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13/03/1997

Le rapport de la Commission des revendications des Indiens conclut que le gouvernement a manqué à ses obligations envers les Chippewas de Kettle et Stony Point, et recommande que la revendication soit acceptée aux fins de négociation

Toronto (le 13 mars 1997) - La Commission des revendications des Indiens se trouvait aujourd'hui à Toronto pour publier son rapport sur la revendication des Chippewas de Kettle et Stony Point relativement à la cession de 1927. La revendication porte sur la cession, par la Première Nation à la Couronne, de 81 acres de terrains situés au bord du lac, une transaction marquée dès le départ par la controverse.

Les Chippewas de Kettle et Stony Point affirment que la cession n'est pas valide, qu'elle a été obtenue par des pots-de-vin et par la fraude, et que la Couronne a manqué à ses obligations de fiduciaire (de protection) envers la Première Nation tout au long du processus de cession. Le Canada, pour sa part, affirme que la cession a été réalisée de façon légitime et satisfait à tous les critères nécessaires de validité. Dans deux décisions récentes, et la Cour de l'Ontario (Division générale) et la Cour d'appel de l'Ontario ont maintenu la validité de la cession, mais toutes les deux ont laissé ouverte la question de savoir si le Canada doit verser des dommages-intérêts à la Première Nation pour la façon dont la cession a été obtenue et réglée.

«Les tribunaux n'ont statué que sur la validité de la cession. L'autre élément repose dans l'obligation de fiduciaire du gouvernement qui consiste à veiller à ce que les transactions de ce genre n'exploitent pas la Première Nation», affirme le commissaire Roger Augustine de la CRI. «Lorsque nous avons examiné de près la chronologie des événements, nous avons découvert que les spéculateurs qui ont acheté les terres cédées à 85 $ l'acre en avaient déjà vendu la moitié à 300 $ l'acre. La Première Nation a reçu 7 706,20 $ pour 81 acres. Les spéculateurs fonciers ont touché 13 200 $ pour 44 acres et conservaient 37 acres à revendre ultérieurement. C'est ce qu'on appelle de l'exploitation.»

La Première Nation de Kettle et Stony Point occupe la réserve indienne de Kettle Point, dans le sudouest de l'Ontario (60 kilomètres au nord-ouest de London), sur les rives du lac Huron. La réserve de Stony Point n'existe plus - en 1942, le gouvernement a exproprié toute la réserve aux termes de la Loi des mesures de guerre pour en faire le Camp Ipperwash.

Au moment de la cession, les terres en question étaient décrites par l'agent des Indiens comme rien de plus que «des sables mouvants, sans valeur, au plan agricole». Malgré cela, le gouvernement savait dès 1900 que les terres riveraines avaient un grand potentiel comme propriété récréative. Des efforts furent déployés à de nombreuses reprises pour faire céder les terrains par la Première Nation afin de les aménager, mais en vain.

La cession elle-même a eu lieu le 30 mars 1927 lorsque 27 des 44 membres de la bande habilités à voter ont accepté de céder 81 acres au prix de 85 $ l'acre. A.M. Crawford, un promoteur, avait obtenu par l'entremise de son député local, W.J. Goodison, d'acheter les terres du ministère des Affaires indiennes à ce prix une fois la cession approuvée. M. Crawford assistait à la réunion sur la cession et a payé des membres de la bande 5 $ pour voter et leur a dit qu'ils auraient 10 $ de plus si le vote était favorable. Les tribunaux ont qualifié ces paiements de «primes» et non de «pots-de-vin» comme le faisait valoir la Première Nation.

M. Crawford avait de la difficulté à rassembler l'argent nécessaire pour conclure la vente. La bande a présenté un certain nombre de protestations, car elle s'attendait à ce que le paiement suive peu après le vote de cession. Suite à une série bizarre de transactions caractérisées principalement par des interventions politiques, le ministère des Affaires indiennes a annulé la transaction à deux reprises. Trois jours après la deuxième annulation (mai 1929), le député Ross Gray (qui avait remplacé Goodison) a présenté une offre d'achat de la propriété au nom de M. White, vendeur et agent d'immeuble, pour 118 $l'acre. La bande n'a jamais été mise au courant de cette offre plus élevée. À la place, M. Gray a pu obtenir une entente entre Crawford et White aux termes de laquelle White retirait son offre et les deux devenaient les acheteurs conjoints au prix original de 85 $ l'acre.

Les faits montrent que le Ministère avait reçu l'offre bonifiée de White à un moment où il aurait pu annuler la vente, et, en réalité, c'est ce qu'il a fait au moins à deux reprises. Le rôle de fiduciaire de la Couronne dicte, à ce moment, que le représentant du Ministère aurait dû revenir voir la bande pour expliquer ce qui s'était produit et pour demander à la bande des instructions sur la façon de procéder. Les représentants de la Couronne ont plutôt cédé aux pressions politiques et fait passer les intérêts de la bande après les intérêts économiques de tierces parties. Il s'agit d'un manquement manifeste de la Couronne à son obligation de fiduciaire postérieure à la cession.

Le fait que les terres valaient beaucoup plus que ce que le bande a reçu touche aussi au manquement du gouvernement à son obligation de fiduciaire antérieure à la cession. Le Canada a fait valoir à l'enquête que le prix de vente était raisonnable et, par conséquent, que la vente «n'était pas ou ne pouvait avoir été imprudente ou inconsidérée, ou équivaloir à de l'exploitation.» Mais en étudiant l'historique de la vente, on s'aperçoit que les acheteurs se sont retournés et ont vendu un peu plus de la moitié des terres à 300 $ l'acre.

Les détails de cette «rétrocession» sont intéressants. Les actes de vente des terres rétrocédées étaient datés du 13 octobre 1928, ce qui signifie que les lots étaient vendus dix mois avant que Crawford et White aient conclu la transaction et obtenu le titre. Ils savaient avant de conclure la vente qu'ils pourraient vendre les terres trois fois le prix payé. La Couronne avait une obligation de fiduciaire d'empêcher les transactions imprudentes ou inconsidérées de ce genre et a manqué à son obligation de fiduciaire en consentant à ce marché abusif.

Comme le faisait remarquer le coprésident de la Commission, Daniel Bellegarde, «le rapport montre clairement que cette transaction est entachée d'exploitation et d'ingérence politique. Ces événements sont aujourd'hui la source de beaucoup de colère, de querelles et de ressentiment. Nous pouvons constater de quelle façon ces problèmes du passé ont des répercussions jusqu'à nos jours. La présente revendication aurait pu être réglée avant si le Canada l'avait acceptée aux fins de négociations. Elle a plutôt fini par coûter cher au gouvernement, à la Première Nation et aux résidents qui habitent présentement les terres cédées en termes de litige, de temps et de ressources.» Il a poursuivi ainsi : «Sur une note plus positive, nous estimons que notre rapport, s'il est accepté, offre un fondement pour résoudre les différends opposant toutes les parties. La Première Nation obtiendra une juste indemnisation et la reconnaissance de ce préjudice historique, les non-Autochtones vivant dans la région verront garanti leur droit de résidence et le gouvernement obtiendra un règlement. Nous espérons que les parties peuvent reprendre les discussion sur ces principes.»

La CRI a été créée en 1991 pour faire enquête, à la demande des Premières Nations, sur les revendications particulières rejetées par le gouvernement fédéral ou sur les revendications particulières acceptées par le gouvernement fédéral mais dont les critères d’indemnisation retenus sont contestés par les Premières Nations touchées. En outre, la CRI offre des services de médiation, après entente des parties, à toute étape du processus de règlement des revendications.

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