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Première Nation des Chipewyans d'Athabasca [R.I. n° 201 – Barrage W.A.C. Bennett]

Mars 1998

Les ancêtres des requérants étaient, par tradition, des chasseurs et des trappeurs qui ne présentaient aucune disposition pour l'agriculture. Le commerce des fourrures était florissant dans le delta des rivières de la Paix, Athabasca et du Bouleau. Le gibier, le poisson et la sauvagine s'y trouvaient en abondance. Dès 1896, la ruée vers l'or du Yukon amène un grand nombre de non-Indiens à traverser les territoires qui correspondent au secteur nord des actuelles provinces de la Saskatchewan et de l'Alberta, ce qui aboutit à la signature du Traité 8 en 1899. Même si celui-ci prévoit la création de réserves qui « n'excèdent pas en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes », on s'accorde généralement à constater que la plupart des habitants de cette région sont moins préoccupés alors par le choix immédiat de leurs réserves que par la protection de leurs activités traditionnelles, à savoir la chasse, la pêche et le piégeage.

En 1918, des trappeurs blancs et métis arrivent par train ou par bateau à vapeur. En 1922, face à la compétition féroce qui entoure des ressources qui se font de plus en plus rares, les Indiens demandent que l'on mette de côté à leur intention un territoire devant leur permettre de poursuivre leur mode de vie traditionnel. En 1931, ils finissent par obtenir ce qui devait devenir la réserve 201, de même que sept autres réserves plus petites où les Chipewayans construisent des maisons et aménagent des potagers, un cimetière et des camps de pêche. En raison des préoccupations exprimées par le gouvernement de
l'Alberta, la réserve 201 ne sera prête qu'en 1935. En raison des nombreux marécages, la superficie accordée est supérieure à ce que prévoit le Traité. On opte aussi pour des frontières naturelles plutôt que pour un arpentage en bonne et due forme.

Le régime d'inondation du delta Paix-Athabasca était très complexe. Tous les deux ou trois ans, l'inondation par reflux causée par les crues printanières de la rivière de la Paix contribuait à réalimenter les marécages et les « bassins perchés » du delta et fournissait un habitat exceptionnel au rat musqué et à d'autres animaux à fourrure. Ces ressources étaient essentielles à la vie des Chipewayans.

En 1957, le premier ministre W.A.C. Bennett et le gouvernement de la Colombie-Britannique mettent en marche leur grand projet d'exploitation de l'immense potentiel hydroélectrique de la rivière de la Paix. La construction du barrage, à 965 kilomètres en amont du delta Paix-Athabasca, débute en
1962 sans qu'aucune évaluation des effets sur l'environnement, tel que prévu par la loi, n'ait été effectuée. En 1968, lorsque B.C. Hydro commence à réguler le débit de la rivière de la Paix pour remplir le réservoir, aucun avis officiel n'a été donné aux habitants en aval, et aucune étude environnementale ou sociale n'a été faite pour déterminer les effets du barrage.

Le rabattement de la nappe phréatique entraînant le débit élevé nécessaire pour répondre aux besoins des habitants du Lower Mainland en hiver ne tarde pas à avoir des effets nocifs sur la faune du delta. Même s'il connaissait déjà, dès 1959, les risques que faisait courir la construction du barrage, le gouvernement fédéral a préféré ne pas obliger la Colombie-Britannique à obtenir un permis conformément à la Loi sur la protection des eaux navigables (LPEN). Et de son côté, le gouvernement provincial ne donne aucune suite aux demandes de rencontre adressées par le Canada et l'Alberta, quand il ne les rejette pas carrément. Les poursuites intentées en 1970 par la Première Nation requérante, et d'autres aussi, ne devaient jamais aboutir, faute de ressources. Par ailleurs, les travaux effectués dans le delta afin de limiter les dégâts s'avèrent peu efficaces et vont même jusqu'à causer de nouvelles inondations; il fallut donc y mettre fin. La seule conclusion que l'on puisse tirer est que la construction du barrage Bennett a infligé à la Première Nation et à la R.I. 201 des dommages environnementaux importants par suite de l'assèchement du delta.

