreuse qui ne répondrait pas aux préoccupations légitimes de la population quant à la transparence des transactions.

6. Modalités de l'enquête

Mon mandat fait référence à une « enquête publique formelle ». À mon sens, cela désigne une enquête au sens de la Loi sur les enquêtes publiques, assortie de tous les pouvoirs d’assignation que cela suppose. En vertu de cette loi, le commissaire peut établir ses propres procédures. Son personnel peut examiner les documents au besoin afin de fournir le contexte nécessaire pour étudier les questions pertinentes, et organiser des audiences auxquelles seront convoqués M. Schreiber, M. Mulroney et d’autres témoins, à la demande du commissaire. Je crois que l’enquête peut être menée de façon efficace et ciblée sans multiplier les intervenants. Cette enquête peut, et doit, se distancer de tout parti pris politique puisque tel n’est pas son objectif, sans compter que cela serait contraire à l’intérêt public.

Bien que, comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué, l’enquête ne peut aboutir à aucune conclusion quant à la responsabilité criminelle ou civile, elle peut évaluer et interpréter les faits et conclure « qu’il y a eu manquement à une norme de conduite, pourvu qu’il ressorte clairement qu’il ne s’agit pas d’une norme légalement contraignante 11 ». La Cour fédérale d’appel a déclaré qu’une « norme peut être morale, légale, scientifique, sociale ou politique » et que « la conclusion qu’il y a eu manquement à un devoir ne signifie pas nécessairement que son auteur a violé la loi. Cela signifie simplement que la personne n’a pas satisfait à une norme proposée par le commissaire 12 ».

L’objectif de cette enquête est d’examiner si les normes de conduite applicables ont été respectées dans les circonstances établies par le commissaire.

A. Autres options – Prendre appui sur les témoignages recueillis par le Comité de l’éthique

À la lumière des audiences tenues par le Comité de l’éthique, il est permis de conclure que l’examen d’une grande quantité de preuves et la tenue de nombreuses audiences ne constitueraient pas une stratégie productive. Cela ne signifie pas toutefois que toutes les questions ont été posées, ni que toutes les incohérences ont été clarifiées ou qu’elles le seront. Toutefois, lorsque le Comité de l’éthique aura terminé ses travaux, les faits essentiels touchant la relation entre MM. Schreiber et Mulroney, ainsi que les importants paiements en espèces versés, pourraient avoir été établis dans la mesure où ils peuvent utilement l’être 13. Ce qui mérite analyse, c’est l’opportunité – à la lumière de faits raisonnablement bien établis – d’encadrer davantage les activités des anciens titulaires de haute charge publique. Conviendrait-il d’assujettir à de nouvelles lignes directrices les transactions internationales? Faut-il se préoccuper de la manière dont les anciens premiers ministres ou d’autres hauts responsables exploitent le pouvoir ou les positions qu’ils détenaient? Comment empêcher que l’on profite indûment de hautes charges exercées dans le passé? Comment définir ce qui constitue un avantage indu? 

L’une des options que le gouvernement pourrait envisager serait une enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes dans le cadre de laquelle le commissaire travaillerait essentiellement à partir des témoignages entendus par le Comité de l’éthique. Le commissaire ne serait pas obligé de s’en tenir à ces seuls témoignages, et pourrait tenir les audiences qu’il jugerait nécessaires. Son mandat consisterait à évaluer le caractère adéquat des lignes directrices en matière d’éthique applicables aux titulaires de haute charge publique après la fin de leur mandat. Le but de l’enquête serait d’examiner les garanties requises pour éviter que les actes des anciens titulaires ne jettent le discrédit sur la charge qu’ils ont occupée. 

B. Autres options — Aucune enquête publique dans l’immédiat

Comme je l’ai déjà mentionné, au moment de ma nomination, la tenue d’audiences par le Comité de l’éthique n’avait pas encore été annoncée. Maintenant que ces audiences ont commencé, le gouvernement pourrait décider d’attendre la fin des travaux du Comité avant de trancher la question d’une enquête publique. À ce moment-là, il pourrait conclure qu’une enquête n’est pas nécessaire ou que la portée d’une enquête devrait être limitée.

Peut-être, enfin, le Comité de l’éthique pourrait-il poursuivre ses travaux et se pencher sur les questions que je soulève dans ce rapport, c’est-à-dire les nouvelles règles d’éthique qu’il pourrait convenir de proposer à la lumière des conclusions de son étude.

7. Paramètres

En ce qui concerne les deux grands sujets de préoccupation, les paiements en argent comptant à un ancien Premier ministre et la nature des transactions commerciales et financières entre MM. Schreiber et Mulroney, les questions suivantes appellent une réponse directe et franche.

