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L'ARTISANAT*
1. Il ne doit faire aucun doute,
pour quiconque s'intéresse à notre travail,
que, d'une façon générale, notre mandat n'a
pas été établi ni interprété d'une façon
trop stricte. Cette particularité a eu l'heureux
résultat d'encourager un grand nombre
d'associations enthousiastes à se présenter
devant nous, et cela dans une mesure qui était
imprévisible lorsque nous nous sommes mis à
l'oeuvre. Nous espérons qu'on ne se méprendra
pas sur notre pensée si nous disons qu'aucun
d'entre nous ne s'attendait, au début de notre
travail, à recevoir des mémoires sur l'art
héraldique, le jeu d'échecs, la numismatique,
les études médiévales, l'urbanisme, le
folklore, les jardins zoologiques et l'artisanat.
Mais nous fûmes promptement et agréablement
renseignés sur la curiosité intellectuelle de
nos concitoyens et la diversité de leurs
aptitudes; et nous nous rappelons avec un
plaisir particulier les instances tenaces,
exprimées de façon fort spirituelle, que firent
auprès de nous les sociétés et les
particuliers intéressés à l'encouragement et
à la diffusion de l'artisanat. Par exemple, les
cercles de fermières de la province de Québec,
que la question regarde tout particulièrement,
ont conclu une longue série de propositions
très sensées en terminant ainsi: « Et voilà
votre Commission avec une nouvelle gerbe de
recommandations! » (1) .
2. Si nous avons eu quelque peine
à préciser le sens de l'expression « produits
de l'artisanat », la définition suivante nous a
paru utile: « Le produit particulier du travail
individuel à la fois utile et beau, fabriqué à
la main en petite quantité et de préférence
par la même personne, du commencement à la fin,
principalement avec les matières premières du
pays et, autant que possible, de la région » (2)
. À notre sens, on emploie le mot très
largement au Canada en l'appliquant au travail
d'hommes de métier très habiles, employés à
temps continu (spécialement lorsqu'il s'agit des
ouvrages en métaux, de la céramique et des
textiles). On applique aussi le mot d'artisanat
au travail d'amateurs habiles qui augmentent leur
revenu ordinaire par une fabrication à temps
discontinu; à celui d'invalides pour qui de
tels travaux ont une valeur thérapeutique; aux
ouvrages des Indiens ou des Esquimaux; au
travail de personnes qui s'aménagent un petit
atelier en guise de passe-temps et s'occupent à
de tels travaux pour leur plaisir et celui de
leurs amis; à l'activité d'employés de
petites « fabriques de produits de l'artisanat
»; d'ouvriers confectionnant chez eux, par
intermittence et d'après un modèle établi, des
articles qui sont essentiellement faits en série
pour le commerce, et sans doute aux productions
d'autres groupes encore, qu'il s'agisse de
ménagères qui
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se plaisent à tisser leurs propres rideaux ou
bien de leurs maris qui entreprennent de
confectionner de nouveaux barreaux en bois
tourné pour une chaise branlante, ou des
armoires encastrées pour la cuisine. Mais,
quelle que soit la définition à laquelle nous
nous arrêtions, l'artisanat représente certes
une activité importante pour les Canadiens.
3. Environ quarante-quatre
sociétés ou particuliers nous ont présenté
des témoignages au sujet de l'artisanat
canadien, et l'on nous a remis un exposé des
délibérations et des conclusions d'une
commission interministérielle provisoire du
gouvernement fédéral qui a étudié la question
des arts et métiers de janvier 1942 à janvier
1944. En somme, nous n'avons pas manqué de
précisions sur les arts manuels et, à en juger
par l'enthousiasme que le sujet a suscité, nous
n'avons pas de peine à croire, comme on nous l'a
dit, que l'artisanat occuperait bien près de
300,000 personnes au Canada. D'autres partageront
probablement l'étonnement que nous avons
éprouvé à apprendre que, dans la seule
province de Québec, il existe 70,000 métiers
opérés à la main.
4. Comme il en va des arts et des
lettres et de plusieurs autres manifestations de
l'activité de notre population, des citoyens
énergiques, imbus de civisme et que l'artisanat
intéressait, se sont groupés pour constituer
des associations d'ordre local, provincial et
national. La Canadian Handicrafts Guild,
dont la création officielle remonte à 1906,
maintient une organisation centrale, dont la
permanence est à Montréal. À la Handicraft
Guild sont associées des filiales
provinciales en Alberta, au Manitoba, en Ontario,
dans Québec et dans les territoires du
Nord-Ouest. En outre, cette association
entretient des relations suivies avec dix-sept
sociétés qui, couvrant le pays tout entier sauf
Terre-Neuve, collaborent avec elle. Du nombre
sont la Canadian Guild of Potters, les Cape
Breton Home Industries, les Spinners and
Weavers of Ontario, la Regina Arts and
Crafts Society, la Victoria Hand Weavers
Guild, les Charlotte County Cottage Crafts
au Nouveau-Brunswick, et d'autres encore. La Guild,
comme l'indique son mémoire, vise surtout à
faire revivre, à encourager et à diffuser les
métiers du terroir et les industries d'art,
ainsi que ces traditions artisanales qu'apportent
au pays les nouveaux colons. La Guild s'emploie
aussi à trouver des débouchés, tant ici qu'à
l'étranger, pour la production de nos artisans
habiles. Elle organise des expositions d'arts et
métiers du terroir, et donne une formation et
des directives aux gens que l'artisanat
intéresse.