Même si la responsabilité de fiduciaire que la Couronne a à l'égard des peuples autochtones n'a pas à se traduire dans tous les cas par l'adoption de mesures concrètes, la Commission des revendications des Indiens a appliqué à ce dossier le « guide sommaire et existant » qu'offre l'arrêt Frame c. Smith pour déterminer si, dans tel ou tel cas, il existe ou non une obligation de fiduciaire. Dès la Proclamation royale de 1763, le gouvernement fédéral s'est engagé d'une façon générale à protéger et à préserver les terres des Indiens. Aux Indiens signataires du Traité 8 en particulier, il a donné l'assurance qu'ils pourraient continuer de chasser et de trapper comme par le passé, ce qui, plus que toute autre promesse qui pouvait leur être faite, les a amenés à signer. De plus, après qu'un nombre important de trappeurs blancs eurent commencé à leur disputer la zone du delta, ils ont reçu la R.I. 201 dont la richesse en ressources devait leur procurer une source de revenu stable. Aucune interprétation raisonnable du Traité 8 ne devait autoriser le Canada ou une province à empêcher une Première Nation d'exercer les droits de chasse, de pêche et de piégeage qui en découlent, de détruire le fondement même de l'économie des signataires indiens, ni de laisser porter atteinte aux droits conférés par traité à l'égard d'une terre de réserve. La Couronne avait tout à la fois le devoir et, ce qui est important, le pouvoir, tel que prévu dans la Constitution, de contrôler les voies navigables, de défendre ses propres intérêts fonciers et ceux des Indiens. La Première Nation était en droit d'attendre de la Couronne qu'elle prennent des mesures raisonnables pour prévenir ou pour atténuer les dommages résultant de la destruction de son mode de vie et des ressources que lui offrait la R.I. 201 et d'un empiétement grave sur les droits de chasse, de pêche et de piégeage qui lui ont été conférés par traité. Et elle est en droit maintenant d'attendre du gouvernement qu'il lui offre pleine compensation pour tout ce qu'elle a perdu.

La Loi sur les Indiens donne au ministre des pouvoirs importants en matière de contrôle et de gestion des terres de réserve. Dans le cas qui nous intéresse, la Couronne n'a rien perdu de ses responsabilités de fiduciaire en transférant les dits pouvoirs à la Première Nation. Même si celle-ci a fait preuve d'une certaine autonomie en intentant des poursuites contre la Colombie-Britannique, la Couronne était capable aussi d'exercer unilatéralement le pouvoir de réglementation qu'elle tenait de la LPEN. Et même si BC Hydro a fait valoir que cette loi n'était pas applicable du fait que la rivière de la Paix n'était pas navigable au niveau du barrage, c'est l'examen du cours d'eau dans son ensemble qui sert à en déterminer la navigabilité. Tout barrage construit sur une voie navigable devait d'abord être approuvé par le ministre fédéral des Travaux publics, et puisque la rivière de la Paix est navigable, la Canada était très certainement en mesure d'intervenir dans la construction et l'exploitation du barrage Bennett. Selon le gouvernement fédéral, toute intervention pour des motifs autres que des questions liées à la navigationest injustifiée. Pourtant, dans l'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada, la Cour suprême du Canada a statué que le ministre est habilité à prendre en considération les répercussions environnementales de tout ouvrage construit dans une zone de compétence fédérale, y compris les terres de réserve des Indiens, et que la Couronne a, en tout temps, le devoir d'exercer les pouvoirs de réglementation que lui confère la LPEN.

La Première Nation était singulièrement à la merci de la Couronne et de sa volonté d'user de son pouvoir discrétionnaire pour protéger ses intérêts. La Couronne, de son côté, disposait de pouvoirs de réglementation qui lui permettaient d'intervenir dans la construction du barrage, ainsi que des ressources nécessaires pour prévenir ou limiter les dommages visant la R.I. 201 ou pour demander qu'une compensation soit versée à la Première Nation. La Couronne était tenue de prendre des mesures raisonnables et d'intervenir dans les limites d'une prudence normale pour protéger la réserve et ses habitants, mais elle n'en a rien fait. Le Canada a agi trop tard, et par des mesures tout bonnement insuffisantes. La situation exigeait une intervention immédiate au nom des peuples autochtones, au nom de tous les Canadiens, mais le Canada n'a rien fait, nonobstant ses responsabilités au chapitre, notamment, des parcs nationaux, des voies navigables, des droits de riverain et des terres des Indiens. Il a manqué à ses obligations de fiduciaire à l'égard de la Première Nation, ce qui a amené la Commission à recommander que la revendication soumise par les requérants soit acceptée pour négociation.

Réponse : Aucune réponse de la part du gouvernement.