  1. Quelles transactions commerciales et financières ont eu lieu entre MM. Schreiber et Mulroney?
  2. M. Mulroney a-t-il conclu une entente alors qu'il siégeait encore comme Premier ministre?
  3. Le cas échéant, quelle était cette entente, et à quel moment et à quel endroit a-t-elle été conclue?
  4. Une entente a-t-elle été conclue par M. Mulroney alors qu'il siégeait encore comme député de la Chambre des communes ou pendant les périodes de restriction prescrites par le code d'éthique de 1985?
  5. Le cas échéant, quelle était cette entente, et à quel moment et à quel endroit a-t-elle été conclue?
  6. Quels paiements ont été effectués, quand, comment et pourquoi?
  7. D'où provenaient les fonds utilisés pour effectuer ces paiements?
  8. Quels services, s'il en est, ont été exécutés en contrepartie?
  9. Pourquoi les paiements ont-ils été effectués et acceptés en argent comptant?
  10. Qu'est-il advenu de l'argent? En particulier, si un montant considérable a été reçu en liquide aux États-Unis, qu'est-il advenu de cet argent?
  11. Ces transactions commerciales et financières étaient-elles acceptables eu égard à la position de M. Mulroney en tant que Premier ministre et député ou ancien Premier ministre et député?
  12. Les transactions et paiements ont-ils été déclarés comme il se devait?
  13. Ces transactions commerciales et financières étaient-elles assujetties à des règles ou lignes directrices en matière d'éthique? Ont-elles été suivies?
  14. Ces transactions commerciales et financières seraient-elles aujourd'hui assujetties à des règles ou lignes directrices en matière d'éthique? Ces règles ou lignes directrices sont-elles suffisantes, ou les activités des représentants politiques devraient-elles être régies par de nouvelles règles ou lignes directrices à la fin ou après la fin de leur mandat?

Une autre question qu'il convient d'examiner concerne les mesures prises par le BCP après la réception de l'allégation formulée le 29 mars 2007 par M. Schreiber.

Lorsque le BCP a pris connaissance de l’allégation selon laquelle l’entente au sujet des paiements avait été conclue pendant que M. Mulroney était encore Premier ministre, a-t-il pris les mesures qu’il fallait? 

Le Premier ministre n’a pas reçu copie de la lettre que M. Schreiber a adressée à M. Mulroney le 29 janvier 2007 et dans laquelle il mentionnait la rencontre du 23 juin 1993 au lac Mousseau. En moins de 18 mois, M. Schreiber a adressé plus de 700 pages de lettres et de pièces jointes à M. Harper. Les fonctionnaires du BCP décidaient lesquelles devaient être acheminées au Premier ministre et n’en ont fait suivre aucune.

Après avoir examiné cette correspondance et la procédure du BCP, j’estime que les fonctionnaires jouent un rôle adéquat de filtrage afin d’éviter que le Premier ministre ne soit inondé d’une correspondance et d’une documentation surabondantes qui ne méritent pas son attention. Certaines missives adressées à un Premier ministre ne doivent pas lui être transmises parce qu’elles sollicitent une ingérence dans les processus applicables ou des procédures judiciaires en cours, ou parce qu’en accaparant l’attention exclusive du Premier ministre, elles ne contribuent pas de manière constructive à l’intérêt public. J’ai examiné la procédure et la correspondance en question et n’ai constaté aucune entrave indue à la transmission de l’information nécessaire au Premier ministre. Il ne serait normalement pas nécessaire d’examiner davantage les jugements portés à cet égard. Je n’ai rien vu qui suggère le besoin impérieux d’une enquête publique. Par contre, certains ayant évoqué la possibilité d’une tentative pour supprimer des renseignements concernant un ancien Premier ministre conservateur, il conviendrait qu’une enquête étudie cette question, et ce, d’une manière aussi efficace que possible selon les paramètres suivants :

  1. Comment a été traitée la lettre que M. Schreiber a adressée au Premier ministre Harper le 29 mars 2007?
  2. Pourquoi cette lettre n'a-t-elle pas été transmise au premier Harper?
  3. Est-ce que le BCP aurait dû adopter une procédure différente dans ce cas particulier?

Enfin, rappelons que la principale fonction d'une enquête publique est d'établir les faits. Elle ne sert pas à faire le procès de particuliers ni à établir la responsabilité civile ou criminelle. De plus, une enquête doit être rentable. Compte tenu des contraintes auxquelles la loi assujettit les enquêtes publiques et de l'objectif de conduire l'enquête de manière efficace et efficiente, le mandat du commissaire devrait comporter les paramètres généraux qui suivent :

  1. Le commissaire adoptera les procédures et méthodes qui lui paraîtront indiquées pour la conduite de l'enquête.
  2. Il sera ordonné au commissaire d'exercer ses fonctions en évitant de formuler toute conclusion ou recommandation à l'égard de la responsabilité civile ou criminelle de personnes ou d'organisations, et en veillant à ce que l'enquête ne porte pas préjudice à toute autre enquête ou poursuite en matière criminelle qui pourrait être instituée.