5. Il existe dans l'Ontario une
succursale fort active de la Canadian
Handicrafts Guild, à laquelle sont
affiliées dix sociétés ontariennes. La
succursale ontarienne publie un bulletin mensuel
consacré à l'artisanat, organise des
expositions ambulantes, notamment des étalages
à la Foire nationale, et elle a constitué une
collection de très beaux produits de
l'artisanat.
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6. Outre la Canadian Handicrafts Guild et
les sociétés qui lui sont associées ou
affiliées, divers gouvernements provinciaux ont
pris l'initiative, par l'entremise d'un de leurs
ministères, d'encourager et de diffuser les arts
et métiers du terroir. Il en va surtout ainsi de
la province de Québec où, depuis plusieurs
années, le ministère de l'Agriculture donne les
directives et forme les cadres nécessaires, par
l'intermédiaire d'organismes comme les cercles
de fermières de la province de Québec. En
d'autres provinces, surtout au Nouveau-Brunswick,
l'artisanat relève de la Section de
l'enseignement postscolaire au ministère de
l'Instruction publique ou, pour diverses raisons,
d'autres services du gouvernement provincial.
7. Tout en étant de la
compétence des gouvernements provinciaux et de
sociétés bénévoles, l'encouragement officiel
aux métiers du terroir offre aussi un intérêt
national, puisqu'il influe manifestement sur la
vie d'un si grand nombre de nos concitoyens. Les
représentants de diverses associations qui ont
comparu devant nous ont exprimé l'idée que
l'artisanat, l'exposition de produits de
l'artisanat et les démonstrations organisées
dans ce domaine peuvent exercer et exercent une
influence importante sur les bons rapports entre
tous les groupes au Canada. À Winnipeg, un
représentant de la section manitobaine de la Canadian
Handicrafts Guild nous a parlé du travail
que la section accomplit chez les Canadiens
originaires de l'Europe centrale et orientale :
« En mettant sans cesse ces gens en
contact au moyen d'expositions de produits de
l'artisanat, et de démonstrations
techniques, depuis vingt ans, notre section a
servi, mieux que ne l'aurait pu aucun
autre organisme, la cause de la
concorde et de la bonne entente. Parce
qu'elle fait abstraction de politique et de
religion, elle est admirablement apte à
cette tâche; c'est un avantage qu'elle met
au service du bien commun.
Il n'y a place dans nos rangs ni pour la
froideur ni pour le calcul. Tout est
spontané, débordant de chaleur, de couleur
et d'activité heureuse. Les membres des
groupes nationaux sont ravis de se rencontrer
et de faire connaissance. Le public goûte
les étalages, la couleur et la gaieté qui
les caractérisent, au grand enrichissement
de notre vie culturelle » (3).
L'introduction au mémoire que nous a
présenté à Montréal la Canadian
Handicrafts Guild fait valoir le même
argument :
«Comme les autres formes d'art,
l'artisanat (les arts industriels) peut
contribuer fortement à l'intégration des
cultures nationales dans la société, parce
qu'il favorise l'estime mutuelle, la
collaboration et l'union des curs entre
des groupes fort divers, groupes d'âges,
groupes sociaux et groupes ethniques nouveaux
venus» (4).
8. Nous avons mentionné ci-dessus
que l'encouragement de l'artisanat relève, selon
nous, des provinces et des divers organismes
bénévoles. En conséquence, nous n'entendons
pas présenter de recommandations
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précises à ce sujet; nous croyons que le
renforcement de l'organisme compétent et
d'envergure nationale qui agit à titre
bénévole, c'est-à-dire la Canadian
Handicraft Guild, assurera à l'artisanat
canadien une aide efficace et appropriée. Nous
tenons cependant à exprimer l'intérêt que nous
inspire une proposition énoncée devant nous,
d'après laquelle le Conseil national de
recherches serait invité à entreprendre
l'étude des problèmes de l'artisanat et à
donner des instructions faciles à suivre sur des
sujets comme le blanchiment et la teinture des
produits textiles, le choix et la préparation de
la terre de potier, les méthodes de vernissage.
On nous a dit aussi que l'Office national du film
pourrait préparer des films utiles sur
l'artisanat canadien en vue de l'enseignement de
métiers tels que le tissage et la poterie. On a
également préconisé l'établissement d'une
méthode simple et efficace pour empêcher les
sociétés commerciales de pratiquer la
contrefaçon des modèles utilisés dans
l'artisanat. Quelqu'un nous a dit que la division
des parcs du ministère des Ressources et du
Développement économique pourrait organiser des
étalages permanents des meilleurs produits de
l'artisanat canadien, avec service de vente.
Cette proposition nous a fort intéressés. On a
soutenu également qu'il serait possible
d'aménager de semblables étalages dans les
hôtelleries de nos deux réseaux de voies
ferrées, et nous avons appris dernièrement avec
un vif intérêt qu'une importante société
pétrolière du Canada a constitué à son siège
social une collection d'articles de nos artisans.
Ces propositions nous semblent réalisables, et
nous serions heureux que les autorités
compétentes les examinent.
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