8. Observations finales

Au moment de ma nomination, le Comité de l’éthique n’avait pas annoncé son intention de tenir des audiences et de convoquer les deux principaux témoins, MM. Schreiber et Mulroney. Étant donné que l’une des principales raisons de tenir une enquête était de permettre au public d’entendre ce que MM. Schreiber et Mulroney avaient à dire au sujet de leurs transactions et d’examiner leur conduite à la lumière des règles d’éthique applicables, il se pourrait que les travaux du Comité influencent la décision de tenir ou non une enquête. Il se pourrait que l’on juge quand même bon de procéder à une enquête en raison de son caractère plus rigoureux et ciblé. Par ailleurs, le gouvernement pourrait décider qu’il convient de fixer d’autres paramètres au commissaire à la lumière des révélations qui pourraient encore être faites devant le Comité de l’éthique. Ces questions ne m’ont pas été soumises, de sorte que je ne formulerai aucune recommandation particulière à leur sujet.

Une fois qu’il aura nommé un commissaire, le gouvernement pourrait vouloir préciser dans son mandat la date d’achèvement du travail et de présentation du rapport.


  1. Le président du Comité a dit que le Comité pourrait le convoquer de nouveau pour témoigner en février 2008.
  2. Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, paragr. 62, adopté dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440, paragr. 30; Boyle c. Canada (Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie – Commission Létourneau), [1997] A.C.F. no 942, paragr. 18; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada) (1997), 151 D.L.R. (4th) 1, paragr. 30; Beno c. Canada (Procureur général), [2002] 3 C.F. 499, paragr. 105.
  3. L’honorable Bob Rae, Leçons à retenir (Ottawa, Secrétariat pour l’examen d’Air India, 2005), p. 32 de son rapport sur les questions relatives à l’explosion survenue à bord du vol 182 d’Air India.
  4. Stevie Cameron, On the Take: Crime, Corruption and Greed in the Mulroney Years (Toronto, Macfarlane Walter & Ross, 1994); William Kaplan, Presumed Guilty: Brian Mulroney, the Airbus Affair, and the Government of Canada (Toronto, McClelland & Stewart Inc., 1998); Stevie Cameron et Harvey Cashore, The Last Amigo: Karlheinz Schreiber and the Anatomy of a Scandal (Toronto, Macfarlane Walter & Ross, 2001); William Kaplan, A Secret Trial: Brian Mulroney, Stevie Cameron, and the Public Trust (Montreal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2004).
  5. M. Moores a été Premier ministre de Terre-Neuve de 1972 à 1979, chef du Parti progressiste-conservateur de Terre-Neuve de 1970 à 1979 et député de 1968 à 1979; il est devenu directeur de GCI en 1985.
  6. Par la suite, le ministère de la Justice a revu la procédure de traitement des demandes d’entraide internationales de sorte notamment qu’elles soient soumises à des échelons d’approbation supérieurs.
  7. Voir l’annexe 3.
  8. Voir les déclarations des porte-parole de M. Mulroney à l’annexe 4.
  9. Voir l’annexe 4.
  10. Contrairement aux récentes déclarations de M. Schreiber devant le Comité de l’éthique, la GRC indique que M. Schreiber et son avocat ont été interrogés à plusieurs reprises durant l’enquête. Plusieurs fois, entre les mois d’août 1999 et de septembre 2004, la GRC a parlé directement avec M. Schreiber dans des salles d’audience et des hôtels, ainsi qu’au téléphone; elle a rencontré Edward Greenspan, l’avocat de M. Schreiber, le 30 août 2000, le 19 septembre 2000 et le 10 octobre 2000; le 17 mars 2006, la GRC a rencontré MM. Schreiber et Greenspan.
  11. Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang) (1997), 151 D.L.R. (4th) 1, paragr. 57.
  12. Idem, paragr. 19.
  13. Il ne fait aucun doute qu’un examen approfondi des moindres détails pourrait être effectué, mais il faut se demander si un examen aussi exhaustif des faits permettrait d’apporter de nouveaux éléments utiles pour déterminer les normes de conduite acceptables pour l’avenir. À mon avis, la loi des rendements décroissants interviendrait rapidement si l’on tentait de « remuer ciel et terre ». Je ne le recommande pas.